Roulette Russe

Text
0
Kritiken
Leseprobe
Als gelesen kennzeichnen
Wie Sie das Buch nach dem Kauf lesen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

- Reviens sur terre.

Le visage d'Andrew apparut à quelques centimètres du sien. L'odeur de son après-rasage frais emplit ses narines, alors que ses yeux vert forêt la fixaient.

- Est-ce que tu veux visiter l'endroit ou non ?

Elle sentit ses joues chauffer. Espérant mettre fin à son embarras, elle se dirigea vers l’ascenseur où elle écrasa le bouton jusqu'à ce que les portes s'ouvrent, avant d’entrer dans l’enceinte métallique.

Avec un petit rire, il appuya sur le bouton et l’ascenseur se mit à bouger.

Au cinquième étage, le sol était couvert d’un tapis vert mousse et les murs étaient tous blancs. Le soleil du matin des tons bleus dans le couloir des tons bleus. Arrivés à la porte de leur appartement, Andrew glissa une carte-clé au-dessus de la poignée.

Helena posa un pied à l’intérieur et ses chaussures de course grincèrent sur le parquet poli. À chaque pas, ses yeux s'écarquillaient encore plus et elle se retrouva très vite dans un salon spacieux. Deux confortables canapés en cuir et une grande télévision LED accrochée au mur, ainsi que des photographies de monuments de la ville et de rues célèbres. Elle aimait même le détail de la petite ballerine en céramique sur la table basse.

- C’est combien, le loyer ? demanda Helena.

A Dublin, impossible de louer un appartement aussi spacieux sans débourser une fortune.

- Le père de Laura est propriétaire du bâtiment et, comme il aime beaucoup sa fille… disons qu'il nous a laissé l'appartement à un prix abordable.

Helena leva un sourcil.

D'un pas furtif, Laura émergea derrière eux et tapota Helena sur les épaules.

- Heureuse de te voir. Où sont tes affaires ?

Helena essayait de contrôler son excitation. Andrew tapota la tête de Laura et se mit à jouer avec ses boucles blond vénitien.

Laura Quinn n'était pas grande, 1m 50, mais sa taille était compensée par sa personnalité. Se disputer avec elle était comme se battre nue et seule contre une horde de sauvages. Helena se rappela la fois où elles avaient débattu sur le possible vainqueur d’un concours de chant. Sa défaite avait été tournée en une frasque, se décolorer les cheveux et se les teindre en violet lors d'une soirée pyjama.

- Je croyais que tu allais nous aider, déclara Andrew.

Laura fit la moue.

- J'ai trop mal aux bras d’avoir porté mes affaires… Elle lui pointa l`index contre la poitrine, puisque tu ne t'es pas donné la peine de m'aider.

Andrew leva les mains comme pour se rendre.

- Hé, je suis allé chercher Épine. Elle n’a pas de voiture, contrairement à toi. Je parie que si tu voulais de l'aide, tu aurais facilement pu convaincre le gardien de jouer le rôle d’esclave.

- Très drôle, ce n’est pas mon genre.

Helena se frotta les yeux. Ces deux-là avaient trop d’énergie et il n’était même pas dix heures.

- J'ai besoin de la carte-clé et des clés de la voiture.

- Ne t'inquiète pas, Épine, je ne vais pas t'abandonner et te laisser porter tes cartons extrêmement lourds toute seule, dit Andrew.

Laura croisa les bras.

- Très bien ! Mince ! Il faut que je vous donne un coup de main.

- Excellent ! Plus on est fous, plus on rit.

Helena se dirigea vers la porte et Laura se mit en travers de son chemin.

- J'ai oublié de te demander, comment ça se passe ta recherche d’emploi ? Est-ce que t’as besoin d'aide ?

- Non, merci. Je me débrouillerai toute seule.

- Très bien, n’hésite pas à m’en parler si tu as un problème. Ah, je vais te faire visiter l'étage pendant qu'Andrew va chercher tes affaires.

Laura n’attendit pas sa réponse et la traîna presque dans l'escalier métallique.

- Hé, qui va me donner un coup de main ? cria Andrew après elles.

Laura se pencha par-dessus la rampe.

- On viendra t’aider une fois que j’aurai montré sa chambre à Helena.

- Ouai et ça n'a rien à voir avec le fait que tu sois trop paresseuse pour donner un coup de main. Alors, tu lui apprends à glander comme toi ?

- On te rejoindra en bas dans quelques minutes, hurla Laura en retour. Elle traîna Helena et la poussa dans une pièce sur la gauche.

- Qu'en penses-tu ?

Le cœur d’Helena fondit de bonheur. La chambre était très bien éclairée avec des murs bordeaux. Des draps bleu pâle recouvraient le lit double placé entre deux tables de chevet brun orangé. Le mobilier n’était pas vraiment à son goût. De la fenêtre, on voyait la mer d'Irlande et elle poussa un léger soupir.

- Je savais que tu l’aimerais. J'ai dû lutter contre mon instinct intérieur pour te laisser cette chambre.

- Ce paysage est superbe, mais pourquoi tu fais ça ?

Laura lui fit un clin d'œil.

- Tu peux prendre ça comme un pot-de-vin.

Helena savait ce qui allait suivre. Laura manigançait quelque chose et c’était pour elle une tentative minutieuse pour lui lécher les bottes en faisant semblant d’être altruiste. Elle attendit que son amie reprenne son souffle.

- Ne le prends pas mal, Hel, mais que penses-tu d’Andrew ?

Helena haussa un sourcil. Elle s'attendait à une chose comme des tâches ménagères ou l'aider à faire ses devoirs, mais pas du tout à ça.

- C’est juste un copain ?

Laura tapa du pied sur le doux tapis noir.

- Je veux dire en tant que mec. Est-ce qu'au moins tu le considères comme appartenant au sexe opposé ?

Helena fronça légèrement des sourcils.

- Où veux-tu en venir ?

- Ok, répondit Laura en roulant les épaules comme pour se préparer à une bagarre. J’ai été surprise lorsqu’il m’en a parlé. Qui aurait pu le croire ? Et moi, en tant que meilleure amie, je crois que je pourrais arranger les choses entre vous. Au début, j'avais quelques appréhensions. Est-ce que tu comprends où je veux en venir ?

Helena fronça encore plus des sourcils.

- Est-ce que tu peux être un peu plus claire, s'il te plait ?

- Bon Dieu, Hel, tu comprends vite lorsqu'il s’agit d’autre chose que de romance. En gros, Andrew m'a demandée si tu l'aimais bien.

- Oh…

Elle n'avait pas du tout pensé à ça. Andrew ne pouvait pas s'intéresser à elle. Bien sûr, il la taquinait tout le temps et il l'appelait par son surnom. L'idée de sortir avec lui, lui semblait aussi bizarre que de faire du sport. Mais était-ce une bonne idée ? Elle avait entendu trop d'histoires de disputes entre amis dès qu’ils sortaient ensemble.

- Très bien, je vois que tu es entrée dans ton propre petit monde, lui dit Laura.

- Je ne sais pas quoi te répondre. Je veux dire, je…

- Tu n'y a jamais pensé.

Helena hocha la tête.

- Eh bien, réfléchis-y. On a encore du temps. Maintenant, on ferait mieux d'aller l'aider, sinon il nous fera une plaintathon.

Helena renifla.

- Je pensais que c'était toi la pro pour faire ça.

- Je m'en souviendrai, Épine. Maintenant, allons-y !

*****

Vers vingt heures, Helena décida d’aller dans sa chambre sans attendre la livraison des plats chinois qu’ils avaient commandés. La vue splendide par sa fenêtre disparut lorsqu'elle alluma la lampe de chevet.

Enfin, un peu de paix, pensa-t-elle en cherchant dans sa valise le journal.

Helena feuilleta les pages, fascinée par les détails des dessins, jusqu'à ce qu'elle tombe sur l'écriture familière. Elle essaya de lire le texte en russe. Concentrée sur le journal, elle n’avait pas entendu les coups sur la porte. La porte s'ouvrit et elle ferma brusquement le journal et le glissa d’un geste rapide sous son oreiller.

- Oui ? demanda-t-elle à Laura.

- La bouffe est arrivée. J'ai appelé et j'ai frappé, mais…

Laura rentra et ferma la porte derrière elle.

- Qu'est-ce que tu lisais ?

Helena réfléchit à une réponse, elle ne voulait surtout pas que Laura pense qu’elle était folle de lire ce genre de chose.

- C'est juste un truc que j'ai trouvé dans mon grenier.

Les lèvres de Laura s’étendirent en un sourire narquois.

- Je parie qu’il s’agit des escapades amoureuses de ta mère.

Laura était une bonne amie, mais souvent sa curiosité la poussait à empiéter dans l’intimité des gens. Helena savait que Laura n’arriverait pas à le lire, mais elle savait qu’elle ne baisserait pas les bras. Grâce à l'internet et aux logiciels en ligne, tout pouvait être traduit. Alors, Helena joua le jeu.

- C'est embarrassant.

- Je le savais !

Laura s'avança à grands pas avec une main tendue vers le journal. Helena se redressa et serra les épaules de Laura.

- La bouffe va être froide.

- Très bien, mais tu me raconteras les détails dégoûtants plus tard.

- Bien sûr !

Helena poussa son amie hors de la pièce et appela mentalement Michael.

Il lui répondit aussitôt.

- Quoi ? Qui a-t-il ? Tu as l'air bouleversée.

- On doit parler de ce journal.

2
Domaine des destins

Il faisait nuit. À sa connaissance, tout le monde dormait. Elle faisait les cent pas autour du lit, les bras croisés, son esprit n’arrêtant pas de cogiter.

- Que veux-tu dire ? demanda-t-elle à Michael.

Il ne répondit pas et la regarda comme s'il souffrait.

- Me caches-tu un autre secret ? Il est mon vrai père. S'il a été pris par le monstre mentionné dans le journal de grand-mère, je dois savoir…

Elle cligna des yeux pour chasser ses larmes.

- ... il y a des chances qu'il ne nous ait pas abandonnés...

 

- Helena, commença Michael sur un ton apaisant.

Elle lança ses mains en l'air.

- N'essaye pas de me calmer et dis-moi comment le retrouver !

Retenant un juron, elle se rappela qu'elle devait se taire, une chose difficile à faire à chaque seconde qui passait. Elle inspira pour calmer sa colère.

- S'il te plaît, dis-moi quelque chose. N'importe quoi !

- Allonge-toi.

Elle hocha la tête.

- Je ne suis pas d'humeur à me détendre.

- Si tu veux vraiment savoir où il est, je ne peux pas t’en empêcher. Je vais t'aider à le faire, mais tu dois te concentrer.

Helena plissa des yeux. Elle étudia son visage impassible. Comme d'habitude, ses traits étaient neutres. Elle ne savait pas si c’était un stratagème pour qu'elle se calme ou s'il pensait vraiment ce qu'il disait. Elle décida de l'écouter et se laissa tomber sur les draps doux en lin.

- Ferme les yeux, dit Michael.

- Pourquoi ?

Il disparut et continua à s’adresser à elle mentalement : Tu dois écouter mes conseils sans poser de questions.

Helena se mordit la lèvre inférieure et s’exécuta.

- Maintenant, concentre-toi sur ma voix et visualise ton corps à l'intérieur d'une bulle ou à un endroit où tu te sens en sécurité.

En quelques secondes, elle s'imagina une sphère en acier. Une bulle d’air ne la mettrait pas en sécurité. Elle planait dans ses limites confinées tandis que l'obscurité troublante l'encerclait. Être suspendue dans les airs la mettait mal à l'aise, elle utilisa donc les mêmes principes pour faire apparaitre un sol en damier sous ses pieds.

Michael apparut à ses côtés. Son corps émettait une faible lueur qui apaisa ses nerfs.

- À quoi ça sert ? demanda-t-elle.

- C'est un bouclier mental. Ça te protégera.

- Me protéger de quoi ?

- Il fait noir ici, dit-il, essaye de créer de la lumière.

Helena le fusilla du regard. Elle avait peur qu'il change d'avis et qu’il refuse de l'aider. Si cela pouvait être considéré comme une aide. Elle prit une profonde inspiration et se concentra à nouveau. Une luminosité afflua au-dessus de sa tête.

Michael se rapprocha du mur et elle l’imita. Il toucha la surface lisse et dit des mots incompréhensibles.

- Je vois que tu préfères le métal comme protection. Beaucoup utilisent des éléments ou des forteresses imposantes pour se protéger. Certains érigent même plusieurs couches, sur lesquelles nous devrions travailler plus tard.

Elle avait de nombreuses questions à lui poser.

- Qui ferait ça ?

La grande main chaude de Michael se posa sur sa tête et lui fit voir un sourire fantomatique.

Ses yeux sortaient de leurs orbites.

- Tu peux me toucher ?

- Ton corps est uni à ta structure physique dans laquelle je ne peux pas agir. Mais ici, ton esprit entre dans l'une des structures que je peux atteindre, répondit-il. Je ne suis pas le seul à pouvoir t'atteindre ici, c'est pourquoi je t'ai demandée de créer ta propre couche de protection. Cette couche utilisera une partie de ton énergie pour te protéger, alors ne sois pas étonnée si tu te sens fatiguée.

- Très bien, et c’est quoi la prochaine étape ?

- Tu prends ma main et nous allons voyager dans mon royaume. Tu ne dois pas t’éloigner de moi, sinon je ne pourrais pas masquer ta présence.

Elle mit sa main dans la sienne et il la serra de ses doigts fins. L'air grésillait d'énergie qui les encerclait pour les dissimuler.

D'un geste rapide, Michael l'attira dans son étreinte. Une seconde plus tard, les boucliers fondirent et ils se retrouvèrent dans une vaste chambre avec de hauts piliers en ivoire. Un réseau désordonné géant de fils multicolores entrelacés formait le « plafond ». Au sol, ils étaient disposés en rangées soignées et interminables, maintenues en place par des cadres à tisser couleur or. Le sol couleur ébène brillant ressemblait à un miroir inversé reflétant l'intégralité de la chambre.

Elle s'éloigna de lui et regarda la bouche bée tout ce qui les entourait.

- Où sommes-nous ?

- Au royaume des anges, le domaine des destins.

Helena détourna ses yeux de la toile colorée.

- Et si quelqu'un nous trouve ici ? Tu ne vas pas avoir des ennuis ?

- Cet endroit n'est plus utilisé par les dieux.

- Les dieux ? Il y en a plus d'un ? Les personnes croyantes seraient vraiment déçues de l’apprendre.

Michael admirait le plafond avec une émotion cachée qu’elle n'arrivait pas à cerner.

- Autrefois, un seul créateur existait. Il avait vécu si longtemps que même lui-même avait oublié ses origines. Il s'était alors divisé en plusieurs divinités inférieures pour expérimenter des choses. Pour lui, le sexe, l'âge, la couleur de peau ne semblaient pas avoir de l'importance.

Ses paroles se perdirent dans l’exaltation.

- C’est le résultat final qui est important - une leçon à apprendre.

Sur sa gauche, un fil gris vibra. Elle tendit la main pour le toucher, mais Michael se mit en travers de son chemin et hocha la tête.

- On ne touche pas !

Elle fronça des sourcils.

- Pourquoi pas ? Ce n’est qu’une corde.

- Ce ne sont pas des cordes. Ce sont les liens avec des êtres de la Terre.

Confuse, Helena se tut. Il ne pouvait pas être sérieux. Elle se tourna et se concentra sur les cordes. Le blanc était la couleur la plus répandue. Quelques gris, noirs et rouges ressortaient çà et là. Plus loin, une corde dorée se démarquait de ses voisines monochromes, telle une balise. Elle plissa des yeux pour essayer de voir ce qui se trouvait au-delà, mais les cordes se sont dissoutes en un brouillard blanc, trop épais pour qu'elle puisse voir à travers.

- Que signifient les couleurs ?

Michael étudia son expression avide et soupira.

- Le blanc est un humain normal. Une nuance de gris représente une personne influencée ou utilisée par les ténèbres, ou peut-être une forme d'être surnaturel. La couleur noire appartient à des créatures des ténèbres, tels que des mangeurs d'âmes, certains démons, des monstres qu’on ne devrait jamais croiser dans ton royaume.

Elle pointa du doigt une corde et s’en approcha.

- Et la dorée, là-bas ?

- Des saints, dit-il comme si le mot expliquait tout par lui-même.

- Que sont-ils ? Des personnes saintes ?

- Je ne peux pas t’en dire plus.

Helena se mordit la lèvre, elle voulait vraiment en apprendre plus. Cette expérience était pour elle toute nouvelle. Pourtant, au fond d'elle, une chose la dérangeait. C'était comme si elle avait oublié une chose.

Une corde rouge-sang se démarquait dans la rangée de blancs et de gris.

- Et la rouge ?

- Des vampires, cracha Michael le terme comme si c'était une chose dégoûtante.

La corde écarlate avait retenu son attention. Une énergie bizarre la traversait. Helena avait lu beaucoup d'histoires sur le folklore et les créatures mythiques, mais ce qui l’avait toujours fasciné le plus étaient ces êtres suceurs de sang. Enfin, elle avait la chance d'en apprendre plus sur le monde de Michael.

En se rapprochant, elle réalisa que la corde n'était pas tout à fait rouge. Un liquide riche et cramoisi longeait la corde.

- Rappelle-toi, Helena, tu ne touches pas.

Ses conseils lui importaient. La corde l'attirait, la conviait à la prendre, à toucher sa texture. Elle sentit des picotements aux doigts et elle tendit sa main vers la corde.

La main lourde de Michael se posa sur son épaule, la sortant de son état d’hypnose.

- Je crois qu’on devrait revenir plus tard.

- Non ! cria-t-elle.

Surprise par son emportement, Helena baissa la tête de honte. Qu’est-ce qui me prend ? La pièce entière bourdonnait d’énergie. Penser était devenu une corvée et, en se concentrant plus, elle vit sa corde jaillir de son ventre. Elle avait l’air plus pâle que les autres cordes blanches. Elle la caressa, se délectant de la douce sensation.

- Qu'est-ce qui se passe lorsque deux cordes se touchent ?

Michael leva les yeux vers le plafond.

- Un lien est ajouté.

- Et qui décide de ça ?

- Les destins.

- Mais tu as dit que plus personne n'utilisait cet endroit. Comment…

L'expression de Michael s'assombrit, comme s'il se rappelait d'un fait douloureux.

- Ils ont été bannis dans le royaume humain il y a longtemps. Depuis, les choses se produisent telles que les Dieux le souhaitent.

Helena jeta un coup d'œil à la corde connectée à un vampire quelque part sur la planète. Est-ce qu'on se rencontrerait si nos cordes se touchaient ? Elle secoua la tête. Ce n’était pas important pour l’instant. La raison pour laquelle ils étaient venus ici, était de retrouver son père.

Sa mère lui avait toujours dit qu'il les avait quittées, mais Helena ne l'avait jamais crue. Et si une chose de grave lui était arrivée à cause des ténèbres décrites dans le journal de grand-mère ? Si les vampires et les autres êtres surnaturels étaient réels, il y avait une chance que sa grand-mère ne soit pas folle comme sa mère voulait qu'elle le croie. Peut-être qu'il a été enlevé. Elle avait besoin de connaître la vérité.

- Et mon père ? Comment on peut le retrouver ?

Michael semblait réfléchir.

- Je vais chercher son âme. Attends ici et ne touche à rien.

Il retourna à l'entrée. Dès qu’il s’éloigna d’elle, une voix féminine murmura dans sa tête une sorte de chant.

Son corps se raidit et, comme possédée, elle attrapa la corde rouge-sang. Un frisson la traversa, lui donnant la chair de poule aux bras et au cou. L'énergie encerclant le lien n'était rien comparée à celle qui traversait son noyau. Elle l'envahissait contre sa volonté.

- Helena, non ! cria Michael.

Mais c'était trop tard.

Un bruit très fort envahit la chambre, la poussant à vouloir unir les cordes. Lorsqu’elle comprit ce qu'elle venait de faire, son lien blanc s'était déjà enroulé autour de la corde du vampire.

Son cœur battait la chamade dans sa cage thoracique et sa vision devint trouble. Une puissante vague d'énergie issue d’un autre monde se fraya un chemin à travers le lien, un arc rouge et blanc. Elle pressa sa main contre sa poitrine brûlante. Chaque partie de son corps lui faisait mal, mais en séquence alternative.

Une minute plus tard, semblant être une éternité, ses genoux cédèrent. La dernière chose dont elle se souvenait était deux bras forts la rattrapant dans sa chute.

*****

Le réveil sur sa table de chevet affichait deux heures du matin. Elle s'assit, alluma la lampe de chevet et se frotta le visage. Michael l'avait trompée. Le royaume des anges et ses boucliers mentaux devaient être un rêve. Il a dû utiliser une sorte de ruse pour qu’elle se détende et qu’il puisse se dissiper.

Est-ce que j’ai rêvé ? Elle fit une grimace en sentant le mal de tête marteler dans son crâne.

- Michael ? appela-t-elle dans l’espoir d’avoir des réponses à ses questions.

Helena prit une inspiration et se prépara à l’appeler de nouveau lorsqu'il se matérialisa devant elle. Son expression la força à se taire. Ses yeux brillaient d'indignation. Si ce qui s'était passé avait été réel, il avait alors raison de se mettre en colère contre elle. Il lui avait demandé de ne toucher à rien et elle lui avait désobéi. Mais elle avait perdu le contrôle de son corps, ses membres avaient bougé malgré elle.

- Michael, je…

- Je n’ai pas beaucoup de temps, Helena. J’ai commis une grande erreur de t’emmener avec moi. J'aurais dû y aller seul. Ce que tu as… Il s'arrêta comme s'il cherchait le mot juste... fais, n'aurait jamais dû arriver.

Helena se massa les tempes dans l'espoir d'apaiser sa douleur. Son mal de tête était similaire à celui qu'elle avait eu après sa première cuite. Le jour de son seizième anniversaire, lorsque Laura avait parié qu'elle pourrait boire plus qu'elle. Son amie avait tout même réussi à gagner son pari.

- Je suis désolée. Je... je n’étais pas moi-même. C'était comme si…

- Pas besoin de t'excuser. Je dois y aller. Nous nous occuperons des dégâts que tu as causé plus tard, dit-il avant de redisparaître.

Helena rampa hors du lit. Les paroles cinglantes de Michael lui faisaient mal au cœur. Elle savait que ce qui s'était passé était de sa faute, mais elle ne l'avait pas fait exprès.

 

Elle sortit de sa chambre pour aller se chercher de l'aspirine. Arrivée dans le couloir, elle vit la lumière du salon allumé à l’étage en-dessous et elle s'arrêta. Tout le monde avait cours demain matin, ce n'était donc pas logique que quelqu'un soit encore réveillé à cette heure de la nuit.

Son mal de tête oublié, elle se dirigea vers l'escalier sur la pointe des pieds et jeta un coup d’œil par-dessus la rampe. Elle craignait que ce soit un vampire qui l'attendait. La rationalisation chassa l'idée idiote de la possibilité qu'un imposteur pourrait la localiser. Les cordes avaient créé un lien, mais ce n'était pas un capteur, ou du moins c'est ce qu'elle espérait.

Les marches en métal glacé lui piquaient la plante des pieds. À mi-chemin, elle se dit qu'elle devrait s'acheter des pantoufles dès qu'elle en aurait l'occasion. Elle se maudit d'avoir pensé que ça aurait pu être un monstre suceur de sang en apercevant Andrew. Il était assis sur le canapé avec un livre ouvert sur les genoux.

- T'es encore réveillé ? demanda-t-elle.

Andrew tourna brusquement la tête dans sa direction.

- Mon Dieu, tu m'as foutu une de ces trouilles, Epine ! Tu sais très bien que j'ai le cœur fragile.

Helena roula des yeux. Il était dingue de sport, il jouait dans plusieurs équipes à l'université. Elle n'avait jamais compris ce qui pouvait pousser des personnes à courir après un ballon avec des vêtements trempés de sueur. Contrairement à lui et à Laura, elle détestait le sport et tout ce qui y était associé.

Andrew ferma son livre et le posa sur la table basse. Elle n’aurait jamais cru qu’il lirait ce genre de livre. Elle pensait qu’il lirait des bandes dessinées ou des magazines pornographiques, mais surtout pas un livre sur les finances.

Il avança d'un pas lent vers elle et lui souleva la tête tendrement.

- Tu es pâle, tu devrais te remettre au lit.

Elle se rappela soudain de sa conversation qu’elle avait eue plus tôt avec Laura et sentit ses joues rougir. Elle recula d'un pas sans le réaliser.

Andrew se gratta l'arrière de la tête et balança son poids d'une jambe à l'autre.

- Ah, Laura t'a déjà parlé de… euh… de ça.

L’esprit d’Helena s’emballa alors qu’elle essayait désespérément de trouver les bons mots. Avait-elle besoin de lui donner une réponse maintenant ou avait-elle le temps de réfléchir ? Pourrait-elle trouver assez de courage pour lui répondre ?

- Helena, je ne t'ai pas posée la question moi-même parce que je ne voulais pas te mettre la pression, ou peut-être parce que je suis un lâche. Je ne sais pas. Ce que je sais, en tout cas, c'est que je t'aime depuis presque le début.

Son sourire ringard habituel avait disparu. Il avait l’air sincère. Elle sentit un resserrement au cœur, comme s'il allait s'arrêter de battre en prévision de ce qui allait arriver.

- Andrew, je... je ne sais pas.

Ses cheveux tanguèrent sur son front en s’approchant d’elle.

- Prends ton temps.

Elle eut le souffle coupé lorsqu'elle réalisa la couleur verte de ses yeux et la douceur de son visage rasé. Elle lutta contre l'envie de lui toucher la joue.

- Promets-moi d'y réfléchir, lui dit-il.

Elle avait la bouche sèche. Au lieu de lui répondre, elle lui fit un signe de tête rapide.

Avec un sourire d’enfant, Andrew lui tapota la tête comme il le faisait souvent à Laura.

- Ne te couche pas trop tard, Épine.

Elle fronça des sourcils. Il était redevenu lui-même en une fraction de seconde, alors qu'elle était toujours perdue dans ses pensées.

Helena posa sa main sur son cœur excité et s'imagina ce que ce serait de sortir avec lui. Bien qu’il semblait ne pas être un étudiant sérieux, le voir lire ses cours avant le début du trimestre lui apprenait qu’il était tout sauf incompétent. C’était la première fois qu’elle découvrait ce côté sérieux de sa personnalité. Et, la façon dont il l'avait regardée ce soir était différente. Il ne plaisantait pas et ça lui faisait peur.

*****

Au déjeuner, elle alla rejoindre Laura dans un café du campus, rempli de plaisanteries joyeuses et de conversations bruyantes. Helena avait fait de son mieux pour les ignorer. Elle ferma les yeux pour apprécier le parfum du macchiato dans ses mains, fraîchement préparé. Depuis son réveil ce matin, elle se sentait frileuse.

Laura soupira.

- Est-ce que tu m'écoutes au moins ?

Helena leva les yeux vers son amie qui mordait dans son sandwich au jambon fromage. Des miettes de pain tombèrent sur sa chemise en voile bleu marine et Laura les retira d'un mouvement de la main.

- Je vois que te parler de ma journée t'ennuie à mourir, alors parle-moi de la tienne.

- Rien de spécial ! Des cours, des nouveaux profs et beaucoup de monde.

En inclinant sa tête sur le côté, Laura reprit :

- Avec moi et Andrew comme tes meilleurs amis, je pensais que tu avais appris comment te faire un ou deux amis. Qu'est-ce que t’attends ?

Helena essaya de penser à une excuse assez bonne pour se débarrasser de Laura. Les arguments qu'elle pourrait utiliser semblaient insignifiants.

- Tu vois, tu n’arrives même pas à trouver d’excuses !

Helena leva les mains en signe de défaite.

- Très bien, je te promets d’essayer demain.

Laura posa son sandwich dans son assiette et la dévisagea.

- Demain ?

- Oui, c’est quoi le problème ?

- Rien, à part que tu parles comme un fumeur qui dit qu’il va arrêter de fumer en s’allumant une cigarette.

Avec un long soupir, elle scruta la foule. Les étudiants étaient dispersés en groupes, partageant leurs expériences du premier jour de cours. Elle s’apprêtait à abandonner ses recherches lorsqu'elle repéra une fille de sa classe, qui attendait de passer sa commande à la caisse. Elle hocha la tête dans la direction de la brune aux cheveux courts et aux vêtements à l'aspect antique.

- Elle est dans deux de mes modules.

Laura se retourna sur son siège pour jeter un coup d'œil rapide. Un sourire troublant étira ses lèvres roses.

- Je crois qu’on a trouvé ta cible.

- Maintenant ? Tu veux que je lui parle, maintenant ?

- A quoi bon reporter à demain, Épine. Va la chercher.

Réticente, Helena se leva et vérifia que son pull n'était pas taché. C’était bon, il était propre. Elle redressa sa posture et grogna intérieurement. Tout ira bien.

Des yeux brun chocolat la virent arriver. Helena avait les mains moites et se les essuya sur son jeans. Elle pensait qu’elle s’était approchée d’elle bien trop vite. S'arrêtant à deux mètres d'elle, elle s'éclaircit la gorge.

- Salut, je m'appelle Helena Hawthorn, et nous sommes…

- ... dans le même cours de mythologie. Je m'appelle Nadine Smidt.

Elles se serrèrent la main et Helena eut un trou de mémoire.

- Tu voulais me dire quelque chose ?

- Ah, oui, c'est vrai !

Helena désigna Laura.

- Veux-tu t’asseoir avec nous ? On a presque fini, mais ce serait super si tu te joignais à nous.

Le visage de Nadine s'illumina.

- Je vais aller me chercher quelque chose à boire et je vous rejoins.

Se dirigeant droit vers la table, Helena savait à quoi s'attendre. Laura avait déjà le regard disant « Je te l'avais dit ! ». Les choses s'étaient mieux déroulées qu'elle ne l'avait prévu. Peut-être que Laura avait raison après tout, il suffisait tout simplement de se présenter. Cette idée poussa Helena à se reprendre. Elle avait beaucoup de secrets qu'elle cachait à sa famille et à ses amis. Cela ajouterait une personne de plus à sa liste des gens qui ne la connaissaient pas vraiment.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? Je croyais que tu serais contente de te faire une nouvelle amie.

La voix inquiète de Laura ramena Helena à la réalité.

- Je le suis. Désolée, je pensais à une dissertation que j'ai à faire.

Laura haussa un sourcil. Lorsque Nadine les rejoignit, Laura se leva en faisant presque tomber sa chaise.

- J'avais complètement oublié ! dit Laura en rangeant ses affaires. J'ai du travail à faire. On se reverra à l’appart.

Elle fit un clin d'œil à Helena et se tourna vers Nadine.

- Ravie d’avoir fait ta connaissance.

Comme si ses cheveux bouclés blond-fraise étaient en feu, Laura sortit du café en trombe, laissant Helena seule. Nadine n'avait pas l'air du tout gênée, elle s’installa sur une chaise et se mit à siroter son thé vert.

Helena était sur le point de dire quelque chose, mais elle réalisa bien vite que c’était stupide. Elle décida donc de garder le silence.