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Cinq semaines en ballon

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– Nous ne voyagerons pas la nuit ? demanda le chasseur.

– Non, autant que possible ; avec des précautions et de la vigilance, on le ferait sans danger, mais il ne suffit pas de traverser l’Afrique, il faut la voir.

– Jusqu’ici nous n’avons pas à nous plaindre, mon maître, Le pays le plus cultivé et le plus fertile du monde, au lieu d’un désert! Croyez donc aux géographes!

– Attendons, Joe, attendons ; nous verrons plus tard.»

Vers six heures et demie du soir, le Victoria se trouva en face du mont Duthumi ; il dut, pour le franchir, s’élever à plus de trois mille pieds, et pour cela le docteur n’eut à élever la température que de dix-huit degrés[34]. On peut dire qu’il manœuvrait véritablement son ballon à la main. Kennedy lui indiquait les obstacles à surmonter, et le Victoria volait par les airs en rasant la montagne.

À huit heures, il descendait le versant opposé, dont la pente était plus adoucie ; les ancres furent lancées au dehors de la nacelle, et l’une d’elles, rencontrant les branches d’un nopal énorme, s’y accrocha fortement. Aussitôt Joe se laissa glisser par la corde et l’assujettit avec la plus grande solidité. L’échelle de soie lui fut tendue, et il remonta lestement. L’aérostat demeurait presque immobile, à l’abri des vents de l’est.

Le repas du soir fut préparé ; les voyageurs, excités par leur promenade aérienne, firent une large brèche à leurs provisions.

«Quel chemin avons-nous fait aujourd’hui ?» demanda Kennedy en avalant des morceaux inquiétants.

Le ballon accroché à une branche de nopal.

Le docteur fit le point au moyen d’observations lunaires, et consulta l’excellente carte qui lui servait de guide ; elle appartenait à l’atlas der Neuester Entedekungen in Afrika, publié à Gotha par son savant ami Petermann, et que celui-ci lui avait adressé. Cet atlas devait servir au voyage tout entier du docteur, car il contenait l’itinéraire de Burton et Speke aux Grands Lacs, le Soudan d’après le docteur Barth, le bas Sénégal d’après Guillaume Lejean, et le delta du Niger par le docteur Baikie.

Fergusson s’était également muni d’un ouvrage qui réunissait en un seul corps toutes les notions acquises sur le Nil, et intitulé : The sources of the Nil, being a general surwey of the basin of that river and of its heab stream with the history of the Nilotic discovery by Charles Beke, th. D.

Il possédait aussi les excellentes cartes publiées dans les Bulletins de la Société de Géographie de Londres, et aucun point des contrées découvertes ne devait lui échapper.

En pointant sa carte, il trouva que sa route latitudinale était de deux degrés, ou cent vingt milles dans l’ouest[35].

Kennedy remarqua que la route se dirigeait vers le midi. Mais cette direction satisfaisait le docteur, qui voulait, autant que possible, reconnaître les traces de ses devanciers.

Il fut décidé que la nuit serait divisée en trois quarts, afin que chacun pût à son tour veiller à la sûreté des deux autres. Le docteur dut prendre le quart de neuf heures, Kennedy celui de minuit et Joe celui de trois heures du matin.

Donc, Kennedy et Joe, enveloppés de leurs couvertures, s’étendirent sous la tente et dormirent paisiblement, tandis que veillait le docteur Fergusson.

XIII. Changement de temps, – Fièvre de Kennedy.

Changement de temps, – Fièvre de Kennedy. – La médecine du docteur – Voyage par terre. – Le bassin d’Imengé. – Le mont Rubeho. – À six mille pieds. – Une halte de jour.


La nuit fut paisible ; cependant le samedi matin, en se réveillant, Kennedy se plaignit de lassitude et de frissons de fièvre. Le temps changeait ; le ciel couvert de nuages épais semblait s’approvisionner pour un nouveau déluge. Un triste pays que ce Zungomero, où il pleut continuellement, sauf peut-être pendant une quinzaine de jours du mois de janvier.

Une pluie violente ne tarda pas à assaillir les voyageurs ; au-dessous d’eux, les chemins coupés par des «nullahs», sortes de torrents momentanés, devenaient impraticables, embarrassés d’ailleurs de buissons épineux et de lianes gigantesques. On saisissait distinctement ces émanations d’hydrogène sulfuré dont parle le capitaine Burton.

«D’après lui, dit le docteur, et il a raison, c’est à croire qu’un cadavre est caché derrière chaque hallier.

– Un vilain pays, répondit Joe, et il me semble que monsieur Kennedy ne se porte pas trop bien pour y avoir passé la nuit.

– En effet, j’ai une fièvre assez forte, fit le chasseur.

– Cela n’a rien d’étonnant, mon cher Dick, nous nous trouvons dans l’une des régions les plus insalubres de l’Afrique. Mais nous n’y resterons pas longtemps. En route.»

Grâce à une manœuvre adroite de Joe, l’ancre fut décrochée, et, au moyen de l’échelle, Joe regagna la nacelle. Le docteur dilata vivement le gaz, et le Victoria reprit son vol, poussé par un vent assez fort.

Quelques huttes apparaissaient à peine au milieu de ce brouillard pestilentiel. Le pays changeait d’aspect. Il arrive fréquemment en Afrique qu’une région malsaine et de peu d’étendue confine à des contrées parfaitement salubres.

Kennedy souffrait visiblement, et la fièvre accablait sa nature vigoureuse.

«Ce n’est pourtant pas le cas d’être malade, fit-il en s’enveloppant de sa couverture et se couchant sous la tente.

– Un peu de patience, mon cher Dick, répondit le docteur Fergusson, et tu seras guéri rapidement.

– Guéri! ma foi! Samuel, si tu as dans ta pharmacie de voyage quelque drogue qui me remette sur pied, administre-la-moi sans retard. Je l’avalerai les yeux fermés.

– J’ai mieux que cela, ami Dick, et je vais naturellement te donner un fébrifuge qui ne coûtera rien.

– Et comment feras-tu ?

– C’est fort simple. Je vais tout bonnement monter au-dessus de ces nuages qui nous inondent, et m’éloigner de cette atmosphère pestilentielle. Je te demande dix minutes pour dilater l’hydrogène.»

Les dix minutes n’étaient pas écoulées que les voyageurs avaient dépassé la zone humide.

«Attends un peu, Dick, et tu vas sentir l’influence de l’air pur et du soleil.

– En voilà un remède! dit Joe. Mais c’est merveilleux!

– Non! c’est tout naturel.

– Oh! pour naturel, je n’en doute pas.

– J’envoie Dick en bon air, comme cela se fait tous les jours en Europe, et comme à la Martinique je l’enverrais aux Pitons[36] pour fuir la fièvre jaune.

– Ah ça! mais c’est un paradis que ce ballon, dit Kennedy déjà plus à l’aise.

– En tout cas, il y mène, répondit sérieusement Joe.»

C’était un curieux spectacle que celui des masses de nuages agglomérées en ce moment au-dessous de la nacelle ; elles roulaient les unes sur les autres, et se confondaient dans un éclat magnifique en réfléchissant les rayons du soleil. Le Victoria atteignit une hauteur de quatre mille pieds. Le thermomètre indiquait un certain abaissement dans la température. On ne voyait plus la terre. À une cinquantaine de milles dans l’ouest, le mont Rubeho dressait sa tête étincelante ; il formait la limite du pays d’Ugogo par 36° 20’de longitude. Le vent soufflait avec une vitesse de vingt milles à l’heure, mais les voyageurs ne sentaient rien de cette rapidité ; ils n’éprouvaient aucune secousse, n’ayant pas même le sentiment de la locomotion.

Trois heures plus tard, la prédiction du docteur se réalisait. Kennedy ne sentait plus aucun frisson de fièvre, et déjeuna avec appétit.

«Voilà qui enfonce le sulfate de quinine, dit-il avec satisfaction.

– Précisément, fit Joe, c’est ici que je me retirerai pendant mes vieux jours.»

Vers dix heures du matin, l’atmosphère s’éclaircit. Il se fit une trouée dans les nuages, la terre reparut ; le Victoria s’en approchait insensiblement. Le docteur Fergusson cherchait un courant qui le portât plus au nord-est, et il le rencontra à six cents pieds du sol. Le pays devenait accidenté, montueux même. Le district du Zungomero s’effaçait dans l’est avec les derniers cocotiers de cette latitude.

Bientôt les crêtes d’une montagne prirent une saillie plus arrêtée. Quelques pics s’élevaient çà et là. Il fallut veiller à chaque instant aux cônes aigus qui semblaient surgir inopinément.

«Nous sommes au milieu des brisants, dit Kennedy.

– Sois tranquille, Dick, nous ne toucherons pas.

– Jolie manière de voyager, tout de même!» répliqua Joe.

En effet, le docteur manœuvrait son ballon avec une merveilleuse dextérité.

«S’il nous fallait marcher sur ce terrain détrempé, dit-il, nous nous traînerions dans une boue malsaine. Depuis notre départ de Zanzibar, la moitié de nos bêtes de somme seraient déjà mortes de fatigue. Nous aurions l’air de spectres, et le désespoir nous prendrait au cœur. Nous serions en lutte incessante avec nos guides, nos porteurs, exposés à leur brutalité sans frein. Le jour, une chaleur humide, insupportable, accablante! La nuit, un froid souvent intolérable, et les piqûres de certaines mouches, dont les mandibules percent la toile la plus épaisse, et qui rendent fou! Et tout cela sans parler des bêtes et des peuplades féroces!

 

– Je demande à ne pas en essayer, répliqua simplement Joe.

– Je n’exagère rien, reprit le docteur Fergusson, car, au récit des voyageurs qui ont eu l’audace de s’aventurer dans ces contrées, les larmes vous viendraient aux yeux.»

Vers onze heures, on dépassait le bassin d’Imengé ; les tribus éparses sur ces collines menaçaient vainement le Victoria de leurs armes ; il arrivait enfin aux dernières ondulations de terrain qui précèdent le Rubeho ; elles forment la troisième chaîne et la plus élevée des montagnes de l’Usagara.

Les voyageurs se rendaient parfaitement compte de la conformation orographique du pays. Ces trois ramifications, dont le Duthumi forme le premier échelon, sont séparées par de vastes plaines longitudinales ; ces croupes élevées se composent de cônes arrondis, entre lesquels le sol est parsemé de blocs erratiques et de galets. La déclivité la plus roide de ces montagnes fait face à la côte de Zanzibar ; les pentes occidentales ne sont guère que des plateaux inclinés. Les dépressions de terrain sont couvertes d’une terre noire et fertile, où la végétation est vigoureuse. Divers cours d’eau s’infiltrent vers l’est, et vont affluer dans le Kingani, au milieu de bouquets gigantesques de sycomores, de tamarins, de calebassiers et de palmyras.

«Attention! dit le docteur Fergusson. Nous approchons du Rubeho, dont le nom signifie dans la langue du pays : «Passage des vents». Nous ferons bien d’en doubler les arêtes aiguës à une certaine hauteur. Si ma carte est exacte, nous allons nous porter à une élévation de plus de cinq mille pieds.

Le mont Rubeho.

– Est-ce que nous aurons souvent l’occasion d’atteindre ces zones supérieures ?

– Rarement ; l’altitude des montagnes de l’Afrique paraît être médiocre relativement aux sommets de l’Europe et de l’Asie. Mais, en tout cas, notre Victoria ne serait pas embarrassé de les franchir.»

En peu de temps, le gaz se dilata sous l’action de la chaleur, et le ballon prit une marche ascensionnelle très marquée. La dilatation de l’hydrogène n’offrait rien de dangereux d’ailleurs, et la vaste capacité de l’aérostat n’était remplie qu’aux trois quarts ; le baromètre, par une dépression de près de huit pouces, indiqua une élévation de six mille pieds.

«Irions-nous longtemps ainsi ? demanda Joe.

– L’atmosphère terrestre a une hauteur de six mille toises, répondit le docteur. Avec un vaste ballon, on irait loin. C’est ce qu’ont fait MM. Brioschi et Gay-Lussac ; mais alors le sang leur sortait par la bouche et par les oreilles. L’air respirable manquait. Il y a quelques années, deux hardis Français, MM. Barral et Bixio, s’aventurèrent aussi dans les hautes régions ; mais leur ballon se déchira…

– Et ils tombèrent ? demanda vivement Kennedy.

– Sans doute! mais comme doivent tomber des savants, sans se faire aucun mal.

– Eh bien! messieurs, dit Joe, libre à vous de recommencer leur chute ; mais pour moi, qui ne suis qu’un ignorant, je préfère rester dans un milieu honnête, ni trop haut, ni trop bas. Il ne faut point être ambitieux.»

À six mille pieds, la densité de l’air a déjà diminué sensiblement ; le son s’y transporte avec difficulté, et la voix se fait moins bien entendre. La vue des objets devient confuse. Le regard ne perçoit plus que de grandes masses assez indéterminées ; les hommes, les animaux, deviennent absolument invisibles : les routes sont des lacets, et les lacs, des étangs.

Le docteur et ses compagnons se sentaient dans un état anormal ; un courant atmosphérique d’une extrême vélocité les entraînait au-delà des montagnes arides, sur le sommet desquelles de vastes plaques de neige étonnaient le regard ; leur aspect convulsionné démontrait quelque travail neptunien des premiers jours du monde.

Le soleil brillait au zénith, et ses rayons tombaient d’aplomb sur ces cimes désertes. Le docteur prit un dessin exact de ces montagnes, qui sont faites de quatre croupes distinctes, presque en ligne droite, et dont la plus septentrionale est la plus allongée.

Bientôt le Victoria descendit le versant opposé du Rubeho, en longeant une côte boisée et parsemée d’arbres d’un vert très sombre ; puis vinrent des crêtes et des ravins, dans une sorte de désert qui précédait le pays d’Ugogo ; plus bas s’étalaient des plaines jaunes, torréfiées, craquelées, jonchées çà et là de plantes salines et de buissons épineux.

Quelques taillis, plus loin devenus forêts, embellirent l’horizon. Le docteur s’approcha du sol, les ancres furent lancées, et l’une d’elles s’accrocha bientôt dans les branches d’un vaste sycomore.

Joe, se glissant rapidement dans l’arbre ; assujettit l’ancre avec précaution ; le docteur laissa son chalumeau en activité pour conserver à l’aérostat une certaine force ascensionnelle qui le maintint en l’air. Le vent s’était presque subitement calmé.

«Maintenant, dit Fergusson, prends deux fusils, ami Dick, l’un pour toi, l’autre pour Joe, et tâchez, à vous deux, de rapporter quelques belles tranches d’antilope. Ce sera pour notre dîner.

– En chasse!» s’écria Kennedy.

Il escalada la nacelle et descendit. Joe s’était laissé dégringoler de branche en branche et l’attendait en se détirant les membres. Le docteur, allégé du poids de ses deux compagnons, put éteindre entièrement son chalumeau.

«N’allez pas vous envoler, mon maître, s’écria Joe.

– Sois tranquille, mon garçon, je suis solidement retenu. Je vais mettre mes notes en ordre. Bonne chasse et soyez prudents. D’ailleurs, de mon poste, j’observerai le pays, et, à la moindre chose suspecte, je tire un coup de carabine. Ce sera le signal de ralliement.

– Convenu», répondit le chasseur.

XIV. La forêt de gommiers. – L’antilope bleue.

La forêt de gommiers. – L’antilope bleue. – Le signal de ralliement. – Un assaut inattendu. – Le Kanyemé. – Une nuit en plein air. – Le Mabunguru. – Jihoue-la-Mkoa. – Provision d’eau. – Arrivée à Kazeh.


Le pays, aride, desséché, fait d’une terre argileuse qui se fendillait à la chaleur, paraissait désert ; çà et là, quelques traces de caravanes, des ossements blanchis d’hommes et de bêtes, à demi-rongés, et confondus dans la même poussière.

Après une demi-heure de marche, Dick et Joe s’enfonçaient dans une forêt de gommiers, l’œil aux aguets et le doigt sur la détente du fusil. On ne savait pas à qui on aurait affaire. Sans être un rifleman, Joe maniait adroitement une arme à feu.

«Cela fait du bien de marcher, monsieur Dick, et cependant ce terrain là n’est pas trop commode», fit-il en heurtant les fragments de quartz dont il était parsemé.

Kennedy fit signe à son compagnon de se taire et de s’arrêter. Il fallait savoir se passer de chiens, et, quelle que fût l’agilité de Joe, il ne pouvait avoir le nez d’un braque ou d’un lévrier.

Dans le lit d’un torrent où stagnaient encore quelques mares, se désaltérait une troupe d’une dizaine d’antilopes. Ces gracieux animaux, flairant un danger, paraissaient inquiets ; entre chaque lampée, leur jolie tête se redressait avec vivacité, humant de ses narines mobiles l’air au vent des chasseurs.

La chasse aux antilopes.

Kennedy contourna quelques massifs, tandis que Joe demeurait immobile ; il parvint à portée de fusil et fit feu. La troupe disparut en un clin d’œil ; seule, une antilope mâle, frappée au défaut de l’épaule, tombait foudroyée. Kennedy se précipita sur sa proie.

C’était un blawe-bock, un magnifique animal d’un bleu pâle tirant sur le gris, avec le ventre et l’intérieur des jambes d’une blancheur de neige.

«Le beau coup de fusil! s’écria le chasseur. C’est une espèce très rare d’antilope, et j’espère bien préparer sa peau de manière à la conserver.

– Par exemple! y pensez-vous, monsieur Dick ?

– Sans doute! Regarde donc ce splendide pelage.

– Mais le docteur Fergusson n’admettra jamais une pareille surcharge.

– Tu as raison, Joe! Il est pourtant fâcheux d’abandonner tout entier un si bel animal!

– Tout entier! non pas, monsieur Dick ; nous allons en tirer tous les avantages nutritifs qu’il possède, et, si vous le permettez, je vais m’en acquitter aussi bien que le syndic de l’honorable corporation des bouchers de Londres.

– À ton aise, mon ami ; tu sais pourtant qu’en ma qualité de chasseur, je ne suis pas plus embarrassé de dépouiller une pièce de gibier que de l’abattre.

– J’en suis sûr, monsieur Dick ; alors ne vous gênez pas pour établir un fourneau sur trois pierres ; vous aurez du bois mort en quantité, et je ne vous demande que quelques minutes pour utiliser vos charbons ardents.

– Ce ne sera pas long», répliqua Kennedy.

Il procéda aussitôt à la construction de son foyer, qui flambait quelques instants plus tard.

Joe avait retiré du corps de l’antilope une douzaine de côtelettes et les morceaux les plus tendres du filet, qui se transformèrent bientôt en grillades savoureuses.

«Voilà qui fera plaisir à l’ami Samuel, dit le chasseur.

– Savez-vous à quoi je pense, monsieur Dick ?

– Mais à ce que tu fais, sans doute, à tes beefsteaks.

– Pas le moins du monde. Je pense à la figure que nous ferions si nous ne retrouvions plus l’aérostat.

– Bon! quelle idée! tu veux que le docteur nous abandonne ?

– Non ; mais si son ancre venait à se détacher ?

– Impossible. D’ailleurs Samuel ne serait pas embarrassé de redescendre avec son ballon ; il le manœuvre assez proprement.

– Mais si le vent l’emportait, s’il ne pouvait revenir vers nous.

– Voyons, Joe, trêve à tes suppositions ; elles n’ont rien de plaisant.

– Ah! monsieur, tout ce qui arrive en ce monde est naturel ; or, tout peut arriver, donc il faut tout prévoir…»

En ce moment un coup de fusil retentit dans l’air.

«Hein! fit Joe.

– Ma carabine! je reconnais sa détonation.

– Un signal!

– Un danger pour nous!

– Pour lui peut-être, répliqua Joe.

– En route!»

Les chasseurs avaient rapidement ramassé le produit de leur chasse, et ils reprirent leur chemin en se guidant sur des brisées que Kennedy avait faites. L’épaisseur du fourré les empêchait d’apercevoir le Victoria, dont ils ne pouvaient être bien éloignés.

Un second coup de feu se fit entendre.

«Cela presse, fit Joe.

– Bon! encore une autre détonation.

– Cela m’a l’air d’une défense personnelle.

– Hâtons-nous.»

Et ils coururent à toutes jambes. Arrivés à la lisière du bois, ils virent tout d’abord le Victoria à sa place, et le docteur dans la nacelle.

«Qu’y a-t-il donc ? demanda Kennedy.

– Grand Dieu! s’écria Joe.

– Que vois-tu ?

– Là-bas, une troupe de Nègres qui assiègent le ballon!»

En effet, à deux milles de là, une trentaine d’individus se pressaient en gesticulant, en hurlant, en gambadant au pied du sycomore. Quelques-uns, grimpés dans l’arbre, s’avançaient jusque sur les branches les plus élevées. Le danger semblait imminent.

«Mon maître est perdu, s’écria Joe.

– Allons, Joe, du sang-froid et du coup d’œil. Nous tenons la vie de quatre de ces moricauds dans nos mains. En avant!»

Ils avaient franchi un mille avec une extrême rapidité, quand un nouveau coup de fusil partit de la nacelle ; il atteignit un grand diable qui se hissait par la corde de l’ancre. Un corps sans vie tomba de branches en branches, et resta suspendu à une vingtaine de pieds du sol, ses deux bras et ses deux jambes se balançant dans l’air.

«Hein! fit Joe en s’arrêtant, par où diable se tient-il donc, cet animal ?

– Peu importe, répondit Kennedy, courons! courons!

– Ah! monsieur Kennedy, s’écria Joe, en éclatant de rire : par sa queue! c’est par sa queue! Un singe! ce ne sont que des singes.

– Ça vaut encore mieux que des hommes», répliqua Kennedy en se précipitant au milieu de la bande hurlante.

C’était une troupe de cynocéphales assez redoutables, féroces et brutaux, horribles à voir avec leurs museaux de chien. Cependant quelques coups de fusil en eurent facilement raison, et cette horde grimaçante s’échappa, laissant plusieurs des siens à terre.

En un instant, Kennedy s’accrochait à l’échelle ; Joe se hissait dans les sycomores et détachait l’ancre ; la nacelle s’abaissait jusqu’à lui, et il y rentrait sans difficulté. Quelques minutes après, le Victoria s’élevait dans l’air et se dirigeait vers l’est sous l’impulsion d’un vent modéré.

 

«En voilà un assaut! dit Joe.

– Nous t’avions cru assiégé par des indigènes.

– Ce n’étaient que des singes, heureusement! répondit le docteur.

– De loin, la différence n’est pas grande, mon cher Samuel.

– Ni même de près, répliqua Joe.

– Quoi qu’il en soit, reprit Fergusson, cette attaque de singes pouvait avoir les plus graves conséquences. Si l’ancre avait perdu prise sous leurs secousses réitérées, qui sait où le vent m’eût entraîné!

– Que vous disais-je, monsieur Kennedy ?

– Tu avais raison, Joe ; mais, tout en ayant raison, à ce moment-là tu préparais des beefsteaks d’antilope, dont la vue me mettait déjà en appétit.

– Je le crois bien, répondit le docteur, la chair d’antilope est exquise.

– Vous pouvez en juger, monsieur, la table est servie.

– Sur ma foi, dit le chasseur, ces tranches de venaison ont un fumet sauvage qui n’est point à dédaigner.

– Bon! je vivrais d’antilope jusqu’à la fin de mes jours, répondit Joe la bouche pleine, surtout avec un verre de grog pour en faciliter la digestion.»

Joe prépara le breuvage en question, qui fut dégusté avec recueillement.

«Jusqu’ici cela va assez bien, dit-il.

– Très bien, riposta Kennedy.

– Voyons, monsieur Dick, regrettez-vous de nous avoir accompagnés ?

– J’aurais voulu voir qu’on m’en eût empêché!» répondit le chasseur avec un air résolu.

Il était alors quatre heures du soir ; le Victoria rencontra un courant plus rapide ; le sol montait insensiblement, et bientôt la colonne barométrique indiqua une hauteur de mille cinq cents pieds au-dessus du niveau de la mer. Le docteur fut alors obligé de soutenir son aérostat par une dilatation de gaz assez forte, et le chalumeau fonctionnait sans cesse.

Vers sept heures, le Victoria planait sur le bassin de Kanyemé ; le docteur reconnut aussitôt ce vaste défrichement de dix milles d’étendue, avec ses villages perdus au milieu des baobabs et des calebassiers. Là est la résidence de l’un des sultans du pays de l’Ugogo, où la civilisation est peut-être moins arriérée, on y vend plus rarement les membres de sa famille ; mais, bêtes et gens, tous vivent ensemble dans des huttes rondes sans charpente, et qui ressemblent à des meules de foin.

Vue de Jihoue-la-Mkoa.

Après Kanyemé, le terrain devint aride et rocailleux ; mais, au bout d’une heure, dans une dépression fertile, la végétation reprit toute sa vigueur, à quelque distance du Mdaburu. Le vent tombait avec le jour, et l’atmosphère semblait s’endormir. Le docteur chercha vainement un courant à différentes hauteurs ; en voyant ce calme de la nature, il résolut de passer la nuit dans les airs, et pour plus de sûreté, il s’éleva de 1000 pieds environ. Le Victoria demeurait immobile. La nuit magnifiquement étoilée se fit en silence.

Dick et Joe s’étendirent sur leur couche paisible, et s’endormirent d’un profond sommeil pendant le quart du docteur ; à minuit, celui-ci fut remplacé par l’Écossais.

«S’il survenait le moindre incident, réveille-moi, lui dit-il ; et surtout ne perds pas le baromètre des yeux. C’est notre boussole, à nous autres!»

La nuit fut froide, il y eut jusqu’à vingt-sept degrés[37] de différence entre sa température et celle du jour. Avec les ténèbres avait éclaté le concert nocturne des animaux, que la soif et la faim chassent de leurs repaires ; les grenouilles firent retentir leur voix de soprano, doublée du glapissement des chacals, pendant que la basse imposante des lions soutenait les accords de cet orchestre vivant.

En reprenant son poste le matin, le docteur Fergusson consulta sa boussole, et s’aperçut que la direction du vent avait changé pendant la nuit. Le Victoria dérivait dans le nord-est d’une trentaine de milles depuis deux heures environ ; il passait au-dessus du Mabunguru, pays pierreux, parsemé de blocs de syénite d’un beau poli, et tout bosselé de roches en dos d’âne ; des masses coniques, semblables aux rochers de Karnak, hérissaient le sol comme autant de dolmens druidiques ; de nombreux ossements de buffles et d’éléphants blanchissaient çà et là ; il y avait peu d’arbres, sinon dans l’est, des bois profonds, sous lesquels se cachaient quelques villages.

Vers sept heures, une roche ronde, de près de deux milles d’étendue, apparut comme une immense carapace.

«Nous sommes en bon chemin, dit le docteur Fergusson. Voilà Jihoue-la-Mkoa, où nous allons faire halte pendant quelques instants. Je vais renouveler la provision d’eau nécessaire à l’alimentation de mon chalumeau, essayons de nous accrocher quelque part.

– Il y a peu d’arbres, répondit le chasseur.

– Essayons cependant ; Joe, jette les ancres.»

Le ballon, perdant peu à peu de sa force ascensionnelle, s’approcha de terre ; les ancres coururent ; la patte de l’une d’elles s’engagea dans une fissure de rocher, et le Victoria demeura immobile.

Il ne faut pas croire que le docteur pût éteindre complètement son chalumeau pendant ses haltes. L’équilibre du ballon avait été calculé au niveau de la mer ; or le pays allait toujours en montant, et se trouvant élevé de 600 à 700 pieds, le ballon aurait eu une tendance à descendre plus bas que le sol lui-même ; il fallait donc le soutenir par une certaine dilatation du gaz. Dans le cas seulement où, en l’absence de tout vent, le docteur eût laissé la nacelle reposer sur terre, l’aérostat, alors délesté d’un poids considérable, se serait maintenu sans le secours du chalumeau.

Les cartes indiquaient de vastes mares sur le versant occidental de Jihoue-la-Mkoa. Joe s’y rendit seul avec un baril, qui pouvait contenir une dizaine de gallons ; il trouva sans peine l’endroit indiqué, non loin d’un petit village désert, fit sa provision d’eau, et revint en moins de trois quarts d’heure ; il n’avait rien vu de particulier, si ce n’est d’immenses trappes à éléphant ; il faillit même choir dans l’une d’elles, où gisait une carcasse à demi-rongée.

Il rapporta de son excursion une sorte de nèfles, que des singes mangeaient avidement. Le docteur reconnut le fruit du «mbenbu», arbre très abondant sur la partie occidentale de Jihoue-la-Mkoa. Fergusson attendait Joe avec une certaine impatience, car un séjour même rapide sur cette terre inhospitalière lui inspirait toujours des craintes.

L’eau fut embarquée sans difficulté, car la nacelle descendit presque au niveau du sol ; Joe put arracher l’ancre, et remonta lestement auprès de son maître. Aussitôt celui-ci raviva sa flamme, et le Victoria reprit la route des airs.

Il se trouvait alors à une centaine de milles de Kazeh, important établissement de l’intérieur de l’Afrique, où, grâce à un courant de sud-est, les voyageurs pouvaient espérer de parvenir pendant cette journée ; ils marchaient avec une vitesse de quatorze milles à l’heure ; la conduite de l’aérostat devint alors assez difficile ; on ne pouvait s’élever trop haut sans dilater beaucoup le gaz, car le pays se trouvait déjà à une hauteur moyenne de trois mille pieds. Or, autant que possible, le docteur préférait ne pas forcer sa dilatation ; il suivit donc fort adroitement les sinuosités d’une pente assez roide, et rasa de près les villages de Thembo et de Tura-Wels. Ce dernier fait partie de l’Unyamwezy, magnifique contrée où les arbres atteignent les plus grandes dimensions, entre autres les cactus, qui deviennent gigantesques.

Vers deux heures, par un temps magnifique, sous un soleil de feu qui dévorait le moindre courant d’air, le Victoria planait au-dessus de la ville de Kazeh, située à trois cent cinquante milles de la côte.

«Nous sommes partis de Zanzibar à neuf heures du matin, dit le docteur Fergusson en consultant ses notes, et après deux jours de traversée nous avons parcouru par nos déviations près de cinq cents milles géographiques[38]. Les capitaines Burton et Speke mirent quatre mois et demi à faire le même chemin!»

3410° centigrades.
35Cinquante lieues.
36Montagne élevée de la Martinique.
3714° centigrades.
38Près de deux cents lieues.