Cible Principale: L’Entraînement de Luke Stone, tome 1

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— Personne ne doit nous résister, dit Luke. Si quelqu’un tire, si quelqu’un montre qu’il a une arme, il est hors-jeu. Compris ?

Il jeta un coup d’œil au travers des hublots. L’hélicoptère se battait contre une foutue tempête marron et avançait vite, mais beaucoup moins qu’il ne l’aurait pu. La visibilité extérieure était nulle, sinon pire que nulle. L’hélicoptère trembla et fit une embardée comme pour confirmer que tel était bien le cas.

— Compris, dirent les hommes qui se tenaient autour de lui. On a compris.

— Packard, Hastings, Morrison, Dobbs, Murphy, Bailey. Vous êtes l’équipe B. L’équipe B, vous allez nous soutenir et nous couvrir. Quand nous atterrirons, deux d’entre vous défendront le lieu d’atterrissage et deux défendront le périmètre proche des portes du camp. Quand nous entrerons, deux avanceront et défendront l’avant de la maison. Vous serez aussi les derniers hommes à sortir. Ayez l’œil et regardez partout. Personne ne s’attaque à nous. Éliminez toute résistance, réelle comme éventuelle. Cet endroit va forcément être plus chaud que l’enfer. Votre boulot, c’est de le refroidir.

Il les regarda tous.

— C’est clair ?

Un chœur de voix lui répondit, chacun de profondeur et de timbre différent.

— Clair.

— Clair.

— Clair.

Luke s’accroupit sur un banc bas dans la soute des soldats. Il sentait un mélange familier de peur, d’adrénaline et d’excitation. Il avait avalé une Dexedrine juste après le décollage et elle commençait à faire effet. Soudain, il se sentait plus vif et plus alerte qu’avant.

Il connaissait les effets de ce médicament. Son rythme cardiaque montait. Ses pupilles se dilataient, laissant entrer plus de lumière, ce qui lui permettait de mieux y voir. Son ouïe était plus fine. Il avait plus d’énergie, plus d’endurance et il pouvait rester éveillé longtemps.

Assis en avant sur leurs bancs, les hommes de Luke ne le quittaient pas des yeux. Ses pensées allaient trop vite pour qu’il puisse les formuler.

— Les enfants, dit-il. Surveillez-les. Nous savons qu’il y a des femmes et des enfants dans le camp et que certains d’entre eux appartiennent à la famille de la cible. Nous ne tirerons pas sur les femmes et les enfants cette nuit. Compris ?

Des voix résignées répondirent.

— On a compris.

— Compris.

C’était inévitable lors de ces missions. La cible vivait toujours entourée de femmes et d’enfants. Les missions avaient toujours lieu la nuit. Il y avait toujours de la confusion. Les enfants avaient tendance à faire des choses imprévisibles. Luke avait vu des hommes hésiter à tuer des enfants puis payer le prix de leur hésitation quand les enfants en question s’avéraient être des soldats qui, eux, n’hésitaient pas à les tuer. Pour rendre les choses encore pires, leurs compagnons tuaient les enfants-soldats juste après, dix secondes trop tard.

À la guerre, les gens mouraient. Ils mouraient brusquement et souvent pour les raisons les plus absurdes qui soient, comme quand ils refusaient de tuer les enfants, qui mouraient une minute plus tard de toute façon.

— Cela dit, ne mourez pas là-bas cette nuit et ne laissez pas mourir vos frères.

L’hélicoptère continuait à avancer comme il le pouvait dans l’obscurité qui crachait et hurlait. Le corps de Luke se balançait et rebondissait avec l’hélicoptère. Dehors, il y avait de la poussière et du sable qui volait tout autour d’eux. Ils n’allaient pas tarder à sortir, maintenant.

— Si nous surprenons ces gars en plein sommeil, ça nous facilitera peut-être la tâche. Ils ne nous attendent pas cette nuit, c’est certain. Je veux qu’on arrive, qu’on capture la cible en dix minutes et qu’on remonte dans l’hélicoptère dans les quinze minutes.

L’hélicoptère secoua et rua. Il avait du mal à rester en l’air.

Luke s’interrompit et inspira.

— N’hésitez pas ! Prenez l’initiative et gardez-la. Bousculez-les constamment. Faites-leur peur. Faites ce qui vous vient naturellement en tête.

Il leur disait ça juste après leur avoir dit de se méfier des enfants. Il leur envoyait des messages contradictoires, il le savait. Il aurait fallu qu’il reste logique, mais c’était dur avec une nuit sombre, une tempête de poussière démente, un hélicoptère qui tombait en panne avant même que la mission ait commencé et un commandant qui refusait de faire demi-tour.

Une pensée lui traversa la tête à la vitesse de l’éclair, si vite qu’il faillit ne pas la reconnaître.

Annule. Annule cette mission.

Il regarda les deux lignes d’hommes. Ils le regardèrent. L’enthousiasme que ces gens-là manifestaient en temps normal manquait terriblement à l’appel. Deux soldats jetèrent un coup d’œil par les hublots.

Un jet continu de sable aspergeait l’hélicoptère. C’était comme si l’hélicoptère était un sous-marin sous l’eau, sauf que l’eau avait été remplacée par de la poussière.

Luke pouvait annuler la mission. Il pouvait choisir de ne pas obéir à Heath. Ces hommes lui obéiraient plutôt qu’à Heath, car c’étaient ses hommes, pas ceux de Heath. Ils en souffriraient terriblement, bien sûr. Heath s’en prendrait à lui. Don essaierait de protéger Luke.

Mais Don serait un civil.

On les accuserait d’insubordination dans le meilleur des cas et de mutinerie dans le pire des cas. La cour martiale serait quasiment inévitable. Luke connaissait les précédents : un ordre dément et suicidaire n’était pas forcément illégal. Luke perdrait le procès à la cour martiale, quel qu’il soit.

Il fixait encore les hommes du regard. Ils le fixaient encore eux aussi. Il le voyait dans leurs yeux, ou du moins pensait le voir :

Annulez la mission.

Luke se débarrassa de cette idée.

Il regarda Wayne. Wayne leva les sourcils et haussa légèrement les épaules.

À toi de décider.

— Allez, les gars, dit Luke. Frappez dur et vite, cette nuit. On ne perd pas de temps. On entre, on fait notre boulot et on revient. Croyez-moi, ça va passer comme une lettre à la poste.

CHAPITRE DEUX

22 h 01, heure afghane (13 h 01, Heure Avancée de l’Est)

Près de la frontière pakistanaise

Dans le district de Kamdesh

Dans la province du Nouristan, en Afghanistan

— Go ! cria Luke. Go ! Go ! Go !

Deux cordes épaisses descendaient de la porte de l’hélicoptère. Les hommes descendaient par ces cordes, puis disparaissaient dans les tourbillons de poussière. Ils auraient pu être à trois cents mètres d’altitude ou à trois mètres au-dessus de la cour de récré.

Le vent hurlait. Un sable et une poussière mordants s’insinuaient partout. Luke avait le visage couvert par un masque à respirateur. Lui et Heath furent les derniers à sortir par la porte. Heath portait un masque similaire. Ils ressemblaient à deux survivants d’une guerre nucléaire.

Heath regarda Luke. Sa bouche bougeait sous son masque.

— Nous allons devenir des légendes, Stone !

Luke appuya sur le bouton START vert de son chronomètre. Il allait falloir se presser.

Il jeta un coup d’œil sous lui. Il ne voyait rien, que ce soit là-dessous ou ailleurs. Il fallait vraiment avoir la foi. Il franchit le bord et tomba dans l’obscurité lugubre. Deux secondes plus tard, peut-être trois, il heurta violemment le sol. L’atterrissage envoya une onde de choc dans ses jambes.

Il lâcha la corde et regarda autour de lui, essayant de prendre ses repères.

Heath atterrit une seconde plus tard.

Des hommes masqués apparurent dans l’obscurité. Martinez, Hendricks. Hendricks montra derrière lui.

— Le mur est là !

Quelque chose de grand se profilait là-bas. OK, c’était le mur du camp. Deux feux ternes brillaient dessus.

Hendricks disait quelque chose, mais Luke ne l’entendait pas.

— Quoi ?

— Ils savent !

Ils savent ? Qui ? Que savent-ils ?

Au-dessus de leurs têtes, le son des moteurs de l’hélicoptère changea quand l’appareil se mit à s’élever. Soudain, une lumière éclatante brilla par-dessus le mur.

Quelque chose passa tout près à toute vitesse avec une sorte de cri.

Un mortier.

— On nous tire dessus ! cria Luke. On nous tire dessus !

Tout autour de lui, de vagues ombres se jetèrent au sol.

Deux autres lumières éclatantes apparurent.

Puis une autre.

Et encore une autre.

Comment ont-ils su ?

Dans la sombre obscurité du ciel, quelque chose explosa et apparut orange et rouge pâle. Dans la tempête de sable, l’explosion faisait penser au craquement d’un orage lointain. L’hélicoptère. Il avait été frappé.

De sa position privilégiée sur le sol, Luke le regarda tourner dans le ciel en laissant une traînée orange sur le fond noir. Il fit une boucle vers la droite et tournoya. Ses moteurs hurlaient et Luke pensa entendre le son de ses pales.

Whump. Whump. Whump. Whump.

Il semblait se déplacer au ralenti, de côté et vers le bas. Illuminant la nuit comme une balle traçante, il passa au-dessus du mur en pierre du camp.

BOUM !

Il explosa de l’autre côté du mur, dans le camp. Une boule de feu s’éleva à deux ou trois étages de hauteur. Pendant un instant, Luke imagina que tout était fini. L’hélicoptère était abattu, les pilotes morts, l’hélicoptère de soutien en panne, ils étaient piégés ici et les talibans semblaient avoir su qu’ils venaient.

Cependant, cet hélicoptère venait d’exploser dans le camp.

 

Comme une bombe.

Ce qui pouvait leur donner l’initiative.

Plusieurs hommes masqués se trouvaient aux alentours.

Martinez, Hendricks, Colley, Simmons. Son équipe.

Heath devait être aux alentours, lui aussi.

— Debout ! cria Luke. Debout ! En avant !

Il se releva d’un bond en entraînant l’homme le plus proche de lui. En un instant, ils furent tous debout et se mirent à courir. Ils étaient une douzaine et ils avançaient vite. La vision nocturne était inutile. Les lumières étaient inutiles et attireraient des coups de feu. Les hommes couraient dans une obscurité totale et tourbillonnante.

En dix secondes, ils atteignirent le mur. Luke devina qu’il fallait aller à gauche et se dirigea vers là en frôlant la pierre. En quelques secondes, il arriva à l’ouverture. Il y avait l’hélicoptère, une apocalypse. Quelques silhouettes couraient dans la lumière diffusée par les flammes et extrayaient des blessés du feu.

Luke n’hésita pas. Il passa l’ouverture au pas de course, le MP5 maintenant sorti. Il tira avec son arme, envoya une rafale automatique. Maintenant, les silhouettes fuyaient, repartaient vers une autre ombre imprécise dont les feux se dessinaient dans le chaos.

La maison.

Ses hommes couraient avec lui.

Devant, les silhouettes des hommes qui battaient en retraite remontaient à toute vitesse les marches du petit escalier qui menait à la maison de pierre. Luke monta les marches quatre à quatre derrière eux.

Deux hommes se trouvaient face à l’embrasure de la porte. Ils enlevèrent des armes automatiques de leurs épaules. Ils portaient les longues barbes et les turbans des talibans.

POP ! POP ! POP ! POP ! POP !

Luke tira sans réfléchir. Les deux hommes tombèrent.

Soudain, il y eut une explosion derrière lui. Il jeta un coup d’œil vers l’arrière, mais il était impossible de voir ce qui se passait. Il entra dans la maison. Un instant plus tard, quatre autres hommes apparurent à côté de lui, son équipe A. Ils prirent des positions de tir dans le hall de pierre, tournés vers le reste de la maison.

Ils enlevèrent simultanément leurs masques à respirateur, presque comme s’ils étaient une seule personne. Martinez alla trouver les talibans abattus et tira dans la tête de chacun d’eux. Il n’en toucha aucun.

— Morts ! dit-il.

L’endroit était plus calme.

— Chef de l’équipe B, dit Luke dans le micro de son casque. Statut ?

Heath arriva de l’obscurité et entra dans la maison en courant.

— Chef de l’équipe B …

— Nous tenons la porte de devant, dit une voix dans le casque de Luke.

C’était Murphy. Son accent du Bronx était caractéristique.

— Stone ! C’est louche. C’était une embuscade ! Ils nous attendaient !

— Tenez la porte, Murph. Nous sortirons dans quelques minutes.

— Tu devrais te dépêcher, mec. Quelqu’un savait que nous venions. Bientôt, il va en arriver d’autres et je ne vois pas à trois mètres devant mon nez.

L’équipe de Luke était déjà entrée plus loin dans la maison. La chaleur la suivait.

— Attendez. Nous entrons.

— Dépêchez-vous, dit la voix de Murphy. Je ne sais pas si nous serons encore ici.

— Murphy ! Tenez cette porte ! Nous arrivons bientôt.

— Bien, dit Murphy.

Luke se tourna vers le couloir assombri.

Un autre homme apparut, un grand homme dans une robe blanche. Il réussit à atteindre la gâchette de son arme, mais il tira frénétiquement. Luke s’agenouilla et visa l’homme.

POP ! Un cercle rouge foncé apparut sur sa poitrine.

Il eut l’air surpris, puis tomba mollement au sol.

Alors, Luke s’enfonça dans les halls sombres en écoutant les bruits qui venaient de devant. Il n’eut pas besoin d’écouter longtemps.

BANG !

Une grenade incapacitante explosa, puis une autre.

BANG !

Il y avait des cris et des coups de feu à l’avant. Luke s’en rapprocha lentement en frôlant furtivement le mur. Maintenant, il y avait des bruits derrière lui, à l’air libre, des rafales d’armes automatiques et des explosions.

Luke consulta son chronomètre. Ils étaient au sol depuis moins de quatre minutes et la mission entière était déjà foutue.

— Stone !

C’était à nouveau la voix de Murphy.

— Problèmes. Il y a des barbares aux portes. Je répète : les portes de devant sont attaquées. Des personnes hostiles convergent vers nous. Nous avons des hommes à terre. Hastings est à terre. Bailey est à terre. Nous nous retranchons vers la maison.

— Non. Négatif. Équipe B. Tenez ces portes !

— Il n’y a rien à tenir, dit Murphy. Ils les défoncent ! Ils ont une arme anti-tank dehors.

— Tenez quand même. C’est notre seule sortie de ce lieu.

— Merde, Stone !

— Murphy ! Tenez ces portes !

Luke s’enfonça plus loin dans la maison.

Il y avait des cris juste devant lui. En courant, il passa une porte, le seuil …

Et tomba sur une scène de chaos complet.

Il y avait au moins quinze gens dans une grande pièce à l’arrière. Le sol était couvert de tapis épais qui se recouvraient les uns les autres. Les murs étaient couverts de tapis, des tapis décorés et richement colorés qui représentaient de vastes paysages, des déserts, des montagnes, des jungles, des chutes d’eau.

Simmons était mort. Il gisait sur le dos, le corps étendu, les yeux ouverts et fixes. Son casque était tombé et, au-dessus des yeux, un morceau de sa tête avait disparu. Deux femmes étaient mortes elles aussi. Un petit enfant, un garçon, était mort. Trois hommes en robes et en turbans étaient morts. C’était un massacre. Il y avait des armes et du sang partout sur le sol.

Tout au fond, près d’une porte fermée, une masse de gens se tenait. Une foule d’hommes en robes et en turbans tenaient des enfants devant eux et pointaient des fusils. Derrière les hommes, un autre homme se tapissait et il était si bien caché que Luke le voyait à peine.

Il devait être la cible.

Tout autour de la salle, les membres de l’équipe de Luke étaient accroupis ou agenouillés, immobiles comme des statues, les armes pointées sur le groupe, cherchant un angle de tir. Le Lieutenant-Colonel Heath se tenait au centre de la salle, son MP5 pointé sur la foule.

— OK, dit Luke. C’est OK. Personne ne —

— Laissez tomber ces armes ! cria Heath en anglais.

Il avait le regard fou. Il ne pensait qu’à une seule chose : capturer sa baleine.

— Heath ! dit Luke. Détendez-vous. Il y a des enfants. Nous pouvons —

— Je vois les enfants, Stone.

— Dans ce cas —

Heath tira une rafale complète de son arme automatique.

Immédiatement, Luke se plaqua au sol et l’on tira dans toutes les directions. Il se couvrit la tête, se roula en boule et se retourna vers l’action.

Les tirs durèrent plusieurs secondes. Même après leur arrêt, il y en eut quelques autres séparés de quelques secondes, comme l’éclatement des derniers grains d’une dose de pop-corn. Quand les tirs s’arrêtèrent vraiment, Luke releva la tête. Les gens qui s’étaient tenus près de la porte fermée gisaient à terre en se contorsionnant.

Heath était à terre. Luke ne s’en souciait pas. Heath était la cause de ce cauchemar.

Un autre des hommes de Luke était à terre, dans le coin. Mon Dieu, quel chaos. Trois hommes à terre. Un nombre inconnu de civils morts.

Luke se redressa. Deux autres hommes se relevèrent en même temps. L’un d’eux était Martinez. L’autre était Colley. Martinez et Colley se déplacèrent vers le tas de gens qui se trouvaient au fond, en bougeant lentement, les armes encore pointées sur eux.

Luke jeta un coup d’œil dans la salle. Il y avait des cadavres partout. Simmons était mort. Heath … un grand trou avait pris la place de son visage. Il n’avait plus de visage. Luke ne ressentit rien. C’était la mission de Heath. Elle s’était déroulée aussi mal que possible. Maintenant, Heath était mort.

Et un autre homme était à terre.

Cela ressemblait à un problème mathématique compliqué mais, en fait, c’était une soustraction simple que n’importe qui pouvait effectuer. L’esprit de Luke ne fonctionnait pas correctement. Il le reconnaissait. Six hommes étaient entrés ici. Heath et Simmons étaient morts. Martinez, Colley et Stone étaient encore dans le jeu. Cela signifiait que le dernier homme à terre ne pouvait être que …

Luke se précipita vers l’homme. Oui, c’était lui. C’était Hendricks. Wayne.

WAYNE.

Il bougeait encore.

Luke s’agenouilla à côté de lui et lui retira son casque.

Wayne remuait lentement les bras et les jambes, presque comme s’il nageait sur place.

— Wayne ! Wayne ! Où es-tu blessé ?

Wayne bougea les yeux et trouva Luke. Il secoua la tête. Il commença à pleurer. Il respirait lourdement, haletant presque.

— Oh, putain … dit Wayne.

— Wayne ! Parle-moi.

Fiévreusement, Luke commença à défaire le gilet pare-balles de Wayne.

— Docteur ! cria-t-il. Docteur !

Un instant plus tard, Colley arriva et s’agenouilla derrière lui.

— Le docteur, c’était Simpson. Je suis le docteur de secours.

Wayne avait été frappé à la poitrine. D’une façon ou d’une autre, de la mitraille était passée sous son gilet pare-balles. Luke le fouilla. Il était aussi touché en haut de la jambe. C’était pire que la blessure à la poitrine, de loin. Son pantalon était saturé de sang. Son artère fémorale devait être touchée. Luke trouva sa main dégoulinante de sang. Il y avait du sang partout. Il y en avait une mare sous le corps de Wayne. C’était un miracle qu’il soit encore en vie.

— Dis à Katie … dit Wayne.

— Tais-toi ! dit Luke. Tu vas le lui dire toi-même.

La voix de Wayne était à peine plus forte qu’un murmure.

— Dis-lui …

Wayne sembla regarder quelque chose de lointain. Il regarda puis marqua un temps d’arrêt, comme si ce qu’il voyait l’avait rendu perplexe. Un instant plus tard, ses yeux s’immobilisèrent.

Il regardait fixement Luke. Il était bouche bée. Il n’y avait plus personne.

— Oh, mon Dieu, Wayne. Non.

Luke regarda Colley. C’était comme s’il voyait Colley pour la première fois. Colley avait l’air jeune, à peine assez âgé pour se raser. C’était impossible, bien sûr. L’homme était dans la Force Delta. Il était entraîné à tuer. C’était un pro accompli. Pourtant, son cou avait l’air à peu près aussi épais que l’avant-bras de Luke. Il semblait flotter dans ses vêtements.

— Vérifie son état, dit Luke.

Pourtant, il savait déjà ce que Colley dirait. Il s’assit en tailleur et resta dans cette position longtemps. Un jour, pendant la Ranger School, ils avaient eu un jour de congé. Un groupe d’hommes avait organisé une partie de football entre amis. C’était par une chaude journée et les tee-shirts affrontaient les torses nus. La plupart du temps, Luke avait envoyé des passes foudroyantes à ce péquenaud grand et musclé, au langage vert et dépourvu d’une de ses dents de devant.

— Wayne.

— Il est mort, dit Colley.

Juste comme ça, Wayne était mort. Le frère de sang de Luke. Le parrain du fils encore à naître de Luke. Luke laissa échapper un long soupir impuissant.

Luke savait que c’était la guerre. Une seconde, votre ami, ou votre sœur, ou votre femme, ou votre enfant étaient en vie. La seconde d’après, ils étaient morts. Il était impossible de faire reculer cette pendule, même pas d’une seconde.

Wayne était mort. Ils étaient loin de chez eux et cette nuit ne faisait que commencer.

— Stone ! dit Martinez.

Luke se releva. Martinez se tenait à côté de la pile des cadavres de ceux qui avaient protégé la cible. Ils semblaient tous être morts, tous sauf un, l’homme qui s’était tenu à l’arrière. Il était grand, encore jeune, avec une longue barbe noire légèrement mouchetée de gris. Il gisait parmi les morts, criblé de balles, mais en vie.

Martinez pointa un pistolet sur lui.

— Comment il s’appelle, celui-là ? C’est celui qu’on cherche ?

— Abu Mustafa Faraj al-Jihadi ? dit Luke.

Ce n’était pas vraiment une question. Ce n’était qu’une suite de syllabes.

L’homme hocha la tête. Il ne dit rien. Il semblait souffrir.

Luke sortit un petit appareil photo numérique de son gilet pare-balles. L’appareil photo était protégé par du caoutchouc dur. Même si on le faisait tomber par terre, il ne se brisait pas. Luke le tripota une seconde puis prit quelques clichés de l’homme. Il vérifia les images avant d’éteindre l’appareil photo. Elles étaient correctes, pas exactement de qualité professionnelle, mais Luke ne travaillait pas pour le National Geographic. Tout ce dont il avait besoin, c’était d’une preuve. Il regarda le chef terroriste.

 

— Je l’ai, dit Luke. Merci pour la photo.

BANG !

Martinez tira une fois et la tête de l’homme explosa.

— Mission accomplie, dit Martinez.

Il secoua la tête et s’éloigna. La radio de Luke grésilla.

— Stone ! Où es-tu ?

— Murphy. Quelle est la situation ?

La voix de Murphy arrivait irrégulièrement.

— C’est un bain de sang, ici. J’ai perdu trois hommes, mais nous nous sommes appropriés une de leurs grosses armes et nous avons percé une brèche. Si nous voulons sortir d’ici, il faut y aller MAINTENANT.

— On sera là dans une minute.

— Si vous voulez survivre, dit Murphy, arrivez plus vite que ça.

* * *

Six hommes traversaient le village en courant.

Après tous ces combats, l’endroit ressemblait à une ville fantôme. À tout moment, Luke s’attendait à voir des coups de feu ou des fusées émerger des maisons minuscules avec un bruit aigu, mais rien de la sorte ne se produisit. Il semblait qu’il n’y ait plus personne en ce lieu.

À l’endroit d’où ils étaient venus, on voyait de la fumée. Les murs du camp étaient détruits. L’hélicoptère brûlait encore et ses flammes crépitaient dans le silence troublant.

Luke entendait la respiration lourde des autres hommes, qui montaient la pente au pas de course avec du matériel et des armes. En dix minutes, ils arrivèrent à la vieille base d’opérations avancées située à l’extérieur du village, sur le flanc de la colline rocailleuse.

À la grande surprise de Luke, l’endroit était OK. Il n’y avait pas de provisions entreposées ici, bien sûr, mais les sacs de sable étaient encore en place et l’endroit donnait une vue dominante sur les environs. Luke voyait les maisons en feu et l’hélicoptère qui brûlait.

— Martinez, vois si tu peux contacter Bagram par radio. Il nous faut une extraction. On ne peut plus se cacher. Dis-leur d’envoyer une force conséquente. Il faut qu’on rentre dans ce camp et qu’on en exfiltre nos hommes.

Martinez hocha la tête.

— Je te l’ai dit, mec. Tout le monde finit par être à court de chance.

— Ne me dis rien, Martinez. Sors-nous plutôt d’ici, OK ?

— D’accord, Stone.

C’était une nuit sombre. La tempête de sable était passée. Ils avaient encore des armes. Le long du rempart protégé par les sacs de sable, ses hommes chargeaient leurs munitions et vérifiaient leur matériel.

Il n’était pas impossible de …

— Murphy, envoie une fusée éclairante, dit-il. Je veux regarder ce que nous allons devoir affronter.

— Ça va révéler notre position, dit Murphy.

— Je pense qu’ils savent probablement où nous sommes, dit Luke.

Murphy haussa les épaules et envoya une fusée éclairante dans la nuit.

La fusée traversa lentement le ciel en jetant des ombres étranges sur le terrain rocailleux du dessous. Le sol avait presque l’air de bouillir. Luke regarda intensément la scène en essayant de comprendre ce qu’il voyait. Il y avait tant d’activité là-bas qu’on aurait dit une fourmilière ou une colonie de rats.

C’étaient des hommes. Des centaines d’hommes se déplaçaient et positionnaient leur matériel et leurs armes avec méthode.

— J’imagine que tu as raison, dit Murphy. Ils savent que nous sommes ici.

Luke regarda Martinez.

— Martinez, quel est le statut sur l’extraction ?

Martinez secoua la tête.

— Ils disent que c’est impossible. Entre la base et ici, il n’y a que des saloperies de tempêtes de sable et aucune visibilité. Ils ne peuvent même pas faire décoller les hélicoptères. Ils disent qu’il faut qu’on tienne jusqu’au matin. Le vent devrait se calmer après l’aube.

Luke le regardait fixement.

— Il faut qu’ils fassent mieux que ça.

Martinez haussa les épaules.

— Ils ne peuvent pas. Si les hélicoptères ne décollent pas, les hélicoptères ne décollent pas. J’aurais bien aimé que ces tempêtes se déchaînent avant notre départ.

Luke regardait fixement la masse de talibans qui s’agitait sous eux à flanc de colline. Il se retourna vers Martinez.

Martinez ouvrit la bouche comme pour parler.

Luke le montra du doigt.

— Ne le dis pas. Prépare-toi seulement à te battre.

— Je suis toujours prêt à me battre, dit Martinez.

Les coups de feu commencèrent quelques moments plus tard.

* * *

Martinez hurlait.

— Ils arrivent de tous les côtés !

Il avait les yeux écarquillés. Ses armes ne fonctionnaient plus. Il avait pris un AK-47 à un taliban et il tuait tous ceux qui franchissaient le mur à la baïonnette. Luke le regardait avec horreur. Martinez était une île, un petit bateau dans une mer de combattants talibans.

Il cédait sous le nombre. Alors, il disparut sous un tas de combattants.

Ils essayaient juste de survivre jusqu’à l’aube, mais le soleil refusait de se lever. Ils n’avaient plus de munitions. Il faisait froid, mais Luke avait enlevé son tee-shirt dans le feu des combats.

Des combattants talibans barbus et enturbannés franchissaient les murs du poste avancé. Des hommes hurlaient partout autour de lui.

Un homme arriva par-dessus le mur avec une hachette en métal.

Luke lui tira dans le visage. L’homme tomba mort contre les sacs de sable. Maintenant, Luke avait la hachette. Il s’immisça entre les combattants qui entouraient Martinez en donnant sauvagement des coups à gauche et à droite. Le sang gicla. Il les tailladait, les découpait.

Martinez réapparut, debout, en train de donner ces coups de baïonnette.

Luke enfonça la hachette dans le crâne d’un homme, mais trop profondément pour pouvoir l’en ressortir. Même avec toute l’adrénaline qui faisait rage dans son corps, il n’avait pas la force de l’en arracher. Il regarda Martinez.

— Ça va ?

Martinez haussa les épaules. Il désigna les corps qui les entouraient.

— Je peux te dire que j’allais mieux avant.

Il y avait un AK-47 aux pieds de Luke. Il le souleva et vérifia le chargeur. Vide. Luke jeta l’AK-47 et sortit son arme de poing. Il tira dans la tranchée, qui grouillait d’ennemis. Une ligne d’ennemis courait vers lui. D’autres glissaient, tombaient et sautaient par-dessus le mur.

Où étaient ses hommes ? Étaient-ils tous morts ?

Il tua l’homme le plus proche d’un coup de feu au visage. La tête explosa comme une tomate cerise. Il saisit l’homme par sa tunique et s’en servit de bouclier. L’homme sans tête était léger, comme si le cadavre était constitué de vêtements vides.

Il tua quatre hommes avec quatre coups de feu. Il continua à tirer.

Alors, il se retrouva à court de balles. Encore.

Un taliban chargea avec un AK-47, la baïonnette attachée. Luke poussa le cadavre contre lui puis jeta son arme comme un tomahawk. Il rebondit sur la tête de l’homme, le distrayant pendant une seconde. Luke se servit de cette seconde. Il se rapprocha de son ennemi en glissant le long de la baïonnette. Il plongea profondément deux doigts dans les yeux de l’homme puis tira.

L’homme hurla et leva les mains au visage. Maintenant, Luke avait l’AK. Il tua son ennemi avec la baïonnette de deux, trois, quatre coups profonds à la poitrine.

L’homme expira tout contre le visage de Luke.

Luke fouilla le corps de l’homme. Le cadavre tout frais avait une grenade dans sa poche de poitrine. Luke la prit, la dégoupilla et la jeta par-dessus le rempart, au milieu des hordes qui arrivaient.

Il se jeta à plat ventre.

BOUM.

L’explosion éclata juste à côté. Elle envoya voler de la terre, des pierres, du sang et des os. Le mur de sacs de sable s’effondra à moitié sur lui.

Luke se releva comme il put. À présent, il était sourd et avait les oreilles qui sifflaient. Il ouvrit le chargeur de l’AK. Vide. Cependant, il avait encore la baïonnette.

— Venez, bande de salauds ! cria-t-il. Venez !

D’autres hommes arrivèrent par-dessus le mur et il les poignarda frénétiquement. Il les déchira à mains nues. Il les abattit avec leurs propres armes.

Un homme franchit ce qui restait du mur. Il n’était pas un homme, mais un garçon. Il n’avait pas de barbe. Il n’avait pas besoin de rasoir. Sa peau était lisse et sombre. Ses yeux marrons étaient ronds de terreur. Il serrait les mains contre la poitrine.