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Le fauteuil hanté

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XII. Il faut être poli avec tout le monde surtout à l'Académie française

Madame Gaspard Lalouette n'avait point exagéré en prédisant à M. Lalouette que le lendemain il serait célèbre.

Il n'y eut jamais, pendant deux mois, homme plus célèbre que lui. Sa maison ne désemplit point de journalistes et son image fut reproduite dans les magazines du monde entier Il faut dire que M. Lalouette accueillit tous ces hommages comme s'ils lui étaient dus. Le courage qu'il semblait montrer en la circonstance le dispensait de toute modestie. Nous disons bien «qu'il semblait montrer» car en fait, maintenant, M. et Mme Lalouette étaient tout à fait tranquillisés en ce qui concernait la vengeance du sâr. Et la visite de celui-ci, après les avoir tout d'abord comblés d'épouvante, les avait finalement laissés pleins de sécurité et de confiance dans l'avenir. Cet avenir ne tarda point à se réaliser. M. Jules-Louis-Gaspard Lalouette fut élu par l'illustre Assemblée à l'unanimité, aucun concurrent n'étant venu lui disputer la palme du martyre.

Pendant les quelques semaines qui suivirent, il ne se passa guère de jours sans que l'arrière-boutique du marchand de tableaux ne reçût la visite de M. Hippolyte Patard. Il venait vers le soir, pour, autant que possible, n'être point reconnu, entrait par la petite porte basse de la cour, traversait hâtivement l'arrière-boutique et s'enfermait avec M. Lalouette dans un petit cabinet où ils ne risquaient point d'être dérangés. Là, ils préparaient le discours. Et M. Lalouette ne s'était point vanté en disant qu'il avait une bonne mémoire. Elle était excellente. Il saurait son discours par cœur, sans faute.

Mme Lalouette s'y employait elle-même et faisait réciter à son mari le chef-d'œuvre oratoire, jusque dans l'alcôve conjugale, au coucher et au réveil. Elle lui avait appris également à disposer ses feuillets comme s'il les lisait et à les ranger, au fur et à mesure, les uns derrière les autres. Enfin, elle avait marqué le haut des feuillets d'un petit signe rouge, pour que M. Lalouette ne tînt point devant lui—et devant tout le monde—son discours, la tête en bas.

La veille du fameux jour qui tenait le Tout-Paris en fièvre arriva. Les journaux avaient des délégations rue Laffitte en permanence. Après la triple expérience précédente, il ne faisait point de doute pour beaucoup que M. Gaspard Lalouette était voué à une mort prochaine. On voulait avoir des nouvelles du grand homme toutes les cinq minutes et, à défaut de M. Lalouette qui, fatigué, paraît-il, se reposait et avait résolu de ne recevoir personne de la journée, Mme Lalouette devait répondre à toutes les questions. La pauvre femme était, comme on dit, «sur les dents» et radieuse. Car en réalité, M. Lalouette se portait «comme un charme».

–Comme un charme! Monsieur le rédacteur… dites-le bien dans vos journaux… Il se porte comme un charme!

M. Lalouette avait, ce jour-là, prudemment fui sa demeure, car sa gloire le dérangeait dans le moment qu'il avait le plus besoin d'être seul pour répéter, plusieurs dernières fois, son discours. Dès l'aube, il s'était rendu fort habilement, sans être reconnu, chez un petit-cousin de sa femme qui tenait un débit, place de la Bastille. Le téléphone qui était au premier étage avait été consigné par cet aimable parent et seul M. Lalouette en avait la disposition, ce qui lui permettait de réciter à Mme Lalouette, malgré la distance qui les séparait, les passages les plus difficiles du fameux discours dont l'auteur entre nous, était M. Hippolyte Patard.

Celui-ci vint, comme il était convenu, rejoindre M. Lalouette, vers les six heures du soir à son petit débit de la place de la Bastille. Tout semblait aller pour le mieux, quand, dans la conversation qui eut lieu entre les deux collègues, se produisit le petit incident suivant:

–Mon cher ami, disait M. Hippolyte Patard, vous pouvez vous réjouir Jamais il n'y aura eu, sous la Coupole, une séance solennelle d'un aussi rayonnant éclat! Tous les académiciens seront là! vous entendez: tous!… tous veulent marquer, par leur présence, la particulière estime dans laquelle ils vous tiennent. Il n'y a pas jusqu'au grand Loustalot lui-même qui n'ait annoncé qu'il assisterait à la séance, bien qu'on le voie rarement à ces sortes de cérémonies, car le grand homme est fort occupé et il ne s'est dérangé ni pour Mortimar ni pour d'Aulnay, ni même pour Martin Latouche, dont la réception avait pourtant suscité la plus extrême curiosité.

–Ah! oui! fit M. Lalouette, qui parut aussitôt assez embarrassé, M. Loustalot sera là!…

–Il a pris la peine de me l'écrire.

–C'est très gentil, cela…

–Qu'est-ce que vous avez, mon cher Lalouette? vous semblez ennuyé…

–Eh bien, oui, c'est vrai!… reconnut M. Lalouette… Oh! ce n'est sans doute pas bien grave… mais je ne me suis pas bien conduit avec le grand Loustalot…

–Comment cela?…

–Dans le temps, je suis allé, bien avant de poser ma candidature… je suis allé chez lui pour demander ce qu'il fallait croire des secrets de Toth et de toutes les balançoires ayant rapport à la mort de Martin Latouche. Très catégoriquement, il s'est moqué de moi et l'opinion de ce grand savant, bien qu'elle eût été exprimée en des termes d'une vulgarité qui me choqua, fut pour beaucoup dans ma résolution de me présenter à l'Académie.

–Eh bien, mais! je ne vois pas là de quoi vous mettre martel en tête…

–Attendez, mon cher secrétaire perpétuel, attendez!… quand j'ai eu posé définitivement ma candidature, j'ai fait mes visites officielles, n'est-ce pas?

–Bien entendu! C'est d'un usage auquel on ne saurait manquer sans faire preuve de la plus grande impolitesse… d'autant plus que l'Académie elle-même n'avait pas hésité à se déranger la première, j'ose à peine vous le rappeler, mon cher monsieur Lalouette…

–Oui, eh bien!… cette grande impolitesse, je m'en suis rendu coupable vis-à-vis de l'homme qui avait en quelque sorte le plus de droit à ma reconnaissance… Je n'ai point fait de visite au grand Loustalot!…

M. Hippolyte Patard bondit.

–Comment! vous n'avez point fait de visite au grand Loustalot?…

–Ma foi non!…

–Mais, monsieur Lalouette, vous avez contrevenu à toutes nos règles!…

–Je le sais bien!

–Cela m'étonne d'un homme comme vous!… vous avez insulté l'Académie!…

–Oh!… monsieur le secrétaire perpétuel… telle n'était point mon intention…

–Et pourquoi donc, monsieur Lalouette, n'avez-vous point fait sa visite au grand Loustalot?

–Je vais vous dire, monsieur le secrétaire perpétuel… C'est à cause d'Ajax et d'Achille qui sont deux gros chiens qui me font peur et aussi du géant Tobie dont la vue n'est point rassurante…

M. Hippolyte Patard poussa un «ah!» d'ineffable stupéfaction.

–Vous!… un homme si brave!…

–C'est que, reprit le malheureux, qui baissait assez piteusement la tête, c'est que si je ne m'épouvante point facilement des chimères… je redoute assez la réalité. J'ai vu les crocs, qui sont solides, et aussi j'ai entendu les cris…

–Quels cris?

–D'abord les cris des chiens qui hurlaient à la mort… et puis, à plusieurs reprises, comme un grand cri déchirant humain!…

–Un grand cri déchirant humain?…

–Le savant m'a dit que ce devait être là le cri de quelque maraudeur qui se battait sur le bord de la Marne… Ma foi, il criait comme si on l'assassinait… Le pays est désert… La maison est isolée… Tant est que je n'y suis point retourné…

M. Hippolyte Patard, pendant ces derniers mots, s'était assis à une table et consultait un indicateur.

–Alors! dit-il.

–Où ça?

–Mais chez le grand Loustalot!… Nous avons un train dans cinq minutes… Comme ça, il n'y aura que demi-mal, puisque vous n'êtes officiellement reçu que demain!…

–Bah! fit Lalouette, ça n'est point de refus!… Avec vous, ça va!… vous les connaissez, les chiens?

–Oui, oui… et le géant Tobie aussi.

–Bravo!… Et nous dînerons au petit restaurant de La varenne, à côté de la gare, en attendant le train qui nous ramènera.

–A moins que Loustalot nous invite, fit M. Patard… chose très possible, s'il y pense!…

Ils s'apprêtèrent à descendre et à courir à la gare de Vincennes qui est toute proche.

A ce moment, la sonnerie du téléphone retentit à côté d'eux.

–Ce doit être Mme Lalouette, fit le nouvel académicien. Je vais lui annoncer que nous allons dîner à la campagne.

Et il s'en fut à l'appareil d'où il détacha le récepteur il écouta.

L'appareil était tout au fond de la pièce sous une petite ampoule électrique. Était-ce cette électricité qui produisait un jour défavorable, ou ce qu'il entendait qui l'émouvait à ce point, mais M. Lalouette était vert. M. Patard, inquiet, demanda:

–Qu'est-ce qu'il y a?…

M. Lalouette se pencha sur l'appareil:

–Ne t'en va pas, Eulalie. Il faut que tu répètes cela à M. le secrétaire perpétuel.

–Qu'est-ce que c'est? demanda celui-ci, fébrile.

–C'est une lettre de M. Eliphas de La Nox! répondit Lalouette de plus en plus vert.

M. Patard, lui, devint jaune et, après avoir poussé un cri de stupéfaction, mit hâtivement l'un des récepteurs à son oreille.

Les deux hommes écoutaient.

Ils écoutaient la voix de Mme Lalouette qui leur transmettait le texte d'une lettre qui venait d'arriver pour M. Lalouette.—«Mon cher monsieur Lalouette. Je suis heureux de votre succès et je suis bien certain qu'avec un homme comme vous, il n'est pas à craindre que quelque fâcheuse émotion vienne interrompre le fil de votre discours. Comme vous le voyez par le timbre de cette lettre, je suis toujours à Leipzig mais, depuis que je vous ai vu, j'ai eu la curiosité de me documenter sur cette étrange affaire de l'Académie. Et maintenant que j'ai réfléchi, j'en suis à me demander s'il est vraiment aussi naturel que cela que trois académiciens meurent de suite avant de s'asseoir dans le fauteuil de Mgr d'Abbeville! Il y avait peut-être quelque part un intérêt réel à ce qu'ils disparussent!… Et voilà ce que je me suis dit: ça n'est pas, après tout, une raison parce que je ne suis pas un assassin, pour qu'il n'y ait plus d'assassins sur la terre! En tout cas, ces réflexions ne sauraient vous arrêter. Même s'il y a eu des raisons à la disparition de MM. Mortimar, d'Aulnay et Latouche, il se peut très bien qu'il n'y en ait aucune pour faire disparaître M. Gaspard Lalouette. Compliments et mes meilleurs souvenirs à Mme Lalouette.

 

ELIPHAS DE SAINT-ELME DE TAILLEBOURG DE LA NOX.»

XIII. Dans le train

Dans le train qui les conduisait à La Varenne-Saint-Hilaire, M. Hippolyte Patard et M. Gaspard Lalouette réfléchissaient.

Et leurs réflexions devaient être assez maussades, car ils ne mettaient aucun empressement à se les communiquer.

La lettre d'Eliphas était pleine d'un terrible bon sens! Ce n'est pas une raison parce que je ne suis pas un assassin pour qu'il n'ait plus d'assassins sur la terre!

Cette phrase leur était entrée dans la tête, comme une vrille à tous les deux. Évidemment, celui qu'elle faisait souffrir le plus était M. Lalouette, mais M. Patard était bien malade, il avait naturellement demandé des explications à M. Lalouette qui lui avait narré, par le menu, la visite de l'inoffensif Eliphas. Il n'y avait plus, du reste, aucun inconvénient à cette confidence, puisque M. Lalouette était bien définitivement élu. Mais, s'il ne l'avait pas été—élu—, je crois bien qu'après cette lettre d'Eliphas, M. Lalouette eût tout raconté tout de même, car en vérité, il en était maintenant à se demander s'il avait lieu de se réjouir autant que cela de son élection.

Quant à M. Hippolyte Patard, le dépit qu'il avait conçu dans l'instant, d'avoir été soigneusement écarté par le prudent Lalouette d'un incident aussi considérable que celui de la réapparition d'Eliphas n'avait pas duré sous le coup des idées particulièrement lugubres soulevées par la tranquille hypothèse d'Eliphas de La Nox lui-même: «Si ce n'est moi, c'est peut-être un autre!…»

«Est-ce aussi naturel que cela que trois académiciens meurent de suite, avant de s'asseoir dans le fauteuil de Mgr d'Abbeville?» Encore une phrase qui lui dansait devant les yeux…

Mais c'était surtout la dernière qui tracassait ce pauvre M. Lalouette.

«S'il y a eu des raisons à la disparition de MM. Mortimar d'Aulnay et Latouche, il se peut très bien qu'il n'y en ait aucune pour faire disparaître M. Gaspard Lalouette…» Il se peut!!!… M. Lalouette ne pouvait avaler ce «Il se peut!!!».

Il regarda M. Patard… La mine de M. le secrétaire perpétuel était de moins en moins rassurante…

–Écoutez, Lalouette, fit-il tout à coup, la lettre de cet Eliphas m'ouvre des horizons plutôt sombres… mais en toute conscience, j'estime qu'il n'y a pas lieu de vous alarmer…

–Ah! répondit Lalouette, la voix légèrement altérée, mais vous n'en êtes pas sûr?…

–Oh! maintenant, depuis la mort de Martin Latouche, je ne suis plus sûr de quoi que ce soit au monde… J'ai eu trop de remords avec l'autre… Je ne voudrais pas en avoir avec vous!…

–Hein?… s'exclama sourdement Lalouette en se dressant de toute sa hauteur devant M. Patard. Est-ce que vous me croyez déjà mort?…

Un cahot rejeta le marchand de tableaux sur la banquette où il s'affala avec un gémissement.

–Non, je ne vous crois pas mort, mon ami… dit doucement M. Patard consolateur, en posant sa main sur celle du récipiendaire, mais cela ne m'empêche pas de penser que les décès des trois autres n'ont peut-être pas été si naturels que cela…

–Les trois autres!… frissonna Lalouette.

–Cet Eliphas parle bien… Ce qu'il dit fait réfléchir… et vient assez singulièrement réveiller dans mon esprit des souvenirs d'enquête personnelle… Mais dites-moi, monsieur Lalouette, vous ne connaissiez ni M. Mortimar ni M. d'Aulnay, ni M. Latouche?

–Je ne leur ai jamais parlé de la vie…

–Tant mieux!… soupira M. le secrétaire perpétuel, vous me le jurez? insista-t-il.

–Je vous le jure sur la tête d'Eulalie, mon épouse.

–C'est bien! fit M. Patard… Rien donc ne saurait vous lier à leur sort…

–Vous me rassurez un peu, monsieur le secrétaire perpétuel… Mais vous pensez donc que quelque chose les liait au sort les uns des autres?…

–Oui, je le pense maintenant… depuis la lettre d'Eliphas… ma parole!… La pensée de ce sorcier nous avait tous hypnotisés, et, à cause de toute son impossible sorcellerie, on n'a point cherché ailleurs le secret naturel, et criminel peut-être, de cette épouvantable énigme… Il y avait peut-être quelque part un intérêt réel à ce qu'ils disparussent.... répéta M. Patard avec une exaltation tout à fait comme se parlant à lui-même: C'est bien cela?… c'est bien cela?…

–Quoi! C'est bien cela!… Que voulez-vous dire?…

Qu'avez-vous? vous me rassuriez tout à l'heure et vous m'épouvantez à nouveau!… Savez-vous quelque chose?… implora Lalouette qui faisait pitié à voir Les deux hommes s'étreignaient les mains.

–Je ne sais rien, si l'on veut! gronda M. Patard… Mais je sais quelque chose, si je réfléchis!… Ces trois hommes ne se connaissaient pas, vous entendez bien, monsieur Lalouette, avant la première élection pour la succession de Mgr d'Abbeville… Ils ne s'étaient jamais vus!… Jamais!… J'en ai acquis la certitude, bien que M. Latouche m'ait menti en me disant qu'ils étaient tous trois d'anciens camarades… Eh bien! aussitôt après l'élection, ils se réunissent… ils se voient en cachette… tantôt chez l'un, tantôt chez l'autre… On a dit que c'était pour parler du sorcier… et pour déjouer ses menaces, et on l'a cru et je l'ai cru moi-même… Quelle niaiserie!… Ils devaient avoir autre chose à se raconter!… Ils devaient tous avoir à redouter quelque chose… car ils se cachaient bien! Et on ne les entendait pas!…

–Vous êtes sûr de cela?… fit Lalouette qui ne respirait plus…

–Quand je vous le dis!… oh! j'ai pris mes renseignements… Savez-vous où ils se sont rencontrés pour la première fois?…

–Ma foi non!…

–Devinez!

–Comment voulez-vous?…

–Eh bien, ici!… oui!… ici!… parfaitement… dans ce train… par le plus grand hasard… ils se sont rencontrés, allant faire visite, avant l'élection, à M. Loustalot!… Ils sont revenus ensemble, bien entendu—et, depuis, il a dû leur arriver quelque chose de terrible, avant leur mystérieuse mort, puisqu'ils se sont donné des rendez-vous aussi secrets… voilà ce que je pense, moi…

–C'est peut-être vrai… Il leur sera arrivé quelque chose qu'on ne sait pas… mais à moi, monsieur le secrétaire perpétuel, à moi, il ne m'est rien arrivé, à moi…

–Non! non! A vous, il ne vous est rien arrivé… voilà pourquoi je pense qu'en ce qui vous concerne, vous pouvez être tranquille, mon cher monsieur Lalouette!… oui… ma foi… à peu près tranquille… je vous dis «à peu près»… entendez bien… parce que maintenant… je ne veux plus prendre aucune responsabilité… aucune.

A ce moment le train stoppa. Sur le quai un employé cria:

«La Varenne-Saint-Hilaire!» M. Patard et M. Lalouette sursautèrent. Ah! bien! ils étaient loin de La varenne, et ils ne pensaient même plus à ce qu'ils étaient venus y faire…

Cependant ils descendirent, et M. Lalouette dit à M. Patard:

–Monsieur Patard, vous auriez dû me raconter ce que vous venez de me dire là, lors de votre première visite à mon magasin…

XIV. Un grand cri déchirant humain

Ils ne trouvèrent point de voiture à la gare et il leur fallut prendre le chemin de Chennevières à la nuit tombante.

Sur le pont de Chennevières avant de descendre sur la rive de la Marne, chemin qui conduisait, par le plus court, à la demeure isolée de M. Loustalot, M. Lalouette arrêta son compagnon.

–Enfin, mon cher monsieur Patard, demanda-t-il sourdement, vous ne croyez point, vous, qu'ils vont m'assassiner?…

–Qu'ils? s'exclama M. le secrétaire perpétuel, qui paraissait fort énervé.

–Mais, est-ce que je sais, moi?… Ceux qui ont assassiné les autres!…

–Qu'est-ce qui vous dit que les autres ont été assassinés, d'abord? fit-il, sur un ton, cette fois, de chien hargneux.

–Mais vous!…

–Moi! je n'ai rien dit, entendez-vous! parce que je ne sais rien!…

–C'est que je vais vous avouer une chose, monsieur le secrétaire perpétuel: je veux bien moi, être de l'Académie…

–Vous en êtes!…

–C'est vrai! soupira M. Lalouette.

Ils descendirent sur la berge… M. Lalouette était poursuivi par une idée fixe.

–Mais je voudrais tout de même bien ne pas être assassiné, fit-il.

M. Hippolyte Patard haussa les épaules. Cet homme qui ne savait pas lire, mais qui savait parfaitement qu'en se présentant à l'Académie il n'avait rien à craindre de tout ce que tous les autres qui ne se présentaient pas redoutaient, cet homme, qu'il avait pris pour un héros et qui n'avait été qu'un malin, commençait à lui être moins sympathique. Il résolut de le rappeler assez rudement au respect de lui-même:

–Mon cher monsieur, il y a des situations dans la vie qui valent bien que l'on risque quelque chose!…

«Et allez donc! Ça c'est envoyé!» pensa M. Hippolyte Patard. C'est qu'en vérité il trouvait les plaintes de ce M. Lalouette tout à fait nauséabondes. La situation avait beau apparaître difficile, mystérieuse, et, à tout prendre, menaçante, M. Hippolyte Patard pensa qu'elle était encore bien belle pour M. Lalouette qu'elle faisait académicien.

M. Lalouette avait baissé le nez; quand il le releva ce fut pour laisser tomber dans la fraîcheur du soir cette phrase qui était, en toute sincérité, immonde…

–Est-ce bien nécessaire, dit-il, que je le prononce, ce discours?…

Ils étaient alors sur le bord de la Marne. Les voiles de la nuit enveloppaient déjà les deux voyageurs. M. le secrétaire perpétuel regarda l'eau sournoise et profonde et la silhouette affalée de M. Lalouette. Il eut envie de le noyer tout simplement. Pan! Un coup d'épaule!…

Seulement, au lieu de précipiter cette chair flasque au sein des eaux, M. le secrétaire perpétuel alla prendre amicalement le bras de M. le récipiendaire…

Et cela parce que d'abord M. Hippolyte Patard était le moins criminel des hommes et qu'ensuite il venait de penser soudainement à ce que coûterait à l'illustre Compagnie une quatrième mort!…

Il en frémit. Ah! à quoi pensait-il donc? A inquiéter cet excellent M. Lalouette! Il se traita de fou! Il pressa le bras de M. Lalouette! Il jura à cet honnête homme, du fond du cœur une reconnaissance éternelle… Il essaya de réchauffer chez lui une ardeur académicienne qu'il se reprochait assurément d'avoir laissé s'éteindre. Il lui décrivit son triomphe du lendemain, il lui montra la foule enivrée et ravie, enfin, il fit fondre, comme on dit, le cœur de M. Lalouette en lui représentant, aux premières loges, Mme Lalouette vers qui allaient tous les hommages, comme à l'épouse glorieuse et rayonnante de l'Homme du jour!…

Finalement ils s'embrassèrent en se congratulant, en se réconfortant, en se traitant d'enfants qui s'étaient laissé assombrir par des idées noires. Et ils riaient tout haut, comme des braves, quand ils constatèrent qu'ils étaient arrivés à la griffe du grand Loustalot.

–Attention aux chiens! fit M. Lalouette.

Mais les chiens ne se faisaient pas entendre…

Chose curieuse, la griffe était ouverte.

M. Hippolyte Patard n'en sonna pas moins pour avertir de la présence d'étrangers.

–Où sont donc Ajax et Achille? dit-il… Et Tobie?… Il ne vient pas.

De fait, personne ne se dérangeait.

–Entrons! fit M. le secrétaire perpétuel.

–J'ai peur des chiens! recommença M. Lalouette.

–Eh! je vous dis que je les connais depuis longtemps! répéta M. Patard. Ils ne nous feront aucun mal.

–Alors, marchez devant, commanda bravement M. Lalouette.

Ainsi ils parvinrent jusqu'au perron. Le plus profond silence régnait dans le jardin, dans la cour et dans la maison.

La porte de la maison était également entrouverte. Ils la poussèrent. Un bec de gaz à demi ouvert éclairait le vestibule.

–Il y a quelqu'un? s'écria M. Patard, de sa voix de tête.

Mais aucune voix ne lui répondit.

Ils attendirent encore dans un extraordinaire silence.

Toutes les portes qui donnaient sur le vestibule étaient fermées.

Et, tout à coup, comme M. Patard et M. Lalouette restaient là, fort embarrassés, le chapeau à la main, les murs de la maison résonnèrent d'une clameur affreuse. La nuit retentit désespérément d'un grand cri déchirant humain…