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Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)

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Chronique de 1831 à 1862, Tome 2 (de 4)
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1836

Paris, le 2 janvier 1836.– M. de Talleyrand prône beaucoup M. Molé, pour le faire recevoir de l'Académie française; il est également appuyé par M. Royer-Collard et par les ministres; c'est ce qui faisait dire, hier au soir, à M. Villemain, que toutes les influences les plus diverses et les plus inverses se réunissaient pour porter ou exporter M. Molé à l'Académie, que lui, Villemain, l'y importait de toutes ses forces, puisque, d'ailleurs, le fauteuil académique n'empêchait pas d'autres sièges. Les jeux de mots et les pointes ne manquaient pas dans cette phrase, ni la malignité non plus!

On parlait beaucoup des différents discours tenus au Roi, à l'occasion de la nouvelle année, entre autres de celui de M. Pasquier, remarquable par le mot de sujet qu'il a eu la témérité de reproduire, et que M. Villemain appelait un mot progressif.

Le Roi est charmé du discours du comte Apponyi, et le Corps diplomatique, de la réponse du Roi. Du reste, Fieschi et Mascara1 ont été de vraies bonnes fortunes pour tous les faiseurs de discours: on a remarqué des émotions et des attendrissements infinis, et quant à M. Dupin, c'étaient des sanglots!

A propos de M. Pasquier, on s'est amusé à mettre dans un mauvais journal qu'il est tombé malade dernièrement pour avoir reconnu dans Fieschi un fils naturel! La vieille comtesse de la Briche, qui commence à radoter, a été, très sérieusement, et avec des «hélas!» incomparables, raconter cette bêtise dans le salon archi-carliste de Mme de Chastellux. Comprend-on quelque chose d'aussi stupide! Les rires ont été extrêmes!

Paris, 4 janvier 1836.– La seconde fille de Mme de Flahaut est au plus mal. Son état m'a fourni, hier, l'occasion d'appliquer la parabole si parfaitement vraie de la poutre et du brin de paille, en entendant Mme de Lieven parler de la mère et me dire: «Comprenez-vous Mme de Flahaut qui, dans un pareil moment, me parle politique et demande ses chevaux pour aller chez Madame Adélaïde; qui quitte la chambre de sa fille pour causer des affaires publiques avec les personnes qui sont dans son salon, et qui m'invite à dîner pour demain, afin, dit-elle, de se distraire et de ne pas rester seule avec son inquiétude?» Il est donc vrai que personne de nous ne se voit passer! Cela fait faire des retours effrayants sur soi-même.

Le fameux message du Président Jackson2, si impatiemment attendu, est arrivé par la voie d'Angleterre au duc de Broglie. Celui-ci, cinq heures après, est allé chez le Roi lui dire qu'il l'avait reçu; le Roi a demandé à le voir, M. de Broglie lui a dit qu'il était très insignifiant et qu'il l'avait déjà envoyé aux journaux!.. Il a dit la même chose à son collègue, M. Thiers, qui, sur la foi de ce propos, a répété pendant toute la soirée, à ceux qu'il rencontrait, que le message était de toute nullité. Le lendemain, le Roi et M. Thiers lisent ce message dans le journal et le trouvent très habilement fait, très rude pour M. de Broglie personnellement, mais satisfaisant pour le pays, et précisément ce qu'il fallait pour terminer le différend. Là-dessus, conseils sur conseils, discussions vives, enfin triomphe de la volonté royale, soutenue par M. Thiers, et par l'effet de laquelle on se tiendra pour suffisamment satisfait du message. On déclinera la médiation de l'Angleterre, en déclarant que la France est prête à payer les termes échus de la somme de 25 millions. M. de Broglie a fini par céder, mais avec toute la peine que son amour-propre personnel lui causait. Il s'était d'abord refusé à montrer la note par laquelle il remerciait l'Angleterre de ses offres de médiation, mais enfin elle a été soumise hier au Roi. On dit qu'elle est trop longue, diffuse, métaphysique. Les paroles ont été vives dans le Conseil des ministres, cependant tout a fini, parce que le Roi a tendu la main au duc de Broglie en lui disant une parole gracieuse. Cela n'empêche pas qu'au fond, l'humeur ne soit grande, d'un côté et de l'autre. Au reste, cette guerre avec les États-Unis déplaisait beaucoup au commerce français; ainsi ce résultat définitif fera, probablement, bon effet dans le public.

Paris, 11 janvier 1836.– J'ai eu, hier matin, la visite de M. Royer-Collard: il venait de voir M. Berryer, fort dégoûté et ennuyé, qui lui avait parlé de Prague. Il lui a raconté qu'on y pensait et y disait beaucoup de bien de lui, M. Royer; que Charles X avait répété plusieurs fois qu'il craignait de n'avoir pas fait assez attention à différentes choses qu'il lui avait dites dans un long entretien qu'ils eurent ensemble à l'époque de la fameuse adresse3 de 1830. Mais, ce qui est curieux, c'est que le vieux Roi, ayant voulu chercher à retrouver ces choses importantes dont il avait un vague souvenir, ne put y parvenir. N'est-ce pas là tout l'homme? Bon cœur et insuffisance!

Paris, 16 janvier 1836.– On a cru, hier, qu'après l'algarade de M. Humann, le ministre des Finances, à la Chambre des Députés, où il a abordé si imprudemment la question de la réduction des rentes, sans en avoir prévenu ses collègues, il y aurait dissolution du Ministère, mais cela s'est arrangé, et, pour le moment, tout reste au même point.

Le Roi a lui-même vu et calmé le comte de Pahlen, et on espère que le discours du duc de Broglie, à la Chambre des Députés, n'amènera pas d'orage4.

Paris, 24 janvier 1836.– La Chambre des Députés est restée émue et hargneuse, et cette session, si anodine dans son début, donne assez de tracas à ceux qui sont chargés de la gouverner. Son humeur est surtout contre le duc de Broglie, dont le ton lui déplaît. Le «Est-ce clair?» qu'il lui a dit l'autre jour, a bien de la peine à se faire pardonner5.

Paris, 28 janvier 1836.– Nous dînions hier chez le maréchal Maison; dîner curieux sous mille rapports, mais particulièrement sous celui des histoires que contait la Maréchale; en voici une qui m'a fait rire longtemps après que j'étais sortie. On parlait des bals nombreux et de la difficulté de savoir exactement le nombre des personnes qui s'y rendaient effectivement; à cela, la Maréchale se mit à dire, à haute et aigre voix: «J'ai un moyen parfait, que j'ai toujours employé avec succès dans tous les bals que j'ai donnés: je place ma femme de chambre derrière la porte, avec un sac de haricots près d'elle, et je lui dis: «Mariette, à chaque personne qui entrera, vous prendrez un haricot du grand sac, et vous le jetterez dans votre ridicule». Alors, le compte est exact, et c'est la bonne manière.» Le fou rire m'a si bien prise, que j'ai pensé étouffer. Il en est arrivé autant de Mmes de Lieven, de Werther, de Lœwenhielm, qui étaient là.

Paris, 1er février 1836.– Si j'étais dans mon cher Rochecotte, comme l'année dernière, je croirais, le 1er février, entrer dans le printemps, au lieu qu'ici il n'en est rien! Depuis quelque temps, je reprends mes déplaisances pour Paris, non pas que l'on y soit mal pour moi, au contraire, mais parce que la vie y est trop fatigante, l'air trop aigre, les intérêts trop divers et trop multipliés, sans être assez puissants; aucun loisir, des sollicitudes infinies, avec un vide sensible.

 

A Londres, j'étais dans un monde grand et simple; j'y avais du succès et du repos tout à la fois. M. de Talleyrand y jouissait d'une bonne santé, il y faisait de grandes affaires. Les agitations que j'y ai éprouvées valaient au moins leur enjeu; j'avais le temps de m'occuper, de lire, de travailler, d'écrire, de réfléchir; je n'étais pas bousculée par tous les désœuvrés. L'impôt des visites ne se prélève à Londres que sur une voiture vide et sur des cartes; enfin, je prenais plaisir à vivre… Voilà pourquoi il me prend de profonds et mélancoliques regrets, après ces années qui ne reviendront plus; ou bien pour ce doux et tranquille Rochecotte, cet horizon si vaste, ce ciel si pur, cette maison si propre, ces voisins simples et bienveillants, mes ouvriers, mes fleurs, mon gros chien, ma petite vache, la chevrette, le bon Abbé, le modeste Vestier, le petit bois où nous allions ramasser des pommes de pin; pour ce lieu où je vaux mieux qu'ailleurs, parce que j'ai le temps d'y faire d'utiles retours sur moi-même, d'y éclaircir ma pensée, d'y pratiquer le bien, d'éviter le mal, de me mêler, par la simplicité du cœur et de l'esprit, à cette belle, forte et gracieuse nature qui m'abrite, me rafraîchit et me repose… Mais trêve de gémissements sur moi-même, inutiles et maussades!

J'ai vu le docteur Ferrus, hier, à son retour de Ham. Voici ce qui s'y est passé. Les instructions des médecins étaient extrêmement bienveillantes, et leurs dispositions aussi; mais il aurait fallu trouver des motifs à faire valoir, et les deux ex-ministres vraiment souffrants, MM. de Chantelauze et de Peyronnet, ont refusé insolemment la visite des médecins, et les autres, MM. de Polignac et Guernon de Ranville, fort doux, soumis et désireux de profiter de la bonne disposition du gouvernement, n'ont, malheureusement, aucune infirmité à faire valoir. Il faut donc ajourner des adoucissements qu'on désirait leur accorder6.

Paris, 6 février 1836.– J'avais été, hier matin, avec la comtesse Bretzenheim qui m'en avait priée, à la séance de la Chambre des Députés, où j'ai entendu, pour la première fois, M. Thiers; il a admirablement parlé contre la fameuse réduction des rentes, si imprudemment mise en avant par M. Humann. J'avais cru remarquer, pendant que M. Thiers parlait, qu'il avait plusieurs fois craché le sang; je lui avais écrit pour lui demander comment il se portait; voici un passage extrait de la réponse que j'ai reçue de lui: «Je suis exténué; je n'ai pas craché le sang, mais j'ai dépensé, en quelques moments, bien des jours de ma vie; je n'ai jamais trouvé tant de résistance dans les esprits, et il faut une volonté de fer pour surmonter un entraînement aussi visible que celui de la Chambre. Je suis désolé que vous m'ayez entendu, ces chiffres doivent vous avoir ennuyée et vous avoir donné une triste idée de la tribune. Il ne faut nous entendre et nous juger que dans nos jours d'élan et non quand nous réglons nos comptes. Au surplus, je doute du résultat, et, sauf le Roi, je fais plutôt des vœux pour la retraite du Ministère. Lutter contre tant d'imprudence et de sottise est insupportable.»

Ce billet m'a bien un peu préparée aux événements du soir; cependant, M. Royer-Collard, qui est venu chez moi dans la matinée, croyait au triomphe du Ministère par l'embarras dans lequel serait la Chambre d'user du sien, si elle l'obtenait. Il était dans l'admiration du discours de M. Thiers, et le lui avait dit à la Chambre; ils se sont reparlés, à cette occasion, ce qui n'avait pas eu lieu depuis la discussion des lois de Septembre.

Mon fils, M. de Valençay, est venu dîner chez nous, en sortant de la séance de la Chambre des Députés. Il nous a raconté l'effarement de la Chambre aux singulières conclusions de M. Humann, et celui des ministres, au sujet de l'ajournement de la réduction des rentes, rejet qui n'a eu lieu qu'à une majorité de deux voix.

Le Journal de Paris nous a appris, plus tard, les démissions ministérielles; et le général Alava, qui venait de voir le duc de Broglie, nous a dit, à onze heures du soir, que le Roi avait accepté les démissions et fait chercher MM. Humann et Molé.

Je reçois, à l'instant, le billet que voici de M. Thiers: «Nous sommes sortis très franchement, très sérieusement. Le Roi savait d'avance, et d'accord avec tous, d'accord, en particulier, avec moi, que ce résultat découlait forcément de notre résolution de combattre la réduction. Nous serions déshonorés si nous ne persistions pas pour faire composer un nouveau Ministère: il sera chétif et misérable, peu importe; il faut que le tiers-parti fasse ses preuves. Le Roi ne peut faire autrement, ni nous non plus; le contraire serait une illusion à la Charles X.»

Paris, 7 février 1836.– Il n'y a rien de fait, pour le Ministère, si ce n'est la sortie des anciens Ministres, qui est positive. On croit que M. de Broglie ne rentrera jamais dans aucun Cabinet; c'est surtout contre lui qu'est l'humeur de la Chambre.

M. Thiers n'a fait aucune opposition à se retirer, plutôt par le désir de sortir honorablement et de se débarrasser décemment de collègues qu'il n'aimait pas, que par engouement pour la question, qu'il a cependant défendue avec un grand talent.

Le Roi a fait appeler M. Humann qui a refusé, M. Molé qui a décliné, M. Dupin qui a battu la campagne: les nuances méritent d'être observées. Enfin, il n'y a rien du tout de fait, ni, vraiment, rien de probable. Des amis de M. Molé disent qu'il ne veut plus se laisser ballotter, prier, refuser, trimballer, comme au mois de novembre, et qu'on se rangerait sous sa loi ou bien qu'il ne se mêlerait de rien.

Paris, 8 février 1836.– J'ai eu, hier, la visite de M. Royer-Collard. Voici comment il explique la conduite de la Chambre envers le dernier Ministère. Il dit que le Ministère, qui durait depuis trois ans, y était usé, surtout dans ses membres doctrinaires; que ce Cabinet avait fatigué la Chambre en lui mettant trop souvent le marché à la main, en faisant trop souvent de questions personnelles des questions de Cabinet; que la Chambre avait fait au delà de ses forces pour l'ordre du jour motivé lors des lois d'intimidation7; qu'on ne lui en avait pas su bien bon gré dans les provinces; qu'enfin, la fatuité dédaigneuse de M. de Broglie avait comblé la mesure, et que, du reste, le pays étant prospère au dedans, tranquille au dehors, la Chambre avait cru le moment opportun pour établir son droit et prouver au Ministère qu'il n'était pas indispensable, et que, profitant d'une question populaire dans les provinces, elle avait saisi l'occasion de prouver sa puissance, aidée, du reste, par son ignorance politique qui ne lui permet pas de calculer la durée de la crise. M. Royer-Collard a ajouté que les deux seuls Ministres qui eussent conservé du crédit dans la Chambre étaient MM. Thiers et Duchâtel, mais qu'encore, une petite quarantaine leur serait-elle nécessaire.

Nous avons dîné hier chez M. Thiers, d'après une ancienne invitation. Il ne touchait pas terre, battait des ailes, comme quelqu'un qui est sûr de rentrer en cage quand cela lui plaira. Il se propose de voyager; il veut aller à Vienne, à Berlin, à Rome, à Naples, et partira au mois d'avril. M. de Broglie, qui était aussi à ce dîner, avait l'air morne et abattu, et cela avec une absence de dissimulation qui m'a étonnée: il portait non pas le diable, mais la doctrine en terre!

J'ai été, le soir, chez Mme de Lieven, chez laquelle j'ai fait la connaissance de M. Berryer; le matin, M. Royer-Collard, qui le voit souvent, m'avait dit qu'il était fort désireux de faire la mienne: nous avons été fort polis, l'un et l'autre, et l'un pour l'autre. Il est simple et doux dans la conversation.

Paris, 9 février 1836.– Nous avons dîné, hier, chez l'ambassadeur de Sardaigne8. Rien n'était encore décidé pour le Ministère, disait-on; M. Molé, qui était près de moi à table, me l'a confirmé. Il n'a pas voulu entrer avec le tiers-parti, quoique tout le monde le demande, les uns comme les autres. Je crois qu'en désespoir de cause, ceci tournera momentanément au profit de M. Dupin; mais comme le petit groupe à la tête duquel il se trouve est très faible, il lui faudra, pour se soutenir, prendre son point d'appui sur la gauche, qui le lui vendra cher. Ce sera une position semblable à celle du Ministère whig anglais vis-à-vis d'O'Connell. Je veux espérer que cela sera court, mais il faut fort peu de temps pour faire faire bien des pas rétrogrades. On est triste au Château, inquiet dans le monde diplomatique, agité dans le public.

La jeune et belle Reine de Naples est morte le 31 janvier, peu de jours après ses couches. La nouvelle en est arrivée hier9.

Paris, 10 février 1836.– Les juges et les auditeurs du procès Fieschi prennent un intérêt singulier pour cet homme. C'est un caractère qui n'a jamais eu son semblable; il a beaucoup d'esprit, et dans l'art stratégique, du génie, une mémoire, un sang-froid, une précision que son horrible situation n'obscurcit jamais; ses passions, surtout celle pour les femmes, sont vives. Celle qu'il conserve pour cette Nina Lassave est remarquable: il lui écrit sans cesse, et ayant su qu'elle ne lui avait pas été fidèle, il lui a reproché de ne pas avoir attendu quelques jours pour lui épargner cette dernière douleur, quand son exécution allait la rendre libre, et tout cela a été écrit de la façon la plus touchante. Ce qui l'est beaucoup, aussi, c'est que M. Ladvocat, envoyant assez d'argent à Fieschi pour qu'il puisse se donner quelques douceurs dans la prison, il n'en dépense rien et le fait remettre à cette Nina. Celle-ci lui a écrit, pour le remercier, à peu près en ces termes: «Je te remercie de te priver de tout pour moi; avec ce que tu m'as envoyé, je me suis acheté des effets un peu propres pour te faire honneur devant Messieurs tes juges; mais comme bientôt tu ne pourras plus rien m'envoyer, je vais économiser, et me voilà à la tête de quarante francs

Cette phrase sur l'économie est abominable. Du reste, elle a écrit à Fieschi pour l'assurer qu'elle lui est restée fidèle, ce qui n'est pas vrai. Tout le monde semble être beaucoup plus occupé de ces incidents amoureux que du crime même de Fieschi. Quel singulier temps! La correspondance de Fieschi passant par les mains de M. Decazes, il en amuse la Chambre des Pairs; mais ce qui est vraiment étonnant, c'est la vogue que toute cette histoire a donnée à Mlle Nina, habitante naguère de la Salpêtrière. On assure qu'il lui a été fait des propositions d'argent par de beaux messieurs; ce qui est certain, c'est qu'on entend détailler ses beautés et ses imperfections d'une manière souvent étrange; mais ce qui est positif, c'est qu'elle est borgne.

 

Si Fieschi est amoureux, il se montre aussi religieux: l'aumônier de la Chambre des Pairs ayant demandé aux pensionnaires s'ils ne désiraient pas entendre la messe, Fieschi a dit, seul, que oui, qu'il le désirait beaucoup, qu'il n'était ni païen, ni athée; qu'à la vérité, il n'était pas fort en théologie, mais qu'il avait lu Plutarque et Cicéron, et qu'il croyait fermement à l'immortalité de l'âme; que l'âme, n'étant pas divisible, ne pouvait être matérielle; qu'enfin, il était tout spiritualiste: il a prié l'aumônier de venir le revoir et de ne pas le quitter quand une fois sa sentence serait prononcée. Et, après de tels contrastes, est-il encore permis de porter un jugement absolu sur les hommes!

Voici le bulletin de la crise ministérielle, je le crois fort exact: hier matin, le Roi a fait chercher Dupin, Sauzet et Passy et les a chargés du Ministère, à deux seules conditions: 1o de ne s'adjoindre personne ayant voté contre les lois de répression; 2o de ne prendre pour ministre des Affaires étrangères qu'un homme qui rassurerait l'Europe et lui conviendrait à lui-même. Ces trois messieurs ont répondu qu'ils comprenaient les désirs du Roi, mais qu'ils ne pouvaient prendre aucun engagement avant d'avoir consulté leurs amis, et, là-dessus, ils se sont retirés. A la Chambre, ils ont fait circuler une liste à peu près comme ceci: Dupin à la Justice avec la Présidence, Sauzet à l'Instruction publique, Passy aux Finances, Flahaut aux Affaires étrangères, Molitor à la Guerre, Montalivet à l'Intérieur. J'ai su, depuis, que Montalivet refusait malgré les désirs du Roi, et que le Roi se refusait, lui, à Flahaut. Le Roi désirait mettre, soit Rumigny, soit Baudrand, aux Affaires étrangères, et serait même fixé sur ce dernier, si on ne désirait le conserver pour suivre le Prince Royal dans ses voyages. Celui-ci est fort content de la chute du dernier Ministère; je crois qu'il a tort; les Flahaut sont ravis. Tous les amis des Ministres comptent porter M. Guizot à la Présidence de la Chambre des Députés; le parti opposé portera M. Martin du Nord.

J'ai été, avec M. de Talleyrand, dîner, le soir, chez M. de Montalivet: MM. de Pahlen et Apponyi étaient pâles de terreur d'avoir vu le nom de M. de Flahaut sur une liste ministérielle. Le maréchal Maison regrettait son ambassade de Pétersbourg avec des cris de rage qui n'avaient pas bien bonne grâce.

Nous avons été ensuite à la dernière réception ministérielle du duc de Broglie. M. de Broglie se croit l'expression exacte des besoins de l'époque; il ne se doute pas de ce qui est cependant l'exacte vérité, c'est-à-dire que tout le grabuge actuel, c'est lui qui en est cause, que c'est contre lui que tout s'est fait, que c'est lui que la Chambre repousse, et que s'il voulait dire à ses collègues: «Je vois que je suis seul la pierre d'achoppement: je me retire, mais je vous prie de rester,» M. Molé entrerait à sa place et tout serait arrangé à la satisfaction générale.

Paris, 11 février 1836.– Mme de Rumford est morte hier matin, après son déjeuner, ayant eu du monde à dîner la veille. Elle était fort changée depuis quelque temps, mais s'était toujours refusée à se constituer malade; elle est restée rude contre la mort, comme elle l'avait été pour les vivants. Son salon manquera; c'était un point de réunion, et il y en a si peu, au moins comme habitude. Chacun y retrouvait un souvenir qui lui était particulier, de telle ou telle époque de sa vie. Cette disparition m'a attristée. Il ne faut pas avoir quatre-vingts ans cette année! Mais que dis-je? M. de Rigny en avait cinquante, Clémentine de Flahaut seize, Yolande de Valençay deux! C'est la vie à toutes les marches de l'échelle qui est menacée, maintenant comme toujours! Il faut se tenir prêt!

Ce vieux chat de Sémonville, dont les griffes ne s'usent pas, est arrivé hier au Luxembourg, annonçant qu'enfin le Ministère était constitué. On l'entoure, on le questionne, et voici sa liste: «Président du Conseil, Madame Adélaïde; Justice et Cultes, duchesse de Broglie; Affaires étrangères, duchesse de Dino10; Intérieur, comtesse de Boigne; Guerre, comtesse de Flahaut; Marine, duchesse de Massa; Finances, duchesse de Montmorency; Commerce, marquise de Caraman…» Mme de Lieven, à qui j'ai mandé cette plaisanterie, en réponse à un billet de questions, m'a répliqué qu'au moins la condition du Roi était remplie, et que le Ministre des Affaires étrangères n'inquiéterait pas l'Europe.

Ce sont bien là des pauvretés, mais la pauvreté véritable, c'est l'impossibilité de former un Ministère, sérieux ou autre.

J'ai été, hier, aux Tuileries; les Ministres sortants y étaient tous réunis autour du Roi, mais, je crois, sans objet: c'est déplorable!

Paris, 12 février 1836.– Rien de nouveau, ministériellement. Voici tout ce que je sais d'hier: Dupin, Passy et Sauzet ont été à trois heures chez le Roi, lui dire qu'ils ne pouvaient se charger de la composition d'un Ministère que des intrigues diverses leur avaient rendu impossible; que, du reste, ils étaient prêts à entrer, individuellement, dans l'administration, si leurs services étaient agréables au Roi. Ils se sont retirés là-dessus, et le Roi, dans la soirée, a fait chercher M. Molé. J'ignore ce qui s'est passé dans cette entrevue.

Paris, 13 février 1836.– Voici ce que je sais d'hier sur la crise ministérielle. M. Molé déclare qu'il n'entrera pas sans M. Thiers, celui-ci sans M. Guizot, qui, à son tour, n'entrera pas sans M. de Broglie, à moins que M. de Broglie ne reconnaisse qu'étant le seul obstacle véritable, il exige de ses collègues de rentrer sans lui, et qu'il ne leur écrive, à cet effet, une lettre datée de Broglie. M. de Salvandy a cherché à l'éclairer là-dessus, mais il a été très mal reçu. On parle d'une scène vive entre MM. de Broglie et Guizot; ce qui est certain, c'est que M. de Broglie est dans une agitation tellement visible et de si mauvaise grâce, qu'il fait pitié à ses amis et hausser les épaules aux autres. Il y a des gens qui croient que le Roi fera venir Broglie et lui demandera, avec plus d'autorité que Salvandy, de faire cesser un si déplorable état de choses, que lui seul prolonge.

Dupin est entièrement démoli. Dans les deux jours où on croyait que Dupin serait ministre, Thiers et Guizot se sont, tous deux, mis sur les rangs pour la Présidence; cela leur a fourni l'occasion de compter les voix en leur faveur: M. Guizot en avait huit, M. Martin du Nord en avait quinze; tout le reste du parti ministériel aurait porté M. Thiers et le lui aurait fait offrir.

Paris, 16 février 1836.– Voilà Fieschi condamné ainsi que ses complices; M. de Mareuil est venu hier, à onze heures du soir, nous dire l'arrêt11.

Il paraît qu'il y a beaucoup de Pairs qui ont longuement motivé leurs votes. Une fraction peu nombreuse de la Chambre trouvait les preuves matérielles contre Pépin et Morey insuffisantes pour la peine capitale et penchait pour les travaux forcés à perpétuité. C'est M. Barthe qui a demandé qu'à la peine de mort unanimement votée contre Fieschi, on joignît les détails du supplice qui s'appliquent aux parricides.

Les journaux annoncent la mort de Mme Bonaparte mère; sa double petite-fille, c'est-à-dire la fille de Joseph qui a épousé le fils de Lucien, était seule de sa nombreuse progéniture près d'elle. Le cardinal Fesch l'a très bien soignée; elle lui laisse ses tableaux; on croit, du reste, que sa succession va causer de nouvelles divisions parmi ses enfants, qui ne sont déjà pas trop unis, car il paraît qu'elle a, de son vivant, donné à Lucien, à Jérôme, à Mme Murat, des sommes considérables, que ceux-ci ne veulent pas rapporter.

Paris, 17 février 1836.– Hier, le Roi a réuni ses anciens Ministres et leur a déclaré: 1o qu'il ne recevrait leur démission que quand un autre Cabinet serait formé; 2o que la majorité de la Chambre n'ayant été qu'accidentellement contre eux, et que leur système étant celui de la Chambre, quand bien même tous les individus qui composent le Cabinet ne plairaient pas à la Chambre, il serait, lui, charmé qu'ils restassent tous, mais que, s'ils croyaient qu'il y avait parmi eux quelques membres qui continueraient à tenir la Chambre en irritation, il les priait de se consulter et de lui dire ensuite sur quoi il pouvait compter. M. de Broglie a dit qu'il fallait que le Roi essayât du tiers-parti; à cela, le Roi a répondu: «Il peut vous amuser, Monsieur, de constater une fois de plus l'impuissance de ce tiers-parti, mais il ne m'amuse pas, moi, d'en faire le pitoyable essai; j'en ai assez des Ministères de trois jours: ce n'est ni dans le tiers-parti, ni dans la gauche qu'est la majorité, c'est avec vous, Messieurs; si ce n'est avec tous, du moins avec quelques-uns. Vos arrangements et engagements réciproques les uns avec les autres doivent se rompre devant l'importance et la gravité des circonstances, je l'attends de votre honnêteté, de votre désir du bien général; quant à moi, Messieurs, je reste les bras croisés et je vais me promener à Saint-Cloud.» MM. de Broglie et Guizot ont répliqué qu'aucun des membres du Cabinet n'avait précisément des engagements, mais que chacun avait des convenances personnelles auxquelles il était juste de tenir. Cette réponse était fort déplacée dans un semblable moment, surtout de la part du premier qui, par un mot, déliait le nœud gordien et simplifiait la position! Personne ne sait comment cela finira, à moins que ce ne soit comme M. Royer-Collard l'a prédit à M. Thiers, vendredi dernier: «Vous n'êtes pas possible aujourd'hui; mais dans huit jours, vous serez nécessaire, indispensable, absolu!»

M. de Talleyrand et moi avons été hier chez la Reine. Le deuil de la Reine de Naples, le procès Fieschi, la crise ministérielle avaient éloigné du Château tout plaisir du carnaval; on y était fort sérieux. Le Roi, absorbé par la perspective du supplice des condamnés de la veille, n'avait pas osé sortir, parce qu'il se savait guetté par Mme Pépin et ses enfants. Le Château était vraiment lugubre et faisait un pénible contraste avec la joie bruyante des rues. M. Pasquier est venu dire au Roi que Pépin avait demandé à le voir ce matin, ce qui ferait remettre l'exécution à demain.

Avant de rentrer, j'ai été passer une demi-heure chez Mme de Lieven, où il n'y avait que lady Charlotte Granville et M. Berryer, qui disait que, lorsqu'on ne savait rien, on était le maître de dire tout ce qu'on voulait, et qu'il ne craignait pas d'affirmer que Thiers était la seule combinaison possible et qui trouverait faveur dans la Chambre.

Paris, 19 février 1836.– J'ai eu, hier matin, la visite de M. Thiers, qui avait décidément accepté la mission de former un Ministère et de le présider. Il comptait employer le reste de la journée à compléter le Cabinet. Il a trop d'esprit pour ne pas sentir les difficultés de sa nouvelle position, et trop de courage, ou d'aveuglement, pour en être effrayé. M. Molé a manqué son élection académique; c'est une mauvaise semaine pour lui.

Paris, 20 février 1836.– Voici les paroles textuelles écrites par le Roi au-dessus de la signature qu'il a été obligé d'apposer à l'arrêt de mort de Fieschi, Pépin, Morey, etc.: «Ce n'est que le sentiment d'un grand devoir qui me détermine à donner une approbation qui est un des actes les plus pénibles de ma vie; cependant, j'entends qu'en considération de la franchise des aveux de Fieschi, et de sa conduite pendant le procès, il lui soit fait remise de la partie accessoire de la peine, et je regrette profondément que plus ne me soit pas permis par ma conscience.»

Paris, 21 février 1836.– M. Thiers éprouve des difficultés dans la combinaison du Ministère dont il est chargé; chacun veut bien aller avec lui et sous lui, mais ils ne veulent pas aller ensemble les uns avec les autres. Il faut cependant tenir à ce que la composition de ce Cabinet soit un peu forte et ait bonne façon! Tout est difficile, même pour les gens supérieurs.

Paris, 22 février 1836.– M. de Talleyrand est de très mauvaise humeur: tous les journaux, tout le public le chargent de la responsabilité du nouveau Ministère, qui est enfin dans le Moniteur de ce matin12. Il n'y a cependant pris aucune part; et comme l'éclatante élévation de M. Thiers ne plaît pas à tout le monde, et que les Anglais surtout jettent feu et flammes, il en résulte que M. de Talleyrand est en grande humeur de tout ce qui lui revient à ce sujet, qu'il a une reprise de colère contre Paris, contre son âge, sa position, et des regrets plus vifs d'avoir quitté Londres.

1Mascara, en Algérie, fut prise par les Français en 1835.
2On trouvera ce message aux pièces justificatives de ce volume. – En 1834, Jackson avait réclamé au gouvernement de Louis-Philippe, de façon très hautaine, une indemnité de 25 millions, due aux États-Unis, pour les bâtiments saisis sous l'Empire, menaçant de confisquer, en cas de refus, les propriétés des Français établis sur le territoire de l'Union. Toute légitime que fût la réclamation, ses formes blessantes la firent longtemps repousser, jusqu'à une rétractation du président Jackson contenue dans le message dont il est ici question.
3L'adresse des 221 (3 mars 1830). – C'était une réponse au discours du trône; et les 221 députés y exposaient nettement leur mécontentement de voir M. de Martignac remplacé, comme président, par le prince Jules de Polignac.
4Le discours auquel il est fait allusion se trouve aux pièces justificatives de ce volume.
5M. Humann ayant présenté à la Chambre, comme une mesure nécessaire, la conversion des rentes 5 pour 100 que M. de Villèle avait déjà vainement tentée en 1824, l'accueil de la Chambre fut plutôt favorable. Mais le Cabinet, qui n'avait pas connu à l'avance cette communication, se montra blessé, et M. Humann donna sa démission. Une interpellation sur cette question eut lieu à la Chambre le 18 janvier. Le duc de Broglie ouvrit la discussion: «On nous demande, dit-il, s'il est dans les intentions du gouvernement de proposer la mesure dans cette session. Je réponds: Non! Est-ce clair?» Ce dernier mot souleva une animosité unanime et fut aussitôt commenté défavorablement.
6C'est toujours des anciens ministres de Charles X qu'il est question ici. Quelques personnes multipliaient les efforts, pour faire rendre la liberté à ces malheureux détenus politiques.
7En 1835, et comme conséquence de l'attentat Fieschi, le Ministère avait présenté trois projets de loi très sévères, l'un portant sur le jury, l'autre sur le jugement des actes de rébellion, le troisième, de beaucoup le plus considérable, sur la presse. La discussion de ces lois, commencée à la Chambre dès le 13 août 1834, s'y poursuivit jusqu'au 29 septembre, et se termina par le succès complet du gouvernement.
8Le marquis de Brignole-Sale.
9Marie-Christine, princesse de Savoie, mourut eu donnant le jour à celui qui fut plus tard François II, dernier Roi de Naples.
10L'auteur de la Chronique.
11L'arrêt condamnant à mort Fieschi, Pépin et Morey; ceux-ci furent exécutés le 19 février à la barrière Saint-Jacques.
12Voici la composition du Cabinet: M. Thiers, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères; M. Sauzet, garde des Sceaux; M. de Montalivet, ministre de l'Intérieur; M. d'Argout, ministre des Finances; M. Passy, ministre du Commerce et des Travaux publics; M. Pelet de la Lozère, ministre de l'Instruction publique; le maréchal Maison, ministre de la Guerre; l'amiral Duperré, ministre de la Marine.