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Les deux amis de Bourbonne

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«Ces deux femmes en eurent tant de soin, elles lui inspirèrent tant de pitié, elles le prièrent si instamment de vivre, elles lui remontrèrent d'une manière si touchante qu'il était leur unique ressource, qu'il se laissa persuader.

«Pendant tout le temps qu'il resta dans cette maison, il ne se coucha plus. Il sortait la nuit, il errait dans les champs, il se roulait sur la terre, il appelait Olivier; une des femmes le suivait et le ramenait au point du jour.

«Plusieurs personnes le savaient dans la maison d'Olivier; et parmi ces personnes il y en avait de malintentionnées. Les deux veuves l'avertirent du péril qu'il courait: c'était une après-midi, il était assis sur un banc, son sabre sur ses genoux, les coudes appuyés sur une table et ses deux poings sur ses deux yeux. D'abord il ne répondit rien. La femme Olivier avait un garçon de dix-sept à dix-huit ans, la charbonnière une fille de quinze. Tout à coup il dit à la charbonnière: «La charbonnière, va chercher ta fille et amène-la ici…» Il avait quelques fauchées de prés, il les vendit. La charbonnière revint avec sa fille, le fils d'Olivier l'épousa: Félix leur donna l'argent de ses prés, les embrassa, leur demanda pardon en pleurant; et ils allèrent s'établir dans la cabane où ils sont encore et où ils servent de père et de mère aux autres enfants. Les deux veuves demeurèrent ensemble; et les enfants d'Olivier eurent un père et deux mères.

«Il y a à peu près un an et demi que la charbonnière est morte; la femme d'Olivier la pleure encore tous les jours.

«Un soir qu'elles épiaient Félix (car il y en avait une des deux qui le gardait toujours à vue), elles le virent qui fondait en larmes; il tournait en silence ses bras vers la porte qui le séparait d'elles, et il se remettait ensuite à faire son sac. Elles ne lui dirent rien, car elles comprenaient de reste combien son départ était nécessaire. Ils soupèrent tous les trois sans parler. La nuit, il se leva; les femmes ne dormaient point: il s'avança vers la porte sur la pointe des pieds. Là, il s'arrêta, regarda vers le lit des deux femmes, essuya ses yeux de ses mains et sortit. Les deux femmes se serrèrent dans les bras l'une de l'autre et passèrent le reste de la nuit à pleurer. On ignore où il se réfugia; mais il n'y a guère eu de semaines qu'il ne leur ait envoyé quelques secours.

«La forêt où la fille de la charbonnière vit avec le fils d'Olivier, appartient à un M. Leclerc de Rançonnières, homme fort riche et seigneur d'un autre village de ces cantons, appelé Courcelles6. Un jour que M. de Rançonnières ou de Courcelles, comme il vous plaira, faisait une chasse dans sa forêt, il arriva à la cabane du fils d'Olivier; il y entra, il se mit à jouer avec les enfants, qui sont jolis; il les questionna; la figure de la femme, qui n'est pas mal, lui revint; le ton ferme du mari, qui tient beaucoup de son père, l'intéressa; il apprit l'aventure de leurs parents, il promit de solliciter la grâce de Félix; il la sollicita et l'obtint.

«Félix passa au service de M. de Rançonnières, qui lui donna une place de garde-chasse.

«Il y avait environ deux ans qu'il vivait dans le château de Rançonnières, envoyant aux veuves une bonne partie de ses gages, lorsque l'attachement à son maître et la fierté de son caractère l'impliquèrent dans une affaire qui n'était rien dans son origine, mais qui eut les suites les plus fâcheuses.

«M. de Rançonnières avait pour voisin à Courcelles, un M. Fourmont, conseiller au présidial de Ch…7. Les deux maisons n'étaient séparées que par une borne; cette borne gênait la porte de M. de Rançonnières et en rendait l'entrée difficile aux voitures. M. de Rançonnières la fit reculer de quelques pieds du côté de M. Fourmont; celui-ci renvoya la borne d'autant sur M. de Rançonnières; et puis voilà de la haine, des insultes, un procès entre les deux voisins. Le procès de la borne en suscita deux ou trois autres plus considérables. Les choses en étaient là, lorsqu'un soir M. de Rançonnières, revenant de la chasse, accompagné de son garde Félix, fit rencontre, sur le grand chemin, de M. Fourmont le magistrat et de son frère le militaire. Celui-ci dit à son frère: «Mon frère, si l'on coupait le visage à ce vieux bougre-là, qu'en pensez-vous?» Ce propos ne fut pas entendu de M. de Rançonnières, mais il le fut malheureusement de Félix, qui s'adressant fièrement au jeune homme, lui dit: «Mon officier, seriez-vous assez brave pour vous mettre seulement en devoir de faire ce que vous avez dit?» Au même instant, il pose son fusil à terre et met la main sur la garde de son sabre, car il n'allait jamais sans son sabre. Le jeune militaire tire son épée, s'avance sur Félix; M. de Rançonnières accourt, s'interpose, saisit son garde. Cependant le militaire s'empare du fusil qui était à terre, tire sur Félix, le manque; celui-ci riposte d'un coup de sabre, fait tomber l'épée de la main au jeune homme, et avec l'épée la moitié du bras: et voilà un procès criminel en sus de trois ou quatre procès civils; Félix confiné dans les prisons; une procédure effrayante; et à la suite de cette procédure, un magistrat dépouillé de son état et presque déshonoré, un militaire exclus de son corps, M. de Rançonnières mort de chagrin, et Félix, dont la détention durait toujours, exposé à tout le ressentiment des Fourmont. Sa fin eût été malheureuse, si l'amour ne l'eût secouru; la fille du geôlier prit de la passion pour lui et facilita son évasion: si cela n'est pas vrai, c'est du moins l'opinion publique. Il s'en est allé en Prusse, où il sert aujourd'hui dans le régiment des gardes. On dit qu'il y est aimé de ses camarades, et même connu du roi. Son nom de guerre est le Triste; la veuve Olivier m'a dit qu'il continuait à la soulager.

«Voilà, madame, tout ce que j'ai pu recueillir de l'histoire de Félix. Je joins à mon récit une lettre de M. Papin, notre curé. Je ne sais ce qu'elle contient; mais je crains bien que le pauvre prêtre, qui a la tête un peu étroite et le cœur assez mal tourné, ne vous parle d'Olivier et de Félix d'après ses préventions. Je vous conjure, madame, de vous en tenir aux faits sur la vérité desquels vous pouvez compter, et à la bonté de votre cœur, qui vous conseillera mieux que le premier casuiste de Sorbonne, qui n'est pas M. Papin.»

6Sur une copie qui est en notre possession, Rançonnières est remplacé par Romainville, et Courcelles par Jolibois.
7Toutes les éditions portent Lh… au lieu de Ch… Diderot a voulu désigner Chaumont. (Note de l'édition Brière.)