Nibiru Approche

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New York — Île de Manhattan

Dans un luxueux bureau, au trente-neuvième étage d’un imposant gratte-ciel situé entre la 5th Avenue et la 59th Street de Manhattan, à New-York, un homme pas très grand, d’allure élégante et soignée, se tenait face à l’une des cinq grandes fenêtres qui le séparaient de l’extérieur. Il portait un costume gris foncé, italien à coup sûr, une voyante cravate rouge, et ses cheveux poivre et sel étaient coiffés en arrière. Ses yeux noirs et profonds fixaient, par-delà la vitre, le magnifique Central Park qui, s’ouvrant presque à ses pieds, s’étend sur quatre kilomètres de long et huit cent mètres de large, ménageant un îlot vert très précieux, source d’oxygène et lieu de détente pour les presque deux millions d’habitants de l’île.

— Je peux entrer, Monsieur le sénateur ? dit un petit homme chauve au visage inexpressif, qui frappait timidement à l’élégante porte d’entrée de bois sombre laqué.

Sur le montant, une petite plaque dorée portait en italique l’inscription « Sénateur Jonathan Preston ».

— Qu’y a-t-il ? demanda l’homme sans même se retourner.

— Une communication vidéo cryptée pour vous.

— C’est bon, je vais la prendre d’ici. Fermez la porte en sortant.

L'homme se dirigea lentement vers son élégant bureau sombre et s’assit sur le moelleux fauteuil de cuir noir. D’un geste automatique, il vérifia le nœud de sa cravate, enfila une oreillette dans son oreille droite et appuya sur un petit bouton gris placé sous le plateau du bureau. Un grand écran semi-transparent descendit du plafond dans un léger sifflement et se posa délicatement sur la surface de la table. L’homme effleura l’écran et le gros visage du général Campbell apparut devant lui.

— Général, je constate avec plaisir que vous avez quitté nos geôles.

— Sénateur, comment allez-vous ? Je voulais avant tout vous remercier pour l’opération de récupération, rapide et efficace.

— Je crois que tout le mérite en revient aux deux personnages que je vois derrière vous.

Le général se retourna instinctivement et vit le gros et son compère, qui essayaient de rentrer dans le cadre de la webcam, comme le fait généralement la foule qui se presse derrière un journaliste lors d’un reportage en direct. Il haussa légèrement les épaules et poursuivit :

— Ce ne sont pas des aigles, mais pour certains types de mission, ils sont vraiment efficaces.

— Bien. Mais maintenant dites-moi tout. J’aurais dû recevoir votre rapport il y a plus de douze heures.

— Disons que j’ai été un peu « pris » ces derniers temps, répondit le général avec humour. Quoi qu’il en soit, je peux vous confirmer que votre intuition sur le travail du Professeur Hunter était absolument juste, et que, grâce à sa découverte, j’ai pu assister personnellement à un événement incroyable, au bas mot.

Le général marqua une petite pause pour exciter encore davantage la curiosité de son interlocuteur, puis ajouta :

— Monsieur le sénateur, je ne sais pas comment cela a pu se produire, mais l’exhumation par notre Professeur du fameux “ vase au précieux contenu ” doit avoir d’une façon ou d’une autre activé un système qui a rappelé sur notre planète rien de moins que...

Il s’arrêta, et, conscient que sa prochaine phrase serait un peu difficile à digérer, prit une grande inspiration, puis sans plus hésiter, s’exclama solennellement :

— Un vaisseau extraterrestre.

L'officier continua à fixer l’écran, à la recherche d’un signe de stupeur quelconque sur le visage du sénateur, mais celui-ci n’eut pas la moindre réaction. Il se limita à appuyer le coude sur le bureau sombre et, prenant son menton entre le pouce et l’index, il se mit à le pincer délicatement. Il poursuivit cette opération quelques instants, puis dit simplement :

— Ils sont revenus, donc.

Le général ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux, de surprise.

Preston savait déjà tout sur les extraterrestres… Comment était-ce possible ?

Le sénateur se leva lentement, et, les mains croisées derrière le dos, commença à tourner autour de son bureau. Le général et ses deux collaborateurs ne se hasardèrent pas à dire un mot. Attendant patiemment, ils se limitèrent à échanger des regards interrogateurs.

Tout d’un coup, Preston revint à son bureau, y appuya les deux mains et, regardant le général droit dans les yeux, lui dit :

— Vous aviez un drone avec vous. Dites-moi que vous avez réussi à filmer ce vaisseau.

Le général se tourna à la recherche désespérée d’une réponse positive de la part des deux hommes qui se tenaient derrière lui. Le maigre ébaucha un petit sourire, prit la parole et, bombant le torse d’orgueil, affirma, satisfait :

— Bien sûr, Monsieur le sénateur. J’ai plus d’un film. Je vous montre ça tout de suite.

Sans trop de ménagements, il poussa le général sur le côté et, après avoir joué un moment sur le clavier qui était devant lui, fit apparaître les images du camp du Professeur Hunter dans une fenêtre de l’écran du sénateur.

Preston planta ses deux coudes sur le bureau, posa son menton sur ses poings fermés et s’approcha le plus possible de l’écran pour ne pas perdre une seule image de ce qui défilait sous ses yeux. D’abord les images nocturnes du récipient de pierre retrouvé enseveli dans le sol, puis celles de la mystérieuse sphère noire qu’il renfermait, et enfin le transport de cette dernière dans la tente laboratoire. Puis le cadre changea. Il faisait plein jour. Reposant en apparence sur quatre faisceaux de lumière rougeâtre provenant des quatre coins d’un carré imaginaire dessiné au sol, une structure circulaire argentée trônait, dans toute sa splendeur. L’ensemble ressemblait à un tronçon de pyramide qui avait tout l’air d’être la sœur de la Ziggourat d’Ur que l’on apercevait au fond, majestueuse.

Le sénateur ne pouvait détacher ses yeux de l’écran. Quand il vit les deux silhouettes d’apparence humaine, mais nettement plus grandes et corpulentes que la moyenne, apparaître à l’ouverture de la structure argentée et se planter solidement sur de qui devait être une plateforme de descente, il ne put s’empêcher de sursauter et de sentir son cœur battre dans sa gorge.

Le rêve de toute une vie se réalisait. Toutes les études, toutes les recherches et, surtout, les importants capitaux qu’il avait investis dans ce projet donnaient enfin les résultats espérés. Ce qu’il voyait sur son écran, c’était réellement deux extraterrestres qui, à bord de leur vaisseau à la technologie avancée, avaient traversé l’espace interplanétaire pour revenir sur Terre. Il allait maintenant pouvoir jeter à la figure de ceux qui l’avaient toujours critiqué que ses calculs étaient parfaitement exacts. La mystérieuse douzième planète du système solaire existait vraiment. Après 3 600 ans, son orbite croisait à nouveau celle de la Terre, et il avait devant lui deux de ses habitants qui, profitant du « brin de conduite » que leur faisait leur planète, revenaient nous rendre visite, et influencer à nouveau notre culture et nos vies. C’était déjà arrivé qui sait combien de fois au cours des millénaires, et l’histoire se répétait à nouveau. Mais cette fois il était là, et il n’allait pas laisser cette prometteuse occasion lui échapper.

— Excellent travail, dit-il simplement aux trois hommes qui regardaient l’écran avec appréhension.

Puis, après avoir imprimé un tour complet au fauteuil où il était assis, il ajouta :

— Le fait que vous vous soyez laissé surprendre, Général, compliquera un peu les choses. Nous n’aurons plus l’opportunité d’avoir une « oreille » au sein de l’ELSAD mais ou point où nous en sommes, cela n’a plus d’intérêt.

— Que voulez-vous dire ?

— Que notre objectif n’est plus de découvrir si les suppositions du Professeur Hunter sont exactes ou pas, ni celui de nous emparer du “ précieux contenu ”.

— D’autant plus qu’il était tout sauf précieux, murmura le gros.

— Nous pouvons passer directement à la phase deux, poursuivit le sénateur, feignant de ne pas avoir entendu. Nous avons face à nous une technologie incroyablement avancée, et ils nous la servent sur un plateau d’argent. Tout ce que nous avons à faire, c’est de nous en emparer avant que quelqu’un d’autre y arrive avant nous.

— Si je puis me permettre, Monsieur le sénateur -le général hasarda une timide objection- nous avons eu l’occasion de nous rendre compte que nos deux sympathiques extraterrestres n’ont pas l’air d’être tellement disposés à collaborer.

— Disons tout net qu’ils nous ont roués de coups, ajouta le gros, faisant mine de se masser le genou.

— Je peux imaginer le type d’approche que vous avez utilisé, répliqua le sénateur en ébauchant un mince sourire. Vous êtes-vous demandés pour quelle raison ils ont noué des rapports si affectueux avec le Professeur et le colonel Hudson ?

— À vrai dire, cela nous a semblé vraiment étrange, répondit le général. Ils se sont comportés avec eux comme s’ils les connaissaient depuis toujours.

— Je crois au contraire qu’ils se sont tout simplement montrés plus cordiaux et amicaux que vous.

— Eh bien, c’est vrai, on ne peut pas dire qu’on y soit allée de main morte.

— Ce qui est passé est passé, prononça sentencieusement le sénateur. Maintenant, concentrez-vous sur votre prochaine mission. Vous deux, retrouvez la trace du colonel et de sa petite amie. Je veux que vous ne les perdiez pas de vue un seul instant. Vous avez des moyens et des fonds à votre disposition. Cette fois-ci, je ne tolérerai aucune erreur.

— Qui c’est qui lui dit qu’ils sont en train de faire une petite balade autour de la Terre ? murmura le gros à l’oreille du maigre, un instant avant de laisser échapper un gémissement sourd causé par le coup de pied sur son tibia gauche, décoché par son acolyte.

 

— Vous, Général, vous viendrez me chercher à l’aéroport.

— Vous allez venir ici ? s’exclama le militaire, ébahi.

— Je ne raterais ça pour rien au monde. Si c’est leur base d’atterrissage, ils devront y revenir, mais cette fois-ci, on leur préparera un petit comité d’accueil digne de ce nom. Je vous donnerai des instructions en route. Bon travail à tous.

Et il mit fin à la communication.

Après la fin de l’échange, le sénateur continua quelques instants à observer sur l’écran une série d’images spectaculaires du désert de l’Arizona qui se succédaient lentement. Puis, comme si quelque chose l’avait brusquement réveillé, il se leva d’un bond, appuya sur le bouton du communicateur qu’il avait sur son bureau et dit sèchement dans le micro incorporé :

— Faites préparer mon avion et appelez mon chauffeur. Je veux avoir décollé dans une heure au plus tard.

Vaisseau Théos — Le cadeau

— Nous devons rentrer, dit le colonel Hudson aux deux extraterrestres, je dois passer un coup de téléphone et je ne pense pas que ce soit faisable d’ici.

— Je n’en suis pas si sûr, répondit Atzakis dans un sourire. Quand ce bon Pétri s’y met sérieusement, il peut faire des choses que tu n’imagines même pas.

Et il tapa bien fort sur l’épaule de son compagnon.

— Du calme, du calme, intervint Pétri en agitant les mains devant lui. D’abord, définir le concept du “ coup de téléphone ”.

Jack, un peu étonné par cette question en apparence banale, se tourna vers Élisa qui haussa les épaules. Puis, indiquant une poche du colonel, elle lui dit avec candeur :

— Montre-lui ton portable, non ?

D’un geste rapide, Jack sortit son smartphone à écran tactile, déjà ancien. Il n’avait jamais aimé la tendance absurde à vouloir toujours le dernier cri. Il préférait avoir entre les mains un instrument qu’il connaissait bien, sans devoir perdre à chaque fois du temps à se familiariser avec toutes les nouvelles fonctions.

— Je ne suis pas technicien, dit-il en le montrant à l’extraterrestre, mais avec cette chose, nous pouvons parler à une autre personne, qui en possède un également, en composant simplement son numéro sur ce clavier.

Pétri prit le téléphone et l’observa attentivement.

— Ce doit être un système de transmission à canal unique, comme nos communicateurs portables.

— À la seule différence, intervint Élisa, qu’à chaque fois qu’on s’en sert, ils nous pompent un tas de sous.

Pensant que sa connaissance limitée de la langue ne lui permettait pas d’en saisir toutes les subtilités, Pétri décida d’ignorer cette dernière affirmation et poursuivit l’analyse de l’objet qu’il avait entre les mains.

— Je vais avoir besoin d’un peu de temps pour comprendre comment il fonctionne.

— Prends ton temps -commenta Élisa, désolée- il n’y a aucune planète en train de nous tomber dessus.

Perplexe, Pétri la regarda, puis, comme il n’avait pas compris le sens de cette boutade non plus, il décida de ne rien ajouter. Il haussa simplement les épaules et se glissa dans la capsule de transport interne la plus proche, dans laquelle il disparut en quelques secondes.

— Alors, comment pensais-tu procéder, en admettant que l’on réussisse à se servir de ton portable ici ? demanda Élisa, qui essayait désespérément de récupérer de la faiblesse causée par le manque d’oxygène et par les mille émotions qu’elle avait vécues depuis quelques heures.

— J’ai d’abord pensé à contacter le sénateur Preston, le supérieur direct du général Campbell. Mais, vu que ce personnage ne m’a jamais convaincu, j’ai décidé de suivre une autre voie pour parvenir jusqu’au président.

— Tu penses que ce sénateur pourrait être impliqué lui aussi ?

— Ces deux démons ne m’ont pas tout dit. Des bruits ont couru, disant que Preston a des relations avec des fabricants d’armes notoirement peu recommandables. Je n’ai aucune confiance en lui.

— Et donc ?

— Et donc je vais m’adresser directement à l’amiral Benjamin Wilson. Il a été le bras droit du président pendant plusieurs années, et c’était aussi un très grand ami de mon père.

— C’était ?

— Mon père nous a quittés il y a deux ans, hélas.

— Je suis désolée… murmura Élisa en lui caressant doucement le bras gauche.

— Wilson m’a tenu sur ses genoux quand j’étais petit. C’est une des rares personnes en qui j’ai une confiance aveugle.

— Je ne sais que te dire. Même si tu as d’excellents rapports avec lui, je crains que ce ne soit difficile de lui faire avaler une nouvelle de ce genre au téléphone.

— Je pourrais toujours lui envoyer des photos de sa ville vues d’ici.

— Avec nos senseurs à courte portée, nous pourrions même lui donner en temps réel le nombre de ses pulsations à la minute, ajouta Atzakis, qui était jusqu’alors resté à l’écart.

— Ne plaisante pas, s’il te plaît, s’écria Élisa, renforçant sa demande d’un geste de la main.

— Tu ne me crois pas ? Regarde, alors.

Par son O^COM, Atzakis fit apparaître sur l’écran géant la vue du camp de base du Professeur. En quelques secondes, il agrandit l’image jusqu’à cadrer sa tente laboratoire.

— Ce que vous voyez…

— C’est ma tente ! s’exclama Élisa avant qu’il n’ait pu finir sa phrase.

— Exact. Et maintenant, regardez.

Soudainement, ce fut comme si la toile de la tente avait disparu : on voyait parfaitement tous les objets qui étaient à l’intérieur.

— Mon bureau, mes livres… incroyable.

— S’il y avait quelqu’un à l’intérieur, je pourrais même vous faire voir la chaleur générée par son flux sanguin, et je pourrais donc calculer le nombre de ses pulsations.

De toute évidence satisfait de la démonstration qu’il venait de faire, l’extraterrestre se mit à se promener dans la pièce, l’air fier.

Mais tout d’un coup, le colonel, qui ne s’était pas encore remis de sa surprise, fut foudroyé par une pensée et s’exclama rageusement :

— Comment ça, “ s’il y avait quelqu’un ” ? Il doit y avoir quelqu’un. Où diable ont donc fini les prisonniers ?

Élisa s’approcha de l’écran pour mieux voir.

— Ils les ont peut-être déplacés. On peut avoir une vue complète du reste du camp ?

— Aucun problème.

En quelques secondes, Atzakis mit en place un panoramique sur le camp. Les senseurs scrutèrent tous les recoins, mais sans trouver aucune trace des deux hommes.

— Ils doivent s’être échappés, affirma laconiquement le colonel. Ça veut dire qu’on les retrouvera bientôt dans nos pieds. Heureusement que le général a été emmené par mes hommes. Ensemble, ces trois-là seraient capables d’en faire plus que le diable en personne.

— Peu importe, dit Élisa. Nous avons pour l’instant des problèmes bien plus sérieux à résoudre.

Elle n’avait pas encore terminé sa phrase que la porte de la capsule interne de transport numéro trois s’ouvrit. Une avenante jeune femme en sortit d’un pas souple et ondulant. Elle tenait une espèce de plateau absolument transparent sur lequel étaient posés plusieurs contenants colorés.

— Messieurs-dames -annonça pompeusement Atzakis en arborant l’un de ses plus beaux sourire- je vous présente l’officier navigateur le plus ensorcelant de toute la galaxie.

Jack, dont la mâchoire était tombée sous l’effet de la surprise, ne put que balbutier un simple « bonjour » avant de recevoir un coup de coude bien ajusté entre sa dixième et sa onzième côtes droites.

— Bienvenue à bord, dit-elle dans un anglais assez hésitant. Vous devez avoir faim, j’imagine. Je vous ai amené quelque chose à manger.

— Merci, trop aimable, répondit Élisa piquée, fulminant son homme di regard.

La jeune femme n’ajouta rien. Elle posa son plateau sur un support à leur gauche, illumina à nouveau son visage d’un sourire splendide, et, quelques instants après, disparut dans la capsule dont elle était descendue.

— Mignonne, pas vrai ? commenta Atzakis en regardant le colonel.

— Mignonne ? Qui ? De quoi parles-tu ? s’empressa de répondre le colonel, que le coup reçu lançait encore.

Atzakis éclata d’un grand rire, puis, d’un geste de la main, les invita à se servir.

— Mais qu’est-ce que c’est que ça ? murmura Élisa, qui, dépourvue de toute élégance, reniflait les différents plats.

— Du foie de Nebir, précisa aussitôt l’extraterrestre, de la côte de Hanuk et des racines de Hermes bouillies, le tout accompagné d’une boisson, disons « énergétique ».

— C’était autre chose au Masgouf, commenta laconiquement la jeune femme. Mais j’ai une faim de loup, et je pense que je goûterai quand même quelque chose.

Elle prit un morceau de côte entre les doigts et commença à la ronger jusqu’à l’os, sans trop de difficultés.

— Tout ça ne nous donnera pas un mal de ventre inouï, pas vrai, Zak ? Prends-en toi aussi, mon amour. Le goût est un peu étrange, mais ce n’est pas mauvais du tout.

Le colonel, horrifié, regardait Élisa qui dévorait sans retenue tous les mets étranges qui étaient sur le plateau, et il se borna à marmonner :

— Non, non, merci. Je n’ai pas faim.

Son attention fut en revanche attirée par l’étrangeté du plateau et des contenants qui servaient de plats. Il en attrapa un, rouge vif, et en palpa la matière. C’était étrange, nettement froid. Plus froid que ce qu’il n’aurait dû être, et malgré tout, le plat qu’il contenait était brûlant. Il en effleura la surface du bout de l’index. Elle était incroyablement lisse. Ça ne semblait être ni du métal, ni du plastique. Comment aurait-ce pu être du plastique, d’ailleurs ? Ils l’utilisaient dans de tout autres buts. L’autre chose très bizarre était que, malgré la perfection de la surface extérieure, il ne renvoyait absolument aucun reflet. La lumière était comme engloutie par ce matériau mystérieux. Il approcha son oreille de la surface lisse, et la frappa délicatement de son majeur replié. De façon incroyable, le contenant n’émit aucun son. C’était comme s’il frappait du doigt sur un gros morceau de ouate.

— Mais en quoi sont faits ces objets ? demanda-t-il, passablement intrigué. Et le plateau ? On dirait qu’il est fait dans le même matériau.

Assez surpris par la question, Atzakis s’approcha lui aussi du plateau. Il prit un autre récipient, vert pâle, cette fois-ci, et le porta à hauteur de ses yeux.

— En fait, ce n’est pas un véritable “ matériau ”.

— Comment ça ? Que veux-tu dire ?

— Qu’est-ce que vous utilisez, vous, pour contenir des objets, de la nourriture, des liquides, ou des produits en général ?

— Eh bien, d’habitude, pour transporter les matériaux nous nous servons de caisses de carton ou de bois. Pour servir la nourriture, nous utilisons des casseroles de métal, des assiettes en céramique, et des verres en verre, et pour transporter ou conserver des aliments et des liquides en général, nous utilisons des contenants de plastique des formes les plus diverses.

— Du plastique ? Le même plastique que celui qui nous intéresse ? demanda Atzakis, abasourdi.

— Je crois bien que oui, répondit tout bas le colonel. En fait, le plastique est devenu l’un des plus gros problèmes de notre planète, en termes de pollution. Vous nous avez dit vous-mêmes en avoir trouvé d’énormes quantités partout.

Il fit une brève pause avant d’ajouter :

— C’est pour ça que votre proposition de le récupérer nous a autant intéressés. Nous tiendrions la solution d’un problème gigantesque.

— Donc, si je comprends bien, vous utilisez le plastique comme contenant et puis vous le jetez sans retenue en polluant chaque recoin de votre planète ?

— Oui, c’est bien ça, répondit Jack, de plus en plus gêné.

— Mais c’est de la folie, c’est insensé. Vous êtes en train de vous empoisonner de vos propres mains.

— Eh bien, si tu prends en compte le smog généré par nos moyens de locomotion, nos usines et les systèmes générateurs d’énergie, nous avons déjà réussi à faire bien pire. Sans parler des déchets radioactifs que nous ne savons pas encore comment recycler.

— Vous êtes des fous inconscients. Vous êtes en train de détruire la plus belle planète du système solaire. Et c’est aussi de notre faute, hélas.

 

— Comment ça, de votre faute ?

— Eh bien, c’est nous qui avons modifié votre ADN, il y a de cela une centaine de milliers d’années. Nous vous avons donné une intelligence supérieure à celle de tous les autres êtres vivants de la Terre. Et c’est comme ça que vous l’utilisez ?

— Nous l’avons utilisée pour amener la planète à sa ruine.

Jack parlait la tête basse, comme un élève que son professeur réprimande parce qu’il n’a pas fait ses devoirs.

— Mais vous êtes revenus, maintenant. J’espère sincèrement que vous pourrez nous aider à réparer les dégâts que nous avons faits.

— J’ai peur que ce ne soit pas si facile que ça, dit Atzakis, de plus en plus troublé. L’analyse que Pétri a faite sur l’état de vos océans nous a permis de constater que la quantité de poissons présents a été réduite de plus de quatre-vingt pour cent depuis la dernière fois que nous sommes venus. Comment cela a-t-il pu se produire ?

Jack aurait alors volontiers disparu sous le sol, s’il l’avait pu.

— Il n’y a aucune justification, parvint-il à dire d’un filet de voix. Nous ne sommes qu’un ramassis d’êtres décérébrés, plein de morgue, arrogants, vantards et inintéressants.

Élisa, qui avait écouté en silence tous les reproches d’Atzakis, avala le dernier morceau de foie de Nebir, s’essuya la bouche du revers de la main, puis dit tranquillement :

— Mais nous ne sommes pas tous comme ça, tu sais ?

L’extraterrestre la regarda avec surprise, mais elle continua avec assurance :

— Ce sont les soi-disant « puissants » qui nous ont mis dans cette situation. La majeure partie des personnes normales se bat tous les jours pour la défense de l’environnement et de toutes les formes de vie qui peuplent notre planète bien-aimée. C’est un peu facile d’arriver après des milliers d’années d’un endroit qui est à des millions de kilomètres et de nous faire la morale. Vous nous avez peut-être donné l’intelligence, mais vous ne nous avez pas donné le début du commencement des consignes d’utilisation !

Jack la regarda et comprit qu’il était éperdument amoureux de cette femme.

Atzakis était resté bouche bée. Il ne s’attendait pas à une réaction de ce genre. Face à lui, Élisa continua, lancée.

— Si vous voulez vraiment nous aider, il faudra mettre à notre disposition toutes vos connaissances technologiques, médicales et scientifiques, le tout le plus rapidement possible, vu que vous ne resterez pas très longtemps sur cette planète dévastée.

— D’accord, d’accord. Ne t’énerve pas, essaya de la contrer Atzakis. Il me semble que nous nous sommes mis à votre disposition sans hésitation pour vous donner un coup de main, non ?

— C’est vrai, tu as raison. Je te demande pardon. Dans le fond, vous auriez pu prendre votre plastique et rentrer là d’où vous veniez sans même nous dire bonjour ; mais vous êtes là, et vous allez risquer votre peau avec nous.

Élisa regrettait sincèrement son éclat. Pour dédramatiser un peu la situation, elle s’écria alors joyeusement :

— Mais le repas était vraiment bon.

Puis elle s’approcha de l’extraterrestre, et le regardant de bas en haut, elle lui dit doucement :

— Excuse-moi, je n’aurais pas dû.

— Ne t’inquiète pas, je comprends parfaitement. Et pour te prouver que je ne t’en tiens pas rigueur, je t’offre ceci.

Élisa tendit sa main ouverte, et Atzakis y déposa une minuscule chose foncée.

— Merci, mais qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle, intriguée.

— La solution à vos problèmes avec le plastique.