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Le grillon du foyer

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– Comment! je vous trouve en train de chanter, dit M. Tackleton en arrivant et montrant sa tête entre la porte. Cela va bien, chantez; je ne chante pas, moi!

Personne, certes, ne l'aurait soupçonné de chanter, et il n'avait pas une figure qui en eût le moins du monde l'air.

– Je ne pourrais chanter, non, continua M. Tackleton. Je suis charmé que vous le puissiez, vous; j'espère que vous pouvez travailler également. Vous avez du temps de reste pour travailler et pour chanter, il paraît.

– Si vous pouviez seulement le voir, Berthe, murmura Caleb à l'oreille de sa fille, quel homme joyeux! vous croiriez qu'il vous parle sérieusement, si vous ne le connaissiez aussi bien que moi.

La jeune aveugle sourit en remuant la tête en signe d'assentiment.

– On dit qu'il faut s'appliquer à faire chanter l'oiseau qui ne chante pas, grommela M. Tackleton. Mais lorsque le hibou qui ne sait pas et qui ne doit pas chanter veut chanter, que doit-on faire?

– Si vous pouviez le voir en ce moment, dit Caleb à sa fille encore plus doucement, oh! qu'il est gracieux!

– Vous êtes donc toujours agréable et gai avec nous, s'écria

Berthe en souriant.

– Ah! vous voilà, vous? répondit Tackleton. Pauvre idiote!

Il s'était mis réellement dans la tête qu'elle était idiote, et se fondait peut-être dans cette opinion sur la gaieté et l'affection qu'on lui témoignait.

– Bien! vous êtes là; comment allez-vous? lui dit Tackleton de sa voix brusque.

– Oh! Bien, complètement bien. Je suis si heureuse quand vous venez me voir. Je vous souhaite autant de bonheur que vous voudriez que les autres en eussent, si c'est possible.

– Pauvre idiote, murmura Tackleton, pas un rayon, pas une lueur de raison!

La jeune aveugle prit sa main et la baisa, elle la garda un moment entre les siennes et y appuya tendrement une de ses joues avant de l'abandonner. Il y avait une telle affection et une si grande reconnaissance dans cet acte, que Tackleton lui-même fut ému de le voir, et lui dit plus doucement que d'habitude:

– Quelles affaires avons-nous maintenant?

– Je l'ai enfermé sous mon oreiller en allant me coucher hier au soir, dit Berthe, et je me le suis rappelé en rêvant. Et lorsque le jour est venu, et l'éclatant soleil rouge, le soleil rouge, père?

– Rouge le matin comme le soir, Berthe, répliqua le pauvre Caleb, en levant un triste regard vers celui qui le faisait travailler.

– Quand il est venu, quand j'ai senti dans la chambre cette chaleur et cette lumière, il m'a semblé que j'allais m'y heurter en marchant, alors j'ai tourné vers lui le petit arbuste en remerciant Dieu qui a fait des choses aussi précieuses, et en vous remerciant vous qui me les avez envoyées pour m'être agréable.

– Aussi folle qu'une échappée de Bedlam! dit Tackleton entre ses dents. Nous allons être forcés d'en venir aux menottes et aux camisoles de force. Ce ne sera pas long.

Caleb, les mains croisées et pendantes, regardait fixement celle qui venait de parler, et se demandait si réellement – il doutait de cela! – Tackleton avait fait quelque chose pour mériter ces remerciements. Il eût été très difficile à Caleb de décider en ce moment, fût-il menacé de mort, s'il devait tomber aux genoux du marchand de joujoux, ou le chasser de chez lui à grands coups de pied. Caleb savait bien cependant que c'était lui qui avait apporté à sa fille le petit rosier, et que c'était lui qui avait inventé l'innocente déception qui avait empêché Berthe de se douter de toutes les choses dont il se privait chaque jour afin de la rendre moins malheureuse.

– Berthe, dit Tackleton, affectant pour une fois un peu de cordialité! venez ici.

– Oh! je puis aller droit à vous, sans que vous ayez besoin de me guider, répondit-elle.

– Vous dirai-je un secret, Berthe?

– Si vous le voulez, répondit-elle avec empressement.

Comme il s'illumina ce visage obscurci! comme cette figure devint joyeuse et attentive!

– C'est bien aujourd'hui que cette petite… comment est son nom, cette enfant gâtée, la femme de Peerybingle, vous fait sa visite habituelle, c'est bien ce soir, n'est-ce pas? dit Tackleton avec une expression de répugnance pour la chose dont il parlait.

– Oui, répondit Berthe. C'est bien aujourd'hui.

– Je le savais dit Tackleton. Je désirerais me joindre à votre partie.

– Avez-vous entendu cela, père! s'écria la jeune aveugle avec transport.

– Oui, oui, je l'ai entendu, murmura Caleb avec le regard fixe d'un somnambule, mais je ne le crois pas. C'est un de mes mensonges, sans aucun doute.

– Voyez-vous, je voudrais réunir dans votre société les Peerybingle avec May Fielding, dit Tackleton. Je fais des démarches pour me marier avec May.

– Vous marier! s'écria la jeune aveugle en tressaillant devant lui.

– Elle est tellement idiote, murmura Tackleton, que je ne m'attendais pas à ce quelle me comprit. Oui, Berthe, me marier! l'église, le prêtre, le clerc, le bedeau, la voiture à glaces, les cloches, le repas, le gâteau de mariage, les rubans, les os à moëlle, les couteaux, et tout le reste de ces folies. Une noce, vous savez: une noce, ne savez-vous pas ce que c'est qu'une noce?

– Je le sais, répondit doucement la jeune aveugle, je comprends.

– Vraiment? murmura Tackleton. C'est plus que ce que j'attendais. Bien! c'est pour cette raison que je veux faire partie de votre réunion, et y amener May ainsi que sa mère. Je vous enverrai pour ce soir quelque petite chose, un gigot de mouton on quelque autre plat confortable. Vous m'attendrez?

– Oui, répondit-elle.

Elle avait laissé tomber sa tête et s'était retournée; et elle demeurait, les mains croisées, rêveuse.

– Je pense que vous m'avez bien compris dit Tackleton en s'adressant à elle; car vous semblez avoir oublié ce que je vous ai dit… Caleb!

– Je me hasarderai à dire que je suis ici, je suppose, pensa

Caleb… Monsieur!

– Ayez soin qu'elle n'oublie pas ce que je lui ai dit.

– Elle n'oublie jamais, répondit Caleb. C'est une des qualités qui sont parfaites chez elle.

– Chaque homme s'imagine que les oies qui lui appartiennent sont des cygnes, observa le marchand de joujoux en haussant les épaules! Pauvre diable!

S'étant délivré lui-même de cette remarque avec un mépris infini, le vieux Gruff et Tackleton sortit.

Berthe resta où il l'avait laissée, perdue dans ses réflexions. La gaîté s'était évanouie de son visage baissé, et elle était bien triste. Trois ou quatre fois elle secoua la tête, comme si elle regrettait quelque souvenir ou quelque perte; mais ses tristes réflexions ne se révélèrent par aucune parole.

Caleb avait été occupé pendant ce temps à joindre le timon des chevaux à un wagon par un procédé sommaire, en clouant le harnais dans les parties vives de leurs corps, lorsqu'elle se dressa tout à coup de sa chaise, et venant s'asseoir près de lui, elle lui dit:

– Mon père, je suis dans la solitude des ténèbres. J'ai besoin de mes yeux, mes yeux patients et pleins de bonne volonté.

– Voici vos yeux, dit Caleb, ils sont toujours prêts; ils sont plus à vous qu'à moi, Berthe, et à chaque heure des vingt-quatre heures. Que voulez-vous faire de vos yeux, ma chère?

– Regardez autour de la chambre, mon père.

– C'est fait, dit Caleb. Vous n'avez pas plutôt parlé que c'est fait, Berthe.

– Dites-moi ce que vous voyez ici autour.

– Tout est la même chose qu'à l'ordinaire, dit Caleb, grossier mais bien conditionné: de gaies couleurs sur les murs, de brillantes fleurs sur les plats et les assiettes, des bois polis, des poutres et des panneaux luisants, la maison respire partout l'enjouement et la gaîté, et est vraiment fort gentille.

Elle était agréable et gaie partout où les mains de Berthe avaient l'habitude et pouvaient atteindre. Mais il n'en était pas ainsi des autres endroits, ils n'étaient nullement gais ni agréables, il n'était pas possible de le dire, quoique ils eussent été si bien transformés par Caleb.

– Vous avez votre habit de travail, et vous n'êtes pas si élégant qu'avec le bel habit bleu, dit Berthe en touchant son père.

– Non, pas si élégant répondit Caleb; mais assez joli, cependant.

– Mon père, dit la jeune aveugle en se rapprochant tout à fait de lui et passant un de ses bras autour de son cou, dites-moi quelque chose de May; elle était bien jolie, n'est-ce pas!

– Elle était, certes, dit Caleb, vraiment jolie. Et c'était une chose tout à fait rare pour lui cette fois de ne pas avoir besoin de recourir à ses inventions habituelles.

– Ses cheveux sont noirs, dit Berthe pensivement, plus noirs que les miens. Sa voix est douce et pleine d'harmonie, je m'imagine. J'ai souvent aimé à l'entendre. Sa taille…

– Il n'y a pas une seule poupée dans la salle qui puisse l'égaler, dit Caleb, et ses yeux…

Il s'arrêta, car Berthe avait resserré encore plus ses bras autour de son cou, et il ne comprit que trop bien ce pressant avertissement.

Il toussa un moment, il hésita un moment, et se mit à entonner sa chanson à boire, sa ressource infaillible dans les moments difficiles.

– Notre ami? mon père? notre bienfaiteur. Et je ne suis jamais fatiguée de savoir ce qui le concerne. En ai-je jamais été fatiguée? dit-elle rapidement.

– Non, certainement, répondit Caleb, et avec raison.

– Ah! avec tant de raison! s'écria la jeune aveugle d'un ton si ardent; que Caleb, quoique ses motifs fussent si purs, n'eut pas le courage de la regarder en face, mais baissa les yeux comme si elle avait pu s'apercevoir de son innocente tromperie.

– Alors, parlez-moi encore de lui, mon cher père, dit Berthe, parlez-m'en souvent. Sa figure est bienveillante, bonne et tendre. Elle est honnête et vraie. J'en suis sûre. Ce coeur généreux, qui dissimule tous ses bienfaits sous une apparence de répugnance et de rudesse, se trahit dans ses regards, sans doute?

 

– Et lui donne un air noble, ajouta Caleb dans son désespoir tranquille.

– Et lui donne l'air noble, s'écria la jeune aveugle. Il est plus âgé que May, père?

– Oui, dit Caleb en hésitant et comme malgré lui. Oui, il est un peu plus âgé que May, mais cela ne signifie rien.

– Ô mon père, oui. Être sa compagne patiente dans les infirmités de son âge; être sa garde-malade agréable dans ses maladies, et son amie constante dans ses souffrances et dans ses chagrins; ne pas connaître la fatigue quand on travaille pour l'amour de lui, le veiller, le soigner, s'asseoir auprès de son lit, et faire la conversation avec lui à son réveil, et prier pour lui pendant son sommeil, quels privilèges elle aura! quelles occasions de lui prouver sa fidélité et son dévouement! Fera-t-elle tout cela, mon cher père?

– Je n'en doute point, dit Caleb.

– J'aime May, mon père; je puis l'aimer du fond de mon âme! s'écria la jeune aveugle. Et en disant ces paroles, elle approcha du visage de Caleb sa pauvre figure privée de lumière, et pleura tellement que celui-ci fut presque fâché de lui avoir procuré ce bonheur plein de larmes.

Pendant ce temps, il y avait eu chez John Peerybingle une assez notable commotion, car naturellement la petite mistress Peerybingle ne voulait pas aller dehors sans avoir avec elle le baby; et mettre le baby en état de sortir prenait du temps. Non pas que ce fût beaucoup de chose que le baby comme poids, mais avant d'avoir tout préparé pour lui, cela n'en finissait point, et il n'était pas utile de se presser. Par exemple: lorsque le baby fut habillé et crocheté jusqu'à un certain point, et que vous auriez pu raisonnablement supposer qu'il manquait une touche ou deux pour achever sa toilette, et en faire un baby présentable à tout le monde, il fut inopinément coiffé d'un bonnet de flanelle et porté au berceau; alors il sommeilla entre deux couvertures pendant la plus grande partie d'une heure. De cet état d'inaction il fut ramené tout à fait resplendissant, et rugissant violemment pour avoir sa part – s'il est permis de m'exprimer ainsi qu'on le fait généralement – d'un léger repas. Après cela, il alla dormir de nouveau. Mistress Peerybingle mit à profit cet intervalle pour se faire aussi belle que chacun de vous peut penser qu'une jeune femme puisse le faire, et pendant cette courte trêve, miss Slowbody s'insinua elle-même dans un spencer d'une confection si surprenante et si ingénieuse qu'il ne semblait avoir été fait ni pour elle, ni pour aucune autre personne de l'univers, et qui pouvait poursuivre sa course solitaire sans attirer le moindre regard de personne. Pendant ce temps le baby bien éveillé était paré, par les efforts réunis de mistress Peerybingle et de miss Slowbody, d'un manteau couleur de lait pour son corps et d'une espèce de bonnet nankin; ce ne fut qu'alors que tous trois sortirent; le vieux cheval pendant une heure s'était occupé à creuser et dégrader la route de ses impatients autographes pour la valeur du droit à payer à la barrière, et par la même raison Boxer se montrait dans une lointaine perspective attendant immobile et jetant un regard en arrière sur le cheval comme s'il voulait le tenter de prendre la même route que lui et de partir sans ordre.

Quant à une chaise ou à tout autre espèce d'aide pour placer mistress Peerybingle dans la voiture, vous connaissez vraiment peu John, je m'en flatte, si vous croyez que cela lui fut nécessaire. Avant que vous ayez eu le temps de le regarder, il l'enleva de terre et elle se trouva à sa place, fraîche et rose, qui lui disait: John! comment pouvez-vous! pensez à Tilly!

Si je pouvais me permettre de mentionner les jambes d'une jeune personne, pour un motif quelconque, je vous ferais observer que celles de miss Slowbody semblaient destinées à la singulière fatalité d'être constamment heurtées, et il leur était impossible d'effectuer la moindre montée ou descente sans s'en rappeler la circonstance par une entaille, de même que Robinson Crusoé marquait les jours sur son calendrier de bois. Mais de peur d'être considéré comme impoli je garde le reste de mes pensées pour moi.

– John, avez-vous pris le panier où se trouvent le veau et le pâté et les autres choses; et les bouteilles de bière? dit Dot. Si vous les avez oubliés, il faut les aller chercher à la minute.

– Vous êtes une délicate petite femme, répondit le voiturier, de me dire de retourner après m'avoir fait perdre un quart-d'heure de mon temps.

– Je suis fâchée de cela, John, dit Dot avec embarras, mais je ne saurais penser à rendre visite à Berthe, je n'irai jamais, John, pour aucune raison, sans le pâté au veau et au jambon, et les autres choses et les bouteilles de bière.

– Way!

Ce monosyllabe s'adressait au cheval, qui n'y faisait aucune attention.

– Oh! arrêtez Way, John! dit mistress Peerybingle, s'il vous plait!

– Il sera bien temps de l'arrêter, répliqua John, lorsque j'aurai oublié quelque chose. Le panier est là, et suffisamment en sûreté.

– Quel monstre vous êtes, John, de ne me l'avoir pas dit, et en me sachant si inquiète! Je déclare que je n'irais jamais chez Berthe sans le pâté au veau et au jambon, les autres choses et les bouteilles de bière, pour rien au monde. Régulièrement tous les quinze jours depuis que nous sommes mariés, John, nous y avons fait notre petit pique-nique. Si une seule chose devait aller mal dans cette partie, je crois que nous ne serions plus jamais heureux.

– C'est une pensée de la première importance, dit le voiturier, et je vous honore pour cela, petite femme.

– Mon cher John, répliqua Dot en devenant vraiment rouge, ne parlez pas de m'honorer. Grand Dieu!

– À propos, observa le voiturier, ce vieux monsieur…

Elle fut visiblement et instantanément embarrassée.

– C'est un singulier original, dit le voiturier en regardant droit devant lui tout le long de la route. Je ne sais que penser de lui. Je ne remarque pourtant rien de dangereux en lui.

– Rien du tout. Je suis sûre, tout à fait sûre qu'il n'a rien de dangereux.

– Oui? dit le voiturier, les yeux attachés sur son visage et à cause du ton dont elle avait prononcé ces paroles. Je suis satisfait que vous en soyez certaine, parce que cela confirme ma certitude. Il est curieux qu'il se soit mis dans la tête de venir loger chez nous, n'est-ce pas? Il y a des choses parfois si étranges.

– Si étranges! répondit Dot d'une voix basse et à peine perceptible.

– Cependant ce vieux gentleman paraît être une bonne nature, dit John, et il paye comme un gentleman, et je pense qu'on peut se fier à sa parole comme à celle d'un gentleman. J'ai eu ce matin une longue conversation avec lui, il m'a dit qu'il m'entendait mieux, parce qu'il commençait à s'habituer à ma voix. Il m'a parlé de beaucoup de choses qui le concernaient, et je lui ai beaucoup parlé aussi de moi, et il m'a fait quelques rares questions. Je l'ai informé que j'avais deux chemins à servir, comme vous savez; que je passais un jour par celui de droite, et le jour suivant par celui de gauche – et, étant étranger, il a voulu connaître le nom des localités où je passe – et il s'est intéressé à cette nomenclature. – Alors, a-t-il dit, ce soir je retournerai par le même chemin que vous, lorsque je croyais que vous feriez votre retour par une direction exactement opposée. C'est important. Je vous embarrasserai de moi peut-être encore une fois, mais je m'engage à ne plus dormir si profondément. C'est qu'il était profondément endormi, sûrement. – Dot, à quoi pensez-vous?

– Je pensais, John, à… Je vous écoutais.

– Oh! c'est très bien, dit l'honnête voiturier. J'étais effrayé de l'air de votre figure, et j'avais peur qu'ayant parlé si longuement vous ne vous soyez laissée aller à penser à autre chose; j'étais bien près de le penser.

Dot ne répondit pas, et ils roulèrent pendant quelque temps en silence. Mais il n'était pas facile de rester silencieux longtemps dans la voiture de John Peerybingle, car il n'y avait personne qui n'eût quelque petite chose à dire, et quand même ce n'aurait été que le «comment allez-vous» d'usage; et le plus souvent, assurément ce n'était guère davantage, il fallait pourtant y répondre avec une spirituelle cordialité non pas simplement par un signe de tête ou par un sourire, mais par une action complète des poumons tout comme dans une discussion parlementaire à la chambre. Parfois, des passants à pied ou à cheval voyageaient un petit morceau de chemin auprès de la voiture pour babiller un moment, et alors des deux côtés beaucoup de paroles étaient échangées.

Puis Boxer, quand il s'agissait de reconnaître un ami du voiturier ou de le lui faire reconnaître, valait autant qu'une demi-douzaine de chrétiens. Tout le long de la route, chaque être le connaissait, spécialement les poules et les cochons qui, dès qu'ils le voyaient approcher, le corps tout de côté, les oreilles dressées avec curiosité, et son morceau de queue se balançant d'un côté et d'autre, se réfugiaient immédiatement dans leurs quartiers sans se soucier de l'honneur d'avoir avec lui plus grande accointance. Il avait partout une occupation: il donnait un coup d'oeil dans tous les petits chemins, regardait dans tous les puits, se montrait dans toutes les fermes, se précipitait au milieu de toutes les écoles d'enfants, mettait en déroute tous les pigeons, faisait grossir la queue de tous les chats, et faisait son entrée dans tous les cabarets comme une pratique habituelle.

Dès qu'il arrivait, le premier qui le voyait s'écriait: holà! voici Boxer! et alors quelqu'un sortait aussitôt accompagné de deux ou trois personnes, pour donner le bonjour à John Peerybingle et à sa jolie femme.

Les ballots et les petits paquets étaient nombreux pour le voiturier, et constituaient pour lui de nombreuses haltes pour l'expédition comme pour la livraison; ce qui n'était pas du reste la plus mauvaise partie de la journée. Une partie des gens attendaient si impatiemment leurs paquets, et d'autres étaient au contraire si surpris de les recevoir! et d'autres aussi étaient si inépuisables dans leurs instructions et leurs recommandations, et John prenait un si grand intérêt à tous les paquets, que c'était comme une vraie scène de théâtre. Il y avait également des articles à charrier qui réclamaient une discussion considérable, et pour lesquels le voiturier était obligé d'entrer dans une foule de détails avec ceux qui les expédiaient; Boxer assistait habituellement à ces discussions tantôt paraissant plongé dans une attention et une immobilité profondes, tantôt décrivant avec transport de nombreux cercles en courant autour des discoureurs et aboyant lui-même à s'enrouer. Dot s'amusait de tout cela et en était spectatrice sans quitter sa chaise dans la voiture; charmant petit portrait encadré par le châssis et la toile, et qui ne manquait pas d'attirer des regards d'envie et des paroles prononcées tout bas de la part des jeunes gens qui passaient, je vous le promets. Et John le voiturier se réjouissait beaucoup, car il était satisfait de voir sa petite femme admirée par tout le monde, sachant qu'elle n'y faisait guère attention, quoique cependant elle n'en fût peut-être pas fâchée.

Le voyage se faisait par un temps de brume et de froidure, car on était au mois de janvier, cela était sûr. Mais qui pensait à ces bagatelles? Ce n'était pas Dot, décidément. Ce n'était pas Tilly Slowbody qui estimait qu'être assis dans une voiture était le point le plus élevé de la joie humaine. Ce n'était pas le baby, je le jure, car il n'exista jamais une nature de baby comme la sienne pour avoir chaud et dormir profondément, et pour se trouver heureux dans un endroit ou dans un autre, comme ce jeune Peerybingle.

Vous ne pouviez voir à une grande distance à travers le brouillard; mais vous pouviez voir beaucoup, oh! oui, beaucoup. Je suis étonné de la quantité de choses que vous auriez pu voir à travers un brouillard même beaucoup plus épais que celui de ce jour-là. C'était assurément une charmante occupation que de considérer dans les prairies ce qu'on appelle les traces de la ronde des fées, les places de la gelée blanche marquées dans l'ombre silencieuse produite par les arbres et les haies; je ne fais pas mention des formes inattendues que prenaient les arbres eux-mêmes et de leur ombre qui se confondait avec le brouillard. Les haies étaient privées de feuilles et embrouillées, et abandonnaient au vent leurs guirlandes desséchées; mais il n'y avait rien de décourageant dans ce coup-d'oeil. C'était une agréable contemplation, car elle vous rappelait que vous aviez en votre possession un chaud foyer, et vous faisait espérer le vert printemps. La rivière avait un air frileux; mais elle était pourtant encore en mouvement et courait d'un meilleur train; ce qui était un grand point. Le canal était tardif et semblait être en torpeur; il fallait en convenir; mais à quoi bon y penser? il se trouverait bien plus tôt pris quand la gelée viendrait pour tout de bon; et alors quel agrément pour patiner et pour glisser! et les lourdes et vieilles barques, glacées en certains endroits s'abritaient près du quai, où elles laissaient échapper tout le jour la fumée de leurs cheminées de fer rouillé, et attendaient là paresseusement le temps pour la navigation.

 

En un endroit un gros monticule d'herbes sauvages et de chaumes brûlait; le feu apparaissait en plein jour blanc et éblouissant à travers le brouillard, et jetait de temps à autre un trait rouge au milieu de celui-ci; en conséquence de cela, la fumée s'insinuant dans le nez de miss Slowbody, suffoquée, celle-ci, ainsi que c'était son habitude à la moindre provocation, réveilla le baby, qui ne voulut plus se rendormir. Mais Boxer qui était en avance de près d'un quart de mille, avait rapidement passé les limites de la ville et était parvenu au coin de rue où vivaient Caleb et sa fille aveugle; et longtemps avant que les Peerybingle eussent atteint leur porte, Caleb et se fille se tenaient sur le pavé de leur porte prêts à les recevoir.

Boxer, dirons-nous en passant, faisait certaines distinctions délicates, et qui lui étaient propres, dans les communications qu'il avait avec Berthe, ce qui me persuade qu'il savait qu'elle était aveugle. Il ne cherchait jamais à attirer son attention en la regardant, mais invariablement en la touchant. Je ne puis dire s'il avait acquis cette expérience en fréquentant quelque personne ou quelque chien aveugle. Il n'avait jamais vécu avec un maître aveugle; ni M. Boxer le père, ni Mrs. Boxer la mère, ni aucun des membres de cette respectable famille, ni d'aucune autre, n'avaient été connus comme aveugles, à ma connaissance. Il avait peut-être trouvé cela par lui-même, tout seul, mais il l'avait trouvé. Il saisit le bas de la robe de Berthe avec ses dents et le garda jusqu'à ce que Mrs. Peerybingle et le baby, ainsi que miss Slowbody et le fermier se trouvassent tous sains et saufs dans la maison.

May Fielding était déjà arrivée, ainsi que sa mère – petite vieille querelleuse, avec une figure chagrine, qui, sous le prétexte qu'elle avait conservé une taille semblable au pied d'un lit, était supposée avoir une taille transcendante, et qui, en conséquence de ce qu'une fois elle aurait pu avoir une position meilleure, ou raisonnant dans la supposition qu'elle aurait pu l'avoir si quelque chose était arrivé, laquelle chose n'était jamais arrivée, et paraissait vraisemblablement n'avoir jamais dû arriver, – ce qui était tout à fait la même chose – prenait un air noble et protecteur, Gruff et Tackleton était aussi là, faisant l'agréable, avec le sentiment évident d'un homme qui se sentirait aussi indubitablement dans son propre élément que pourrait l'être un jeune saumon sur la cime de la grande Pyramide.

– May! ma chère ancienne amie! s'écria Dot, en courant à sa rencontre, quel bonheur de vous voir!

Son ancienne amie était certainement aussi cordialement charmée qu'elle; et ce fut, vous pouvez m'en croire un spectacle charmant de les voir s'embrasser. Tackleton était un homme de goût; cela ne faisait aucun doute. May était très jolie.

Vous savez que quelquefois lorsqu'une jolie figure à laquelle vous êtes accoutumée se trouve momentanément en contact et comparaison avec une autre jolie figure, elle vous parait pour un moment être laide et fanée, et fort peu mériter la haute opinion que vous aviez d'elle. Maintenant ce n'était pas du tout le cas, ni avec Dot, ni avec May; car la figure de May faisait ressortir celle de Dot, et la figure de Dot celle de May, d'une manière si naturelle et si agréable que John Peerybingle fut sur le point de dire, lorsqu'il arriva dans la salle qu'elles auraient dû naître soeurs: ce qui était bien la seule amélioration qu'il fût possible de leur appliquer.

Tackleton avait apporté son gigot de mouton, et, chose étonnante à raconter, une tarte encore… mais nous ne regrettons pas une petite profusion lorsque cela concerne nos fiancés; nous ne nous marions pas tous les jours. Il fallait ajouter à ces friandises le pâté au veau et au jambon, et les autres «choses» comme mistress Peerybingle les appelait, et qui consistaient principalement en noix et oranges et petites tartes. Lorsque le repas fut servi sur la table, flanqué de la contribution de Caleb, qui consistait en un grand plat de bois de pommes de terre fumantes – il lui était défendu par un contrat solennel de fournir aucune autre viande, – Tackleton conduisit sa future belle-mère à la place d'honneur. Dans le but d'honorer le mieux possible cette place, la majestueuse vieille avait orné sa tête d'un bonnet, calculé suivant elle pour inspirer des sentiments de respect aux plus étourdis. Elle avait mis des gants, car il faut être à la mode ou mourir.

Caleb s'assit auprès de sa fille; Dot et son ancienne camarade d'école s'assirent côte à côte; le bon voiturier s'assit au bout de la table. Miss Slowbody avait été isolée, pour tout le temps de sa présence, d'aucun autre article ou meuble que la chaise où elle était assise, afin qu'il ne se trouvât rien auprès de sa personne où elle pût heurter la tête du baby.

Tilly, cependant regardait les poupées et les bonshommes qui à leur tour la regardaient, elle ainsi que la compagnie. Les vieux et vénérables bonshommes qui se montraient à la porte de devant – tous en activité, – prenaient un intérêt spécial à la partie: par moments ils s'arrêtaient avant de faire leur saut, comme s'ils avaient prêté l'oreille à la conversation; puis recommençaient plusieurs fois de suite à plonger d'une manière extravagante sans s'arrêter même un petit moment pour respirer, comme s'ils se livraient tout entiers à l'exaltation d'une folie joyeuse.

Certainement, si ces vieux bonshommes désiraient se donner le plaisir d'une joie méchante en contemplant la déconvenue de Tackleton, ils avaient amplement raison de se satisfaire. Tackleton ne pouvait arriver à se mettre en belle humeur; et plus sa fiancée devenait enjouée dans la société de Dot, moins cela lui plaisait, quoique il les eût réunies ensemble par un même dessein. C'était un véritable chien dans la mangeoire que ce Tackleton; et lorsqu'il voyait rire tout le monde et qu'il ne pouvait pas, il pensait en lui-même immédiatement que c'était de lui qu'on riait!

– Ah May, dit Dot, ma chère, quels changements! Comme en parlant de ces heureux jours d'école cela vous fait rajeunir.

– Cependant, vous n'êtes pas encore vieille, à proprement parler, dit Tackleton.

– Regardez mon sobre et laborieux mari, répliqua Dot. Il ajoute vingt années à mon âge pour le moins. N'est-ce pas John?

– Quarante, répondit John?

– Combien en ajouterez-vous à l'âge de May? Je suis sûre de ne pas le savoir, dit Dot en riant. Mais elle pourrait bien risquer d'ajouter cent ans à son âge, au prochain anniversaire de sa naissance.

– Ah! Ah! s'écria en riant Tackleton. Mais cela ressemblait à un tambour creux, et il riait jaune. Et il regarda Dot comme s'il allait l'étrangler, vraiment.

– Ma bonne chérie! dit Dot. Vous souvenez-vous de quelle manière nous parlions, à l'école, des maris que nous avions l'intention de choisir. Je ne me rappelle plus combien le mien devait être jeune, beau, distingué, gai, agréable! et le vôtre, May!

– Ah! ma chère, je ne sais si je dois rire ou pleurer quand je pense quelles folles filles nous étions alors.

May parut savoir ce qu'elle devait faire; car sa figure devint tout d'un coup colorée, et des larmes parurent dans ses yeux.

– Et aussi les personnes elles-mêmes, les jeunes gens sur lesquels nous fixions quelquefois notre attention, dit Dot. Nous ne pensions pas le moins du monde au cours que prendraient les événements. Je n'avais jamais pensé à John, j'en suis bien sûre; et si je vous avais dit que vous seriez un jour mariée à M. Tackleton, comme vous m'auriez souffletée. N'est-ce pas vrai, May?