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Aventures de Monsieur Pickwick, Vol. I

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A la fin d'un de ces paroxysmes, pendant lequel j'avais eu beaucoup de peine à le retenir dans son lit, il se laissa retomber épuisé, et céda bientôt à une sorte d'assoupissement. Accablé de veilles et de fatigues, j'avais fermé les yeux depuis quelques minutes, lorsque je sentis une main me saisir violemment par l'épaule: je me réveillai aussitôt. Il s'était soulevé et s'était assis dans son lit. Son visage était changé d'une manière effrayante; cependant le délire avait cessé, car il était évident qu'il me reconnaissait. L'enfant qui avait été si longtemps troublé par les cris de son père, accourut vers lui en criant avec terreur, mais sa mère le saisit promptement dans ses bras, craignant que John ne le blessât dans la violence de ses transports, puis, en remarquant l'altération de ses traits, elle resta effrayée et immobile au pied du lit. Lui, cependant, serrait convulsivement mon épaule, et frappant de son autre main sa poitrine, il faisait d'horribles efforts pour articuler: c'était en vain. Il étendit les bras vers sa femme et vers son enfant; ses lèvres blanches s'agitèrent, mais elles ne purent produire d'autre son qu'un râlement sourd, un gémissement étouffé: ses yeux brillèrent un instant; et il retomba en arrière, mort!

Nous éprouverions la satisfaction la plus vive si nous pouvions transmettre au lecteur l'opinion de M. Pickwick sur l'anecdote que nous venons de rapporter, et nous sommes presque certain que cela nous aurait été possible, sans une circonstance malheureuse.

M. Pickwick venait de replacer sur la table le verre qu'il avait tenu dans sa main pendant les dernières phrases de ce récit; il s'était décidé à parler, et même, si nous en croyons le mémorandum de M. Snodgrass, il avait ouvert la bouche; quand le garçon entra dans la chambre, et dit: «Monsieur, il y a là plusieurs gentleman.»

Lorsque M. Pickwick fut ainsi interrompu, il était sans doute sur le point de proférer quelque sentence qui aurait illuminé le monde, sinon la Tamise8, car il examina le garçon d'un air sévère, puis il regarda successivement toute la compagnie, comme pour demander quels pouvaient être ces interrupteurs.

«Oh! fit M. Winkle, en se levant, ce sont quelques-uns de mes amis. Faites-les entrer; et quand le garçon se fut retiré, il ajouta: des gens fort agréables, des officiers du 97e, dont j'ai fait tantôt la connaissance d'une manière assez étrange; ils vous plairont beaucoup.»

La sérénité de M. Pickwick fut sur-le-champ restaurée; le garçon revint, introduisant dans la chambre trois gentlemen, et M. Winkle prit la parole: «Lieutenant Tappleton, dit-il; M. Pickwick. Docteur Payne, M. Pickwick… vous connaissez déjà M. Snodgrass… mon ami, M. Tupman. Docteur Slammer, M. Pickwick… M. Tup…»

Ici M. Winkle s'arrêta soudainement en remarquant l'émotion profonde qui se manifestait sur la contenance de M. Tupman et du docteur.

«J'ai déjà rencontré ce gentleman dit le docteur avec énergie.

– Ha! ha! fit M. Winkle.

– Et cet individu aussi, si je ne me trompe, reprit le docteur Slammer, en attachant un regard scrutateur sur l'étranger à l'habit vert. Je pense que j'ai fait à cet individu, la nuit dernière, une invitation très-pressante, qu'il a jugé à propos de refuser.» En disant ces mots le docteur lança sur l'étranger un regard plein d'indignation, et commença à parler à voix basse et avec chaleur à son ami le lieutenant Tappleton.

Quand il eut fini, celui-ci s'écria: «Bah! vraiment?»

– Oui, répondit le docteur Slammer.

– Il faut l'assommer sur la place! dit avec le plus grand sérieux le propriétaire du pliant.

– Je vous en prie, Payne, tenez-vous tranquille,» interrompit le lieutenant. Puis s'adressant à M. Pickwick, qui était singulièrement intrigué de ces a parte impolis, il continua en ces termes: «Voulez-vous me permettre, monsieur, de vous demander si cette personne appartient à votre société?

– Non, monsieur, répondit M. Pickwick. C'est seulement un de nos hôtes.

– C'est, je pense, un membre de votre club?

– Non, certainement.

– Et il ne porte jamais l'uniforme du club?

– Non, jamais,» répliqua M. Pickwick avec étonnement.

Le lieutenant Tappleton se retourna vers son ami, le docteur Slammer, avec un léger mouvement d'épaules, qui semblait impliquer quelque doute de l'exactitude de ses souvenirs.

Le docteur paraissait enragé, mais confondu, et M. Payne considérait avec une expression féroce la contenance bienveillante de M. Pickwick.

«Monsieur, vous étiez au bal la nuit dernière,» dit tout d'un coup le docteur à M. Tupman, d'un ton qui le fit tressaillir aussi visiblement que si une épingle avait été insérée méchamment dans son mollet. Il répondit un faible «Oui;» mais sans cesser de regarder M. Pickwick.

«Cette personne était avec vous,» continua le docteur en montrant l'immuable étranger.

M. Tupman admit le fait.

«Maintenant, monsieur, dit le docteur à l'étranger, je vous demande encore une fois, en présence de ces gentlemen, si vous voulez me donner votre carte et vous voir traité en gentleman, ou si vous voulez m'imposer la nécessité de vous châtier personnellement sur la place.

– Arrêtez, monsieur, interrompit M. Pickwick. Je ne puis réellement pas laisser aller plus loin cette affaire sans quelques explications. Tupman, racontez-en les circonstances.»

M. Tupman, ainsi adjuré solennellement, raconta le fait en peu de paroles, passa légèrement sur l'emprunt de l'habit, s'étendit longuement sur ce que cela avait été fait après dîner, exprima un peu de repentir pour son compte, et laissa l'étranger se tirer d'affaire comme il pourrait.

Celui-ci se disposait à parler, quand le lieutenant Tappleton, qui l'avait examiné avec une grande curiosité, lui dit d'un ton dédaigneux:

«Ne vous ai-je pas vu au théâtre, monsieur?

– Certainement, répliqua l'étranger sans se laisser intimider.

– C'est un comédien ambulant, reprit le lieutenant avec mépris; et en se tournant vers le docteur Slammer, il ajouta: Il joue dans la pièce que les officiels du 52e ont montée pour demain sur le théâtre de Rochester. Vous ne pouvez pas pousser cela plus loin, Slammer, impossible.

– Tout à fait impossible! répéta le hautain docteur Payne.

– Je suis fâché de vous avoir placé dans cette désagréable situation, dit le lieutenant Tappleton à M. Pickwick. Mais permettez-moi d'ajouter que le meilleur moyen d'éviter de semblables scènes, à l'avenir, serait d'apporter plus de soin dans le choix de vos compagnons. Votre serviteur, monsieur. Et en disant ces mots le lieutenant s'élança hors de la chambre.

– Et permettez-moi de dire, monsieur, ajouta l'irascible docteur Payne, que si j'avais été à la place de Tappleton, ou à celle de Slammer, je vous aurais tiré le nez, monsieur, et à tous les individus présents. Oui, monsieur, à tous les individus présents. Payne est mon nom, monsieur, le docteur Payne, du 43e. Bonsoir, monsieur.» Ayant terminé ce discours, dont les derniers mots furent prononcés d'une voix élevée, il marcha majestueusement sur les traces de son ami, et fut suivi immédiatement par le docteur Slammer, qui ne dit rien, mais qui soulagea sa bile en écrasant la compagnie d'un regard méprisant.

Pendant ces longues provocations, un abasourdissement extrême, une rage toujours croissante, avaient enflé le noble sein de M. Pickwick jusqu'au point de faire crever son gilet. Il était resté pétrifié, regardant encore la place que le docteur Payne avait occupée, quand le bruit de la porte qui se fermait le rappela à lui-même. Il se précipita, la fureur peinte sur le visage et lançant des flammes de ses yeux. Sa main était sur la serrure. Un instant plus tard elle aurait été à la gorge du docteur Payne, du 43e si M. Snodgrass ne s'était empressé de saisir son vénérable mentor par le pan de son habit et de le tirer en arrière.

«Winkle, Tupman, s'écria-t-il en même temps, avec l'accent du désespoir, retenez-le! Il ne doit pas risquer sa précieuse vie dans une cause comme celle-ci.

– Laissez-moi! dit M. Pickwick.

– Tenez ferme, cria M. Snodgrass, et par les efforts réunis de toute la compagnie M. Pickwick fut assis dans un fauteuil.

– Laissez-le, dit l'étranger à l'habit vert. Un verre de grog. Quel vieux gaillard, plein de courage! Avalez ça. Hein! fameuse boisson!»

En parlant ainsi et après avoir préalablement goûté la rasade fumante, l'étranger appliqua le verre à la bouche de M. Pickwick, et le reste de ce qu'il contenait disparut, en peu de temps, dans le gosier du divin philosophe. Il y eu une courte pause: le grog faisait son effet, et la contenance aimable de M. Pickwick reprit rapidement son expression accoutumée, tandis que l'étranger lui disait: «Ils sont indignes de votre attention…

– Vous avez raison, monsieur, répliqua M. Pickwick. Ils n'en sont pas dignes. Je suis honteux de m'être laissé entraîner à la chaleur de mes sentiments. Approchez votre chaise, monsieur.»

Le comédien ne se fit pas prier. On se réunit en cercle autour de la table, et l'harmonie régna de nouveau. M. Winkle lui seul paraissait conserver encore quelques restes d'irritabilité. Cette disposition était-elle occasionnée par la soustraction temporaire de son habit? Une circonstance aussi futile pouvait-elle allumer un sentiment de colère, même passager dans un cœur pickwickien? Nous l'ignorons, mais à cette exception près, la bonne humeur était complétement rétablie, et la soirée se termina avec toute la jovialité qui en avait signalé le commencement.

 

CHAPITRE IV.
La petite guerre. – De nouveaux amis. – Une invitation pour la campagne

Beaucoup d'auteurs éprouvent une répugnance ridicule et même indélicate à révéler les sources où ils ont puisé leur sujet. Nous ne pensons point de la même manière, et toujours nos efforts tendront simplement à nous acquitter d'une façon honorable des devoirs que nous impose notre rôle d'éditeur. Malgré la juste ambition qui, dans d'autres circonstances, aurait pu nous porter à réclamer la gloire d'avoir composé cet ouvrage, nos égards pour la vérité nous empêchent de prétendre à d'autre mérite qu'à celui d'un arrangement judicieux et d'une impartiale narration. Les papiers du Pickwick-Club sont comme un immense réservoir de faits importants. Ce que nous avons à faire, c'est de les distribuer soigneusement à l'univers, qui a soif de connaître les pickwickiens.

Agissant d'après ces principes, et toujours déterminé a avouer nos obligations pour les autorités que nous avons consultées, nous déclarons franchement que c'est au mémorandum de M. Snodgrass que nous devons les particularités contenues dans ce chapitre et dans le suivant, particularités que nous allons rapporter sans autre commentaire, maintenant que nous avons soulagé notre conscience.

Le lendemain, tous les habitants de Rochester et des lieux environnants sortirent de leur lit de très-bonne heure, dans un état d'excitation et d'empressement inaccoutumés, car il s'agissait pour eux de voir les grandes manœuvres. Une demi-douzaine de régiments devaient être inspectés par le regard d'aigle du commandant en chef; des fortifications temporaires avaient été élevées; la citadelle allait être attaquée et emportée d'assaut; enfin on devait faire jouer une mine.

Comme nos lecteurs ont pu le conclure, d'après les notes de M. Pickwick sur la ville de Chatham, il était admirateur enthousiaste de l'armée. Rien ne pouvait donc être plus délicieux pour lui et pour ses compagnons que la vue d'une petite guerre; aussi furent-ils bientôt debout. Ils se dirigèrent à grands pas vers les fortifications, où se rendaient déjà de tous côtés une foule de curieux.

Tout annonçait que la cérémonie devait être d'une importance et d'une grandeur peu communes. On avait posé des sentinelles pour maintenir libre le terrain nécessaire aux manœuvres; on avait placé des domestiques dans les batteries afin de retenir des places pour les dames. Des sergents couraient de toutes parts, portant sous leurs bras des registres reliés en parchemin. Le colonel Bulder, en grand uniforme, galopait d'un côté; puis, d'un autre, faisait reculer son cheval sur les curieux; lui faisait faire des voltes, des courbettes, et criait avec tant de violence, que son visage en était tout rouge, sa voix tout enrouée, sans que personne pût comprendre quelle nécessité il y avait à cela. Des officiers s'élançaient en avant, en arrière; parlaient au colonel Bulder, donnaient des ordres aux sergents, puis repartaient au galop et disparaissaient. Enfin, les soldats eux-mêmes, sous leurs cols de cuir, avaient un air de solennité mystérieuse qui indiquait suffisamment la nature spéciale de la réunion.

M. Pickwick et ses trois compagnons sa placèrent sur le premier rang des curieux, et attendirent patiemment la commencement des manœuvres. La foule augmentait constamment, et les efforts qu'ils étaient obligés de faire pour conserver leur position, occupèrent suffisamment les deux heures qui s'écoulèrent dans l'attente. Quelquefois il se faisait par derrière une poussée soudaine, et alors M. Pickwick était lancé en avant avec une vitesse et une élasticité peu conformes à la gravité ordinaire de son maintien. D'autres fois les soldats engageaient les spectateurs à reculer, et laissaient tomber les crosses de leurs fusils sur les pieds de M. Pickwick, pour lui rappeler leur consigne, ou lui bourraient ladite crosse dans la poitrine pour l'engager à s'y conformer. Dans un autre instant, quelques gentlemen facétieux se pressant autour de M. Snodgrass, le réduisaient à sa plus simple expression, et après lui avoir fait endurer les tortures les plus aiguës, lui demandaient pourquoi il avait le toupet de pousser les gens de cette façon-là. A peine M. Winkle avait-il achevé d'exprimer l'indignation excessive que lui causait cette insulte non provoquée, et épuisé son courroux, qu'un individu placé par derrière lui enfonçait son chapeau sur les yeux, en le priant d'avoir la complaisance de mettre sa tête dans sa poche. Ces mystifications, jointes à l'inquiétude que leur causait la disparition inexplicable et subite de M. Tupman, rendaient, au total, leur situation plus incommode que délicieuse.

A la fin on entendit courir parmi la foule ce bruyant murmure qui annonce l'arrivée de ce qu'elle a attendu pendant longtemps. Tous les yeux se tournèrent vers le fort, et l'on vit bataillons après bataillons se répandre dans la plaine, les drapeaux flottant gracieusement dans les airs, et les armes étincelant au soleil. Les troupes firent halte et prirent position. Les cris inarticulés du commandement coururent sur toute la ligne; les armes furent présentées avec un cliquetis général; le commandant en chef, le colonel Bulder et un nombreux état-major passèrent au petit galop en tête des troupes. Tout d'un coup la musique de tous les régiments fit explosion; les chevaux se dressèrent sur deux pieds, et reculèrent en fouettant leurs queues dans toutes les directions; les chiens aboyèrent; la multitude cria; les troupes reçurent le commandement de fixe; et autant que les yeux pouvaient s'étendre on ne vit plus rien à droite et à gauche qu'une longue perspective d'habits rouges et de pantalons blancs, immobiles, et comme pétrifiés.

M. Pickwick avait été si absorbé par le soin de se reculer et de se dégager d'entre les pieds des chevaux, qu'il n'avait pas eu le temps de jouir de la scène qui se déroulait devant lui. Lorsqu'il lui fut enfin possible de se tenir d'aplomb sur ses jambes, les troupes avaient pris l'apparence inanimée que nous venons de décrire, et son admiration, ses jouissances furent inexprimables.

«Y a-t-il rien de plus beau, rien de plus délicieux? dit-il à M. Winkle.

– Rien, assurément, répliqua ce dernier, qui pendant plus d'un quart d'heure avait porté un petit homme sur chacun de ses pieds.

– Oui! s'écria M. Snodgrass, dans le sein duquel s'allumait rapidement une flamme poétique, oui! c'est un noble et magnifique spectacle de voir ainsi les vaillants défenseurs de la patrie se déployer en files brillantes devant ses paisibles citoyens. Leur visage est empreint, non d'une férocité guerrière, mais d'un esprit de civilisation; leurs yeux n'étincellent pas du feu sauvage de la rapine et de la vengeance, mais de la douce lumière de l'intelligence et de l'humanité!»

M. Pickwick s'unissait entièrement à ces éloges, quant à l'esprit qui les dictait, mais il ne pouvait pas en approuver aussi complétement les termes. En effet, la douce lumière de l'intelligence brillait assez faiblement, attendu que le commandement de «yeux, front!» avait été donné, et que les spectateurs n'apercevaient pas autre chose que plusieurs milliers de prunelles, regardant directement devant elles, et entièrement dénuées de toute expression quelconque.

Cependant la foule s'était écoulée peu à peu, et nos voyageurs se trouvaient presque seuls dans cet endroit.

«Nous sommes maintenant dans une excellente position, dit M. Pickwick, en regardant autour de lui.

– Excellente: repartirent à la fois MM. Winkle et Snodgrass.

– Que font-ils maintenant? reprit M. Pickwick, en ajustant ses lunettes.

– Il me… Il me semble… balbutia M. Winkle en changeant de couleur, il me semble qu'ils vont faire feu!

– Allons donc! s'écria M. Pickwick avec précipitation.

– Je crois… je crois qu'il a raison, observa M. Snodgrass avec quelque alarme.

– Impossible! répéta M. Pickwick.» Mais à peine avait-il prononcé ces mots, que les six régiments, agissant comme un seul homme, et comme s'ils n'avaient eu qu'un seul point de mire, couchèrent en joue les malheureux pickwickiens, et firent la plus effroyable décharge qui ait jamais ébranlé le centre de la terre ou le courage d'un gentleman un peu mûr.

Dans cette situation critique, exposé à un feu continuel de cartouches blanches, harrassé par les opérations des troupes, auxquelles un nouveau renfort venait d'arriver, se développant derrière M. Pickwick, il montra cet admirable sang-froid, compagnon nécessaire d'un esprit supérieur. Saisissant M. Winkle par le bras, et se plaçant entre lui et M. Snodgrass, il les engagea instamment a remarquer qu'excepté le danger d'être assourdi par le bruit, il n'y avait aucun péril à redouter.

«Mais… mais… dit M. Winkle, en pâlissant, supposez que les soldats aient quelques cartouches à balles, par erreur? Je viens d'entendre un sifflement aigu, juste à mon oreille.

– Ne ferions-nous pas mieux de nous jeter à plat-ventre? demanda M. Snodgrass?

– Non, non, tout est fini maintenant, répondit M. Pickwick.» Et en disant ces mots, ses lèvres pouvaient trembler, ses joues pouvaient blanchir, mais aucune expression de crainte ou d'inquiétude ne s'échappa de la bouche de cet homme immortel.

M. Pickwick ne s'était pas trompé; la fusillade était terminée. Il ne songeait donc plus qu'à se féliciter de la justesse de son hypothèse, quand il aperçut sur toute la ligne un mouvement rapide. Les cris de commandement retentirent, et avant que nos voyageurs eussent en le temps de former une conjecture relativement à cette nouvelle manœuvre, les six régiments tout entiers firent une charge à la baïonnette au pas de course sur le lieu même où M. Pickwick et ses amis étaient stationnés.

Tout homme est mortel, et le courage humain a des bornes. Pendant un instant M. Pickwick regarda à travers ses lunettes la masse compacte qui s'avançait; puis il lui tourna le dos, et se mit… nous ne dirons pas à fuir, premièrement, parce que c'est une expression déshonorante; secondement, parce que la personne de M. Pickwick n'était nullement appropriée à ce genre de retraite. Il se mit à trotter aussi vite que le lui permettaient le peu de longueur de ses jambes et la pesanteur de son corps; si vite, en effet, qu'il s'aperçut trop tard de tous les dangers de sa situation.

Les troupes, dont l'apparition sur ses derrières avait déjà inquiété M. Pickwick quelques secondes auparavant, s'étaient déployées en bataille pour repousser la feinte attaque des assiégeants fictifs de la citadelle; de sorte que les trois amis se trouvèrent enfermés entre deux longues murailles de baïonnettes, dont l'une s'avançait rapidement, tandis que l'autre attendait avec fermeté le choc épouvantable.

«Hohé! hohé! crièrent les officiers de la colonne mouvante.

– Otez-vous de là! beuglèrent les officiers de la colonne stationnaire.

– Où pouvons-nous aller? s'écrièrent les pickwickiens pleins de trouble.

– Hohé! hohé!» telle fut la seule réponse; puis il y eut un moment d'égarement inouï, un bruit lourd de pas cadencés, un choc violent, une confusion de rires étouffés, et les troupes se retrouvèrent à cinq cents toises de distance, et les semelles des bottes de M. Pickwick furent aperçues en l'air.

M. Snodgrass et M. Winkle venaient d'exécuter, avec beaucoup de prestesse, une culbute obligée. M. Winkle, assis par terre, étanchait, avec un mouchoir de soie jaune, le sang qui s'écoulait de son nez, quand ils virent leur vénérable chef courant, à quelque distance, après son chapeau, lequel s'éloignait en caracolant avec malice.

Il y a peu d'instants dans l'existence d'un homme où il éprouve plus de détresse visible, où il excite moins de commisération que lorsqu'il donne la chasse à son propre chapeau. Il faut avoir une grande dose de sang-froid, un jugement bien sûr pour le pouvoir rattraper. Si l'on court trop vite, on passe par-dessus; si l'on se baisse trop lentement, au moment où l'on croit le saisir, il est déjà bien loin. La meilleure méthode est de trotter parallèlement à l'objet de votre poursuite, d'être prudent et attentif, de bien guetter l'occasion, de gagner les devants par degrés, puis de plonger rapidement, de prendre votre chapeau par la forme, et de le planter solidement sur votre tête, en souriant gracieusement pendant tout ce temps, comme si vous trouviez la plaisanterie aussi bonne que tout le monde.

Il faisait un petit vent frais, et le chapeau de M. Pickwick roulait comme en se jouant devant lui. Le vent soufflait et M. Pickwick s'essoufflait; et le chapeau roulait, et roulait aussi gaiement qu'un marsouin en belle humeur dans un courant rapide; il roulerait encore, bien au delà de la portée de M. Pickwick, s'il n'eût été arrêté par un obstacle providentiel, au moment où notre voyageur allait l'abandonner à son malheureux sort.

 

M. Pickwick, complétement épuisé, allait donc abandonner sa poursuite, quand le chapeau s'aplatit contre la roue d'un carrosse qui se trouvait rangé en ligne avec une douzaine d'autres véhicules. Le philosophe, apercevant son avantage, s'élança vivement, s'empara de son couvre-chef, le plaça sur sa tête, et s'arrêta pour reprendre haleine. Il y avait une demi-minute environ qu'il était là, lorsqu'il entendit son nom chaleureusement prononcé par une voix amie; il leva les yeux et découvrit un spectacle qui le remplit à la fois de surprise et de plaisir.

Dans une calèche découverte, dont les chevaux avaient été retirés à cause de la foule, se tenaient debout les personnes ci-après désignées: un vieux gentleman, gros et vigoureux, vêtu d'un habit bleu à boutons d'or, d'une culotte de velours et de bottes à revers; deux jeunes demoiselles, avec des écharpes et des plumes; un jeune homme, apparemment amoureux d'une des jeunes demoiselles; une dame, d'un âge douteux, probablement tante desdites demoiselles; et enfin M. Tupman, aussi tranquille, aussi à son aise que s'il avait fait partie de la famille depuis son enfance. Derrière la voiture était attachée une bourriche d'une vaste dimension, une de ces bourriches qui, par association d'idées, éveillent toujours, dans un esprit contemplatif, des pensées de volailles froides, de langues fourrées et de bouteilles de bon vin. Enfin, sur le siége de la calèche, dans un état heureux de somnolence, était assis un jeune garçon, gros, rougeaud et joufflu, qu'un observateur spéculatif ne pouvait regarder pendant quelques secondes sans conclure qu'il devait être le dispensateur officiel des trésors de la bourriche, lorsque le temps convenable pour leur consommation serait arrivé.

M. Pickwick avait à peine jeté un coup d'œil rapide sur ces intéressants objets, quand il fut hélé de nouveau par son fidèle disciple.

«Pickwick! Pickwick! lui disait-il! montez! montez vite!

– Venez, monsieur, venez, je vous en prie, ajouta le vieux gentleman. Joe! Que le diable emporte ce garçon! Il est encore à dormir! Joe! abaissez le marchepied.»

La gros joufflu se laissa lentement glisser à bas du siége, abaissa le marchepied, et, d'une manière engageante, ouvrit la portière du carrosse. M. Snodgrass et M. Winkle arrivèrent dans ce moment.

«Il y a de la place pour vous tous, messieurs, reprit le propriétaire de la voiture. Deux dedans, un dehors. Joe, faites de la place sur le siége pour l'un de ces messieurs. Maintenant, monsieur, montez.» Et le vieux gentleman, étendant le bras, hissa de vive force dans la calèche, d'abord M. Pickwick, ensuite M. Snodgrass. M. Winkle monta sur le siége; le gros joufflu se percha près de lui et se rendormit instantanément.

«Je suis charmé de vous voir, messieurs, poursuivit le gentleman, je vous connais très-bien, messieurs, quoique vous ne vous souveniez peut-être pas de moi. J'ai passé plusieurs soirées dans votre club, l'hiver dernier. Ce matin j'ai rencontré ici mon ami, M. Tupman, et j'ai été enchanté de le voir. Hé bien! monsieur, comment ça va-t-il? Tous avez l'air tout à fait bien portant, mais là, très-bien portant!»

M. Pickwick, à qui ces dernières paroles étaient adressées, rétorqua le compliment, et donna une vigoureuse poignée de mains au vieux gentleman.

«Eh bien! monsieur, comment ça va-t-il? continua celui-ci en regardant M. Snodgrass avec une sollicitude paternelle. A merveille, n'est-ce pas? Ah! tant mieux, tant mieux! Et comment cela va-t-il, monsieur Winkle? Bien? J'en suis charmé. Mes filles, messieurs. Et voilà ma sœur Rachel Wardle: c'est une demoiselle, sans que cela paraisse. N'est-ce pas, monsieur? N'est-ce pas? ajouta-t-il en riant à gorge déployée, et en insérant plaisamment son coude entre les côtes de M. Pickwick.

– Mon Dieu! frère… dit miss Wardle, avec un sourire suppliant.

– Vrai, vrai, reprit le vieux gentleman, personne ne peut le nier, messieurs, je vous présente mon ami, M. Trundle. Et maintenant que vous vous connaissez tous, tâchons d'être confortables et heureux, et voyons ce qui se passe. Voilà mon opinion.» Ayant ainsi parlé, il mit ses lunettes, tandis que M. Pickwick tirait son télescope; et chacun se tint debout dans la voiture pour regarder les évolutions des militaires.

C'étaient des manœuvres étonnantes. Un rang tirait par-dessus la tête d'un autre rang et se précipitait aussitôt en arrière, puis un autre rang tirait par-dessus la tête d'un autre rang et se précipitait en arrière à son tour; ensuite il y avait des formations de carrés, avec les officiers dans le centre; des descentes dans la tranchée avec des échelles; de l'autre côté des ascensions par le même moyen; pais on abattait des barricades de paniers; et tout cela se faisait avec un courage sans pareil. Dans les batteries, les artilleurs fourraient de gros tampons dans les bouches d'effroyables canons, et il fallait tant de préparatifs pour les bourrer, et ils faisaient tant de bruit quand on y avait mis le feu, que l'air résonnait au loin des cris plaintifs des femmes. Dans le carrosse, les jeunes miss Wardle étaient si effrayées que M. Trundle fut absolument obligé de soutenir l'une d'elles, tandis que M. Snodgrass supportait la seconde: et les nerfs de miss Rachel Wardle étaient dans un état d'alarme si terrible que M. Tupman trouva indispensable de passer le bras autour de sa taille pour l'empêcher de tomber. Enfin tout le monde éprouvait une exaltation prodigieuse, excepté le groom joufflu, qui dormait au tonnerre du canon aussi profondément que si ç'avait été la chanson habituelle de sa nourrice.

Lorsque la citadelle fut prise et qu'on servit à dîner au assiégeants et aux assiégés, le vieux gentleman s'écria: «Joe! Joe! Damné garçon, il est encore à dormir! Soyez assez bon, monsieur, pour lui pincer la jambe, s'il vous plaît, c'est le seul moyen de le réveiller. Je vous remercie. Joe, défaites la bourriche.»

Le gros joufflu, qui avait été effectivement éveillé par la compression d'une partie de son mollet, entre le pouce et l'index de M. Winkle, se laissa de nouveau glisser à bas du siége et s'occupa à dépaqueter la bourriche, d'une manière plus expéditive qu'on n'aurait pu l'attendre de sa précédente inactivité.

«Maintenant il faut nous asseoir serrés,» dit le vieux gentleman. Après beaucoup de plaisanteries sur le froissement des manches des dames, après beaucoup de rougeur occasionnée par la joyeuse proposition de les faire asseoir sur les genoux des messieurs, la société tout entière parvint à s'empiler dans la calèche, et le vieux gentleman s'occupa de faire circuler les objets que le gros joufflu lui tendait de derrière la voiture où il était monté.

«Maintenant, Joe, les couteaux, les fourchettes.» Les couteaux et les fourchettes furent passés. Les dames et les messieurs de l'intérieur, et M. Winkle sur son siége, furent fournis de ces ustensiles nécessaires.

«Des assiettes, Joe! des assiettes!» Les assiettes furent distribuées de la même manière.

«Maintenant, Joe, la volaille. Damné garçon, il est encore à dormir. Joe! Joe! Plusieurs coups de canne administrés sur la tête du dormeur le tirèrent enfin de sa léthargie. Allons passez-nous les comestibles.»

Il y avait quelque chose, dans le son de ce dernier mot, qui réveilla entièrement le gros dormeur. Il tressaillit, et ses yeux plombés, à moitié cachés par ses joues bouffies, lorgnèrent amoureusement les comestibles à mesure qu'il les déballait.

«Allons, dépêchons,» dit H. Wardle, car le gros joufflu dévorait du regard un chapon, dont il paraissait ne pas pouvoir se séparer. Il soupira profondément, jeta un coup d'œil désespéré sur la volaille dodue, et la remit tristement à son maître.

«Bon! Un peu de vivacité! Maintenant la langue. Maintenant le pâté de pigeons! Prenez garde au veau et au jambon. Attention aux écrevisses. Otez la salade de la serviette. Passez-moi l'assaisonnement.» Tout en donnant ces ordres précipités, M. Wardle distribuait dans l'intérieur de la voiture les articles qu'il nommait, et plaçait des plats sans nombre dans les mains et sur les genoux de chacun.

8Allusion au proverbe: Il ne mettra pas le feu à la Tamise, qui équivaut au français: Il n'a pas inventé la poudre.