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Récits d'une tante (Vol. 3 de 4)

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CHAPITRE XVIII

Difficultés suscitées de toute part au cabinet Martignac. – Réponse du Roi au duc de Mortemart. – Campagne des russes contre les turcs. – Le Roi se déclare pour l'empereur Nicolas. – Intrigues dans la Chambre des députés. – Mort de l'évêque de Beauvais. – Progrès du parti prêtre. – Langage différent tenu par le Roi à messieurs de Martignac et de La Ferronnays. – Erreur des prévisions.

La santé de monsieur de La Ferronnays, fort ébranlée depuis longtemps, devint si mauvaise qu'il fut obligé de quitter les affaires étrangères. On eut recours à plusieurs personnes pour le remplacer, entre autres à monsieur Pasquier. Il refusa de nouveau, persuadé que le roi Charles X avait contre lui des préventions qui l'empêcheraient de lui accorder une sincère confiance. Elles dataient de loin. Lorsqu'en 1814, Monsieur, précédant Louis XVIII en France, s'était trouvé gouverner quelques semaines en sa qualité de Lieutenant général, monsieur Pasquier lui avait parlé de l'état du pays, de la force respective des partis et même des importances individuelles avec une franchise que le prince émigré n'avait pas su apprécier et que ses entours avaient qualifiée de haine pour la Restauration.

Rien n'était moins fondé. Monsieur Pasquier s'était rattaché de cœur au nouvel ordre de choses, devenu nécessaire au salut de la patrie; seulement il aurait voulu qu'elle en profitât. Accoutumé, d'autre part, à servir sous l'Empereur, il suivait les mêmes errements.

Or, Napoléon non seulement trouvait bon mais exigeait qu'on lui dit la vérité tout entière et même qu'on insistât pour faire prévaloir son opinion vis-à-vis de lui. Il admettait la discussion jusqu'à la contradiction. À la vérité, il n'agissait que d'après sa propre volonté, mais jamais il ne savait mauvais gré qu'elle eût été combattue au conseil ou dans le cabinet.

Monsieur n'entendait rien à cette manière d'agir, et quiconque lui opposait une difficulté, même puisée dans son propre intérêt, lui apparaissait en ennemi. Monsieur Pasquier fut assez longtemps à découvrir cette disposition pour permettre à son zèle d'aggraver sa situation et, lorsqu'il s'en fut aperçu, il ne continua pas moins à remplir ce qu'il considérait comme un devoir.

Devenu ministre de Louis XVIII, il lui fallut fréquemment heurter le parti ultra et conséquemment déplaire à Monsieur. Ces précédents ne lui permettaient pas d'entrer au conseil de Charles X, et il répétait aux ministres qui désiraient l'avoir pour collègue qu'il ne leur apporterait aucune force en siégeant avec eux et leur était plus utile dans la Chambre des pairs.

Il ne partageait pas le mécontentement que la plupart des gens de notre opinion exprimaient contre la faiblesse du cabinet Martignac. Il disait hautement qu'il était insensé de lui demander ce qu'il lui était impossible d'obtenir des répugnances du Roi. Ce n'est pas la faute de monsieur Pasquier si ce ministère est tombé, car il le soutenait bien franchement et de tous ses moyens.

Après avoir cherché pendant quelque temps, un successeur à monsieur de La Ferronnays, on se décida à s'en passer. Les dettes que le dernier titulaire avait laissé à payer servirent de prétexte à ne le point remplacer. Monsieur Portalis prit le portefeuille par intérim.

Deux hommes avaient principalement agi pour obtenir ce résultat, le Roi qui voulait faire écrouler le ministère en le minant et monsieur Hyde de Neuville qui voulait dégager sa parole en y forçant l'entrée de monsieur de Chateaubriand. Cette double intrigue réussit à écarter tous les candidats et, entre autres, le duc de Mortemart fort désiré par monsieur de Martignac. Je tiens du duc lui-même que monsieur de Martignac lui demanda comment il pouvait résister aux vives instances du Roi. Il répondit que le Roi ne lui avait jamais témoigné le moindre désir de le voir entrer au conseil.

«C'est étonnant, mais, s'il ne vous a pas encore parlé, il vous en parlera.»

En effet, le Roi fit appeler monsieur de Mortemart: «Eh bien! lui dit-il, vous ne voulez donc pas entrer avec eux?»

Monsieur de Mortemart déclina ses raisons, toutes personnelles. Le Roi les combattit très faiblement, comme on débite une leçon, puis il ajouta:

«Au fond, je n'en suis pas fâché, vous avez raison. Il vaut mieux ne pas vous associer avec ces gens-là.»

Voilà quelles furent les instances irrésistibles du Roi. Monsieur de Mortemart, éminemment loyal, chercha à éclairer monsieur de Martignac sur sa situation; mais il ne put lui persuader qu'il ne jouissait pas de la confiance entière du monarque.

Le duc de Mortemart, que les événements ont appelé à jouer un rôle politique qu'il n'a pas cherché et qu'il n'avait pas l'étoffe nécessaire pour soutenir dans des circonstances aussi perplexes, est un homme parfaitement loyal, honnête, indépendant, français de cœur, ne manquant ni d'esprit ni de raison. À la Cour de Charles X, il était un véritable phénix; et le pays qui, au fond, ne demandait qu'à s'accommoder avec la Restauration, s'attacha sincèrement à un grand seigneur qui ne le répudiait pas. Monsieur de Mortemart, flatté de sa popularité, voulut la justifier et se montra de plus en plus éloigné des extravagances où sa position sociale l'appelait à prendre part. Il renonça même à la vie de chasseur qu'il avait exclusivement menée depuis dix ans, et se montra plus souvent à la Chambre des pairs.

Nommé ambassadeur en Russie, il accompagna l'empereur Nicolas dans la première campagne de Turquie. Il y acquit plus d'estime personnelle qu'il n'en rapportait pour le talent et les goûts militaires de son impérial hôte. Celui-ci lui apparut comme se trouvant plus à l'aise sur une esplanade de revue que sur un champ de bataille, et l'absence qu'il fit pour aller voir l'Impératrice à Odessa, pendant le plus chaud du siège de Varna, ne fit que [peu] d'honneur à son audace.

Lorsqu'il était bien en confiance, monsieur de Mortemart attribuait les revers de la campagne à la présence de l'Empereur au camp et à son absence des combats qu'il ne se souciait jamais de laisser engager de bien près. Probablement Nicolas lui-même sentit qu'il nuisait au succès de ses troupes, car il se laissa assez facilement persuader de renoncer à faire la campagne suivante dont le résultat fut en effet plus favorable à ses armes.

La situation de la Russie était assez précaire à ce moment; l'Autriche et l'Angleterre n'auraient pas mieux demandé que d'en profiter pour ébranler le colosse dont le poids les oppresse et leur apparaît en forme de cauchemar. Peut-être cela aurait-il été dans un intérêt européen bien entendu, mais nous n'avions, à vrai dire, pas de cabinet, et Pozzo eut l'habileté de faire entrer le roi Charles X personnellement dans la question russe.

Il établit une correspondance autographe entre les deux souverains, et le roi de France, flatté de protéger à son tour le czar de Russie, s'engagea vivement et utilement dans les négociations en faveur du jeune autocrate. C'est de cette circonstance que sont nés les sentiments affectueux que Nicolas a professés pour Charles X depuis sa chute, arrivée si promptement après la signature du traité d'Andrinople.

Si la France était entrée dans les voies de l'Angleterre et de l'Autriche, la seconde campagne était impossible. Les troupes russes n'auraient pas même essayé de franchir les Balkans. L'Empereur en était si persuadé qu'il avait sollicité la médiation de la Prusse. Des négociateurs avaient été expédiés, avec des instructions fort peu exigeantes de la part de la Russie; mais elles furent changées à l'arrivée d'un courrier de Paris. On fit courir après les envoyés. La seconde campagne et la paix d'Andrinople en furent les conséquences. Les événements ultérieurs décideront si Charles X, en facilitant les succès de l'Empereur, a rendu un service au monde civilisé, comme on le lui persuadait à cette époque.

J'aurais dû mettre en tête de tous les candidats au portefeuille des affaires étrangères celui toujours présenté par le Roi, monsieur de Polignac. Il vint faire une apparition à Paris, immédiatement après l'accident survenu à monsieur de La Ferronnays; mais le monarque jugea lui-même le moment encore inopportun; on prétexta une affaire de famille; il ne resta que peu de jours sans faire de démarche ostensible. Il n'en fut pas de même au printemps.

Monsieur de La Ferronnays était positivement dehors. Sa place était vacante, et on dit que lui-même, dans la pensée d'acquérir la faveur du Roi, avait désigné Jules de Polignac pour son successeur. Quoi qu'il en soit, Charles X crut le moment arrivé et monsieur de Polignac fut mandé. Le public accusa monsieur Portalis d'être entré dans cette intrigue. Des gens mieux informés m'ont assuré depuis que c'était injustement.

Monsieur de Polignac chercha assez publiquement à former un ministère. Il s'adressa à des gens de diverses nuances d'opinions, et trouva partout une telle résistance qu'il dut renoncer à ses projets. Il convint avec le Roi de les ajourner jusqu'après la session et retourna à Londres.

Si la couronne était en conspiration contre la législature, la législature ne se montrait pas plus confiante envers la couronne. Après la sotte taquinerie exercée pour une somme de trente mille francs dépensée par monsieur de Peyronnet pour l'embellissement de l'hôtel de la chancellerie et qui fut refusée par la Chambre, elle montra la même malveillance, dans une question d'ordre, pour la présentation de lois fort importantes sur l'administration départementale et communale.

Le ministère avait eu grand'peine à les faire adopter au Roi qui ne dissimula pas sa joie, lorsque le mauvais vouloir des députés lui fournit prétexte à les faire retirer. À dater de ce moment, il reprit son rôle d'opposition ouverte à son propre cabinet; les députés, plus particulièrement attachés au Roi et caressés par lui, se mirent ostensiblement dans l'opposition au ministère.

 

La Chambre, dans sa discussion du budget, avait tenu un langage offensant pour l'armée et adopté des mesures qui froissaient ses intérêts. Il en était résulté la haine des militaires contre elle. Tout ce qui portait un sabre disait, assez volontiers, qu'il était temps d'en finir avec les gouvernements de partage, qu'il fallait imposer silence aux avocats et renverser l'adage: Cedant arma togæ.

Cette disposition des militaires était soigneusement entretenue par le parti ultra et n'a pas laissé que d'encourager aux folies qui se préparaient; mais cette velléité d'absolutisme ne résista pas à l'accession du ministère Polignac. À dater de cette époque, le cœur du citoyen se retrouva battre sous le revers de l'uniforme.

Vers la même époque, monsieur de Chateaubriand avait inventé d'adresser au conclave un discours plein d'idées libérales et philosophiques qui avait singulièrement scandalisé le Sacré Collège et rendu sa position à Rome assez gauche. Le nouveau pape [Pie VIII, successeur de] Léon XII, écrivit à Paris pour s'en plaindre; et monsieur de Chateaubriand, sous prétexte de santé, revint en France.

Il avait toujours un vif désir de rentrer dans l'hôtel, alors vacant, des affaires étrangères; mais le Roi le conservait pour un autre, et, hormis monsieur Hyde de Neuville, personne ne se souciait d'un collègue aussi absorbant que monsieur de Chateaubriand. Ne voyant aucun jour à réussir pour le moment, il se rendit aux eaux dans les Pyrénées.

Les jésuites, habiles à ces manœuvres temporisantes, avaient replié leurs voiles depuis les ordonnances de Juin rendues contre eux et qu'ils avaient consenties. Ils se cachaient dans l'ombre, mais n'en travaillaient pas moins activement. L'évêque de Beauvais (Feutrier), prélat vertueux et habile, signataire de ces ordonnances, leur avait inspiré une de ces haines claustrales qui ne pardonnent jamais, devant laquelle il a perdu successivement sa place et la vie.

On a beaucoup répété qu'il avait été empoisonné, mais je crois que cette expression doit se prendre au figuré: c'est en lui suscitant des tracasseries de toute espèce que sa vie a été tellement empoisonnée qu'il a succombé. Il est certain que, jeune et jouissant d'une santé florissante en 1829, il est mort dans le marasme au commencement de 1830. Le parti congréganiste ne s'est pas fait faute de proclamer que c'était un jugement de Dieu contre celui qui avait touché à l'arche sainte des jésuites. Je crois que le roi Charles X s'est exprimé dans ce sens; du moins, cela a passé pour constant. Le pauvre prince s'enfonçait de plus en plus dans la bigoterie. On a prétendu qu'il disait la messe blanche; je crois que c'est une fable.

Cependant, les jésuites ont quelquefois permis à leurs adeptes de s'amuser à dire la messe en réformant les paroles de la consécration, et il ne serait pas impossible que le Roi eût eu cette fantaisie. Le vulgaire en était persuadé. Ce qui paraît à peu près positif, c'est qu'il s'était fait affilier à la société de Jésus et reconnaissait des directeurs spirituels auxquels il obéissait dans les affaires temporelles. Je tiens de monsieur de Martignac un fait assez singulier.

Dans les derniers jours de la session de 1829, monsieur de Villefranche, pair congréganiste, fit un discours fort violent mais assez bien fait et dont évidemment il n'était pas l'auteur où il attaqua fortement le ministère du Roi et toute sa conduite et particulièrement sur les ordonnances dites de Juin. Monsieur de Martignac répondit avec son talent accoutumé et fit un morceau plein d'éloquence et de sagesse au sujet des ordonnances.

Le soir, il alla chez le Roi, en fut très bien accueilli; le monarque lui fit compliment sur ses succès à la Chambre des pairs. Le lendemain, il y eut péripétie. Monsieur de Martignac vint travailler avec le Roi qui le reçut on ne peut plus mal; le ministre ne pouvait deviner en quoi il avait offensé. Enfin, le travail fini, il fut interpellé en ces termes:

«Que diable aviez-vous besoin de parler hier?

– Comment! Sire! était-il possible de laisser passer la diatribe de monsieur de Villefranche sans lui répondre?

– Ah! bah, la session va finir, cela n'en valait pas la peine.

– C'est précisément parce que la session finit que le gouvernement du Roi ne pouvait pas rester sous le poids de toutes ces calomnies.»

Le Roi se prit à marcher vivement dans la chambre:

«Vous pouviez bien, au moins, vous dispenser de parler de ces ordonnances?

– Monsieur de Villefranche avait pris l'initiative, Sire, et j'étais bien forcé d'expliquer une mesure qui est l'œuvre de Votre Majesté aussi bien que du conseil.

– Expliquer!.. Expliquer!.. D'abord, voyez-vous, monsieur de Martignac, ils ne vous le pardonneront jamais, tenez cela pour certain.

– Quoi! Sire.

– Oh! je m'entends … Bonjour, Martignac.»

Et le ministre ainsi congédié fut obligé de se retirer, sans vouloir comprendre que sa perte était jurée. Il ne fut pas longtemps à attendre son sort.

Pour faire contre-partie à cette anecdote que je tiens de monsieur de Martignac, voici ce qui m'a été raconté par monsieur de La Ferronnays. J'anticipe un peu sur les événements pour les mettre en regard.

Lorsque, sous le ministère Polignac, monsieur de La Ferronnays remplaça monsieur de Chateaubriand à Rome, il dit au Roi qu'il ne pouvait accepter cette ambassade si le projet était de rappeler les ordonnances de Juin. Elles avaient été faites sous son administration, discutées au conseil où il siégeait, elles portaient sa signature, et il ne pouvait se charger d'en annoncer le changement.

Le Roi entra dans une grande colère, demanda quel motif il avait de le croire capable d'une telle palinodie, affirma que les ordonnances de Juin étaient son ouvrage autant que celui du ministère, rappela qu'il les avait gardées trois semaines chez lui avant de les signer et sembla très indigné qu'on le pût soupçonner d'une pareille faiblesse. Voilà ce que monsieur de La Ferronnays m'a raconté dans le temps même. Comment faire cadrer ce récit avec celui de monsieur de Martignac? Je ne m'en charge pas; je cite textuellement les paroles et livre mes auteurs.

Je me souviens, dans le courant de cet été, m'être trouvée à la campagne avec mesdames de Nansouty, de Jumilhac et le duc de Raguse. Nous nous amusions à passer en revue les événements de l'Empire, nous racontant, les uns aux autres, l'aspect sous lequel nous les envisagions de nos divers points de vue, le maréchal à l'armée, madame de Nansouty à la Cour impériale, madame de Jumillac dans l'opposition royaliste absolutiste, et moi dans celle des royalistes constitutionnels. Nous nous disions: «Quoi, vous avez cru cela!.. Vous avez espéré ceci?.. mais c'était absurde!.. D'accord…»

Nous prîmes tellement goût à cet examen de conscience politique que deux heures du matin nous trouvaient encore en pleine discussion et que nous n'étions avertis de nos longues veillées que par les lampes dont la lumière s'affaiblissait tout à coup. Nous nous disions:

«La morale à tirer de notre conversation c'est que les révolutions sont finies. Quand les personnes de tous les partis se réunissent ainsi pour se rire ensemble de leurs propres travers, quoi qu'il arrive, il ne peut plus y avoir de divisions politiques dans la société. L'esprit de parti est mort. Les haines de personnes usées.»

Hélas! quels malhabiles prophètes nous nous montrions! Je ne m'attendais guère que l'animosité des discordes les plus vives était prête à renaître autour de moi, briserait jusqu'aux liens de l'amitié et diviserait les familles.

CHAPITRE XIX

Chute du ministère Martignac. – Réprobation générale contre le ministère Polignac. – Refus de l'amiral de Rigny. – Démission de monsieur de Chateaubriand. – Projet de mariage pour la princesse Louise d'Orléans. – Maladie de madame la duchesse d'Orléans. – Ovations à monsieur de Lafayette en Dauphiné. – Le Roi croit pouvoir justifier monsieur de Bourmont. – Le maréchal Marmont fait décider l'expédition d'Alger. – Il est complètement joué par monsieur de Bourmont. – Fureur du maréchal.

La session touchait à sa fin. Le Roi s'occupa d'accomplir sa fatale destinée. Monsieur Royer-Collard, dans son style semi-énigmatique, avait dit un jour au Roi que monsieur de La Bourdonnaye était le seul député resté entier à la Chambre.

Charles X avait fait son profit de cette rédaction et avait gardé, dans son cœur royal, la pensée de confier ses affaires à cet homme resté entier devant la Chambre. Il aurait désiré ajouter monsieur Ravez; mais celui-ci, plus avisé, après avoir poussé de toutes ses forces à la chute du ministère Martignac, refusa d'entrer dans la combinaison Polignac. Peut-être se ménageait-il pour arriver d'une façon un peu moins impopulaire, car, à cette époque de 1829, le pauvre Roi semblait avoir pris à tâche de chercher les noms les plus hostiles au pays pour en composer son gouvernement. Celui de monsieur de Bourmont comblait la mesure: il était également en horreur aux camps et aux cités.

Avouons tout de suite que, malgré l'aveuglement habituel de monsieur de Polignac, il fut renversé lorsqu'en arrivant de Londres il trouva les collègues que le Roi lui avait préparés; mais il était bien engagé et, d'ailleurs, il désirait trop le ministère pour avoir la pensée de reculer.

Un billet de monsieur Pasquier m'apprit, le 7 août, que tous ces formidables noms paraîtraient le lendemain dans le Moniteur.

J'allai faire une visite à Lormoy, chez la duchesse de Maillé. J'y racontai tristement ma nouvelle; monsieur de Maillé se mit à rire; rien n'avait moins de fondement: il arrivait ce matin-là même de Saint-Cloud; il avait vu monsieur de Martignac la veille en pleine sécurité et faisant des projets pour la session prochaine (et cela était vrai); le Roi l'avait traité à merveille. D'ailleurs, le duc de Maillé connaissait bien la figure préoccupée, triste, agitée du monarque lorsqu'il s'agissait d'une seule personne à changer dans son ministère, et jamais il ne lui avait trouvé l'aspect plus serein, l'esprit plus libre que la veille. Il avait fait sa partie de whist pendant laquelle il n'avait cessé de faire des plaisanteries, etc… Ma nouvelle n'avait pas le sens commun.

Au reste, je lui dois la justice que, s'il y avait cru, il en aurait été fort effrayé, et le portrait qu'il me fit de l'ambitieuse et intrigante nullité de Jules prouvait qu'il l'appréciait bien.

En revenant à Châtenay, je trouvai le duc de Mouchy qui venait me demander à dîner. Quoiqu'il arrivât de Paris, il ignorait le nouveau ministère; mais il n'en accueillit pas la nouvelle avec la gaie incrédulité du duc de Maillé. Lui aussi cependant avait lieu de croire à la pleine sécurité de monsieur de Martignac.

Il m'exprima une profonde tristesse, puis ajouta: «Peut-être, au reste, ce serait-il pour le mieux. Le Roi ne se tiendra jamais pour satisfait qu'il n'ait fait l'épreuve de cet impraticable ministère. C'est son rêve depuis dix ans; il s'en passera inévitablement la fantaisie. Il vaut mieux plus tôt que plus tard. Quand il sera lui-même convaincu de son impossibilité, il entrera plus franchement dans une autre combinaison; et certainement un ministère, formé des noms que vous me dites, tombera devant la première Chambre qui s'assemblera.»

Je lui représentai que Jules était aussi téméraire qu'imprudent et pourrait bien vouloir lutter avec elle. «Ah! ne craignez pas cela, je connais bien le Roi; jamais on n'obtiendra de lui de résister aux Chambres ou à la cote de la Bourse. Monsieur de Villèle a fait son éducation sur ces deux points, et elle est complète.»

Je rapporte ces impressions de deux courtisans intimes, l'un premier gentilhomme de la chambre et l'autre capitaine des gardes, pour montrer que, même autour du Roi, tout ce qui n'était pas dans l'intrigue Polignac ne voyait pas arriver ce ministère sans une inquiétude plus ou moins vive.

Le Moniteur proclama le lendemain les noms qu'on avait annoncés, plus ceux de messieurs de Courvoisier et de Rigny. L'un et l'autre étonnèrent leurs amis. Je connaissais le vainqueur de Navarin, et je ne comprenais pas son association avec les autres. J'eus bientôt la satisfaction d'apprendre qu'il s'y était refusé. Il résista, avec une fermeté qui lui coûta beaucoup, aux sollicitations personnelles et aux séductions du Roi.

Il lui fallait une grande conviction pour avoir ce courage, car l'autorité de la couronne exerçait encore beaucoup d'empire sur les esprits; et Charles X savait trouver les paroles les plus entraînantes quand il voulait réussir, mêlant habilement les apparences de la bonhomie, de la franchise à une dignité qui imposait.

 

La résistance respectueuse que monsieur de Rigny lui opposa avait donc un mérite réel. On avait mis son nom dans le Moniteur, espérant l'engager malgré lui. Il persista à refuser un poste où il ne croyait ni pouvoir faire le bien, ni pouvoir empêcher le mal, ce sont ses propres expressions en m'en parlant. L'estime que je conçus de sa conduite, en cette circonstance, devint le fondement d'une amitié qui s'est resserrée de plus en plus. La mort vient naguère de l'arracher à ses amis et à la patrie à laquelle il a rendu des services si essentiels et que l'histoire appréciera un jour.

Les cris de joie jetés par les libéraux sur le refus de l'amiral de Rigny furent le texte dont on se servit pour obtenir le consentement de monsieur de Courvoisier. Il se tenait pour être personnellement l'obligé du Roi à l'occasion de grâces accordées à son père, et il n'osa ajouter sa réprobation à celle qu'on faisait sonner si haut. Il accepta donc, fort tristement, le dangereux honneur qu'on lui conférait, en ayant soin, pourtant, de spécifier qu'il ne mettrait son nom à aucune mesure inconstitutionnelle. On lui affirma que la Charte était le catéchisme de tout le conseil.

Peu de temps après, il disait à un de ses amis qui lui avait prédit les coups d'État comme inévitables: «Vous aviez raison, ces gens-là m'ont trompé; je vois maintenant leurs intentions. Tant que je siégerai avec eux, ils ne les accompliront pas; mais, si vous me voyez m'en aller, vous pourrez être sûr que j'ai reconnu l'impossibilité d'arrêter leur folle imprudence. Hélas! ils ne sont pas même en état de voir le précipice, bien moins encore d'en juger la profondeur.»

Aussi, lorsque monsieur de Courvoisier donna sa démission, au mois de mai 1830, la personne à laquelle il avait annoncé ses intentions lui dit à son tour: «Les coups d'État sont donc imminents, puisque vous vous retirez?» L'ex-ministre se borna à lui serrer la main sans répondre.

Monsieur de Chateaubriand arriva à tire-d'aile des Pyrénées, où il se trouvait, pour apporter sa démission de l'ambassade de Rome. Il sollicita vainement la faveur de la remettre lui-même au Roi, et ne put obtenir une audience. En revanche, j'ai la certitude que nulle séduction ne lui fut épargnée. On lui offrit le titre de duc, une grosse somme d'argent pour payer ses dettes, un accroissement d'émoluments, une place à la Cour pour sa femme, enfin tout ce qui pouvait tenter les goûts aristocratiques et dispendieux du ménage. Mais il se montra également sourd à ces propositions.

Ce fut seulement après les refus multipliés de monsieur de Chateaubriand que monsieur de La Ferronnays fut nommé à l'ambassade de Rome, et eut avec le Roi la conversation que j'ai déjà rapportée. Je crois que monsieur de La Ferronnays partageait l'opinion de monsieur de Mouchy qu'il était inévitable que le Roi se passât la fantaisie d'un ministère selon son cœur, afin d'en reconnaître lui-même l'impossibilité. Cette fantaisie lui a coûté la couronne.

Le duc de Laval, ambassadeur à Vienne, fut nommé à Londres à la place de monsieur de Polignac. Il ne fit que traverser la France, et je me rappelle être venue de Pontchartrain pour le voir à Paris. Nous ne pûmes nous rejoindre que dans la cour de la maison de sa mère; il monta dans ma voiture et il y resta une heure.

Madame Récamier, qui s'y trouvait en tiers, m'a souvent rappelé que je lui avais prédit tout ce qui lui est arrivé depuis. Ce n'est pas que je me prétende plus habile prophète qu'un autre, mais je vivais avec des gens en dehors des illusions qui aveuglaient le duc de Laval et son parti. Tout citoyen français, assez libre avec lui pour ne pas craindre de l'offenser, lui aurait tenu le même langage.

Jamais catastrophe n'a été plus annoncée que celle à laquelle travaillait, avec tant de zèle le parti qui devait y succomber. Ce qu'il y a d'ineffable, c'est que, depuis la chute, c'est nous qui criions gare de toutes nos forces qu'il accuse de l'avoir poussé dans le précipice. C'est ainsi que se manifeste la justice des hommes! C'est de cette conversation que date le refroidissement du duc de Laval pour moi. Le parti ultra est celui qui tolère le moins l'expression de la vérité.

Il était question du mariage de la princesse Louise d'Orléans avec le prince héréditaire de Naples. Les Orléans le désiraient vivement. Madame la Dauphine et madame la duchesse de Berry étaient entrées dans cette pensée, et le Roi n'en paraissait pas éloigné. Toutefois, au Palais-Royal, on accusait le duc de Blacas, alors ambassadeur à Naples, de ne pas mettre beaucoup de zèle à faire réussir cette négociation.

Les souverains napolitains, en conduisant eux-mêmes leur fille Christine, reine d'Espagne, à son époux Ferdinand VII, traversèrent le midi de la France. Madame la duchesse de Berry alla rejoindre son père, et la famille d'Orléans suivit son exemple.

Le Roi et la Reine témoignaient un grand désir de voir accomplir l'alliance souhaitée chez nous, mais ils dirent que le prince héréditaire s'y refusait. Il se rendait justice; il ne méritait pas notre charmante princesse. Ce fut un coup très sensible pour madame la duchesse d'Orléans qui avait dès lors une grande passion de marier ses filles.

Elle venait d'être très dangereusement malade, et la crainte de ne les point établir pendant sa vie s'était emparée d'elle. Qui n'a pas vu la désolation de tout le Palais-Royal pendant le danger de madame la duchesse d'Orléans ne peut s'en faire idée: mari, sœur, enfants, amis, serviteurs, valets, personne ne désemparait; on osait à peine se regarder.

Monsieur le duc d'Orléans, si maître de lui ordinairement, avait complètement perdu la tête. Il ne pouvait dissimuler sa douleur, même au lit de sa femme, et venait pourtant toutes les cinq minutes faire explosion dans la salle attenante, adressant à tout le monde les questions qu'il faisait à chaque instant aux médecins et plus propres à les troubler qu'à les éclairer. Je n'ai jamais vu personne dans un état plus dissemblable de ses propres habitudes.

Madame la duchesse d'Orléans s'en apercevait, et n'était occupée qu'à le rassurer et à le calmer. Elle me disait, lors de sa convalescence: «Je priais bien le bon Dieu de me conserver pour ce cher ami; mais je le remerciais aussi de me donner une occasion de voir combien je lui étais chère.» Elle aurait pu ajouter: et utile. Elle est, bien assurément, l'ange tutélaire de la maison d'Orléans.

Pendant que nos princes parcouraient le midi, réunis à leur famille napolitaine, dont la tournure et les équipages excitaient l'étonnement même de nos provinciaux les moins civilisés, un autre voyageur occupait bien davantage les cent bouches de la renommée, ou, pour parler moins poétiquement, les cent presses des journaux. Monsieur de Lafayette avait été voir sa petite-fille établie à Vizille, chez son beau-père, monsieur Augustin Périer.

L'opinion publique était tellement à la recherche de tout ce qui pouvait témoigner son mécontentement que cette visite, toute naturelle, devint un événement politique. Le vétéran de la Révolution fut fêté à Vizille, puis à Grenoble, puis à Valence, puis à Lyon, puis enfin sur toute la route, et il fut reconduit à Paris d'ovation en ovation.

Monsieur de Lafayette n'était pas homme à faire défaut à cette gloire, lors même qu'elle aurait été plus populacière; mais, il faut l'avouer, l'opposition, en ce moment, était recrutée de tout ce qu'il y avait de plus capable et de plus honorable dans le pays, et on saisissait avidement les occasions de le témoigner.

Naguère, la mort du général Foy, éloquent député de l'opposition, avait donné l'idée d'une souscription nationale en faveur de ses enfants, restés sans fortune. Monsieur Casimir Périer s'était inscrit le premier et la semaine n'était pas écoulée que le million projeté était rempli. Ce succès avait fait naître la pensée d'une autre souscription destinée à dédommager les personnes qui refuseraient de payer l'impôt illégalement établi. On prévoyait les coups d'État; on ignorait de quelle nature ils seraient, et on se préparait à la résistance.