Kostenlos

Récits d'une tante (Vol. 2 de 4)

Text
0
Kritiken
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

Somme toute, ces soirées, qui se prolongeaient jusqu'à deux ou trois heures du matin, auraient paru assommantes si un particulier en avait fait les frais; mais le parfum de la couronne tenait toute la société éveillée et la renvoyait enchantée des grâces du prince.

Je me rappelle pourtant avoir été très intéressée un soir par une de ces causeries. Le Régent nous raconta sa dernière visite au Roi son père; il ne l'avait pas vu depuis plusieurs années. La Reine et le duc d'York, chargés du soin de sa personne, étaient seuls admis à le voir. Je me sers du mot propre en disant le voir, car on ne lui parlait jamais. Le son d'une voix, connue ou étrangère, le mettait dans une agitation qu'il fallait des jours et quelquefois des semaines pour calmer.

Le vieux Roi avait eu des accès tellement violents que, par précaution, tous ses appartements étaient matelassés. Il était servi avec un extrême soin, mais dans un silence profond; on était ainsi parvenu à lui procurer assez de tranquillité. Il était complètement aveugle.

Une maladie de la Reine l'ayant empêchée d'accomplir son pieux devoir, le Régent la suppléa. Il nous dit qu'on l'avait fait entrer dans un grand salon où, séparé par une rangée de fauteuils, il avait aperçu son vénérable père très proprement vêtu, la tête entièrement chauve et portant une longue barbe blanche qui lui tombait sur la poitrine. Il tenait conseil en ce moment et s'adressait à monsieur Pitt en termes fort raisonnables. On lui fit apparemment des objections, car il eut l'air d'écouter et, après quelques instants de silence, reprit son discours en insistant sur son opinion. Il donna ensuite la parole à un autre qu'il écouta de même, puis à un troisième conseiller, le désignant par son nom que j'ai oublié. Enfin il avertit dans les termes officiels que le conseil était levé, appela son page et alla faire des visites à ses enfants, causant avec eux longuement, surtout avec la princesse Amélie, sa favorite (dont la mort inopinée avait contribué à cette dernière crise de sa maladie). En la quittant, il lui dit:

«Je m'en vais parce que la Reine, vous savez, n'aime pas que je m'absente trop longtemps.»

En effet, il suivit cette idée et revint chez la Reine. Toutes ces promenades se faisaient appuyé sur le bras d'un page et sans sortir du même salon. Après un bout de conversation avec la Reine, il se leva et alla tout seul, bien que suivi de près, au piano où il se mit à improviser et à jouer de souvenir de la musique de Hændel en la chantant d'une voix aussi touchante que sonore. Ce talent de musique (il l'avait toujours passionnément aimée) était singulièrement augmenté depuis sa cruelle maladie.

On prévint le prince que la séance au piano se prolongeait ordinairement au delà de trois heures, et, en effet, après l'avoir longuement écouté, il l'y laissa. Ce qu'il y avait de remarquable c'est que ce respectable vieillard, que rien n'avertissait de l'heure, pas même la lumière du jour, avait un instinct d'ordre qui le poussait à faire chaque jour les mêmes choses aux mêmes heures, et les devoirs de la royauté passaient toujours avant ceux de famille. Sa complète cécité rendait possible le silence dont on l'environnait et que les médecins, après avoir essayé de tous les traitements, jugeaient indispensable.

Je dois au Régent la justice de dire qu'il avait les larmes aux yeux en nous faisant ce récit, un soir bien tard où nous n'étions plus que quatre ou cinq, et qu'elles coulaient le long de ses joues en nous parlant de cette voix, chantant ces beaux motets de Hændel, et de la violence qu'il avait dû se faire pour ne pas serrer dans ses bras le vénérable musicien.

Le roi George III était aussi aimé que respecté en Angleterre. Son cruel état pesait sur le pays comme une calamité publique. Il est à remarquer que, dans un pays où la presse se permet toutes les licences et ne se fait pas faute d'appeler un chat un chat, jamais aucune allusion désobligeante n'a été faite à la position du Roi, et, jusqu'à Cobbet, tout le monde en a parlé avec convenance et respect. Les vertus privées servent à cela, même sur le trône, lorsqu'on n'est pas en temps de révolution. Toutefois ce respect n'a pas empêché sept tentatives d'assassinat sur George III.

Les invités du pavillon avaient l'option de déjeuner dans leur intérieur ou de prendre part à un repas en commun dont sir Benjamin et lady Bloomfield faisaient les honneurs.

À moins d'indisposition, on préférait ce dernier parti, excepté, toutefois, quelques-unes des anciennes amies du prince qui, cherchant encore à cacher du temps l'irréparable outrage, ne paraissaient jamais qu'à la lumière, soin fort superflu et sacrifice très mal récompensé. La marquise d'Hertford en donnait l'exemple.

Je fus très étonnée en sortant de mon appartement de trouver le couvert mis sur le palier de l'escalier. Mais quel palier et quel couvert! tous les tapis, tous les fauteuils, toutes les tables, toutes les porcelaines, toutes les vaisselles, toutes les recherches de tout genre que le luxe et le bon goût peuvent offrir à la magnificence y étaient déployés. Le prince mettait d'autant plus d'importance à ce que ce repas fût extrêmement soigné qu'il n'y assistait jamais, et qu'aucune délicatesse de bon goût pour ses hôtes ne lui échappait.

Il menait à Brighton à peu près la même vie qu'à Londres, restait dans sa chambre jusqu'à trois heures et montait à cheval ordinairement seul. Si, avant de commencer sa promenade, il rencontrait quelques nouveaux débutants au pavillon, il se plaisait à le leur montrer lui-même et surtout ses cuisines entièrement chauffées à la vapeur sur un plan, tout nouveau à cette époque, dont il était enchanté.

En rentrant, le prince descendait de cheval à la porte de lady Hertford qui habitait une maison séparée mais communiquant à couvert avec le pavillon royal. Il y restait jusqu'au moment où commençait la toilette du dîner.

Pendant la semaine que nous passâmes à Brighton, la même vie se renouvela chaque jour. C'était l'habitude.

Je m'y retrouvai l'année suivante avec le grand-duc, devenu depuis empereur Nicolas. Il était trop jeune pour que le Régent se gênât beaucoup pour lui. La seule différence que je remarquai, c'est qu'au lieu de laisser chacun libre de sa matinée en mettant chevaux et voitures à sa disposition, le Régent faisait arranger une partie tous les jours pour le jeune prince, à laquelle, hormis lui, tous les habitants du pavillon se réunissaient.

On visitait ainsi les lieux un peu remarquables à quinze milles à la ronde. Je me rappelle que, dans une de ces promenades, le grand-duc adressa une question à l'amiral sir Edmund Nagle que le régent avait spécialement attaché à sa personne. Celui-ci ôta son chapeau pour répondre:

«Mettez donc votre chapeau.»

Et, en disant ces mots, le grand-duc donna un petit coup de cravache au chapeau. L'amiral le tenait mal apparemment; il lui échappa et le vent bien carabiné sur la falaise élevée de Brighton l'emporta en tourbillonnant dans un champ voisin, séparé de nous par une haie et une haute barrière devant laquelle nous étions arrêtés pour examiner un point de vue.

Avant que l'amiral, gros, court et assez âgé, eût pu descendre de cheval, l'Altesse Impériale était sautée à terre, avait deux fois franchi lestement et gracieusement la barrière et rapportait le chapeau à sir Edmund en lui adressant ses excuses. Cette prouesse de bonne grâce et de bonne compagnie donna beaucoup de popularité au grand-duc dans notre coterie de Brighton qui réunissait à cette époque le corps diplomatique presque en entier.

L'étiquette plaça ma mère constamment auprès du grand-duc Nicolas pendant tout son voyage. Avec ses habitudes de Cour et sa vocation pour les princes, elle ne tarda pas à lui plaire. Ils étaient très joliment ensemble; il l'appelait sa gouvernante et la consultait plus volontiers que la comtesse de Lieven dont il avait peur. Ma mère en était, de son côté, toute affolée et nous le vantait beaucoup. Pour moi, qui ne partage pas son goût pour les princes en général, il me faut plus de temps pour m'apprivoiser aux personnes de cette espèce que ne dura le séjour du grand-duc.

Je le trouvai très beau; mais sa physionomie me semblait dure, et surtout il me déplut par la façon dont il parlait de son frère, l'empereur Alexandre. Son enthousiasme, porté jusqu'à la dévotion, s'exprimait en véritables tirades de mélodrame et d'un ton si exagéré que la fausseté en sautait aux yeux.

Je n'ai guère vu de jeune homme plus complètement privé de naturel que le grand-duc Nicolas; mais aurait-il été raisonnable d'en exiger d'un prince et du frère d'un souverain absolu? Je ne le crois pas. Aussi ne prétends-je pas lui en faire reproche, seulement je m'explique pourquoi, malgré sa belle figure, ses belles façons, sa politesse et les éloges de ma mère, il n'est pas resté gravé d'un burin fort admirateur dans mon souvenir.

CHAPITRE XIV

Je fais naufrage sur la côte entre Boulogne et Calais. – Effet de cet accident. – Excellent propos de Monsieur. – Singulière conversation de Monsieur avec Édouard Dillon. – Les pairs ayant des charges chez le Roi votent contre le ministère. – Réponse de monsieur Canning à ce sujet. – Le Pape et monsieur de Marcellus.

Si j'avais l'intention de faire le récit des petits événements de ma vie privée, ou plutôt si j'avais le talent nécessaire pour les rendre intéressants, j'aurais dû placer en 1800 un combat naval que le bâtiment sur lequel je revenais d'Hambourg soutint à la hauteur du Texel et, en 1804, la description d'un orage qui m'assaillit à l'entrée de la Meuse. On me fit grand honneur, dans ces deux occasions, de mon courage. Je suis forcée de l'expliquer d'une façon excessivement peu poétique; j'avais abominablement le mal de mer.

Peut-être pourrais-je réclamer à plus juste titre quelque éloge pour avoir montré du sang-froid dans une position très périlleuse qu'amena la courte traversée de Douvres à Calais, au mois de février 1818.

 

Par la coupable incurie du capitaine, nous échouâmes sur une petite langue de sable placée entre deux rochers à un quart de lieue de la côte. Chaque lame nous soulevait un peu, mais nous retombions plus engravés que jamais. C'était encore heureux, car, si nous avions heurté de cette façon sur les rochers dont nous étions bien rapprochés, peu de secondes auraient suffi à nous démolir.

Le bâtiment était encombré de passagers. La seule petite chaloupe qu'il pût mettre à la mer ne contenant que sept personnes, dont deux matelots pour la conduire, je compris tout de suite que le plus grand danger de notre situation périlleuse était l'effroi qui pouvait se mettre parmi nous et l'empressement à se jeter dans cette embarcation.

Ma qualité de fille d'ambassadeur me donnait d'autant plus d'importance à bord que j'étais accompagnée d'un courrier de cabinet pour lesquels les capitaines des paquebots ont des égards tout particuliers.

J'en profitai pour venir au secours du commandant. Il voulait me faire passer la première; je l'engageai à placer dans le bateau une mère accompagnée de cinq petits enfants qui jetaient les hauts cris. Un monsieur (je suis fâchée de dire que c'était un français) s'y précipita sous prétexte de porter les enfants, et le bateau s'éloigna.

Je ne nierai pas que les quarante minutes qui s'écoulèrent jusqu'à son retour ne me parussent fort longues. Toutefois le parti que j'avais pris m'avait donné quelque autorité sur mes compagnons de malheur, et j'obtins qu'il n'y aurait ni cris, ni mouvement impétueux. Tout le monde se conduisit très bien. Les femmes qui restaient, nous étions cinq et deux enfants, devaient s'embarquer au second voyage. Les hommes tirèrent au sort pour les suivants. Tout s'exécuta comme il avait été convenu.

Le capitaine m'avait expliqué que le moment du plus grand danger serait celui où la marée tournerait. Si alors le vent poussait à terre, avant que son bâtiment fût gouvernable, il y avait fort à craindre qu'il ne se brisât sur les rochers, si, d'un autre côté, il était assez engravé pour ne pouvoir se relever, il serait rempli par la marée montante. Les deux chances étaient également admissibles, mais nous avions encore un peu de temps devant nous. Au reste, la nuit s'approchait et il neigeait à gros flocons.

Lorsque je quittai le bâtiment, il était tellement penché que les matelots eux-mêmes ne pouvaient traverser le pont qu'à l'aide d'une échelle qu'on avait couchée dessus. Notre départ se conduisit avec un grand ordre et un entier silence. Une jeune femme refusa péremptoirement de se séparer de son mari. Il avait tiré un des derniers numéros, mais un officier qui devait partir par le prochain bateau fut tellement touché de ce dévouement, fait au plus petit bruit possible, qu'il exigea du mari de prendre sa place.

Je pourrais faire un volume de toutes les circonstances touchantes et ridicules qui accompagnèrent cet épisode de mes voyages, depuis le moment où le bâtiment toucha jusqu'à celui où, après une route de sept heures au milieu de la nuit, de la neige, et par des chemins impraticables, la charrette qui nous portait pêle-mêle sur la paille nous fit faire notre entrée dans Calais.

Le capitaine, débarrassé de ses passagers, manœuvra fort judicieusement. Il lui arriva enfin quelques secours de la côte et il parvint à relever son bâtiment et à l'amener à Calais, quoique très avarié. Le lendemain, il me fit faire des excuses et de grands remerciements sur l'exemple que j'avais donné et qui, assurait-il, avait tout sauvé. J'ai remarqué que les grands dangers trouvent toujours du sang froid, et les grandes affaires du secret. Les cris et les caquets sont pour les petites circonstances.

J'étais partie de Londres malade; j'arrivai à Paris très bien portante. Je payai cher ce faux bien-être; la réaction ne tarda pas à se faire sentir. J'eus d'abord un anthrax qui fut précurseur d'une fièvre maligne; les médecins l'attribuèrent à avoir eu ce qui s'appelle vulgairement le sang tourné. Plus on prend sur soi dans un danger évident et apprécié, plus ce résultat peut arriver. Toutefois j'étais souffrante depuis fort longtemps et aurais peut-être été malade sans mon naufrage.

Je présentai ma belle-sœur le lendemain de mon arrivée. Je me rappelle particulièrement ce jour-là parce que c'est le seul mouvement patriotique que j'aie vu à Monsieur et que j'aime à lui en faire honneur. On conçoit qu'un naufrage est un argument trop commode pour que les princes ne l'exploitent pas à fond. J'avais fait ma cour à ses dépens chez le Roi, chez Madame, et même chez monsieur le duc d'Angoulême.

Arrivée chez Monsieur, après quelques questions préliminaires, il me dit d'un ton assez triste:

«C'était un paquebot français.

– Non, monseigneur, c'était un anglais.

– Oh! que j'en suis aise!»

Il se retourna à son service qui le suivait, et répéta aux dames qui m'environnaient: «Ce n'était pas un capitaine français» avec un air de satisfaction dont je lui sus un gré infini. S'il avait souvent exprimé de pareils sentiments, il aurait été bien autrement populaire.

Je précédai de peu de jours à Paris mon oncle, Édouard Dillon, qui y passait en se rendant de Dresde à sa nouvelle résidence de Florence. Il était de la maison de Monsieur, et, je crois l'avoir déjà dit, dans des habitudes de familiarité qui dataient de leur jeunesse à tous deux. Un matin, où il quittait Monsieur, il me raconta une conversation qui venait d'avoir lieu. Elle avait roulé sur l'inconvenance des propos tenus par l'opposition et plus encore par le parti ministériel sur le prince.

On cherchait, selon lui, à le déjouer parce qu'il était royaliste et avertissait le Roi des précipices où on entraînait la monarchie, etc. Édouard, qui se trouvait une des personnes les plus raisonnables pouvant l'approcher, combattit ces impressions de Monsieur. Il lui assura qu'il lui serait bien facile de se faire adorer, s'il voulait se montrer moins exclusivement chef d'un parti.

«Mais je ne suis pas chef d'un parti.

– Monseigneur, on vous en donne les apparences.

– C'est à tort, mais comment l'éviter?

– En étant moins exclusif.

– Jamais je n'accueillerai les jacobins, c'est pour cela qu'on me déteste.

– Mais les gens qui vous servent bien ne sont pas des jacobins.

– C'est selon. Vois-tu, Ned, le vieux levain révolutionnaire, cela reparaît toujours, fût-ce au bout de vingt ans. Quand on a servi les autres, on ne vaut rien pour nous.

– Je suis fâché d'entendre tenir ce langage à Monseigneur; cela confirme ce que l'on dit.

– Ah! ah! et que dit-on? conte-moi cela, toi.

– Hé bien, Monseigneur, on dit que vous avez envie de faire Mathieu ou Jules ministre.»

Monsieur qui se promenait dans son cabinet, s'arrêta tout court, partit d'un grand éclat de rire.

«Ah! parbleu, celui-là est trop amusant, ce n'est pas sérieusement que tu me dis cela?

– Sérieusement, Monseigneur.

– Mais tu connais trop Jules pour que j'aie besoin de te dire ce que c'est; hé bien, Mathieu c'est la même espèce tout juste, un peu moins hâbleur peut-être, mais pas plus de fond ni de valeur. Puisqu'on veut bien me prêter des intentions, il faudrait au moins qu'elles fussent de nature à ce que quelqu'un pût y ajouter foi. Allons, allons, mon vieil ami, tranquillise-toi; si on ne fait jamais d'autre fable sur mon compte, cela n'est pas bien alarmant. Mathieu! Jules! Ah! bon Dieu, quels ministres? on me croit donc extravagant! mais il faudrait être fou à lier! Il n'est pas possible que qui que ce soit y ait cru sérieusement; on s'est moqué de toi.»

Édouard lui témoigna grande satisfaction des dispositions où il se trouvait. Il vint en toute hâte me conter la sagesse de son prince. J'ai souvent repensé à cette conversation, sur laquelle je ne puis avoir aucun doute, lorsque plus tard Mathieu de Montmorency d'abord et Jules de Polignac ensuite ont été successivement ministres des affaires étrangères.

Monsieur avait-il changé d'opinion sur leur compte, ou bien trompait-il Édouard en 1818? Il peut y avoir de l'un et de l'autre.

Il est indubitable que, dès lors, Jules était dans sa plus intime confiance et jouait le rôle de ministre de la police du gouvernement occulte.

L'opposition au Roi avait gagné toute la Cour, et pour conserver un peu de tranquillité dans l'intérieur de sa famille, il n'osait pas en témoigner de ressentiment. La loi de recrutement déplaisait particulièrement à la noblesse. De tout temps, elle regardait l'armée comme son patrimoine. C'était bien à titre onéreux, il faut l'accorder, car elle l'avait exploitée, plus honorablement que lucrativement, pendant bien des siècles, mais elle tenait à en jouir exclusivement et ne voulait pas comprendre combien les temps étaient changés. Elle s'opposa donc au système d'avancement par l'ancienneté avec une extrême passion.

La loi fut emportée à la Chambre des députés; on savait qu'elle ne parviendrait à passer à celle des pairs qu'à une faible majorité. Le Roi, n'osant pas se prononcer hautement, emmena à sa promenade accoutumée les pairs de service auprès de lui qui, tous, devaient voter contre son gouvernement.

Le Roi ne sortait pas le dimanche ni le mercredi où il tenait conseil. Pour les cinq autres jours de la semaine, il avait cinq promenades, toujours les mêmes, qui revenaient à jour fixe chaque semaine. Celle de la matinée où l'on devait voter était une des plus courtes et les pairs y avaient compté; mais le Roi, ce qui était sans exemple, avait changé les ordres pour les relais et, de plus, commandé d'aller doucement.

En général, il voulait aller excessivement vite et toujours sur le pavé. Quelque poussière, quelque verglas qu'il pût y avoir, il ne ralentissait jamais son allure. Il en résultait des accidents graves pour les escortes, mais cela le laissait complètement impassible. Quand un homme était tombé on le ramassait; cela ne faisait aucun émoi. Si c'était un officier, on envoyait savoir de ses nouvelles, et, si son cheval était estropié, on lui en donnait un. Il n'en n'était pas davantage.

Il fallait un motif politique pour influer sur les usages établis; mais la niche du Roi n'eut pas de succès. Ses zélés serviteurs avaient eu la précaution de demander leur voiture dans la cour des Tuileries. Ils s'y jetèrent, en descendant du carrosse royal, et arrivèrent encore au Luxembourg à temps pour donner leur non aux demandes des ministres. Ils n'en furent pas plus mal traités dans les grands appartements, et beaucoup mieux au pavillon de Marsan.

Nous autres, constitutionnels ministériels, étions indignés; mais les ultras, et même les courtisans plus raisonnables, étaient enchantés de cet acte d'indépendance.

Monsieur Canning se trouvait alors pour quelques jours à Paris. Je me souviens que, le soir même où la discussion sur ce procédé était assez animée, il entra chez madame de Duras. Elle l'interpella:

«N'est-ce pas qu'en Angleterre les personnes attachées au Roi votent selon leur conscience et ne sont nullement forcées de soutenir le ministère?

– Je ne comprends pas bien.

– Mais, par exemple, si le grand chambellan trouve une loi mauvaise, il est libre de voter contre?

– Assurément, très libre, chacun est complètement indépendant dans son vote.»

Madame de Duras triomphait.

«Mais, ajouta monsieur Canning, il enverrait sa démission avant de prendre ce parti; sans cela on la lui demanderait tout de suite.»

Le triomphe fut un peu moins agréable. Toutefois, comme elle avait de l'esprit, elle se rabattit sur ce que notre éducation constitutionnelle n'était pas assez faite pour appeler cela de l'indépendance, et, ramenant la discussion à une thèse générale, tourna le terrain où elle s'était engagée si malencontreusement.

Le parti soi-disant royaliste était tombé dans une telle aberration d'idées que, lorsque monsieur de Marcellus, alors député, fut nommé de la commission pour examiner la loi qui devait accompagner le concordat et garantir les libertés de l'Église gallicane, il n'imagina rien de mieux que d'en référer au Pape en lui envoyant la copie du projet de loi et de tous les documents confiés à la commission.

Le Pape lui répondit qu'il fallait s'opposer à la promulgation de cette loi par tous les moyens possibles, l'autorisant même textuellement à employer en sûreté de conscience la ruse et l'astuce.

Monsieur de Marcellus, plus bon que méchant dans le fond, profita mal du conseil car il alla porter ce singulier bref au duc de Richelieu qui entra dans une fureur extrême. Il le menaça de le traduire devant les tribunaux pour avoir révélé le secret d'État à une Cour étrangère, lui dit que, si cet ancien régime, qu'il affectait de regretter, subsistait encore, on le ferait pourrir dans une prison d'État et, par grâce encore, pour éviter que le Parlement ne le décrétât de prise de corps et ne lui fît un plus mauvais parti, etc.

 

Monsieur de Marcellus fut tout ébahi d'une scène si bien carabinée; il comprit même son tort; mais le parti jésuite, très puissant et tout ultramontain, lui donna de grands éloges. Monsieur le prit sous sa protection spéciale et le bruit s'apaisa.

Seulement, il me semble que les négociations à Rome furent retirées à monsieur de Blacas, soupçonné d'avoir eu connaissance de cette intrigue, et qu'on y envoya monsieur Portalis. Celui-ci parvint à faire signer un concordat où les libertés gallicanes étaient aussi bien ménagées que les circonstances le permettaient. Le roi Louis XVIII n'y tenait pas assez pour les défendre vivement contre son frère.