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Récits d'une tante (Vol. 2 de 4)

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Je finis par me laisser persuader, tout en conservant mon étonnement de l'à-propos de la publication: tant de gens plus compétents affirmaient reconnaître l'auteur qu'il y aurait eu de l'obstination à en douter.

Je restais persuadée de l'inopportunité de ces lectures. Toutefois, les gens qui s'y prêtaient étaient de nature à lever tous les scrupules que j'avais conçus.

Je possédais deux exemplaires de la brochure, et je trouvai qu'il n'y avait plus que de la désobligeance à les tenir enfermés. Je les prêtai donc et ne tardai pas à m'en repentir, car chaque matin je recevais vingt billets qui me les demandaient. On se faisait inscrire à tour de rôle pour les obtenir.

Aucune mystification n'a eu un succès plus complet ni plus utile à un parti. La semi-publicité ajoutait tout le prix de la mode et du fruit défendu à un ouvrage devenu une sorte de manifeste; et les lectures faites en commun, appelant cette espèce d'électricité que les hommes réunis exercent les uns sur les autres, le rendaient d'autant plus propre à exciter toutes les passions. Je n'ai jamais assisté à une de ces représentations dans une société impérialiste; mais, à en juger par l'effet qu'elles faisaient dans nos salons bourbonniens, on peut supposer qu'elles remuaient profondément les âmes, exaltaient toutes les haines et tous les regrets.

Le manuscrit de Sainte-Hélène restera au moins fameux dans les cabinets des bibliophiles comme contrefaçon. Il est de monsieur Bertrand de Novion qui n'a aucune autre réputation littéraire, n'a jamais vu l'Empereur de près et n'a eu de rapports avec lui que pendant les Cent-Jours.

Je sais bien que, depuis que l'auteur est connu, on a beaucoup dit qu'il était impossible de s'y méprendre; mais, au moment où cette brochure parut, il était encore plus impossible d'élever un doute sans se faire lapider.

(Note de 1841). – Après avoir profité vingt-cinq ans du succès de cette publication et en avoir même reçu le salaire, monsieur Bertrand de Novion vient d'en restituer l'honneur à son véritable auteur, monsieur de Châteauvieux. J'avais eu révélation de son nom dans le temps; mais les habitudes, les relations, les opinions de monsieur de Châteauvieux, toutes hostiles à l'Empire, m'avaient éloignée d'y attacher aucune importance. Il faut son assertion, la reproduction du manuscrit écrit de sa main et l'aveu de monsieur Bertrand de Novion pour y croire à l'heure qu'il est.

CHAPITRE IX

Monsieur de Villèle. – Intrigue de Cour pour ramener monsieur de Blacas. – La duchesse de Narbonne. – Martin et la sœur Récolette. – Arrivée de monsieur de Blacas. – Déjeuner aux Tuileries. – La petite chienne de Madame. – Sagesse de monsieur le duc d'Angoulême. – Agitation des courtisans. – Trouble de monsieur Molé. – Bonne contenance de monsieur Decazes. – Délais multipliés de monsieur de Blacas. – Il est congédié par le Roi.

L'exaltation des bonapartistes, loin de calmer, servait même de stimulant à celle des ultras. Ils accusaient la longanimité du Roi et la modération du ministère. Selon eux, de sévères répressions, des procès, des condamnations, des échafauds, mais surtout des destitutions auraient assis la Restauration sur des bases bien autrement solides.

Monsieur de Chateaubriand avait, depuis longtemps, fait paraître sa Monarchie selon la charte ou il ne demandait que sept hommes dévoués par département, au nombre desquels il plaçait le grand prévôt, et la liberté de la presse avec la peine de mort largement affectée à ses délits. Ces concessions paraissaient encore trop libérales aux ultras, et il était obligé de modifier ses doctrines pour rester un de leurs chefs. À plus petit bruit, il s'en élevait un autre bien moins brillant mais plus habile, monsieur de Villèle.

Son humble origine, ses formes vulgaires, sa tournure hétéroclite, sa voix nasillarde le tenaient encore éloigné des salons; mais il commençait à avoir une grande influence à la Chambre des députés et à grouper autour de lui le bataillon de l'opposition ultra. Toutefois, la Cour n'était pas d'humeur à attendre les résultats des manœuvres constitutionnelles et elle en prépara une pour son compte.

Depuis le mariage de madame la duchesse d'Angoulême, madame de Sérent et ses deux filles, les duchesses de Damas et de Narbonne, étaient restées constamment auprès d'elle. Madame de Narbonne avait tout l'esprit que sa sœur croyait posséder. Le roi Louis XVIII n'avait pas manqué de saisir la différence qui existait entre le prétentieux bel esprit de madame de Damas et la distinction de bon aloi de madame de Narbonne. Il avait pris à Hartwell l'habitude de causer assez confidentiellement avec cette dernière. Il aimait la société des femmes spirituelles; madame de Balbi lui en avait donné le goût.

Les deux sœurs étaient, quoique à des degrés différents, liées avec monsieur de Blacas. Son absence affligeait l'une et déplaisait à l'autre qui se voyait privée du crédit qu'elle exerçait pendant son ministère. Tant que monsieur de Blacas avait été tout-puissant près du Roi, Monsieur et Madame l'avaient en horreur. Son expulsion les avait charmés. Mais mal passé n'est que songe; on détestait encore plus les ministres présents.

Le favoritisme du bourgeois et impérialiste Decazes fit regretter le noble et émigré Blacas. Avec celui-là du moins, on s'entendait sur bien des points et la langue était commune. Madame de Narbonne n'eut donc pas grand'peine à faire reconnaître aux princes qu'ils avaient beaucoup perdu au change. Restait à ramener le Roi à ses anciennes préférences; elle entreprit de l'accomplir.

Louis XVIII, homme du temps de sa jeunesse, était, en matière de religion, philosophe du dix-huitième siècle. Les pratiques auxquelles il s'astreignait très exactement n'étaient pour lui que de pure étiquette. Toutefois, malgré son scepticisme établi, il ne manquait pas d'une sorte de superstition. Il croyait, assez volontiers, que, si le bon Dieu existait et qu'il s'occupât de quelque chose, ce devait être sans aucun doute du chef de la maison de Bourbon.

Madame de Narbonne profita de l'accès qu'elle avait auprès de lui pour lui parler d'une certaine sœur Marthe, religieuse, et d'un cultivateur des environs de Paris, nommé Martin, qui, tous deux, avaient des visions tellement étranges par leur importance et leur similitude qu'elle se faisait un devoir d'en avertir le Roi.

Déjà, selon elle, toutes les consciences timorées étaient bouleversées par ces dénonciations de l'abîme vers lequel on s'avançait. Elle revint plusieurs fois à la charge; le Roi consentit à voir la sœur Marthe. Bien stylée, probablement par les entours immédiats du Roi, elle lui fit des révélations intimes sur son passé, et parla comme il le fallait, pour le présent et l'avenir. Le Roi fut ébranlé.

Madame de Narbonne manda à monsieur de Blacas, alors ambassadeur à Rome, de venir sur-le-champ n'importe sous quel prétexte; elle était autorisée à lui promettre l'appui des princes et elle ne doutait pas de son succès auprès du Roi.

En conséquence, un beau matin un valet de chambre du Roi, très dévoué à monsieur de Blacas, remit à Sa Majesté, en entrant dans sa chambre, un billet de monsieur de Blacas. Ne pouvant plus résister au besoin de son cœur, il était arrivé à Paris uniquement pour voir le Roi, le regarder, entendre sa voix, se prosterner à ses pieds et repartir, ayant fait provision de bonheur pour quelques mois.

Monsieur de Blacas avait trop spéculé sur la faiblesse qu'il connaissait à Louis XVIII du besoin d'être aimé pour lui-même. Le Roi répondit sèchement et verbalement:

«Je ne reçois les ambassadeurs que conduits par le ministre des affaires étrangères.»

Monsieur de Blacas se trouva donc forcé d'aller d'abord chez le duc de Richelieu. Fort étonné de voir entrer un ambassadeur qu'il croyait à Rome, il ne douta pas que Louis XVIII ne l'eût mandé. Il lui demanda s'il avait vu le Roi.

«Mais non, reprit monsieur de Blacas, vous pensez bien que je ne m'y serais pas présenté sans vous.»

Cette déférence inattendue parut singulière au duc qui, malgré toute sa loyauté, démêlait bien une intrigue au fond de ce retour inopiné. Il fut confirmé dans cette opinion lorsqu'en arrivant le Roi ne témoigna aucune surprise de voir monsieur de Blacas, et la froideur qu'il lui montra ne lui parut qu'un jeu concerté entre eux. Monsieur de Blacas, en jugea autrement, et comprit, dès lors, qu'il avait été mal conseillé.

Le Roi dînait toujours exclusivement avec la famille royale; mais les déjeuners se passaient plus sociablement aux Tuileries, hormis pour Monsieur qui prenait seul, chez lui, sa tasse de chocolat. Monsieur le duc d'Angoulême déjeunait avec son service du jour, le duc de Damas et le duc de Guiche. Monsieur le duc de Berry ajoutait aux personnes de sa maison celles de sa familiarité et souvent même faisait des invitations de politesse.

Le Roi avait tous les matins une table de vingt couverts. En outre du service du jour, les grandes charges de la maison y assistaient quand elles voulaient, toujours sans invitation. Madame la duchesse d'Angoulême, accompagnée de la dame de service, déjeunait chez son oncle. Messieurs de Richelieu et de Blacas avaient le droit de s'asseoir à cette table, en leur qualité, de premier gentilhomme de la chambre et de premier maître de la garde-robe; car, comme ministre et ambassadeur, ils n'y auraient pas été admis, et le Roi aurait passé dans la salle à manger sans leur dire de le suivre.

Leur audience avait eu lieu peu avant l'heure du déjeuner; ils accompagnaient le Roi lorsqu'il entra dans le salon où les convives se trouvaient assemblés. La surprise égala le malaise en voyant monsieur de Blacas qu'on croyait à Rome. On cherchait à lire sur la figure du Roi l'accueil qu'il lui fallait faire, mais sa physionomie était impassible. La présence de monsieur de Richelieu gênait aussi ceux qui auraient voulu montrer les espérances que peut-être ils ressentaient.

 

Tout le monde, selon l'usage, était réuni lorsque Madame arriva précédée d'une petite chienne que monsieur de Blacas lui avait autrefois donnée; celle-ci sauta autour de son ancien protecteur et le combla de caresses.

«Cette pauvre Thisbé, dit le Roi, je lui sais gré de si bien vous reconnaître.»

Le duc d'Havré se pencha à l'oreille de son voisin et lui dit:

«Il faut faire comme Thisbé, il n'y a pas à hésiter.»

Et monsieur de Blacas fut entouré des plus affectueuses démonstrations. Madame ne montra pas plus de surprise que le Roi, mais accueillit monsieur de Blacas avec grande bienveillance. Il y a à parier qu'elle n'ignorait pas l'intrigue qui se manœuvrait.

Monsieur le duc d'Angoulême déjeunait plus tard que le Roi, et la princesse en sortant de chez son oncle venait toujours assister à la fin de son repas où elle mangeait, toute l'année, une ou deux grappes de raisin.

Ce jour-là elle raconta l'arrivée de monsieur de Blacas. «Tant pis», répondit sèchement monsieur le duc d'Angoulême. Elle ne répliqua pas. Mon frère, qui, en sa qualité d'aide de camp, déjeunait chez son prince, fut frappé de l'idée qu'il y avait dissidence dans le royal ménage sur cet événement.

Au reste, cela arrivait très habituellement. Monsieur le duc d'Angoulême rendait une espèce de culte à sa femme qui avait pour lui la plus tendre affection, mais ils ne s'entendaient pas en politique. Sous ce rapport, Madame était bien plus en sympathie avec Monsieur, et ni l'un ni l'autre n'exerçaient d'influence sur monsieur le duc d'Angoulême.

Lorsque Madame commençait une de ses diatribes d'ultra-royalisme, il l'arrêtait tout court:

«Ma chère princesse (c'est ainsi qu'il l'appelait) ne parlons pas de cela; nous ne pouvons nous entendre ni nous persuader réciproquement.»

Aussi toutes les intrigues du parti s'arrêtaient-elles devant la sagesse de monsieur le duc d'Angoulême qui refusait constamment de témoigner aucune opposition au gouvernement du Roi. Elles trouvaient, en revanche, des auxiliaires bien actifs dans les autres princes et leurs entours, y compris ceux du Roi.

La nouvelle de l'arrivée de monsieur de Blacas fit grand bruit, comme on peut penser. Je sus promptement le peu d'étonnement témoigné par le Roi, l'histoire de Thisbé et le tant pis de monsieur le duc d'Angoulême. Selon le parti auquel on appartenait, on brodait le fond de diverses couleurs.

Les courtisans avaient remarqué qu'après le déjeuner monsieur de Blacas ayant parlé bas au Roi, il avait répondu tout haut de sa voix sévère:

«C'est de droit, vous n'avez pas besoin de permission.»

On sut qu'il s'agissait de s'installer dans l'appartement du premier maître de la garde-robe aux Tuileries. Cet appartement, arrangé pour monsieur de Blacas dans le plus fort de sa faveur, communiquait avec celui du Roi par l'intérieur.

On se rappela que le major général de la garde y avait été logé provisoirement pendant qu'on travaillait à son appartement, mais que les réparations avaient été poussées avec un redoublement d'activité depuis quelque temps; et que, deux jours avant, il avait pu s'installer [chez lui] et laisser libre l'appartement de monsieur de Blacas. J'avoue que cette circonstance, de la facilité des communications, me parut grave. La franchise du monarque n'était pas assez bien établie pour que la froideur de la réception semblât tout à fait rassurante.

Monsieur de Blacas affecta de passer la matinée tout entière au Salon du Louvre où il y avait alors exposition de tableaux; il ne parla pas d'autre chose pendant le dîner chez le duc d'Escars. Il jeta en avant quelques phrases qui indiquaient le projet d'un prompt départ pour Rome.

Très anxieuse de savoir ce qui se passait, j'allai le soir chez monsieur Decazes. Le même sentiment y avait amené quelques personnes, la malice quelques autres, la curiosité encore davantage, si bien qu'il y avait foule. Tous les esprits y paraissaient fort agités, hormis celui du maître de la maison. Lui semblait dans son assiette naturelle.

Je n'en pourrais dire autant de monsieur Molé, alors ministre de la marine; il était dans un trouble impossible à dissimuler. Je le vois encore assis sur un petit sopha, dans le recoin d'une cheminée, et avançant un écran sous prétexte de se défendre de la lumière, mais évidemment pour éviter les regards à sa figure renversée.

Ordinairement monsieur Decazes n'allait pas faire sa visite quotidienne au Roi les jours de ses réceptions; cette fois il s'échappa de son salon. Peu après, quelqu'un (monsieur de Boisgelin, je crois), arrivant de l'ordre, me raconta que monsieur de Blacas, reprenant ses anciennes habitudes, avait suivi le Roi dans son intérieur lorsqu'il y était rentré.

L'absence du ministre de la police ne fut pas longue; son attitude était parfaitement calme au retour; et je fis la remarque qu'avec moins d'esprit de conversation et bien moins d'élégance de formes que monsieur Molé il avait, dans cette occasion, beaucoup plus le maintien d'un homme d'État. Le monde s'étant écoulé, je m'approchai de lui et je lui dis:

«Que dois-je mander demain à mon père? le courrier part.

– Que je suis son plus dévoué serviteur, aussi bien que le vôtre.

– Vous savez bien que ce n'est pas vaine curiosité qui me fait faire cette demande. Les gazettes ultras vont entonner la trompette; répondez-moi sérieusement ce qu'il convient de dire à l'ambassadeur.

– Hé bien, sérieusement, mandez-lui que monsieur de Blacas est arrivé aujourd'hui vendredi de Rome à Paris et qu'il repartira jeudi de Paris pour Rome.

– Jeudi! et pourquoi pas demain?

– Parce que ce serait faire un événement de ce voyage et qu'il vaut infiniment mieux qu'il reste un ridicule.

– Je comprends la force de cet argument, mais ne craignez-vous pas de voir prolonger la facilité de ces communications entre les deux appartements?

– Je ne crains rien; faites comme moi.»

Et il accompagna ces derniers mots d'un sourire pas mal arrogant. J'avoue que j'étais loin de partager sa sécurité, connaissant la faiblesse du Roi et la cabale qui l'entourait. Toutefois, monsieur Decazes avait raison. Le Roi était capable d'intriguer contre ses ministres, mais il se serait fait scrupule de faire infidélité à ses favoris. Toutes les fois qu'ils lui ont été enlevés, c'est par force majeure et jamais il n'en avait été complice.

Au déjeuner du lendemain, le Roi affecta de parler du désir qu'il avait que le temps s'adoucît pour rendre le retour de monsieur de Blacas [plus agréable]. Au moment où on allait se séparer, il lui dit tout haut:

«Comte de Blacas, si vous avez à me parler ce soir, venez avant l'ordre; après, c'est l'heure du ministre de la police.»

Or, la famille royale quittait le Roi à huit heures; l'ordre était à huit heures un quart, ainsi le tête-à-tête ne pouvait se prolonger d'une façon bien intime.

Monsieur de Blacas s'inclina profondément, mais on sentit le coup et, dans ce moment, Thisbé l'aurait caressé sans trouver d'imitateurs. Néanmoins le parti dit du pavillon de Marsan, toujours prompt à se flatter, affirmait et croyait peut-être qu'il y avait un dessous de carte, que les froideurs n'étaient qu'apparentes, qu'une faveur intime en dédommageait et ferait prochainement explosion.

Je le croyais un peu, et surtout lorsque, la veille du jour fixé pour son départ, monsieur de Blacas se déclara malade. Il garda sa chambre quarante-huit heures, puis reparut avec une extinction de voix qui ne permettait pas d'entreprendre un grand voyage. Il gagna une dizaine de jours par divers prétextes. Le dernier qu'il employa fut le désir d'accompagner le Roi dans la promenade du 3 mai, anniversaire de son entrée à Paris. Il parcourait les rues en calèche, sous la seule escorte de la garde nationale; cela plaisait à la population.

Monsieur de Blacas espérait que le droit de sa charge le placerait dans la voiture du Roi; mais celui-ci fit un grand travail d'étiquette pour lui enlever cette satisfaction. Je ne me rappelle plus quelle en fut la manœuvre, mais monsieur de Blacas ne figura que dans une voiture de suite. En rentrant, le Roi s'arrêta à la porte de son appartement, et, la tenant lui-même ouverte, ce qui était sans exemple, il dit bien haut:

«Adieu, mon cher Blacas, bon voyage, ne vous fatiguez pas en allant trop vite; je recevrai avec plaisir de vos nouvelles de Rome.»

Et pan, il frappa la porte à la figure du comte qui s'apprêtait à le suivre. Monsieur de Blacas, très déconcerté de la brièveté de ce congé amical, partit le soir.

Le résultat de ce voyage fut de faire nommer un ministre de la maison du Roi. Sans en être précisément titulaire, monsieur de Blacas en touchait les appointements, en conservait le patronage; et la charge était faite par un homme à sa dévotion, monsieur de Pradel. En revanche, quelque temps après, il fut fait duc et premier gentilhomme de la chambre.

L'intrigue ayant manqué, on ne s'occupa plus alors de Martin, d'autant que le Roi l'avait fait remettre entre les mains de monsieur Decazes. Il passa quelques semaines à Charenton sans que les médecins osassent affirmer dans son exaltation un état de folie constatée.

On le renvoya dans son village d'où la Congrégation l'a évoqué plusieurs fois depuis. Une de ses principales visions portait sur l'existence de Louis XVII dont, de temps en temps, on voulait effrayer la famille royale. Il à été question de lui pour la dernière fois pendant le séjour de Charles X à Rambouillet, en 1830.

Je ne sais si ce fut tout à fait volontairement que la duchesse de Narbonne alla rejoindre son mari qu'elle avait fait nommer ambassadeur à Naples. Le rôle actif qu'elle venait de jouer dans cette intrigue Blacas avait déplu au Roi, plus encore à monsieur Decazes; et, quoiqu'il n'y eût plus d'exil sous le régime de la Charte, on sut généralement qu'elle avait reçu l'ordre de ne point paraître à la Cour et le conseil de s'éloigner.

CHAPITRE X

Faveur de monsieur Decazes. – Son genre de flatterie. – Affaires de Lyon. – Le duc de Raguse apaise les esprits. – Discours de monsieur Laffitte. – Monsieur le duc d'Orléans revient à Paris. – Histoire inventée sur ma mère. – Ma colère. – Arrivée de toute la famille d'Orléans. – Déjeuner au Palais-Royal. – Calomnies absurdes.

Le favoritisme de monsieur Decazes se trouva mieux établi que jamais. Le Roi ne voyait que par ses yeux, n'entendait que par ses oreilles, n'agissait que par sa volonté.

Les souverains ne se gouvernent guère que par la flatterie. Louis XVIII était trop accoutumé à celles des courtisans d'origine pour y prendre grand goût; il en avait besoin pour lui servir d'atmosphère et y respirer à l'aise, mais elles ne suffisaient pas à son imagination.

Sa fantaisie était d'être aimé pour lui-même; c'était le moyen employé par tous les favoris précédents, excepté par madame de Balbi, je crois, qui se contentait de se laisser adorer et ne se piquait que d'être aimable et d'amuser, sans feindre un grand sentiment.

Monsieur Decazes inventa un nouveau moyen de soutenir sa faveur; il se représenta comme l'ouvrage du Roi, non seulement socialement mais politiquement. Il feignit d'être son élève bien plus que son ministre. Il passait des heures à se faire endoctriner par lui. Il apprenait, sous son royal professeur, les langues anciennes aussi bien que les modernes, le droit, la diplomatie, l'histoire et surtout la littérature.

L'élève était d'autant plus perspicace qu'il savait mieux que le maître ce qu'on lui enseignait; mais son étonnement de tout ce qu'on lui découvrait dans les sciences et les lettres ne tarissait jamais et ne cédait qu'à la reconnaissance qu'il éprouvait. De son côté, le Roi s'attachait chaque jour davantage à ce brillant écolier qui, à la fin de la classe, lui faisait signer et approuver tout le contenu de son portefeuille ministériel; après avoir bien persuadé à S. M. T. C. que d'elle seule en émanaient toutes les volontés.

L'espèce de sentiment que le Roi portait à monsieur Decazes s'exprimait par les appellations qu'il lui donnait. Il le nommait habituellement mon enfant, et les dernières années de sa faveur mon fils. Monsieur Decazes aurait peut-être supporté cette élévation, sans en avoir la tête trop tournée, s'il n'avait été excité par les impertinences des courtisans. Le besoin de rendre insolence pour insolence lui avait fait prendre des formes hautaines et désobligeantes qui, jointes à sa légèreté et à sa distraction, lui ont fait plus d'ennemis qu'il n'en méritait.

On signala vers ce temps une conspiration à Lyon qui donna de vives inquiétudes. L'agitation était notoire dans la ville et les environs, et les désordres imminents. On y envoya le maréchal Marmont muni de grands pouvoirs. Les royalistes l'ont accusé d'avoir montré trop de condescendance pour les bonapartistes. Je n'en sais pas les détails. En tout cas, il souffla sur ce fantôme de conspiration; car, trois jours après son arrivée, tout était rentré dans la tranquillité et il n'en fut plus question.

 

Les troubles mieux constatés de Grenoble avaient rapporté l'année précédente de si grands avantages au général Donnadieu que les autorités de Lyon furent soupçonnées d'avoir fomenté les désordres pour obtenir de semblables récompenses. La réputation du généra Canuel rendait cette grave accusation possible à croire; il pouvait aspirer à se montrer digne émule du général Donnadieu. Le préfet de police, homme peu estimé, s'était réuni à lui pour entourer et épouvanter monsieur de Chabrol, préfet du département, qui n'agissait plus que sous leur bon plaisir.

La vérité sur la conspiration de Lyon est restée un problème historique. Les uns l'ont complètement niée; les autres l'ont montrée tout à fait flagrante. Probablement ni les uns ni les autres n'ont complètement raison. Les opinions toujours vives dans cette ville, et encore exaltées depuis les Cent-Jours, étaient disposées à faire explosion. Quelques excitations des chefs de parti, ou quelques gaucheries de l'administration, pouvaient également amener des catastrophes. Dans cette occasion, elles furent conjurées par la présence du maréchal.

Il recueillit pour salaire l'animadversion des deux partis et même le mécontentement du gouvernement. Il le mérita un peu par la publicité intempestive qu'il laissa donner aux événements dont il avait été témoin, en rejetant tout le blâme sur l'administration. Il crut même devoir personnellement certifier de leur exactitude. Au reste, j'étais absente lorsque cela eut lieu; je ne sais qu'en gros les circonstances de cet événement.

Les généraux Donnadieu, Canuel et surtout Dupont, qui ont été triés sur le volet par la Restauration comme gens de haute confiance, étaient sous l'Empire très peu considérés. Leur faveur a toujours fait un fort mauvais effet dans l'armée.

Les négociations pour le retour de monsieur le duc d'Orléans avaient réussi; le prince était venu seul tâter le terrain. Cette course avait été assez mal préparée par un discours d'un député de l'opposition, monsieur Laffitte, où il avait fait entrer très inconvenablement le nom de Guillaume III d'Orange, de manière à soulever les clameurs de tout le parti royaliste.

Malheureusement, monsieur le duc d'Orléans s'était déjà annoncé et il y aurait eu encore plus d'inconvénient à reculer devant ces cris qu'à les braver. Il arriva donc. Le Roi le reçut avec sa maussaderie accoutumée, madame la dauphine poliment, Monsieur et ses deux fils amicalement et madame la duchesse de Berry, qui se souvenait de Palerme et ne l'avait pas vu depuis son mariage, avec une joie et une affection (l'appelant mon cher oncle à chaque instant) qui la firent gronder dans son intérieur.

Elle pleura beaucoup à la suite de cette visite et, depuis, ses façons ont tout à fait changé avec le prince qu'elle n'a plus appelé que: Monseigneur. Elle avait toujours conservé le ma tante pour madame la duchesse d'Orléans.

La conduite toute simple du prince fit tomber les mauvais bruits qui ne trouvaient nulle part plus d'écho que chez la duchesse sa mère. Son entourage était bruyamment hostile et elle était trop faible pour s'y opposer, ou trop sotte pour s'en apercevoir.

À mon retour d'Angleterre, j'avais été lui faire ma cour, et, parce que j'avais cherché à la distraire des inquiétudes que lui causait la maladie de l'épagneul de monsieur de Follemont en lui parlant de ses petits-enfants que je venais de quitter à Twickenham, le noyau d'ultras qui formaient sa commensalité m'avait déclarée orléaniste et avait répandu ce bruit qui m'impatientait fort, non pour moi, j'étais de trop peu de conséquence, mais pour mon père.

Il importait aussi, dans l'intérêt de monsieur le duc d'Orléans, que l'impartialité de l'ambassadeur fût reconnue. Cette accusation tomba comme tant d'autres. Il n'y en avait pas de moins fondée, car, si monsieur le duc d'Orléans avait voulu lier quelque intrigue à cette époque en Angleterre, il aurait trouvé mon père très peu disposé à lui montrer la moindre indulgence.

Pendant le peu de jours que monsieur le duc d'Orléans passa à Paris, il vint deux fois chez moi. Quelque honorée que je fusse de ces visites, je craignais qu'elles ne fissent renouveler les propos de l'hiver, mais cela était usé.

La malveillance excitée au plus haut point par le succès obtenu par mon frère auprès de la jeune héritière, courtisée par beaucoup et enviée par tous, avait trouvé un autre texte.

Pensant probablement que la situation de mon père avait influé sur ce mariage, on raconta qu'à la suite d'une espèce d'orgie où ma mère s'était grisée avec le prince régent, il avait voulu prendre des libertés auxquelles elle avait répondu par un soufflet, que les autres femmes s'étaient levées de table; que le prince s'était plaint à notre Cour, que depuis ce temps mon père et ma mère n'étaient point sortis de chez eux et qu'ils allaient être remplacés à Londres.

Cette charmante anecdote, inventée et colportée à Paris, fut renvoyée à Londres. Quelques gazettes anglaises y firent allusion et il y eut recrudescence de cabale à Paris. Tous mes excellents amis venaient à tour de rôle me demander ce qui en était au juste … sur quoi l'histoire était fondée … quel était le canevas sur lequel on avait brodé, etc.; et, lorsque je répondais, conformément à la plus exacte vérité, qu'il n'y avait jamais eu que des politesses, des obligeances et des respects échangés entre le prince et ma mère et que rien n'avait pu donner lieu à cette étrange histoire, on faisait un petit sourire d'incrédulité qui me transportait de fureur. J'ai peu éprouvé d'indignation plus vive que dans cette occasion.

Ma mère était le modèle non seulement des vertus, mais des convenances et des bonnes manières. Inventer une pareille absurdité sur une femme de soixante ans, pour se venger d'un succès de son fils, m'a toujours paru une lâcheté dont, encore aujourd'hui, je ne parle pas de sang-froid.

Le prince régent fut d'une extrême bonté. Il rencontra mon père au Parc, le retint près de lui pendant toute sa promenade, s'arrêta longuement dans un groupe nombreux de seigneurs anglais à cheval et ne s'éloigna qu'après avoir donné un amical shake-hand à l'ambassadeur. Mon père s'expliqua ces faveurs inusitées en apprenant plus tard les sots bruits répandus à Paris et répétés obscurément à Londres.

Le dégoût que j'en éprouvais me donna un vif désir de m'éloigner. Le mariage de mon frère étant décidément reculé jusqu'à l'automne, je me décidai à retourner à Londres pour en attendre l'époque.

Pendant que cette odieuse histoire s'inventait et se propageait, toute la famille d'Orléans vint s'établir au Palais-Royal. Elle arriva tard le soir; j'y allai le lendemain matin. Le déjeuner attendait les princes; ils avaient été faire leur cour à la famille royale. Je les vis revenir, et il ne me fut pas difficile de voir que cette visite avait été pénible.

Madame la duchesse d'Orléans avait l'air triste, son mari sérieux; mademoiselle se trouva mal en entrant dans la salle à manger. Elle venait d'être extrêmement malade et à peine remise.

Nous nous empressâmes autour d'elle; elle revint à elle et me dit en me serrant la main:

«Merci, ma chère, ce n'est rien, je vais mieux; mais je suis encore faible et cela m'éprouve toujours.»

Le nuage répandu sur les visages se dissipa à l'entrée d'un grand plat d'échaudés tout fumants: «Ah! des échaudés du Palais-Royal!» s'écria-t-on; et l'amour du sol natal, la joie de la patrie, effaça l'impression qu'avait laissée la réception des Tuileries.