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Récits d'une tante (Vol. 2 de 4)

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«Peut-être madame la duchesse de Berry a-t-elle l'œil gauche un peu plus grand.»

Cette réponse est trop classique en son genre pour négliger de la rapporter.

Je reviens à Londres. Je ne sortais guère de l'intérieur de l'ambassade, où nous avions fini par attirer quelques habitués, que pour aller chez les collègues du corps diplomatique, chez les ministres et à la Cour dont je ne pouvais me dispenser.

CHAPITRE IV

La famille d'Orléans à Twickenham. – Espionnage exercé contre elle. – Division entre le roi Louis XVIII et monsieur le duc d'Orléans à Lille en 1815. – Intérieur de Twickenham. – Mots de la princesse Marie. – La comtesse de Vérac. – Naissance d'une princesse d'Orléans. – La comtesse Mélanie de Montjoie. – Le baron de Montmorency. – Le comte Camille de Sainte-Aldegonde. – Le baron Athalin. – Monsieur le duc de Bourbon. – La princesse Louise de Condé.

Je ne mets pas au rang des devoirs, car ce m'était un plaisir, de fréquentes visites à Twickenham. Monsieur le duc d'Orléans y était retiré avec les siens; il y menait une vie simple, exclusivement de famille.

Avant l'arrivée de mon père, la sottise courtisane de monsieur de La Châtre l'avait entouré d'espions à gages qui empoisonnaient ses actions les plus innocentes et le tourmentaient de toutes façons. Mon père mit un terme à ces ignobles tracasseries et les exilés de Twickenham lui en surent gré, d'autant qu'en montrant leur conduite telle qu'elle était en effet, il leur ouvrait les portes de la France où ils aspiraient à rentrer.

Un des agents rétribués par la police française vint dire à mon père, un beau matin, que monsieur le duc d'Orléans se démasquait enfin. Des proclamations factieuses s'imprimaient clandestinement à Twickenham et des ballots allaient s'expédier sur les côtes de France. Le révélateur assurait pouvoir s'en procurer.

«Hé bien, lui dit mon père, apportez-moi, je ne dis pas seulement une proclamation, mais une publication bien moins grave, sortie d'une presse établie à Twickenham et je vous compte cent guinées sur-le-champ.» Il attendit vainement.

Le dimanche suivant, allant faire une visite le soir à madame la duchesse d'Orléans, nous trouvâmes toute la famille autour d'une table, composant une page d'impression. On avait acheté, pour divertir les enfants, une petite imprimerie portative, un véritable joujou, et on les en amusait le dimanche. Déjà on avait tiré quelques exemplaires d'une fable d'une vingtaine de vers, faite par monsieur le duc de Montpensier dans son enfance; c'était le travail d'un mois: et voilà la presse clandestine destinée à bouleverser le monde!

Ces niaises persécutions ne servaient qu'à irriter monsieur le duc d'Orléans. Louis XVIII l'a constamment abreuvé de dégoûts, en France et à l'étranger. La rencontre à Lille, où le dissentiment sur la conduite à tenir fut si public, avait achevé de fomenter leur mutuelle intimité.

À la première nouvelle du débarquement de l'Empereur à Cannes, monsieur le duc d'Orléans avait accompagné Monsieur à Lyon. Revenu à Paris avec ce prince, il était reparti seul pour Lille où il avait préparé, avec le maréchal Mortier, la défense de la place. Quand le Roi y fut arrivé, il l'engagea à y établir le siège de son gouvernement. Le Roi, après quelque hésitation, le promit; il donna parole tout au moins de ne point abandonner le sol français. Ce furent ses derniers mots à monsieur le duc d'Orléans lorsque celui-ci se retira dans l'appartement qu'il occupait. Trois heures après, on vint le réveiller pour lui apprendre que le Roi était parti et prenait la route de Belgique; les ordres étaient déjà donnés lorsqu'il assurait vouloir rester en France. Monsieur le duc d'Orléans, courroucé de ce secret gardé envers lui, écrivit au Roi pour se plaindre amèrement, au maréchal Mortier pour le dégager de toutes ses promesses et, renonçant à suivre le Roi, s'embarqua pour rejoindre sa famille en Angleterre. Il loua une maison à Twickenham, village qu'il avait déjà habité lors de la première émigration.

Aussitôt que la famille d'Orléans se fut bien persuadée que le successeur de monsieur de La Châtre ne suivrait pas ses errements et qu'elle n'avait aucune tracasserie à craindre de mon père, la confiance la plus loyale s'établit et monsieur le duc d'Orléans ne fit aucune démarche que d'accord avec lui. Il poussa la déférence envers le gouvernement du Roi jusqu'à ne recevoir personne à Twickenham sans en donner avis à l'ambassadeur et toutes ses démarches en France furent combinées avec lui.

L'espionnage tomba de lui-même. Monsieur Decazes rappela les agents que monsieur de La Châtre lui avait représentés comme nécessaires; et, puisque je dis tout, peut-être la crainte de voir retirer les fonds secrets qu'il recevait pour ce service rendait-elle l'ambassadeur plus méticuleux.

Mademoiselle fut la dernière ramenée à la confiance, mais aussi elle le fut complètement et à jamais. C'est pendant ces longues journées de campagne que j'ai eu occasion d'apprécier la distinction de son esprit et la franchise de son caractère. Mon tendre dévouement pour son auguste belle-sœur se développait chaque jour de plus en plus.

La conversation de monsieur le duc d'Orléans n'a peut-être jamais été plus brillante qu'à cette époque. Il avait passé l'âge où une érudition aussi profonde et aussi variée paraissait un peu entachée de pédantisme. L'impartialité de son esprit lui faisait comprendre toutes les situations et en parler avec la plus noble modération. Son bonheur intérieur calmait ce que sa position politique pouvait avoir d'irritant, et, au fond, je ne l'ai jamais vu autant à son avantage, ni peut-être aussi content, que dans le petit salon de Twickenham, après d'assez mauvais dîners que nous partagions souvent.

De leur côté, les princes habitants de Twickenham n'avaient point d'autre pied-à-terre à Londres que l'ambassade dans les courses assez rares qu'ils y faisaient.

Monsieur le duc de Chartres, quoique bien jeune, était déjà un bon écolier, mais n'annonçait ni l'esprit, ni la charmante figure que nous lui avons vus. Il était délicat et un peu étiolé comme un enfant né dans le Midi. Ses sœurs avaient échappé à cette influence du soleil de Palerme.

L'aînée, distinguée dès le berceau par l'épithète de la bonne Louise, a constamment justifié ce titre en marchant sur les traces de son admirable mère: elle était fraîche, couleur de rose et blanc, avec une profusion de cheveux blonds. La seconde, très brune et plus mutine, était le plus délicieux enfant que j'aie jamais rencontré: Marie n'était pas si parfaite que Louise, mais ses sottises étaient si intelligentes et ses reparties si spirituelles qu'on avait presque l'injustice de leur accorder la préférence.

Ma mère en raffolait. Un jour où elle avait été bien mauvaise, madame la duchesse d'Orléans la fit gronder par elle. La petite princesse fut désolée. À notre prochaine visite madame de Vérac, dame d'honneur de madame la duchesse d'Orléans, dit à ma mère:

«Vous n'avez que des compliments à faire aujourd'hui, madame d'Osmond; la princesse Marie a été sage toute la semaine. Elle a appris à faire la révérence, voyez comme elle la fait bien; elle a été polie; elle a bien pris ses leçons, enfin madame la duchesse d'Orléans va vous dire qu'elle en est très contente.»

Ma mère caressa le joyeux enfant; ses parents étaient à la promenade; un instant après nous vîmes la petite princesse à genoux à côté de madame de Vérac:

«Que faites-vous là, princesse Marie?

– Je vous fais de la reconnaissance, et puis au bon Dieu.»

Qu'on me passe encore deux histoires de la princesse Marie. L'année suivante, on donnait sur le théâtre de Drury Lane une de ces arlequinades où les anglais excellent; tous les enfants de la famille d'Orléans devaient y assister après avoir passé la journée à l'ambassade. On arriva un peu trop tôt; le dernier acte d'une tragédie où jouait mademoiselle O'Neil n'était pas achevé. Au bout de quelques minutes, la princesse Marie se retourna à sa gouvernante:

«Donnez-moi mon mouchoir, madame Mallet. Je ne suis pas méchante je vous assure, mais mes yeux pleurent malgré moi; cette dame a la voix si malheureuse!»

Plus tard, lorsqu'elle avait près de six ans, je me trouvai un soir au Palais-Royal; la princesse Marie s'amusait à élever des fortifications avec des petits morceaux de bois taillés à cet effet, et recevait les critiques d'un général dont elle avait sollicité le suffrage. Elle releva son joli visage et avec sa petite mine si piquante, lui dit:

«Ah! sans doute, général, ce n'est pas du Vauban.»

Monsieur le duc de Nemours, ou plutôt Moumours, comme il commençait à s'appeler lui-même, était beau comme le jour.

Madame la duchesse d'Orléans était accouchée à Twickenham d'une petite princesse qu'elle nommait la fille de monsieur d'Osmond, parce que mon père avait été appelé à constater son état civil. Ce maillot complétait la famille.

Tout le monde dans l'intérieur s'entendait pour que ces enfants reçussent dès le berceau la meilleure éducation qu'il fût possible d'imaginer; je n'en ai jamais connu de plus soignés et de moins gâtés.

Le reste des habitants se composait ainsi: La comtesse de Vérac, née Vintimille, dame d'honneur de madame la duchesse d'Orléans dès Palerme, excellente personne, dévouée à sa princesse et dont la mort a été une perte réelle pour le Palais-Royal; madame de Montjoie, aussi distinguée par les qualités du cœur que par celles de l'esprit, était attachée à Mademoiselle depuis leur première jeunesse à toutes deux et identifiée de telle façon qu'elle n'a ni autre famille ni autres intérêts. Raoul de Montmorency et Camille de Sainte-Aldegonde, aides de camp de monsieur le duc d'Orléans, se partageant entre la France et Twickenham.

 

Monsieur Athalin y résidait à poste fixe. Avant 1814, il était officier d'ordonnance de l'Empereur. Monsieur le duc d'Orléans, suivant son système d'amalgame, l'avait pris pour aide camp avec l'agrément du Roi; mais, en 1815, il était retourné près de son ancien chef en écrivant au prince une lettre fort convenable. Les Cent-Jours terminés, monsieur le duc d'Orléans répondit à cette lettre en l'engageant à venir le rejoindre. Monsieur Athalin profita de cette indulgence. Elle fut très mal vue à la Cour des Tuileries, mais elle a fondé le dévouement sans bornes qu'il porte à ses nobles protecteurs.

La gouvernante des princesses et l'instituteur de monsieur le duc de Chartres, monsieur du Parc, homme de mérite, complétaient les commensaux de cet heureux intérieur. On y menait la vie la plus calme et la plus rationnelle. Si on y conspirait, c'était assurément à bien petit bruit et d'une façon qui échappait même à l'activité de la malveillance.

Je voudrais pouvoir parler en termes également honorables du pauvre duc de Bourbon; mais, si toutes les vertus familiales semblaient avoir élu domicile à Twickenham, toutes les inconvenances habitaient avec lui dans une mauvaise ruelle de Londres où il avait pris un appartement misérable. Un seul domestique l'y servait; il n'avait pas de voiture.

Mon père était chargé de le faire renoncer à cette manière de vivre, mais il ne put y réussir. Après sa triste apparition dans la Vendée, il s'était embarqué et était arrivé à Londres pendant les Cent-Jours. Monsieur le prince de Condé le rappelait auprès de lui et mettait à sa disposition toutes les sommes dont il pouvait avoir besoin; mais lui persistait à continuer la même existence. Il dînait dans une boutique de côtelettes, Chop house, car cela ne mérite pas le nom de restaurateur, se rendait alternativement à un des théâtres, attendait en se promenant sous les portiques que l'heure du demi-prix fût arrivée, entrait dans la salle et en ressortait à la fin du spectacle avec une ou deux mauvaises filles qui variaient tous les jours et qu'il menait souper dans quelque tabagie, alliant ainsi les désordres grossiers avec ses goûts parcimonieux. Quelquefois, lord William Gordon était de ces parties, mais plus souvent il allait seul: C'était pour jouir de cette honorable vie qu'il s'obstinait à rester en Angleterre, et toutes les supplications ne purent le décider à partir à temps pour recevoir le dernier soupir de son père.

Par d'autres motifs, la princesse sa sœur refusait aussi de rentrer en France; c'était à cause de sa haine pour le Concordat. J'avais une grande vénération spéculative pour cette jeune Louise de Condé, pleurant au pied des autels les crimes de son pays et offrant en sacrifice un si pur holocauste pour les expier.

Je m'en étais fait un roman; mais il fallait éviter d'en apercevoir l'héroïne, commune, vulgaire, ignorante, banale dans ses pensées, dans ses sentiments, dans ses actions, dans ses paroles, dans sa personne. On était tenté de plaindre le bon Dieu d'être si constamment importuné par elle; elle l'appelait en aide dans toutes les circonstances les plus futiles de sa puérile existence. Je lui ai vu dire oraison pour retrouver un peloton de laine tombé sous sa chaise: c'était la caricature d'une religieuse de comédie. Mon père fut obligé de lui faire presque violence pour la décider à partir.

CHAPITRE V

Lord Castlereagh. – Lady Castlereagh. – Cray Farm. – Dévouement de lady Castlereagh pour son mari. – Accident et prudence. – Soupers de lady Castlereagh. – Partie de campagne chez lady Liverpool. – Ma toilette à la Cour de la Reine. – Beauté de cette assemblée. – Baptême de la petite princesse d'Orléans. – La princesse de Talleyrand. – Elle consent à se séparer du prince de Talleyrand. – La comtesse de Périgord. – La duchesse de Courlande. – La princesse Tyszkiewicz. – Mariage de Jules de Polignac.

J'ai déjà dit que je n'avais eu aucune connaissance détaillée des affaires par mon père. Je n'en ai su que ce qui est assez public pour qu'il n'y ait point d'intérêt à le raconter. Chaque semaine, il recevait deux courriers de Paris toujours chargés d'une longue lettre particulière du duc de Richelieu. Il lui répondait aussi directement, de sorte que les bureaux et la légation n'étaient pas initiés au fond de ces négociations dont le but, pourtant, était patent pour tout le monde. Il s'agissait d'obtenir quelque soulagement à l'oppression de notre pauvre patrie. Le cœur du ministre et de l'ambassadeur battaient à l'unisson; leur vie entière y était consacrée.

Lord Castlereagh était un homme d'affaires avec de l'esprit, de la capacité, du talent même, mais sans haute distinction. Il connaissait parfaitement les hommes et les choses de son pays; il s'en occupait depuis l'âge de vingt ans; mais il était parfaitement ignorant des intérêts et des rapports des puissances continentales.

Lorsqu'à la fin de 1813 une mission, confiée à Pozzo, l'attira au quartier général des souverains alliés, il savait seulement que le blocus minait l'Angleterre, qu'il fallait abattre la puissance en position de concevoir une pareille idée, ou du moins la mettre hors d'état de la réaliser, et que l'Autriche devait être l'alliée naturelle de l'Angleterre. Il n'en fallait pas davantage pour le livrer à l'habileté du prince de Metternich. Lord Castlereagh est une des premières médiocrités puissantes sur laquelle il ait exercé sa complète domination.

Toujours et en tout temps les affaires anglaises se font exclusivement par les anglais et à Londres; mais, pour tout ce qui tenait à la politique extérieure, Downing Street se trouvait sous la surveillance de la chancellerie de Vienne; et je crois que cette situation s'est prolongée autant que la vie de lord Castlereagh.

Lorsque je l'ai connu, il ne donnait aucun signe de la fatale maladie héréditaire qui l'a porté au suicide. Il était, au contraire, uniformément calme et doux, discutant très bien les intérêts anglais, mais sans passion et toujours parfaitement gentlemanlike. Il parlait assez mal français; une de ses phrases habituelles dans les conférences était: «Mon cher ambassadeur, il faut terminer cela à l'aimable»; mais, si le mot était peu exact, le sentiment qui l'inspirait se montrait sincère.

Lord Castlereagh avait une grande considération pour le caractère loyal du duc de Richelieu, et la confiance qu'il inspirait a, partout, facilité les négociations dans ces temps de néfaste mémoire.

J'avais connu lady Castlereagh assez belle: devenue très forte et très grasse, elle avait perdu toute distinction en conservant de beaux traits. Elle avait peu d'esprit mais beaucoup de bienveillance, et une politesse un peu banale sans aucun usage du monde.

Au congrès de Vienne, elle avait inventé de se coiffer avec les ordres en diamants de son mari et avait placé la jarretière en bandeau sur son front. Le ridicule de cette exhibition l'avait empêchée de la renouveler, et les boîtes, que les traités faisaient abonder de toutes parts, fournissaient suffisamment à son goût très vif pour la parure et les bijoux. Toutefois, il était dominé par celui de la campagne, des fleurs, des oiseaux, des chiens et des animaux de toute espèce.

Elle n'était jamais si heureuse qu'à Cray où lord Castlereagh avait une véritable maison de curé. On descendait de voiture à une petite barrière qui, à travers deux plates-bandes de fleurs communes, donnait accès à une maison composée de trois pièces. L'une servait de salon et de cabinet de travail au ministre, l'autre de salle à manger, la plus petite de cabinet de toilette. Au premier, il y avait trois chambres à coucher: l'une appartenait au ménage Castlereagh, les deux autres se donnaient aux amis parmi lesquels on comptait quelques ambassadeurs. Mon père a été plusieurs fois à demeure, pendant quelques jours, à Cray farm; il m'a dit que l'établissement n'était guère plus magnifique que le local.

Lady Castlereagh avait le bon goût d'y renoncer à ses atours. On l'y trouvait en robe de mousseline, un grand chapeau de paille sur la tête, un tablier devant elle et des ciseaux à la main émondant ses fleurs. Derrière cette maison, dont l'entrée était si prodigieusement mesquine mais qui était située dans un charmant pays et jouissait d'une vue magnifique, il y avait un assez grand enclos, des plantes rares, une ménagerie et un chenil qui partageaient, avec les serres, les sollicitudes de lady Castlereagh.

Jamais elle ne s'éloignait de son mari. Elle était près de son bureau pendant qu'il travaillait. Elle le suivait à la ville, à la campagne; elle l'accompagnait dans tous ses voyages; mais aussi jamais elle ne paraissait dérangée ni contrariée de quoi que ce fût. Elle passait les nuits, supportait le froid, la faim, la fatigue, les mauvais gîtes sans se plaindre et sans même avoir l'air d'en souffrir. Enfin elle s'arrangeait pour être le moins incommode possible dans la présence réelle qu'elle semblait lui imposer. Je dis semblait, parce que les plus intimes croyaient qu'en cela elle suivait sa propre volonté plus que celle de lord Castlereagh. Jamais, pourtant, il ne faisait la moindre objection.

Avait-elle découvert quelque signe de cette maladie, qu'une si affreuse catastrophe a révélée au monde, et voulait-elle être présente pour en surveiller les occasions et en atténuer les effets? Je l'ai quelquefois pensé depuis. Ce serait une explication bien honorable de cette présence persévérante qui paraissait quelquefois un peu ridicule et dont nous nous moquions dans le temps. Quoi qu'il en soit, jamais lady Castlereagh ne permettait à son mari une séparation d'une heure, et cependant on ne l'a point accusée de chercher à exercer une influence politique. J'ai été témoin d'une occasion où elle montra beaucoup de caractère.

Parmi tous ses chiens, elle possédait un bull-dog. Il se jeta un jour sur un petit épagneul qu'il s'apprêtait à étrangler lorsque lord Castlereagh interposa sa médiation. Il fut cruellement mordu à la jambe et surtout à la main. Il fallut du secours pour faire lâcher prise au bull-dog qui écumait de colère. Lady Castlereagh survint; son premier soin fut de caresser le chien, de le calmer. Les bruits de rage ne tardèrent pas à circuler; elle n'eut jamais l'air de les avoir entendus. Le bull-dog ne quittait pas la chambre où lord Castlereagh était horriblement souffrant de douleurs qui attaquèrent ses nerfs. Les indifférents s'indignaient des caresses que lady Castlereagh prodiguait à une si méchante bête. Elle ne s'en inquiétait nullement et faisait vivre son mari familièrement avec cet ennemi domestique, évitant ainsi toutes les inquiétudes que l'imagination aurait pu lui causer. Ce n'est qu'au bout de quatre mois, quand lord Castlereagh fut complètement guéri, que, d'elle-même, elle se débarrassa du chien que jusque-là elle avait comblé de soins et de caresses.

Lady Castlereagh n'était pas une personne brillante, mais elle avait un bon sens éminent. À Londres, elle donnait à souper le samedi après l'opéra. Elle avait préféré ce jour-là parce qu'elle n'aimait pas à veiller et que, le rideau tombant à minuit précis, pour que la représentation n'entamât pas sur la journée du dimanche, on arrivait plus tôt chez elle qu'on n'aurait fait tout autre jour de la semaine; ce qui, pour le dire en passant, donne l'idée des heures tardives que la mode imposait aux fashionables de Londres quoique tout le monde s'en plaignît.

Ces soupers de lady Castlereagh, moins cohue que ses raouts, étaient assez agréables. Le corps diplomatique y était admis de droit, ainsi que les personnes du gouvernement; les autres étaient invitées de vive voix et pour chaque fois.

Au nombre des choses changées, ou que j'avais oubliées, pendant mon absence, se trouvait le costume que les femmes portaient à la campagne. Je l'appris à mes dépens. J'avais été assez liée avec lady Liverpool dans notre mutuelle jeunesse. Elle m'engagea à venir dîner à quelques milles de Londres où lord Liverpool avait une maison fort médiocre, quoique très supérieure au Cray de son collègue Castlereagh.

Elle me recommanda d'arriver de bonne heure pour me montrer son jardin et faire une bonne journée de campagne. J'y allai avec mon père. Des affaires le retinrent et nous n'arrivâmes qu'à cinq heures et demie. Lady Liverpool nous gronda de notre retard puis nous promena dans son jardin, ses serres, son potager, sa basse-cour, son poulailler, son toit à porcs, tout cela médiocrement soigné.

Lord Liverpool arriva de Londres; nous le laissâmes avec mon père et prîmes le chemin de la maison. J'étais vêtue, il m'en souvient d'une redingote de gros de Tours blanc garnie de ruches tout autour; j'avais un chapeau de paille de riz avec des fleurs, je me croyais très belle. En entrant dans la maison, lady Liverpool me dit:

 

«Voulez-vous venir dans ma chambre pour ôter votre pelisse et votre chapeau. Avez-vous amené votre femme de chambre ou voulez-vous vous servir de la mienne?»

Je lui répondis un peu embarrassée, que je n'avais pris aucune précaution pour changer de toilette:

«Ah! cela ne fait rien du tout, reprit-elle, voilà un livre pendant que je vais faire la mienne.»

À peine j'étais seule que j'entendis arriver une voiture et bientôt je vis entrer lady Mulgrave, en robe de satin, coiffée en cheveux avec des bijoux et des plumes, puis parut miss Jenkinson, la nièce de la maison, avec une robe de crêpe, des souliers blancs et une guirlande de fleurs, puis enfin lady Liverpool elle-même, vêtue je ne sais comment, mais portant sur sa tête un voile à l'Iphigénie retenu avec un diadème d'or incrusté de pierreries. Je ne savais où me fourrer. Je crus qu'il s'agissait d'un grand dîner diplomatique et que nous allions voir arriver successivement toutes les élégantes de Londres.

Nous nous mîmes à table huit personnes dont cinq étaient de la maison. On n'attendait pas d'autres convives; mais c'est l'usage de s'habiller, pour dîner seul à la campagne, comme on le serait pour aller dans le grand monde. Je me le tins pour dit, et, depuis, je n'ai plus commencé les bonnes journées de campagne avant sept heures et demie, et vêtue en costume de ville.

Pendant que je suis sur l'article toilette, il me faut raconter celle avec laquelle j'allai à la Cour. Peut-être, dans vingt ans, sera-t-elle aussi commune qu'elle me parut étrange lorsque je la portai. Commençons par la tête.

Ma coiffure était surmontée du panache de rigueur. J'avais obtenu à grand'peine du plumassier à la mode, Carberry, qu'il ne fut composé que de sept énormes plumes, c'était le moins possible. Les panaches modérés en avaient de douze à quinze et quelques-uns jusqu'à vingt-cinq. Au-dessous du panache (c'est le nom technique), je portais une guirlande de roses blanches qui surmontait un bandeau de perles. Des agrafes et un peigne de diamants, des barbes de blonde achevaient la coiffure.

Ce mélange de bijoux, de fleurs, de plumes, de blondes choquait fort à cette époque notre goût resté classique depuis les costumes grecs. Mais ce n'est encore rien.

Le buste était à peu près arrangé comme à l'ordinaire. Lorsque le corsage fut ajusté, on me passa un énorme panier de trois aunes de tour qui s'attachait à la taille avec des aiguillettes. Ce panier était de toile gommée, soutenue par des baleines, qui lui donnaient une forme très large devant et derrière et très étroite des côtés. Le mien avait, sur une jupe de satin, une seconde jupe de tulle garnie d'un grand falbala de dentelle d'argent. Une troisième un peu moins longue en tulle lamé d'argent, garnie d'une guirlande de fleurs, était relevée en draperie, de sorte que la guirlande traversait en biais tout le panier. Les ouvertures des poches étaient garnies de dentelles d'argent et surmontées d'un gros bouquet. J'en portais un devant moi de façon que j'avais l'air de sortir d'une corbeille de fleurs. Du reste, tous les bijoux possibles à accumuler. Le bas de robe de satin blanc bordé en argent était retroussé en festons et n'atteignait pas au bas de la jupe, c'était l'étiquette. La Reine seule le portait traînant, les princesses détaché mais à peine touchant terre.

Lorsque j'avais vu les immenses apprêts de cette toilette, j'étais restée partagée entre l'envie de rire de leur énormité, qui me paraissait bouffonne, et le chagrin de m'affubler si ridiculement. Je dois avouer que, lorsqu'elle fut achevée, je me trouvai assez à mon gré et que ce costume me sembla seyant.

Comme je suivais ma mère, je profitai des privilèges diplomatiques; il nous amenèrent par des routes réservées au pied du grand escalier. On y avait établi tout du long une espèce de palissade qui le séparait en deux. D'un côté de cette balustrade, nous montions très à l'aise; de l'autre, nous voyions les lords et les ladys s'écraser et s'étouffer avec une violence dont les foules anglaises donnent seules l'exemple. Je pensais, à part moi, que cette distinction, en pleine vue, déplairait bien chez nous. Au haut de l'escalier, la séparation se refit plus discrète; les personnes ayant les entrées passèrent dans une salle à part. Elles furent admises les premières dans le salon de la Reine.

On lui avait fabriqué une espèce de fauteuil où, montée sur un marchepied et appuyée sur des coussins, elle paraissait être debout. Avec son étrange figure, elle avait tout l'air d'une petite pagode de Chine. Toutefois, elle tenait très bien sa Cour. Les princesses, suivant l'ordre de l'étiquette, étaient placées de chaque côté. En l'absence de la princesse Charlotte qui aurait eu le premier rang, il était occupé par la duchesse d'York.

Le prince régent se tenait debout vis-à-vis de la Reine, entouré de ses frères et de sa maison. Il s'avançait pour parler aux femmes, après qu'elles avaient passé devant la Reine.

Les ambassadrices avaient ou prenaient (car on accusait la comtesse de Lieven d'une usurpation) le droit de se mettre à la suite des princesses, après avoir fait leur cour et d'assister au reste de la réception. Je fus charmée de profiter de cet usage pour voir bien à mon aise défiler toute cette riche et brillante procession. Comme à cette époque de la vie de la Reine la Cour n'avait lieu qu'une ou deux fois par an, la foule était considérable et les présentations très nombreuses.

Nulle part la beauté des anglaises n'était plus à son avantage. Le plein jour de deux immenses fenêtres, devant lesquelles elles stationnaient, faisait valoir leur teint animé par la chaleur et un peu d'émotion. Les jeunes filles de dix-huit ans joignaient à l'éclat de leur âge la timidité d'un premier début qui n'est pas encore de la gaucherie, et les mères, en grand nombre, conservaient une fraîcheur que le climat d'Angleterre entretient plus longuement qu'aucun autre.

À la vérité, quand elles s'avisent d'être laides, elles s'en acquittent dans une perfection inimitable. Il y avait des caricatures étranges; mais, en masse, je n'ai jamais vu une plus belle assemblée.

Ce costume insolite, en laissant aux femmes tous leurs avantages, les dispensait de la grâce dont, pour la plupart, elles sont dépourvues, de sorte que, loin d'y perdre, elles y gagnaient de tout point. L'usage des paniers a cessé depuis la mort de la vieille reine Charlotte. On a adopté le costume de la Cour de France pendant la Restauration.

J'avais été présentée lors de mon mariage, mais c'était dans un autre local et avec des formes différentes. D'ailleurs, j'étais dans ce temps-là plus occupée de moi-même que de remarquer les autres et j'en conserve un très faible souvenir. Au lieu que la matinée que je passai, en 1816, à Buckingham House m'amusa extrêmement.

Le baptême de la petite princesse d'Orléans donna lieu à Twickenham à une fête telle que le permettait un pareil local. L'empereur d'Autriche, représenté par son ambassadeur, le prince Paul Esterhazy, était parrain. Il y eut un grand déjeuner où assistèrent le prince régent, le duc et la duchesse d'York, les ducs de Kent et de Glocester. La vieille Reine et les princesses y vinrent, de Frogmore, faire une visite.

Je m'étais flattée d'y voir la princesse Charlotte, mais le prince Léopold arriva seul, chargé de ses excuses; un gros rhume servit de prétexte. Le véritable motif était sa répugnance à se trouver avec sa grand'mère et ses tantes. Elle l'avoua plus tard à madame la duchesse d'Orléans. Elle l'aimait beaucoup et venait souvent faire des courses à Twickenham, mais je ne l'y ai jamais rencontrée.