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Récits d'une tante (Vol. 1 de 4)

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APPENDICES

I
Note du marquis d'Osmond, pour être remise à l'archevêque de Sens, en mai 1788

J'ai souvent, dans ces écritures, indiqué mon père comme n'étant aucunement séduit par les utopies du jeune et brillant groupe des Talleyrand, des Lauzun, des Lameth, des Narbonne, des Loménie, des Choiseul, etc… avec lesquels il vivait intimement, et de son opposition hostile aux démolisseurs de 1789. Toutefois, son bon esprit lui faisait admettre la nécessité de grandes concessions aux tendances du siècle, et la perspicacité de son jugement lui indiquait la guerre comme un moyen dérivatif à la fièvre révolutionnaire bouillonnant dans les veines de la France: le très bon état de l'année devait la faire espérer heureuse. Cet expédient réussit presque toujours dans notre belliqueuse patrie. Mon père y voyait un moyen de salut à la condition d'employer le calme comparatif qui en pourrait résulter à créer immédiatement des institutions de nature à satisfaire aux besoins réels du pays, venant d'en haut et fortifiant sans détruire. Je lui ai souvent entendu soutenir cette thèse pendant l'émigration vis-à-vis de ce qu'on appelait alors les constituants: les Lally, les Monier, les Malouet, etc., ceux enfin que les émigrés purs qualifiaient de scélérats et mon père de très honnêtes gens s'étant trompés. Ils en convenaient bien alors; ils admettaient son système praticable et en étaient bien aux regrets, mais, hélas! il était trop tard. Les générations actuelles préfèrent peut-être le grand coup de balai de 1789, mais celle qui subissait la révolution en était moins charmée.

Je fais transcrire ici1 une note toute entière de la main de mon père, dans la pensée qu'un volume a moins de chance de s'égarer qu'une feuille de papier. Elle constate quelles étaient ses opinions au mois de mai 1788. Elle a été remise à l'archevêque de Sens, avec quel insuccès, l'histoire le sait. Ce cardinal du XVIIIe siècle était esprit fort mais très petit génie, et pourtant l'opinion publique l'avait imposé au Roi comme premier ministre. En lisant ce document, il ne faut pas perdre un instant de vue sa date.

Lorsque, dans un siècle éclairé, les sottises du gouvernement l'ont réduit à la nécessité de permettre les dissertations sur les droits du peuple, on ne peut pas se flatter que le résultat soit à l'avantage de l'autorité; elle doit alors prévoir les sacrifices auxquels elle sera forcée et poser des bornes qui, en exaltant la reconnaissance publique, arrête toute discussion.

En matière de constitution, il sera toujours impossible de s'entendre: quand les partis opposés établiront leurs prétentions sur des faits, chacun en citera en sa faveur. Comme tous les peuples de la terre ont sans cesse été ballottés par les passions des hommes intéressés à les diriger en sens contraires, il n'y a point de nation dans les annales de laquelle on ne trouve à justifier, en même temps, et les entreprises du despotisme et les folles démarches de l'enthousiasme républicain. Pour les gens de bonne foi, quelle que soit leur robe, les citations, les exemples ne sont rien. Dans le XVIIIe siècle, on n'a plus le droit de commander aux hommes qu'en se soumettant avec eux à l'empire éternel de la raison. Je sais qu'on n'admet pas généralement ces principes; cependant ce sont les véritables et leur application aux circonstances dans lesquelles se trouve la France peut seule la préserver des malheurs dont elle est menacée. Je le dis avec d'autant plus de franchise que rien ne me paraît plus intimement lié que la gloire du Roi au bonheur de la Nation et la gloire de la Nation au bonheur du Roi.

Il faut se hâter; on a déjà perdu des moments précieux; l'esprit de parti fait des progrès rapides; les têtes s'enflamment; n'osant pas dire positivement les choses, on dispute sur les mots; on se rallie aux prétentions parlementaires: le gouvernement ne doit pas s'y tromper; ce n'est qu'un prétexte. Le peuple peut être conduit à des révoltes dont il ignore le motif sans en prévoir l'effet, mais l'opinion qui le dirige n'attache aucun prix à l'existence des Parlements; elle veut des États Généraux qui assurent à la Nation le droit imprescriptible de consentir l'impôt et aux citoyens une liberté individuelle protégée par les lois.

Les grands intérêts politiques étant devenus la matière de toutes les conversations, on entend sans cesse parler de l'Angleterre, de sa constitution, la comparer avec ce que nous pouvons devenir, mettre en parallèle les deux Rois réduits à la liste civile; cependant rien n'est plus ridicule que cette comparaison. La position géographique de la France ne lui permet pas d'être soumise au régime anglais; elle lui impose la nécessité d'avoir une armée de deux cents mille hommes, circonstance qui, seule (sans entrer dans de grands détails et planant sur les idées intermédiaires), met une extrême différence entre les magistrats souverains de ces deux Nations.

En France, l'autorité que doit conserver le Roi est une sûreté. La portion du peuple qui peut s'exprimer est trop éclairée pour faciliter aux grands le moyen de marcher à l'aristocratie; la noblesse a trop besoin des places et des faveurs de la Cour pour laisser restreindre au delà de certaines bornes les facilités que le Roi a de se l'attacher par ses bienfaits; le clergé aurait trop à se défendre de l'esprit philosophique uni au républicain pour ne pas s'opposer à tout ce qui pourrait anéantir l'autorité royale. L'étendue de l'Empire, le génie de la Nation, l'habitude, tout nous lie au système d'une monarchie limitée; nous ne pourrions nous en éloigner que par les convulsions d'une guerre civile, et je doute que ce fut à l'avantage de nos neveux.

Un Roi, un peuple, une noblesse, un clergé ne sont pas incompatibles. Nous pouvons, en conciliant leurs intérêts, obtenir de la raison toute seule ce qui a coûté à nos voisins des siècles de malheurs. Le ministère actuel laissera-t-il échapper l'occasion de commander à la postérité une reconnaissance éternelle?

M. l'archevêque de Sens a déjà trop tardé. Cependant il trouvera une excuse dans la persuasion où sont les gens sensés qu'il faut longtemps préparer l'esprit des Rois pour les déterminer à un sacrifice de la moindre portion de cette autorité absolue que la flatterie les accoutume à tant apprécier. Si le principal ministre conserve sa place, il est temps de parler franchement, de calmer l'effervescence que produit le désir de la liberté qu'on peut raisonnablement souhaiter. Il est surtout temps d'imposer silence au dépit de la magistrature, à la haine des envieux et aux clabauderies de courtisans qui, sans savoir positivement ce qu'ils veulent, crient toujours contre tout ce qui se fait. Les passions, sous le masque de l'intérêt public, pousseront le peuple à une résistance plus embarrassante que l'insurrection qui s'annonce déjà dans quelques provinces si le Roi, en avançant l'époque des États Généraux, ne manifeste pas clairement, irrévocablement les intentions louables dont M. l'archevêque l'a animé.

Souvent, à une certaine distance, on juge mal les objets moyennant quoi je pourrais bien me tromper, mais, de la position où je suis, il me semble que, pour tout calmer, pour tout réparer, le Roi devrait appeler près de sa personne ou une cour plénière ou des députés des assemblées provinciales ou les présidents de ces assemblées, enfin un corps quelconque auquel il put adresser l'équivalent du discours qui suit:

«Messieurs, je vous ai mandés pour vous faire connaître mes volontés d'une manière si précise qu'à l'avenir elles ne puissent plus être mal interprétées. Le besoin de mon cœur, autant que le malheur des circonstances, m'avait dès longtemps déterminé à m'environner de l'amour de mes peuples en assemblant les États Généraux de mon royaume. Je ne balançais plus que sur l'époque à laquelle je devais les convoquer lorsque mes ministres consultés pensèrent qu'en fixant l'année 1792 pour les réunions d'une assemblée nationale chacun des membres destinés à la composer pouvait, en se formant dans les assemblées provinciales, en s'appropriant les lumières de son siècle, s'élever à la hauteur des grands intérêts qui doivent être discutés. Ils pensèrent qu'alors tous concourraient plus utilement au projet que j'ai formé de régénérer l'empire français sur les bases de sa constitution.

«J'annonçai les États Généraux pour 1792. Des corps qui ont cherché à se rendre nécessaires ont paru douter de la pureté de mes intentions; leurs arrêtés, pleins de chaleur et de fiel, ont occasionné des mouvements qui ont troublé l'ordre public; ils tendaient à altérer la confiance des peuples, le plus précieux apanage des Rois français. Cette colonne de la monarchie qui l'a soutenue au milieu des crises des plus violentes sera inutilement ébranlée lorsque le jour de la raison, éclairant les souverains comme leurs sujets, leur a démontré qu'ils ne peuvent avoir qu'un seul et même intérêt.

«Quoique des États Généraux, assemblés à l'époque précédemment indiquée, pussent promettre de plus grands avantages, cependant je cède au désir que témoigne la Nation de me faire connaître ses besoins et je me rends d'autant plus facile que je suis moi-même pressé de lui prouver que digne, au moins par quelques vertus, de commander au premier peuple de la terre, je ne regarderai jamais comme des sacrifices tout ce qui pourra contribuer à son bonheur et à sa gloire. Mon principal ministre vous expliquera dans ses détails le plan que j'ai cru devoir adopter pour la formation des États Généraux. Leur première convocation ne provoquera probablement pas le bien que nous désirons tous avec une égale ardeur; mais la seconde, selon les circonstances plus rapprochée que les suivantes, consacrera pour toujours les principes invariables sur lesquels il est temps de fixer l'opinion.

 

«Pour terminer les affaires qui vous intéressent, il serait heureux de jouir d'une profonde tranquillité, mais il ne convient point aux Français qu'elle soit accompagnée de crainte.

«Les peuples, jaloux des avantages dont nous jouissons, chercheront à profiter des divisions qu'ils s'exagèrent pour nous attaquer avec succès si notre réunion franche et loyale ne commande pas le respect qui nous est dû.

«La dernière révolution opérée en Hollande par les armées prussiennes jointes aux intrigues de l'Angleterre a singulièrement dérangé la balance politique de l'Europe. Les influences de cet événement m'imposent l'obligation de rendre à la République la liberté d'effectuer les engagements qu'elle a contractés envers moi. Demain, mon armée se porte sur la Hollande. J'ai tout lieu de croire que cette démarche indispensable ne sera le motif d'aucune guerre. Cependant, si (contre les apparences) l'injustice nous contraignait à prendre la voie des armes, j'appellerais mes enfants; nous redoublerions d'énergie et (en soumettant cordialement les principes de notre constitution au flambeau des lumières amoncelées par les siècles tandis que nous forcerions nos ennemis à solliciter la paix) nous porterions au plus haut degré la gloire du nom français.»

(Note ajoutée par la comtesse de Boigne.)

On trouve dans les Mémoires de l'empereur Napoléon, publiés en 1825, des pages qui ont une complète analogie de vues avec les idées émises dans la note écrite par M. le marquis d'Osmond, en mai 1788, pour être remise à M. l'archevêque de Sens. On pourra en juger par les passages suivants:

«Les patriotes virent également que les négociations de la France avec la Prusse s'étaient ressenties de la mollesse qui caractérisait alors le Cabinet de Versailles, endormi dans l'insouciance des plaisirs sur le bord de l'abîme qui devait bientôt l'engloutir. Qui sait ce qui serait arrivé si la France, fidèle à son honneur et à sa politique, eut soutenu hautement par une grande démonstration militaire l'amitié qu'elle devait aux Provinces Unies? Elle donnait peut-être le signal d'une guerre où elle eut entraîné une partie de l'Europe; elle aurait sauvé la liberté de son alliée et probablement échappé elle-même à sa révolution…» (t. VI, p. 135; éd. de 1825).

«C'était le parti qu'aurait dû prendre Louis XVI dont le royaume était déjà agité: il eut peut-être détourné les esprits des intérêts naissants; il eut forcé, en faisant marcher une armée sur la frontière du nord, l'Angleterre et la Prusse à traiter avec lui de l'indépendance de la République de Hollande. Par cette conduite à la fois juste et politique, il aurait inspiré du respect à ses propres sujets, à ses alliés, à ses ennemis» (t. VI, p. 143; éd. de 1825).

II
Acte de mariage d'Adèle d'Osmond avec le général de Boigne

(Extrait des registres des actes de mariage de la chapelle française de Londres.)

L'an mil sept cent quatre vingt dix huit, le onzième jour du mois de juin, Nous, soussigné, Antoine Eustache Osmond, évêque de Comminges en France, de présent résidant à Londres, en vertu de la permission à nous accordée par monseigneur Douglas, évêque de Centurie et vicaire apostolique de Londres, avons donné la bénédiction nuptiale, après avoir demandé et obtenu leur consentement mutuel, à messire Benoit de Boigne, originaire de Chambéry en Savoie, fils majeur de messire Jean-Baptiste de Boigne et de demoiselle Hélène de Cabet, absents, et à demoiselle Louise Éléonore Charlotte Adélaïde Osmond, fille mineure de messire René Eustache, marquis d'Osmond et de dame Éléonore Dillon, marquise d'Osmond, présents et consentants au dit mariage, et en présence de messire François, Emmanuel duc d'Uzès, de messire Anne Joachim Montagut, marquis de Bouzoles, de messire Charles Alexandre de Calonne et du général Daniel O'Connell, lesquels tous de ce requis ont signé avec nous.

III
Lettres adressées en 1799 par madame de Boigne au marquis et a la marquise d'Osmond, 11, Beaumont-street, Londres
de Ramsgate, mercredi, 6 août.

Je suis bien fâchée mais point inquiète de n'avoir pas de lettres aujourd'hui; la poste de demain m'apportera, j'espère, de meilleures nouvelles que celles d'hier. Vous me recommandez de me ménager, ma chère maman; permettez-moi de vous donner le même conseil, vous en avez, au moins, autant besoin. Je viens d'aller à Sandwich à cheval et je suis fatiguée à mort, cependant ma promenade m'a fort amusée. Nous avons rencontré sept bataillons des Guards qui venaient s'embarquer ici; nous en avons vu qui étaient au bivac, d'autres campés, d'autres pliant bagages, d'autres enfin en marche; ceux-là s'embarquent dans ce moment sous mes fenêtres, ce qui n'est pas un très joli spectacle. Il y a un embargo depuis trois jours dans le port même sur les bateaux de pêcheurs, ce qui afflige vivement le général Dalrymphe à ce qu'il m'a confié hier. Rainulphe a la tête tournée: il ne rêve que cheval et soldat; mais, quoiqu'il travaille peu, je ne regarde pas ceci comme du temps perdu; il est bien employé pour sa santé et sa mine fait plaisir à voir. Je suis excédée, aussi je remettrai l'expédition de ma lettre à demain.

Jeudi. – L'abbé vous ayant écrit hier, j'ai indulgé ma paresse ou plutôt un mal horrible aux reins en m'arrêtant, car je n'en pouvais plus. Je suis bien mieux aujourd'hui mais bien fâchée d'être obligée de suspendre mes bains qui me renforcent et me délassent; je les reprendrai le plus tôt possible. Il fait un temps affreux, ce qui me décide à remettre ma promenade à cheval parce que je ne veux pas courir le risque d'être mouillée. Sur la route de Sandwich, hier, j'ai vu des moulins d'une construction extraordinaire; j'ai demandé ce que c'était et on m'a dit que c'était des moulins à sel. Nous sommes descendus de cheval et nous sommes entrés dans la manufacture où un homme très poli nous a expliqué tous les procédés qui ne sont pas très compliqués mais qui m'ont intéressée. Vous voyez que je profite de vos conseils. – Je lis maintenant, pour la première fois, les lettres de lord Chesterfield: j'y trouve du bon et du mauvais; surtout il me semble qu'elles n'étaient pas propres à l'impression car bien des choses qu'on peut tolérer comme conseils particuliers deviennent immorales quand on les érige en maximes générales. Je suis occupée à en traduire quelques-unes qui ne sont que des précis historiques très bien faits d'époques ou d'associations particulières. – J'ai vu hier madame O'Connell: j'ai passé une heure chez elle; je vais lui envoyer vingt pounds pour commencer à acquitter mes dettes; elle m'a chargée de vous dire mille amitiés. J'ai écrit lundi à madame Brandling et à lady Wilmot; je donne quelques hints à la première sur notre rapprochement, mais je ne parle à Lucy de rien de ce qui s'est passé; assurément, il serait fort à désirer que le public pût l'oublier. Monsieur Cruise est ici; je ne l'ai pas encore vu, ce qui m'étonne. – Je n'ai point encore de lettre aujourd'hui, non plus que l'abbé, ce qui m'afflige et m'inquiète beaucoup. Je voudrais pourtant bien avoir des nouvelles de papa. Je vous ai quittée tout-à-l'heure pour attendre l'arrivée de la poste et j'en ai employé l'intervalle à écrire à madame Théobus et un billet à madame O'Connell en lui envoyant un billet de vingt pounds, mais monsieur de B. l'a vu et absolument voulu mettre à la place un draft de cent pounds: j'en suis bien aise en ce que je craignais qu'un retard pût gêner les O'Connell. – Quand mes souliers seront faits, vous me les enverrez avec quelques robes blanches, des bas, etc… car je m'aperçois qu'il ne me reste que la place de vous embrasser l'un et l'autre et je remettrai les commissions à demain. Sûrement, si papa était plus mal, vous m'auriez fait écrire.

vendredi, 9 août.

Voilà deux lettres de vous, mon cher papa; celle de mardi avait été envoyée par mistake je ne sais où. J'imagine que celle écrite mercredi à l'abbé l'y aura suivie, car je vois le même mistake écrit sur une lettre adressée au Général. D'après cela, cher papa, il me semble qu'il vaudra mieux dorénavant ajouter Kent à l'adresse. – Je commençais à être bien inquiète de n'avoir pas de nouvelles; mais ce que dit le docteur me rassure un peu quoique je voudrais que vous ne négligeassiez aucune des précautions qu'on vous indique, car cette maladie dont vous êtes menacé me tourne la tête. – J'ignore comment on sait à Londres ce qui se passe ici, assurément ce n'est pas par moi, car je vous assure que je suis bien vos conseils en gardant sur tout ce qui me regarde le silence le plus entier; d'ailleurs, avec la meilleure volonté du monde, je ne pourrais rien dire puisqu'il est vrai que je ne vois personne du tout. Au reste, je ne le désire pas, car, si ce n'était que je suis loin de maman et de vous, je ne regretterais que peu la société. Je m'occupe, je monte à cheval, je me promène, enfin je remplis très bien ma journée. – Monsieur de Boigne est très bien pour moi, mieux même que les premiers jours; je lui sais aussi extrêmement bon gré de sa manière vis-à-vis de l'abbé et de Rainulphe, qui est parfaite. «Mandez à votre papa, me disait-il hier, que je suis le plus heureux des hommes et que cela va très bien.» Je n'ose pas, il m'a défendu de parler même à lui de mon intérieur. Cependant, je prends sur moi de faire sa commission. – Mon appétit est fort diminué et il m'est impossible de dormir, à mon grand désespoir, car je n'espère pas reprendre des forces avant d'avoir recouvré le sommeil. – J'ai coupé mes cheveux en petit garçon et je suis totalement défigurée, mais cela m'est plus commode et ils seront revenus avant peu: j'avertis maman pour sa consolation que je les ai coupés quarrés. – Je vous ai mandé hier que monsieur de B. avait payé les cent louis que madame O'Connell m'avait prêtés; il m'a aussi avancé trente louis de mon pin money que je lui rembourserai à mon retour à Londres; ainsi, vous voyez que je suis à flot et que, si maman a des mémoires à moi, elle peut les garder jusqu'à ce que j'arrive, attendu que je peux les payer. – J'imagine que nous saurons incessamment la destination des malheureux qui s'embarquent ici: quarante transports remplis d'hommes ont mis à la voile depuis hier; ils ont été aux Dunes pour se réunir à leur escorte; voilà tout ce que je sais de cette expédition dont vous saurez probablement l'exécution longtemps avant nous. – Je ne sais pas ce que maman entend par ce qu'elle a fait pour nous procurer les gazettes, mais, si cela n'est pas possible, j'y renonce. – Je prie maman de m'envoyer, en même temps que mes souliers, quelques robes blanches, celles dont elle sait que je préfère la forme, des bas de soie blanche et des fichus. – Je ne comptais pas vous écrire aujourd'hui, mais voilà mon papier presque rempli et, d'ailleurs, je ne veux pas vous laisser dans l'opinion que je n'ai pas reçu vos lettres, car l'abbé a fermé la sienne de si bonne heure que la poste n'était pas encore arrivée. – Il fait un temps déplorable: depuis trois jours, la pluie n'a cessé qu'une heure ce matin; j'en ai profité pour monter à cheval. – Monsieur de Boigne est très souffrant. Il vient de se jeter sur son lit pendant une heure et il dit qu'il est mieux. – J'embrasse maman et vous bien tendrement. L'abbé et Rainulphe se portent très bien et je suis très contente de la mine du dernier que j'espère que vous trouverez impaved. – Le Général me charge de vous mander qu'il ne négligera rien pour mériter de plus en plus votre bonne opinion. – Mille amitiés à Édouard et à Émilie. Vous ne me parlez pas de la santé de monsieur de Calonne à laquelle je ne suis pas assez ingrate pour ne pas m'intéresser vivement; faites lui mille tendres compliments pour moi. Adieu.

samedi, 10 août.

Je vous mandais hier que monsieur de Boigne était très souffrant. Il se plaint encore plus aujourd'hui et il a certainement beaucoup de fièvre. Je ne sais qu'en penser: il se croyait mieux ce matin quoiqu'il eut passé une nuit cruellement agitée, mais le redoublement est très violent. J'ai voulu l'engager à voir un médecin; il l'a refusé, mais, s'il n'est pas mieux demain, j'insisterai. Peut-être même retournerons-nous à Londres. Au surplus, j'espère que ce ne sera qu'une fièvre éphémère; il l'attribue à la fatigue d'avoir été à Sandwich l'autre jour. Monsieur de Boigne n'a pas voulu que je renonçasse à ma promenade ce matin et je suis montée à cheval avec Rainulphe et John. – On embarque en ce moment de la cavalerie et, sachant que ma lettre ne peut pas partir aujourd'hui, je vous quitte pour aller voir.

 

Dimanche, 10 heures. – Madame O'Connell partant ce matin, elle vous portera cette lettre. Je n'ai su son départ qu'hier et je comptais vous écrire longuement hier au soir, mais mon malade ne m'a pas permis de le quitter. Il a eu la fièvre extrêmement fort toute la journée; elle a un peu baissé pendant la nuit. Il n'y a pas de médecin ici et j'ai envoyé John à Margate porter un billet à la duchesse de Fitz-James pour la prier de nous procurer le médecin qui a soigné le duc. – Monsieur de B. est mieux ce matin; il a encore la fièvre et beaucoup de mal à la gorge. – L'abbé devait vous écrire, mais le paresseux n'en a rien fait. Si je n'en ai pas le temps, il vous donnera de mes nouvelles demain. – Je suis assez bien, quoique très fatiguée. J'imagine que je n'aurai pas beaucoup de repos aujourd'hui, car l'abbé croit qu'il y aura un redoublement. – Adieu, chère maman, je vous embrasse ainsi que mon bien aimé papa.

lundi, 12 août.

Vous avez tort, chez papa, de vous affliger, car, en vous parlant de mon manque d'appétit, j'entendais seulement qu'il était diminué; quant au sommeil, vous savez qu'il n'est jamais revenu et il n'est pas plus mauvais qu'à l'ordinaire. – Vous recevrez aujourd'hui par les O'Connell une lettre dans laquelle je vous rends compte de l'état de monsieur de Boigne: il est très bien aujourd'hui et le redoublement que nous craignions hier n'a été que très peu marqué. Le docteur Slater (qui est venu de Margate, envoyé par madame de Fitz-James) a dit que ce n'était rien, et, dans le fait, je crois que, dès demain, le Général pourra reprendre son train de vie habituel. S'il se sent assez de force pour entreprendre cette course, nous comptons aller mercredi à Deal pour y passer la journée et voir la flotte de l'expédition dont le rendez-vous est aux Dunes. On continue d'embarquer tous les jours hommes et chevaux, ce qui n'est pas fort curieux. Les chevaux sont amenés sur le pier, alongside du transport, hissés à bord avec une machine parfaitement semblable à celle dont on se sert pour charger les bateaux en Hollande. – Monsieur de Boigne dit qu'il n'a prêté la Gazette à personne, et il vous prie ainsi que moi de faire dire à Georges de nous l'envoyer; il ne conçoit pas pourquoi il l'a refusée et, en tout cas, il la veut. Je vous remercie de nous envoyer le Pelletier et le Mallet du Pan que le Général dit n'avoir pas prêté non plus. – Vous me dites qu'on dit beaucoup de choses: je le crois, mais je serais bien curieuse d'en savoir davantage. Madame de Martinville, j'imagine, joue la satisfaction? Au surplus, cela m'est assez égal maintenant; je crois que monsieur de Boigne la connaît assez pour faire avorter tous ses mauvais desseins et rendre sa méchanceté impuissante; ce n'est pas qu'elle n'ait poussé l'astuce et la fausseté jusqu'au point de lui faire croire à son repentir; c'est une vilaine femme! Je serais bien aise aussi de savoir ce que ces dames comptent faire de moi; je sais qu'il y a quelque temps elles disaient qu'elles feraient quelque chose de moi; en ont-elles toujours aussi bonne opinion et leur intention est-elle toujours de travailler à m'improuver? Je crains qu'elles ne me trouvent un sujet, bien rétif et, en conscience, je n'ai pas un vif désir de profiter de leurs leçons. Au surplus, je suivrai vos instructions en ne témoignant aucuns ressentiments de toutes les injures dont on m'a accablée dans cette société; je pardonnerai tout, jusqu'à l'ingratitude. Assurément, j'en ai été assez dédommagée par les bontés de mes amis et les hommages dont m'ont comblée tant d'anglais que je connaissais à peine. – Comment maman a-t-elle pu croire nécessaire de me dire que je ne m'étais pas acquittée envers les O'Connell en leur rendant l'argent qu'ils m'avaient prêté? elle me connaît donc bien peu! – J'ai repris mes bains depuis hier. Je vais monter à cheval; peut-être pousserai-je ma promenade jusque chez les duchesses. Le docteur Slater m'a dit que le duc de Fitz-James serait, à ce qu'il croyait, bientôt parfaitement rétabli: il a la goutte aux pieds, ce qui est, dit-on, fort heureux. – Adieu pour le moment.

Me voilà revenue, après avoir fait une très jolie promenade, mais sans avoir rempli mon dessein d'aller chez la duchesse de Fitz-James; j'ai changé d'avis en entrant dans Margate; j'irai demain sans faute. – Adieu, cher papa, j'embrasse du plus tendre de mon cœur les habitants de Beaumont-street; mille tendresses à Émilie, Édouard et Arthur. – Y a-t-il quelques nouvelles? nous vivons ici comme des Ostrogoths. – J'espère que la bonne famille n'aura pas été fatiguée de son voyage et que madame O'Connell aura couru moins de dangers qu'en venant. – Adieu, papa, encore un baiser.

mardi, 13 août.

Je suis extrêmement fâchée que ce pauvre William ait perdu sa place; je le serais encore plus si je pouvais me le reprocher en rien. Assurément, j'ai toujours eu raison d'en être parfaitement contente. La personne qui m'a demandé son caractère avait vu monsieur de Boigne pendant que j'étais à cheval, et il paraît que William avait dit qu'il était anglais et qu'il avait servi le Général quatorze mois. Monsieur de Boigne a nié ces deux choses et a reconnu son goût pour la boisson; du reste, dans ce que j'ai écrit, j'ai rendu justice à l'intelligence et à l'activité de William, voilà ce qui en est: je serais fâchée que vous m'accusassiez de légèreté dans une chose qui peut déterminer le sort d'un malheureux dont je n'ai qu'à me louer. Si William peut se procurer une autre place, il me trouvera toujours prête à dire tout le bien que je pense de lui; quelque chose qu'il en coûte, jamais je ne sacrifierai un autre à ma tranquillité. – L'ouragan d'hier a cessé, mais l'orage m'a fait un mal affreux et je suis aujourd'hui à peine en état de tenir ma plume: sans maladie quelconque, j'ai eu un mal aux nerfs horrible; ce matin j'étais en si mauvaise disposition que mon bain m'a fait un très mauvais effet, mais je veux vous écrire parce que la poste ne part pas demain. Je suis bien anxious aussi de voir ma petite Georgine; sa mère doit recevoir une lettre de moi aujourd'hui, mais apparemment que je dois m'en prendre à la poste, car je n'en ai pas d'elle. – Adieu, bonne maman, ma tête tourne tant que je m'arrête. Dites à William qu'il n'a rien fait pour me déplaire, que j'en suis parfaitement contente, que, s'il a perdu sa place, je n'y suis pour rien et enfin que je suis disposée à faire tout en mon pouvoir pour lui en procurer une autre.

samedi, 17 août.

Je suis presque fâchée d'avoir expédié ma lettre d'hier, car j'étais si souffrante qu'elle a dû s'en ressentir et, peut-être, vous inquiéter. J'hésitais à savoir si je me baignerais ce matin, mais le temps a fixé mes incertitudes attendu que le coup de vent de jeudi n'est rien en comparaison de celui d'aujourd'hui: je crois, en vérité, que tous les vaisseaux des Dunes vont nous arriver; le port est un vrai chaos; les bâtiments se brisent, chassent sur leurs ancres, heurtent contre le pier; enfin, c'est absolument la sortie de l'Opéra. – Voilà la poste et une lettre de vous, cher papa. Vous vous trompez, la mer n'était guère plus forte jeudi que le dimanche où vous m'avez fait baigner, c'était le vent qui occasionnait le danger, s'il y en avait toutefois. Je suis presque tentée de ne me baigner que lundi, car, hier, la mer encore troublée par l'orage de la veille m'a paru désagréable et, je crois, m'a fait mal; les mêmes causes existant, j'appréhende les mêmes effets pour demain; il me semble que ce raisonnement est conséquent! – Pourquoi serait-il question de ce lait d'ânesse? tout au plus, je n'aurais pu en prendre qu'une fois; vous m'aviez dit d'attendre l'été et il n'a duré que vingt-quatre heures; est-ce ma faute? plaisanterie à part, mandez-moi ce que je dois faire à ce sujet. Je dors infiniment mieux depuis quelques jours, mais, en revanche, je mange extrêmement peu; au surplus, vous savez que, dans le temps où je jouissais de la meilleure santé, mon appétit a toujours été inégal. – Pourquoi ne me dites-vous pas quels doivent être nos futurs gouvernants? c'est méchanceté pure, assurément, et vous avez d'autant plus de tort que je me trouve dans le cas de faire ma cour à tous ces grands personnages. – Monsieur de Maillé est à mourir de rire quand il raconte la manière dont monsieur de Puysieux s'y prend pour faire croire qu'il y a des dessous de cartes qu'on ne sait pas et que, s'il n'est pas de la première expédition, c'est qu'on garde les bonnes têtes pour la seconde, etc… Le comte Étienne suit-il Monsieur? – Je viens de recevoir une lettre d'Amélie toute bonne comme elle. – Je vous remercie, cher papa, de m'envoyer les ouvrages de l'abbé Delisle; je n'ai pas encore lu les Géorgiques et, d'après leur réputation, je crois qu'elles me feront grand plaisir. – Monsieur Cruise a dîné chez moi hier; il m'a prié de le rappeler à votre souvenir.

1Cette note, avec son commentaire par madame de Boigne, se trouve à la fin du manuscrit des Mémoires.