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Vie de Christophe Colomb

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Une troupe d'oiseaux venant du Nord servit une fois de prétexte à Alonzo Pinzon pour demander à gouverner dans cette direction; le grand-amiral lui répondit avec douceur, mais avec fermeté, et il continua à faire route vers l'Ouest.

Cependant les caravelles s'avançaient toujours en parcourant un espace d'environ quarante lieues par jour; mais quoique Colomb continuât à dissimuler une partie du chemin parcouru, ainsi que celui que faisaient faire les courants et qu'il estimait à quatre lieues de plus en vingt-quatre heures, les équipages n'en voyaient pas moins avec terreur la distance qui les séparait de l'Espagne augmenter à chaque instant, et ils perdirent presque jusqu'au dernier rayon d'espoir; mais quelques oiseaux d'un volume plus petit que ceux qui avaient été observés auparavant, parurent à leurs yeux, et leur courage en fut un peu ranimé, car ils durent croire qu'ils ne pouvaient s'être élancés que de quelque point d'une terre peu éloignée.

Cette heureuse disposition des esprits ne se soutint pas; la situation de Colomb devint plus critique, et il y avait à peine quinze jours qu'on avait cessé d'apercevoir l'île de Fer, dont on pouvait alors se trouver à quatre cents lieues environ dans l'Ouest, que l'impatience des matelots prit un commencement de caractère de révolte.

Ils se rassemblèrent d'abord par groupes de trois ou quatre dans les endroits les plus écartés ou les moins surveillés du navire, et ils y donnèrent un libre cours à leur mécontentement. Bientôt, s'excitant les uns les autres, ces groupes devinrent plus nombreux, et, leur audace augmentant, ils poussèrent des murmures et proférèrent des menaces envers le grand-amiral. Ils le traitaient d'ambitieux, d'insensé qui, dans un accès de folie, avait conçu la résolution d'entreprendre quelque chose d'extravagant pour se faire remarquer. Quelle obligation, ajoutaient-ils, pouvait les lier envers lui et les forcer à le suivre, et jusqu'où pouvait-il exiger leur obéissance, puisqu'ils avaient pénétré sans rien trouver, bien plus avant qu'aucun homme ne l'eût déjà fait! Devaient-ils continuer jusqu'à ce que leurs bâtiments eussent péri, ou jusqu'à ce que tout espoir de retour, sur d'aussi frêles navires, fût devenu totalement impossible! Qui pourrait les blâmer, lorsqu'il serait évidemment démontré qu'en revenant sur leurs pas, ils n'auraient fait qu'agir dans l'intérêt bien motivé du salut de leurs vies? Et ils allaient jusqu'à s'écrier dans leur désespoir, que le chef qu'on leur avait donné était un étranger, n'ayant en Espagne ni amis, ni crédit; que son projet avait été condamné comme celui d'un visionnaire, par des hommes du plus haut rang, de la plus grande instruction; qu'ainsi, non-seulement personne n'entreprendrait de le justifier ou de le venger, mais encore qu'on s'en réjouirait. Il n'y avait donc plus qu'à se révolter; il fut même proposé, pour empêcher toutes plaintes ou récriminations futures de Colomb, de le jeter à la mer, se réservant de dire que c'était lui-même qui y serait tombé par accident, en observant les astres avec ses instruments nautiques.

Le grand-amiral n'ignorait rien de ce qui se passait dans ces conciliabules et il se promettait bien d'agir avec énergie au premier acte qui se manifesterait ouvertement; mais il temporisait, espérant toujours que quelque circonstance heureuse ferait d'elle-même changer ces sentiments hostiles. Sa contenance était donc toujours aussi sereine; quand il trouvait une occasion naturelle de parler à son équipage, c'était toujours avec sa même adresse, calmant les uns par des paroles bienveillantes, excitant l'orgueil ou la cupidité de quelques autres par des espérances d'honneurs, de gloire ou de richesse, et faisant connaître à tous, que s'il éclatait quelque mutinerie, il saurait bien à qui s'adresser comme en étant les chefs ou les fauteurs; qu'enfin s'il voulait bien paraître ignorer quelques paroles dont il ne voulait pas exagérer la portée et qu'il était enclin à pardonner à cause de la nature toute particulière de sa mission, il n'en connaissait pas moins toute l'étendue des pouvoirs coercitifs que le roi et la reine avaient mis en ses mains, et qu'il saurait très-bien s'en servir envers les séditieux, si jamais on se portait à quelque fait qui lui prouvât qu'il en existait à son bord.

Un phénomène particulier aux mers intertropicales est celui qui donne le spectacle magnifique des couchers du soleil les plus éblouissants qu'il soit possible de s'imaginer. Tantôt on croit voir, avec les couleurs les plus vives, de vastes cités dont ne sauraient approcher ni Constantinople, ses mosquées en amphithéâtre et ses minarets, ni Saint-Pétersbourg avec ses dômes, ses coupoles, ses flèches étincelantes et ses toitures peintes de couleurs les plus variées, ni Grenade et son magique Alhambra, ni Calcutta, la ville des palais, son beau ciel et l'admirable végétation qui l'entoure; tantôt on voit à l'horizon des prairies émaillées de fleurs lumineuses, des campagnes couvertes de châteaux, de verdure ou de bosquets; un autre jour, ce sont des batailles livrées par des guerriers gigantesques dont la tête paraît atteindre le firmament, couverts d'armures où resplendissent les rayons les plus ardents de l'astre qui les éclaire et qui les pare de ses reflets les plus brillants. Ces guerriers mouvants, qui selon les caprices de la marche des nuages, courent, se poursuivent, se défendent, se frappent, tombent ou se relèvent, ont une animation prodigieuse qui va jusqu'à électriser le spectateur; mais la scène dure peu, car le soleil n'y rase jamais l'horizon; il semble se précipiter au-dessous plutôt qu'y descendre, et le crépuscule y est toujours fort court.

Un soir, c'était le 25 septembre, un semblable spectacle vint réjouir les esprits, mais l'intérêt en fut d'autant plus vif, que ce fut une chaîne de montagnes parfaitement ressemblantes à celles de notre globe, qui s'offrit à tous les yeux. Les caravelles, selon l'usage, s'étaient, rapprochées pour la prière, et l'apparence avait tellement l'air de la vérité que Colomb lui-même s'y méprit. «Terre! terre!» s'écrie Alonzo Pinzon, «je réclame la récompense promise à celui qui la verra le premier!»

Le noble visage du grand-amiral rayonna du transport de joie le plus expressif; il monta sur sa dunette, se découvrit la tête, jeta vers le ciel un regard de reconnaissance infinie; et d'une voix émue, mais sonore, il entonna le Gloria in excelsis, que tous les équipages chantèrent aussi, avec autant de ferveur que d'enthousiasme.

«Gloire à Dieu au plus haut des cieux!» s'écriaient ces rudes marins dont les cœurs étaient attendris par le souvenir de leurs dangers, de leurs espérances, ou par l'image de leurs succès. «Nous vous louons, répétaient-ils en chœur, nous vous bénissons, nous vous adorons, grand Dieu, nous vous glorifions, nous vous rendons grâce pour tous vos bienfaits, Seigneur, Dieu, Roi céleste, Dieu tout-puissant!»

Dans ce chant majestueux qui se rapproche du langage des anges, autant que l'on peut croire que l'homme puisse imiter les choses divines, dans cet hymne sublime qui, pour la première fois retentissait au milieu des vastes et profondes solitudes de l'Océan, ces voix presque en délire s'harmoniaient avec le bruit des vagues qui, séparées par la proue des caravelles, se repliaient sur leurs flancs comme pour les caresser avec amour, et semblaient se complaire à répéter les louanges du Créateur.

Le soleil avait disparu sous l'horizon, le jour s'était complètement assombri, mais les voix retentissaient encore, et les yeux n'avaient pas cessé de se tourner vers le point où se concentraient toutes les pensées. La nuit se passa dans la plus grande anxiété; on veilla avec attention, on fit route avec précaution, personne ne quitta le pont; Colomb l'aurait quitté moins encore que les autres tant il était ému! et, par le sillage que l'on faisait, on espérait être arrivé le lendemain matin à une petite distance de cette terre tant désirée.

Le soleil se leva et répandit ses rayons sur le vaste panorama de la mer. À mesure que la lumière rendait les objets plus distincts, chacun enfonçait ses regards vers l'Occident. D'abord on n'eut que la crainte de ne pas revoir les montagnes de la veille; mais quand le soupçon fut changé en certitude, les cœurs furent glacés d'effroi: on comprit qu'on avait été le jouet d'une de ces dispositions particulières de l'atmosphère de ces climats, et le plus profond abattement succéda, parmi les équipages, à la joie que tout à l'heure encore ils venaient de faire éclater.

Les murmures recommencèrent alors; mais le 29 septembre on vit un oiseau de l'espèce de ceux que nous appelons frégates, et que les marins pensaient devoir peu s'éloigner des terres. Son passage ranima un peu l'espoir qui s'éteignait; on trouvait aussi du charme à respirer l'air de la température agréable où l'on se trouvait et qui faisait dire à Colomb, dans son journal, qu'il se serait volontiers cru reporté dans les sites délicieux de l'Andalousie, s'il avait entendu le chant du rossignol.

Pour donner un but positif aux idées des matelots, Colomb, tout en recommandant d'être très-attentif dorénavant à ne pas prendre l'image pour la réalité, promit d'ajouter, personnellement, une bonne récompense à celle qui avait été destinée par les souverains, en faveur de celui qui apercevrait la terre le premier.

Quelques journées s'écoulèrent dans une alternative modérée où l'espérance remportait sur le mécontentement, tant les signes précurseurs de la terre devenait nombreux!

Un phénomène nouveau vint, toutefois, effrayer les marins de l'expédition: ce fut l'aspect enflammé de la mer dans les sombres nuits de la zone torride. Cet effet, connu sous le nom de phosphorescence, est tellement vif qu'il éclaire sensiblement les voiles, les cordages et le corps entier du navire à l'extérieur, et que la moindre ondulation donne naissance à une sorte de flamme blanchâtre: on l'attribue, aujourd'hui, à la réunion en ces parages d'une infinité de mollusques qui ont la propriété de produire de la lumière en certains cas, et ordinairement de l'électricité. On dit aussi que cette lumière est due à des particules de corps organisés qui, quelquefois, ressemblent à une sorte de poussière couleur de paille brune. Il arrive, quand la mer est phosphorescente, qu'il s'y forme des bandes éclatantes séparées par des points obscurs qui simulent des brisants; d'ailleurs, elle est alors grasse au toucher, laisse une trace onctueuse à la peau, et répand souvent une odeur désagréable.

 

Il faut convenir que des hommes aussi équivoquement disposés que les matelots de l'expédition durent être effrayés par ce spectacle inattendu, et que c'est bien alors qu'ils purent penser être transportés dans ces mers horribles qu'on leur avait dit, avant leur départ, qu'ils allaient affronter; ils se crurent voués à un incendie complet, et furent tellement saisis de terreur qu'à peine ils osèrent murmurer. Le grand-amiral fit puiser un seau d'eau, il y trempa son bras qu'il retira sain et sauf. L'équipage commença à se rassurer; Colomb continua paisiblement ensuite sa route au milieu de ces feux et de ces récifs apparents qui furent franchis sans inconvénient: et, quand le jour revint aussi pur, aussi radieux que la veille, on vit qu'on avait encore été le jouet d'une illusion, et l'on retrouva avec la clarté du soleil, avec la douceur de l'atmosphère, la confiance qu'on avait momentanément perdue.

Les esprits des matelots étaient évidemment dans cette espèce d'état fébrile pendant lequel on se laisse aller aux changements les plus soudains, et Colomb avait encore de rudes crises à traverser. Heureusement la mer de ces parages était, comme on le voit le plus souvent, presque aussi unie que celle d'une rivière, le ciel était pur, l'air doux, et c'étaient des motifs qui empêchaient de s'abandonner au désespoir.

Le 4 octobre, la flotille parcourut 190 milles marins: ce fut le plus long trajet depuis le départ. Le 5, la Santa-Maria atteignit le sillage de 9 milles marins par heure, qu'elle ne pouvait jamais dépasser, ce qui promettait une aussi bonne journée; mais la brise, fléchit et ce sillage ne se soutint pas.

À la faveur de ces résultats, le grand-amiral calcula, le 7 octobre, qu'il devait être sur le point d'atteindre le lieu où il supposait, d'après la carte de Toscanelli, que se trouvait la grande île de Cipango, et il fut confirmé dans l'idée qu'il s'approchait de quelque terre considérable, en voyant plusieurs troupes d'oiseaux de peu de grosseur qui se dirigèrent, le soir, vers l'Ouest-Sud-Ouest, comme faisant un dernier effort pour voler au gîte que leur faisaient deviner la finesse de leurs organes, leurs habitudes et l'acuité de leurs instincts.

Alonzo Pinzon et ses deux frères, Vincent et François, qui furent également frappés de la direction suivie par ces oiseaux, demandèrent au grand-amiral l'autorisation de se rendre à bord de la Santa-Maria pour en conférer avec lui; quand ils furent auprès de Colomb, ils le prièrent instamment, et pour eux, et pour le contentement de leurs équipages, de donner la route à l'Ouest-Sud-Ouest, au lieu de l'Ouest qui était toujours l'air-de-vent suivi par les caravelles.

«Le désir de vous être agréable, leur dit Colomb, me fait accéder aujourd'hui à une demande de changement de route que j'ai déjà refusée dans une circonstance précédente: il est prudent et politique, ajouta-t-il, d'avoir de la condescendance lorsqu'il n'y a que peu d'inconvénients matériels à en montrer. Actuellement, nous devons être assez près de la terre pour qu'une déviation de quelques degrés ne nous la fasse pas manquer, tandis que la première fois que ce changement me fut proposé, cette déviation aurait pu nous conduire tout à fait à côté de notre but, je ne veux donc pas me montrer obstiné hors de propos; mais si dans deux jours la terre n'a pas été découverte, nous remettrons le cap à l'Ouest, car avec l'Ouest-Sud-Ouest prolongé nous allongerions trop notre route, puisque c'est l'Ouest qui doit probablement nous conduire le plus promptement possible au terme de nos travaux.»

Il était impossible de mieux allier le devoir et la dignité à la condescendance; aussi les frères Pinzon se séparèrent-ils de Colomb avec satisfaction, et les équipages accueillirent-ils cette nouvelle avec un transport de reconnaissance.

Quand ils furent partis, Colomb adressa la parole à Garcia Fernandez qui avait été présent à l'entretien, et, d'un ton profondément mélancolique, il lui dit: «Alonzo est certainement un marin très-hardi et fort habile, c'est un homme à qui j'ai les plus grandes obligations; mais il commence à hésiter, et je crains que ses idées n'aient plus la même solidité qu'auparavant: puisse l'accueil que j'ai fait à sa demande le ramener! mais certainement je ne gouvernerai pas plus de deux jours à l'Ouest-Sud-Ouest, car ce qui n'est presque d'aucune importance pendant un si petit laps de temps, pourrait devenir très-préjudiciable en se prolongeant.»

Pendant ces deux jours, les marins éprouvèrent quelque chose de vague, comme un pressentiment qui les avertissait que la terre était proche, et qu'on était sur le point de faire une grande découverte. Cette impression les plongeait dans de grandes inquiétudes; aussi, quand, au bout de deux jours de la route nouvelle, ils trouvèrent que leur espoir avait encore était déçu, leur pressentiment ne les abandonna pas encore, mais ils virent avec plaisir gouverner de nouveau à l'Ouest, persuadés alors que c'était en effet dans cette direction que la terre existait. Les caravelles profitèrent de cette bonne disposition des esprits et se couvrirent de toutes les voiles qu'elles pouvaient porter. Le même soir, des oiseaux reparurent et s'approchèrent considérablement des navires; des herbes d'un vert très-frais furent vues surnageant sur la mer, et ces indices favorables augmentèrent la joie des matelots.

Toutefois, la terre ne parut pas le lendemain, 10 octobre, et, quand les matelots de la Santa-Maria eurent vu le soleil s'abaisser au-dessous de l'horizon, sans que cet objet de leurs espérances, sur lequel ils comptaient tant, se fût montré à leurs yeux, ils poussèrent de violentes clameurs et, atteignant les limites du désespoir, ils s'attroupèrent et s'avancèrent résolument vers la dunette du grand-amiral, en s'écriant qu'ils exigeaient positivement qu'il les fît retourner en Espagne, et en le menaçant, s'il n'y consentait pas, de se porter aux dernières extrémités.

Colomb sortit de sa dunette et s'avança vers les rebelles avec toute l'expression d'une physionomie indignée qui, pendant un instant, fit bondir leur cœur et réprima leur audace.

«Je veux bien vous expliquer, leur dit-il avec sévérité, que nous sommes trop avancés pour songer au retour; que nous manquerions de vivres et d'eau pour l'effectuer, et que notre seul salut est dans la découverte de la terre qui est devant nous, et même tout me dit assez près de nous!»

«En Espagne, à Palos!» répétèrent-ils tout d'une voix; et puis, comme ayant été frappés de l'argument du grand-amiral, ils ajoutèrent: «Eh bien! puisque la terre est si près de nous, si nous vous obéissons trois jours encore, et que nous ne l'ayons pas vue, nous conduirez-vous alors en Espagne?»

«C'en est trop, leur répondit Colomb étonné de tant d'audace; n'oubliez pas que l'inspiration de mon voyage me vient de Dieu lui-même; souvenez-vous que ma mission m'a été donnée par nos souverains, que je leur ai promis de l'accomplir, que, quoi qu'il arrive, je ferai mon devoir, que je suis préparé à tout, que je saurai user des pouvoirs qui ont été mis à ma disposition, et qu'enfin jamais je ne céderai, non, jamais! ainsi, retirez-vous et craignez de m'irriter!»

Cela dit avec fermeté, Colomb rentra dans sa dunette, et les mutins, cédant à l'air de grande autorité qui rehaussait l'effet des paroles de leur chef, se dispersèrent, mais non sans continuer à murmurer, quoique beaucoup plus sourdement.

«Ami Guttierez, dit Colomb à ce jeune seigneur qui rentra avec lui, qu'il se présente une occasion, et l'on verra que je sais encore manier une épée ou un pistolet aussi bien qu'un compas et qu'un astrolabe! Mais retenez bien ceci: j'ai la conviction intime qu'avant trois jours la terre sera découverte; et si ce n'eût été l'humiliation de céder à la violence, j'aurais volontiers souscrit à la condition de ces trois jours que ces audacieux voulaient m'imposer.»

«J'épiais ces insolents, lui répondit Guttierez, et si je me suis contenu, ce n'est que par respect pour vous, seigneur grand-amiral; mais j'ai à mon côté une fine lame de Tolède qui a fait défaillir plus d'un Maure; vienne le moment, alors on verra qu'elle est toujours en des mains dignes de la porter … Pour moi, je ne connais qu'une chose: c'est que j'ai promis à notre reine adorée de vous suivre partout pour voir les limites de l'Atlantique dans l'Occident; or, quelles qu'elles soient, fussent-elles, comme on l'a souvent dit, un gouffre immense qui doit tous nous engloutir, j'en jure par don Fernand d'Aragon, mon maître et mon souverain, j'y périrai, ou je pourrai dire à Leurs Majestés que je les ai vues!»

Colomb sourit avec bienveillance, et, après avoir rassuré don Pedro, il le remercia des sentiments chevaleresques qu'il venait d'exprimer avec tant de noblesse et d'énergie.

On a cependant écrit que Colomb fut forcé de capituler avec ses subordonnés et qu'il s'engagea, en cette occasion, à renoncer à l'entreprise, s'il ne voyait pas la terre dans trois jours; mais le fait est complètement faux. Les journaux de l'expédition, les mémoires de Garcia Fernandez, les documents de l'époque prouvent formellement que cette faiblesse a été faussement attribuée au grand navigateur, qui, aux heures d'incertitude les plus sombres, ne perdit jamais l'exercice tout entier de son autorité, maintenant ses résolutions inébranlables à la distance où il était de l'Europe, avec autant de fermeté, avec le même sang-froid que s'il avait commandé dans une rade ou dans un port de la métropole.

Le 11 fut un beau jour, car les indices les plus certains et les plus nombreux se présentèrent aux caravelles.

D'abord, ce fut le marin de la Santa-Maria, en vigie dans la mâture, qui jeta un cri de joie, et qui montra avec vivacité un objet flottant, que tous se précipitèrent le long du bord pour mieux apercevoir. C'était un jonc d'un vert frais et éclatant, qui fit pousser de bruyantes acclamations et au sujet duquel Colomb fit la remarque que les plantes marines pouvaient naître, croître dans les profondeurs de la mer, et s'en détacher par la suite; mais qu'il fallait aux joncs la lumière du jour, et que celui-ci ne pouvait avoir végété que sur une terre voisine.

Quelques heures plus tard, on vit des débris de plantes terrestres toutes fraîches; vers midi, ce fut un de ces poissons à la robe sombre, de moyenne grosseur, d'une espèce étrangère à l'Europe, et de ceux qui vivent évidemment et d'habitude sur les hauts-fonds ou parmi les roches.

La Pinta et la Niña semblaient avoir des ailes; elles se rapprochaient à chaque instant du grand-amiral pour lui communiquer leurs impressions, puis elles s'en écartaient pour chercher de nouveaux motifs de confiance, passant, repassant comme par un jeu frivole, et toujours avec quelques bonnes nouvelles à donner.

«Qu'avez-vous donc, mon cher Vincent, dit une fois le grand-amiral au commandant de la Niña, que vous me ralliez si vite avec tant d'émotion?»

«C'est une branche d'arbuste, répondit Vincent Pinzon, qui vient de passer le long de mon bord, et que nous avons tous vue avec ses feuilles merveilleusement découpées, et même portant encore de petits fruits.»

«C'est bien, digne ami, vous dites vrai, c'est un augure qui ne peut tromper; allons, courage; à l'Ouest, toujours à l'Ouest, et nous arriverons bientôt!»

Presque au même moment, Alonzo Pinzon se rapprocha aussi de Colomb, et le ravissement étouffait sa voix, car il avait vu, et il eut toutes les peines du monde à l'exprimer, il avait vu une tige de canne à sucre, comme celle que les Génois et les Vénitiens apportaient ou recevaient de l'Orient par la mer Noire et par les communications qui existaient entre eux et les Indes orientales.

Enfin, un tronc d'arbre fut recueilli, ainsi qu'une petite planche d'un bois inconnu dans nos climats et un bâton assez artistement sculpté ou travaillé. Ces objets furent tous retirés de la mer par les embarcations des navires, et portés sur le pont de la Santa-Maria.

«Que Dieu soit loué, s'écria Colomb, non-seulement nous allons voir la terre, mais encore une terre habitée par des êtres intelligents; allons! voilà assez de preuves, ne perdons plus de temps; à l'Ouest, à l'Ouest, et toujours à l'Ouest!»

 

Le soir, après la prière, les matelots entonnèrent d'eux mêmes le Salve regina, chant religieux si cher aux marins d'autrefois, qui se plaçaient toujours sous la protection de la divine Marie! Colomb fit, après que le chant fut achevé, un discours éminemment pathétique, dans lequel il affirma qu'avant vingt-quatre heures la terre serait découverte, et où il n'oublia pas de remercier la Providence de l'avoir toujours conduit comme par la main, et de lui avoir accordé les vents les plus favorables, la mer la plus unie, le temps le plus beau qu'un marin pût désirer.

Il serait impossible de décrire le degré d'allégresse et d'espérance qui régnait parmi les équipages; de joyeuses paroles étaient échangées; des chants, des exclamations sortaient de toutes les poitrines; les cœurs étaient émus et même attendris; et la moindre saillie provoquait le rire, là où, vingt-quatre heures auparavant, tout était ténèbres et consternation. Les minutes s'écoulaient rapidement; ce n'était plus vers l'arrière et vers l'Espagne que les yeux et les pensées se reportaient, mais vers l'avant, vers ce magique Ouest que Colomb leur indiquait avec une confiance si parfaite que nul ne croyait plus à ses mystères.

La présence des objets que l'on venait de recueillir, de voir et de toucher, avait créé un véritable délire. On n'avait jusqu'alors rencontré que des oiseaux, des poissons, des herbes marines, signes souvent incertains; mais ce qu'ils avaient sous les yeux témoignait si fortement qu'ils étaient près d'une terre habitée, qu'ils ne pouvaient se refuser à cette évidence; enfin tous les doutes s'étaient évanouis devant cette confirmation inespérée des prédictions du grand-amiral; aussi tous se mirent-ils à contempler d'un œil vigilant la ligne resplendissante de l'horizon au moment du coucher du soleil, et ils s'apprêtèrent à redoubler d'attention quand ils n'auraient plus à regarder que la nappe assombrie de l'eau et ses paillettes étincelantes.

Quoique la couleur de la mer n'eût rien perdu de sa transparence, Colomb avait fait sonder avec une ligne de 250 brasses, qui n'atteignit pas le fond: «Eh bien, dit-il alors, mettons toutes voiles dehors, approchons-nous encore; mais redoublons de surveillance, car la terre n'est certainement pas loin!»

Personne, on le pense bien, ne songea à se coucher ni à dormir, tant on était agité, tant la scène était attachante et tant l'intérêt était excité! Qu'allait-on voir? Où allait-on aborder? Comment étaient faites les rives que l'on allait découvrir? Quels êtres les habitaient? Étaient-ce des hommes comme nous, ou une race étrange et monstrueuse? Verrait-on, enfin, une solitude sauvage, image du chaos, ou bien des champs couverts de plantes odoriférantes, d'arbustes en fleurs et de villes d'or, comme on se représentait quelquefois celles dont la splendeur était décrite par les voyageurs qui avaient pénétré dans l'Orient, et admiré sa civilisation?

Pour calmer leur imagination, les matelots se mirent à chanter de nouveau le Salve regina! Ce fut une chose solennelle que d'entendre les accents de la prière se mêler aux soupirs de la brise et au bruissement de l'eau dans ce désert océanique; jamais cet hymne n'avait si doucement retenti aux oreilles charmées de Colomb.

À dix heures du soir, pendant que chacun, l'œil fixé vers l'horizon scrutait jusqu'aux plus vagues indications de la terre, Colomb, qui veillait autant et plus encore que les autres, aperçut tout à coup, par le travers, une lumière qui se balançait à une certaine distance, dont il perdait la trace par intervalles, et qu'il revoyait bientôt de nouveau. Guttierez, à qui il communiqua cette découverte, regarda dans la direction indiquée par Colomb et distingua parfaitement la lumière. Colomb fit alors appeler Rodrigue Sanchez de Ségovie, qui était l'administrateur de la flotille; il voulut lui montrer la lumière, mais elle avait disparu; cependant elle se remontra quelque temps après, et tous les trois la virent très-distinctement. «Cette lumière vient de quelque côte ou d'une barque de pêcheurs, dit le grand-amiral, et, certainement, nous verrons la terre cette nuit!»

Mais comme cette lumière s'évanouit ensuite définitivement, les matelots finirent par n'y attacher aucune importance. Cependant la brise avait fraîchi: les caravelles avaient atteint les 9 nœuds ou milles marins à l'heure, qui étaient le maximum de la vitesse de la Santa-Maria; elles continuèrent à naviguer toutes voiles dehors, et toujours le cap à l'Ouest.

Par intervalles, les marins tressaillaient au sifflement du vent dans les cordages, comme s'ils eussent entendu les voix sinistres d'un pays inconnu; quelquefois même, quand la lame battait la muraille de la Santa-Maria, ils tournaient la tête, comme s'attendant à voir une foule d'êtres bizarres sortir du monde occidental, et apparaître sur le pont. Soudainement, lorsque les esprits étaient le plus impressionnés, un vif éclat de lumière très-apparent et très-voisin frappa tous les regards, et immédiatement après, une détonation formidable se fit entendre.

«Amis, s'écria le grand-amiral, c'est le signal convenu; la Pinta me signale la terre par un coup de canon! Voyez-la qui met en panne comme si elle craignait de la trop approcher; mettons en panne aussi, et au point du jour nous y débarquerons!

La Pinta, qui, à cause de son moindre tirant d'eau, marchait en avant de la Santa-Maria, avait en effet vu la terre; c'était un matelot habitant de Triana, faubourg de Séville, mais né à Alcala de la Guadaira, et nommé Rodrigue Berméjo qui l'avait découverte: son nom mérite d'être soigneusement inscrit et conservé à côté de celui de Colomb, comme ayant été le premier à confirmer positivement les théories et les prévisions du savant chef de l'expédition. La récompense promise d'une pension de 10,000 maravédis ne lui fut cependant pas accordée par la suite, car on crut devoir en faire l'honneur à Colomb qui avait découvert la lumière vue à dix heures; mais il fut généreusement indemnisé.

La nuit était assez claire, le ciel brillait de mille étoiles: de l'Océan même semblait émaner une certaine lueur; on aperçut alors visiblement, des trois caravelles, une bande assez étendue où l'azur du ciel cessait, et où une sombre éminence s'élevait au-dessus de l'eau. Cette éminence avait tous les caractères d'une côte; on en distinguait les anfractuosités, les contours, presque les couleurs, et il n'était plus permis de douter.

Ce fut dans la nuit du 11 au 12 octobre, à deux heures du matin, et le trente-cinquième jour du voyage depuis le départ des Canaries, qu'eut lieu ce grand événement qui prouva la justesse des calculs, des plans de Colomb, longtemps l'objet de l'insulte ou de la dérision, mais, en ce moment, devenus le titre et le sceau d'une gloire qui doit durer aussi longtemps que durera l'univers.

Quels furent les transports, les réflexions, les extases des marins de l'expédition pendant les trois heures qui suivirent la découverte de la terre, serait difficile à décrire, tant avait été précédemment douteuse et imprévue, pour eux, la vue de cette même terre qu'ils avaient sous les yeux, et dont la présence, d'ailleurs, se manifestait par un autre sens, celui de l'odorat: aussi était-ce avec des délices incomparables qu'ils aspiraient la brise embaumée qui portait jusqu'à bord les exhalaisons parfumées de la terre!

Le grand-amiral gardait le silence; les émotions comme les siennes se révèlent rarement par des paroles, mais son cœur, toujours animé par la piété la plus sincère, était rempli de reconnaissance envers la Divinité. Sur la foi de Toscanelli et de Marco-Paolo, il se croyait, à la vérité, en face de l'Inde ou de quelqu'une de ses îles; cependant, ce qu'il devait bientôt voir avec détail était encore sous le voile des conjectures; mais, à tout événement, il était prêt à tout, et il ne pouvait aborder dans aucune contrée qu'il n'eût prévu, dans ses combinaisons, ce qu'elle devait ou bien ce qu'elle pouvait être.