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Le vicomte de Bragelonne, Tome III.

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Chapitre CXLVI – Comment Porthos, Trüchen et Planchet se quittèrent amis, grâce à d'Artagnan

On fit grosse chère dans la maison de Planchet.

Porthos brisa une échelle et deux cerisiers, dépouilla les framboisiers, mais ne put arriver jusqu'aux fraises, à cause, disait-il, de son ceinturon.

Trüchen, qui s'était déjà apprivoisée avec le géant, lui répondit:

– Ce n'est pas le ceinturon, c'est le fendre.

Et Porthos, ravi de joie, embrassa Trüchen, qui lui cueillait plein sa main de fraises et lui fit manger dans sa main. D'Artagnan, qui arriva sur ces entrefaites, gourmanda Porthos sur sa paresse et plaignit tout bas Planchet.

Porthos déjeuna bien; quant il eut fini:

– Je me plairais ici, dit-il en regardant Trüchen.

Trüchen sourit.

Planchet en fit autant, non sans un peu de gêne.

Alors d'Artagnan dit à Porthos:

– Il ne faut pas, mon ami, que les délices de Capoue vous fassent oublier le but réel de notre voyage à Fontainebleau.

– Ma présentation au roi?

– Précisément, je veux aller faire un tour en ville pour préparer cela. Ne sortez pas d'ici, je vous prie.

– Oh! non, s'écria Porthos.

Planchet regarda d'Artagnan avec crainte.

– Est-ce que vous serez absent longtemps? dit-il.

– Non, mon ami, et, dès ce soir, je te débarrasse de deux hôtes un peu lourds pour toi.

– Oh! monsieur d'Artagnan, pouvez-vous dire?

– Non; vois-tu, ton coeur est excellent, mais ta maison est petite. Tel n'a que deux arpents, qui peut loger un roi et le rendre très heureux; mais tu n'es pas né grand seigneur, toi.

– M. Porthos non plus, murmura Planchet.

– Il l'est devenu, mon cher; il est suzerain de cent mille livres de rente depuis vingt ans, et, depuis cinquante, il est suzerain de deux poings et d'une échine qui n'ont jamais eu de rivaux dans ce beau royaume de France. Porthos est un très grand seigneur à côté de toi, mon fils, et… Je ne t'en dis pas davantage; je te sais intelligent.

– Mais non, mais non, monsieur; expliquez-moi…

– Regarde ton verger dépouillé, ton garde-manger vide, ton lit cassé, ta cave à sec, regarde… Mme Trüchen…

– Ah! mon Dieu! dit Planchet.

– Porthos, vois-tu, est seigneur de trente villages qui renferment trois cents vassales fort égrillardes, et c'est un bien bel homme que Porthos!

– Ah! mon Dieu! répéta Planchet.

– Mme Trüchen est une excellente personne, continua d'Artagnan; conserve-la pour toi, entends-tu.

Et il lui frappa sur l'épaule.

À ce moment, l'épicier aperçut Trüchen et Porthos éloignés sous une tonnelle.

Trüchen, avec une grâce toute flamande, faisait à Porthos des boucles d'oreilles avec des doubles cerises, et Porthos riait amoureusement, comme Samson devant Dalila.

Planchet serra la main de d'Artagnan et courut vers la tonnelle.

Rendons à Porthos cette justice qu'il ne se dérangea pas… Sans doute il ne croyait pas mal faire.

Trüchen non plus ne se dérangea pas, ce qui indisposa Planchet; mais il avait vu assez de beau monde dans sa boutique pour faire bonne contenance devant un désagrément.

Planchet prit le bras de Porthos et lui proposa d'aller voir les chevaux.

Porthos dit qu'il était fatigué.

Planchet proposa au baron du Vallon de goûter d'un noyau qu'il faisait lui même et qui n'avait pas son pareil.

Le baron accepta.

C'est ainsi que, toute la journée, Planchet sut occuper son ennemi. Il sacrifia son buffet à son amour-propre.

D'Artagnan revint deux heures après.

– Tout est disposé, dit-il; j'ai vu Sa Majesté un moment au départ pour la chasse: le roi nous attend ce soir.

– Le roi m'attend! cria Porthos en se redressant.

Et, il faut bien l'avouer, car c'est une onde mobile que le coeur de l'homme, à partir de ce moment, Porthos ne regarda plus Mme Trüchen avec cette grâce touchante qui avait amolli le coeur de l'Anversoise.

Planchet chauffa de son mieux ces dispositions ambitieuses. Il raconta ou plutôt repassa toutes les splendeurs du dernier règne; les batailles, les sièges, les cérémonies. Il dit le luxe des Anglais, les aubaines conquises par les trois braves compagnons, dont d'Artagnan, le plus humble au début, avait fini par devenir le chef.

Il enthousiasma Porthos en lui montrant sa jeunesse évanouie; il vanta comme il put la chasteté de ce grand seigneur et sa religion à respecter l'amitié; il fut éloquent, il fut adroit. Il charma Porthos, fit trembler Trüchen et fit rêver d'Artagnan.

À six heures, le mousquetaire ordonna de préparer les chevaux et fit habiller Porthos.

Il remercia Planchet de sa bonne hospitalité, lui glissa quelques mots vagues d'un emploi qu'on pourrait lui trouver à la Cour, ce qui grandit immédiatement Planchet dans l'esprit de Trüchen, où le pauvre épicier, si bon, si généreux, si dévoué avait baissé depuis l'apparition et le parallèle de deux grands seigneurs.

Car les femmes sont ainsi faites: elles ambitionnent ce qu'elles n'ont pas; elles dédaignent ce qu'elles ambitionnaient, quand elles l'ont.

Après avoir rendu ce service à son ami Planchet d'Artagnan dit à

Porthos tout bas:

– Vous avez, mon ami, une bague assez jolie à votre doigt.

– Trois cents pistoles, dit Porthos.

– Mme Trüchen gardera bien mieux votre souvenir si vous lui laissez cette bague-là, répliqua d'Artagnan.

Porthos hésita.

– Vous trouvez qu'elle n'est pas assez belle? dit le mousquetaire. Je vous comprends; un grand seigneur comme vous ne va pas loger chez un ancien serviteur sans payer grassement l'hospitalité; mais, croyez-moi Planchet a un si bon coeur, qu'il ne remarquera pas que vous avez cent mille livres de rente.

– J'ai bien envie, dit Porthos gonflé par ce discours, de donner à Mme Trüchen ma petite métairie de Bracieux; c'est aussi une jolie bague au doigt… douze arpents.

– C'est trop, mon bon Porthos, trop pour le moment… Gardez cela pour plus tard.

Il lui ôta le diamant du doigt, et, s'approchant de Trüchen:

– Madame, dit-il, M. le baron ne sait comment vous prier d'accepter, pour l'amour de lui, cette petite bague. M. du Vallon est un des hommes les plus généreux et les plus discrets que je connaisse. Il voulait vous offrir une métairie qu'il possède à Bracieux; je l'en ai dissuadé.

– Oh! fit Trüchen dévorant le diamant du regard.

– Monsieur le baron! s'écria Planchet attendri.

– Mon bon ami! balbutia Porthos, charmé d'avoir été si bien traduit par d'Artagnan.

Toutes ces exclamations, se croisant, firent un dénouement pathétique à la journée, qui pouvait se terminer d'une façon grotesque.

Mais d'Artagnan était là, et partout, lorsque d'Artagnan avait commandé, les choses n'avaient fini que selon son goût et son désir.

On s'embrassa. Trüchen, rendue à elle-même par la magnificence du baron, se sentit à sa place, et n'offrit qu'un front timide et rougissant au grand seigneur avec lequel elle se familiarisait si bien la veille.

Planchet lui-même fut pénétré d'humilité.

En veine de générosité, le baron Porthos aurait volontiers vidé ses poches dans les mains de la cuisinière et de Célestin.

Mais d'Artagnan l'arrêta.

– À mon tour, dit-il.

Et il donna une pistole à la femme et deux à l'homme.

Ce furent des bénédictions à réjouir le coeur d'Harpagon et à le rendre prodigue.

D'Artagnan se fit conduire par Planchet jusqu'au château et introduisit Porthos dans son appartement de capitaine, où il pénétra sans avoir été aperçu de ceux qu'il redoutait de rencontrer.

Chapitre CXLVII – La présentation de Porthos

Le soir même, à sept heures, le roi donnait audience à un ambassadeur des Provinces-Unies dans le grand salon.

L'audience dura un quart d'heure.

Après quoi, il reçut les nouveaux présentés et quelques dames qui passèrent les premières.

Dans un coin du salon, derrière la colonne, Porthos et d'Artagnan s'entretenaient en attendant leur tour.

– Savez-vous la nouvelle? dit le mousquetaire à son ami.

– Non.

– Eh bien! regardez-le.

Porthos se haussa sur la pointe des pieds et vit M. Fouquet en habit de cérémonie qui conduisait Aramis au roi.

– Aramis! dit Porthos.

– Présenté au roi par M. Fouquet.

– Ah! fit Porthos.

– Pour avoir fortifié Belle-Île, continua d'Artagnan.

– Et moi?

– Vous? Vous, comme j'avais l'honneur de vous le dire, vous êtes le bon Porthos, la bonté du Bon Dieu; aussi vous prie-t-on de garder un peu Saint Mandé.

– Ah! répéta Porthos.

– Mais je suis là heureusement, dit d'Artagnan, et ce sera mon tour tout à l'heure.

En ce moment, Fouquet s'adressait au roi:

– Sire, dit-il, j'ai une faveur à demander à Votre Majesté. M. d'Herblay n'est pas ambitieux, mais il sait qu'il peut être utile. Votre Majesté a besoin d'avoir un agent à Rome et de l'avoir puissant; nous pouvons avoir un chapeau pour M. d'Herblay.

Le roi fit un mouvement.

– Je ne demande pas souvent à Votre Majesté, dit Fouquet.

– C'est un cas, répondit le roi, qui traduisait toujours ainsi ses hésitations.

À ce mot, nul n'avait rien à répondre.

Fouquet et Aramis se regardèrent.

Le roi reprit:

– M. d'Herblay peut aussi nous servir en France: un archevêque, par exemple.

– Sire, objecta Fouquet avec une grâce qui lui était particulière, Votre Majesté comble M. d'Herblay: l'archevêché peut être dans les bonnes grâces du roi le complément du chapeau; l'un n'exclut pas l'autre.

Le roi admira la présence d'esprit et sourit.

– D'Artagnan n'eût pas mieux répondu, dit-il.

Il n'eût pas plutôt prononcé ce nom, que d'Artagnan parut.

– Votre Majesté m'appelle? dit-il.

Aramis et Fouquet firent un pas pour s'éloigner.

 

– Permettez, Sire, dit vivement d'Artagnan, qui démasqua Porthos, permettez que je présente à Votre Majesté M. le baron du Vallon, l'un des plus braves gentilshommes de France.

Aramis, à l'aspect de Porthos, devint pâle; Fouquet crispa ses poings sous ses manchettes.

D'Artagnan leur sourit à tous deux, tandis que Porthos s'inclinait, visiblement ému, devant la majesté royale.

– Porthos ici! murmura Fouquet à l'oreille d'Aramis.

– Chut! c'est une trahison, répliqua celui-ci.

– Sire, dit d'Artagnan, voilà six ans que je devrais avoir présenté M. du Vallon à Votre Majesté; mais certains hommes ressemblent aux étoiles; ils ne vont pas sans le cortège de leurs amis. La pléiade ne se désunit pas, voilà pourquoi j'ai choisi, pour vous présenter M. du Vallon, le moment où vous verriez à côté de lui M. d'Herblay.

Aramis faillit perdre contenance. Il regarda d'Artagnan d'un air superbe, comme pour accepter le défi que celui-ci semblait lui jeter.

– Ah! ces messieurs sont bons amis? dit le roi.

– Excellents, Sire, et l'un répond de l'autre. Demandez à

M. de Vannes comment a été fortifiée Belle-Île?

Fouquet s'éloigna d'un pas.

– Belle-Île, dit froidement Aramis, a été fortifiée par Monsieur.

Et il montra Porthos, qui salua une seconde fois.

Louis admirait et se défiait.

– Oui, dit d'Artagnan; mais demandez à M. le baron qui l'a aidé dans ses travaux?

– Aramis, dit Porthos franchement.

Et il désigna l'évêque.

«Que diable signifie tout cela, pensa l'évêque, et quel dénouement aura cette comédie?»

– Quoi! dit le roi, M. le cardinal… je veux dire l'évêque… s'appelle Aramis?

– Nom de guerre, dit d'Artagnan.

– Nom d'amitié, dit Aramis.

– Pas de modestie, s'écria d'Artagnan: sous ce prêtre, Sire, se cache le plus brillant officier, le plus intrépide gentilhomme, le plus savant théologien de votre royaume.

Louis leva la tête.

– Et un ingénieur! dit-il en admirant la physionomie, réellement admirable alors, d'Aramis.

– Ingénieur par occasion, Sire, dit celui-ci.

– Mon compagnon aux mousquetaires, Sire, dit avec chaleur d'Artagnan, l'homme dont les conseils ont aidé plus de cent fois les desseins des ministres de votre père… M. d'Herblay, en un mot, qui, avec M. du Vallon, moi et M. le comte de La Fère, connu de Votre Majesté… formait ce quadrille dont plusieurs ont parlé sous le feu roi et pendant votre minorité.

– Et qui a fortifié Belle-Île, répéta le roi avec un accent profond.

Aramis s'avança.

– Pour servir le fils, dit-il, comme j'ai servi le père.

D'Artagnan regarda bien Aramis, tandis qu'il proférait ces paroles. Il y démêla tant de respect vrai, tant de chaleureux dévouement, tant de conviction incontestable, que lui, lui, d'Artagnan, l'éternel douteur, lui, l'infaillible, il y fut pris.

– On n'a pas un tel accent lorsqu'on ment, dit-il.

Louis fut pénétré.

– En ce cas, dit-il à Fouquet, qui attendait avec anxiété le résultat de cette épreuve, le chapeau est accordé. Monsieur d'Herblay, je vous donne ma parole pour la première promotion. Remerciez M. Fouquet.

Ces mots furent entendus par Colbert, dont ils déchirèrent le coeur. Il sortit précipitamment de la salle.

– Vous, monsieur du Vallon, dit le roi, demandez… J'aime à récompenser les serviteurs de mon père.

– Sire, dit Porthos…

Et il ne put aller plus loin.

– Sire, s'écria d'Artagnan, ce digne gentilhomme est interdit par la majesté de votre personne, lui qui a soutenu fièrement le regard et le feu de mille ennemis. Mais je sais ce qu'il pense, et moi, plus habitué à regarder le soleil… je vais vous dire sa pensée: il n'a besoin de rien, il ne désire que le bonheur de contempler Votre Majesté pendant un quart d'heure.

– Vous soupez avec moi ce soir, dit le roi en saluant Porthos avec un gracieux sourire.

Porthos devint cramoisi de joie et d'orgueil.

Le roi le congédia, et d'Artagnan le poussa dans la salle après l'avoir embrassé.

– Mettez-vous près de moi à table, dit Porthos à son oreille.

– Oui, mon ami.

– Aramis me boude, n'est-ce pas?

– Aramis ne vous a jamais tant aimé. Songez donc que je viens de lui faire avoir le chapeau de cardinal.

– C'est vrai, dit Porthos. À propos, le roi aime-t-il qu'on mange beaucoup à sa table?

– C'est le flatter, dit d'Artagnan, car il possède un royal appétit.

– Vous m'enchantez, dit Porthos.

Chapitre CXLVIII – Explications

Aramis avait fait habilement une conversion pour aller trouver d'Artagnan et Porthos.

Il arriva près de ce dernier derrière la colonne, et, lui serrant la main:

– Vous vous êtes échappé de ma prison? lui dit-il.

– Ne le grondez pas, dit d'Artagnan; c'est moi, cher Aramis, qui lui ai donné la clef des champs.

– Ah! mon ami, répliqua Aramis en regardant Porthos, est-ce que vous auriez attendu avec moins de patience?

D'Artagnan vint au secours de Porthos, qui soufflait déjà.

– Vous autres, gens d'Église, dit-il à Aramis, vous êtes de grands politiques. Nous autres gens d'épée, nous allons au but. Voici le fait. J'étais allé visiter ce cher Baisemeaux.

Aramis dressa l'oreille.

– Tiens! dit Porthos, vous me faites souvenir que j'ai une lettre de Baisemeaux pour vous, Aramis.

Et Porthos tendit à l'évêque la lettre que nous connaissons.

Aramis demanda la permission de la lire, et la lut, sans que d'Artagnan parût un moment gêné par cette circonstance qu'il avait prévue tout entière.

Du reste, Aramis lui-même fit si bonne contenance que d'Artagnan l'admira plus que jamais.

La lettre lue, Aramis la mit dans sa poche d'un air parfaitement calme.

– Vous disiez donc, cher capitaine? dit-il.

– Je disais, continua le mousquetaire, que j'étais allé rendre visite à Baisemeaux pour le service.

– Pour le service? dit Aramis.

– Oui, fit d'Artagnan. Et naturellement, nous parlâmes de vous et de nos amis. Je dois dire que Baisemeaux me reçut froidement. Je pris congé. Or, comme je revenais, un soldat m'aborda et me dit il me reconnaissait sans doute malgré mon habit de ville: «Capitaine voulez-vous m'obliger en me lisant le nom écrit sur cette enveloppe?» Et je lus: À M. du Vallon, à Saint-Mandé chez M. Fouquet. «Pardieu! me dis-je, Porthos n'est pas retourné, comme je le pensais, à Pierrefonds ou à Belle-Île, Porthos est à Saint-Mandé chez M. Fouquet. M. Fouquet n'est pas à Saint-Mandé. Porthos est donc seul, ou avec Aramis, allons voir Porthos.» Et j'allai voir Porthos.

– Très bien! dit Aramis rêveur.

– Vous ne m'aviez pas conté cela, fit Porthos.

– Je n'en ai pas eu le temps, mon ami.

– Et vous emmenâtes Porthos à Fontainebleau?

– Chez Planchet.

– Planchet demeure à Fontainebleau? dit Aramis.

– Oui, près du cimetière! s'écria Porthos étourdiment.

– Comment, près du cimetière? fit Aramis soupçonneux.

«Allons, bon! pensa le mousquetaire, profitons de la bagarre, puisqu'il y a bagarre.»

– Oui, du cimetière, dit Porthos. Planchet, certainement, est un excellent garçon qui fait d'excellentes confitures, mais il a des fenêtres qui donnent sur le cimetière. C'est attristant! Ainsi ce matin…

– Ce matin?.. dit Aramis de plus en plus agité.

D'Artagnan tourna le dos et alla tambouriner sur la vitre un petit air de marche.

– Ce matin, continua Porthos, nous avons vu enterrer un chrétien.

– Ah! ah!

– C'est attristant! Je ne vivrais pas, moi, dans une maison d'où l'on voit continuellement des morts. Au contraire, d'Artagnan paraît aimer beaucoup cela.

– Ah! d'Artagnan a vu?

– Il n'a pas vu, il a dévoré des yeux.

Aramis tressaillit et se retourna pour regarder le mousquetaire; mais celui ci était déjà en grande conversation avec de Saint- Aignan.

Aramis continua d'interroger Porthos; puis, quand il eut exprimé tout le jus de ce citron gigantesque, il en jeta l'écorce.

Il retourna vers son ami d'Artagnan et, lui frappant sur l'épaule:

– Ami, dit-il, quand de Saint-Aignan se fut éloigné, car le souper du roi était annoncé.

– Cher ami, répliqua d'Artagnan.

– Nous ne soupons point avec le roi, nous autres.

– Si fait; moi, je soupe.

– Pouvez-vous causer dix minutes avec moi?

– Vingt. Il en faut tout autant pour que Sa Majesté se mette à table.

– Où voulez-vous que nous causions?

– Mais ici, sur ces bancs: le roi parti, l'on peut s'asseoir, et la salle est vide.

– Asseyons-nous donc.

Ils s'assirent. Aramis prit une des mains de d'Artagnan;

– Avouez-moi, cher ami, dit-il, que vous avez engagé Porthos à se défier un peu de moi?

– Je l'avoue, mais non pas comme vous l'entendez. J'ai vu Porthos s'ennuyer à la mort, et j'ai voulu, en le présentant au roi, faire pour lui et pour vous ce que jamais vous ne ferez vous-même.

– Quoi?

– Votre éloge.

– Vous l'avez fait noblement merci!

– Et je vous ai approché le chapeau qui se reculait.

– Ah! je l'avoue, dit Aramis avec un singulier sourire; en vérité, vous êtes un homme unique pour faire la fortune de vos amis.

– Vous voyez donc que je n'ai agi que pour faire celle de

Porthos.

– Oh! je m'en chargeais de mon côté; mais vous avez le bras plus long que nous.

Ce fut au tour de d'Artagnan de sourire.

– Voyons, dit Aramis, nous nous devons la vérité: m'aimez-vous toujours, mon cher d'Artagnan?

– Toujours comme autrefois, répliqua d'Artagnan sans trop se compromettre par cette réponse.

– Alors, merci, et franchise entière, dit Aramis; vous veniez à

Belle-Île pour le roi?

– Pardieu.

– Vous vouliez donc nous enlever le plaisir d'offrir Belle-Île toute fortifiée au roi?

– Mais, mon ami, pour vous ôter le plaisir, il eût fallu d'abord que je fusse instruit de votre intention.

– Vous veniez à Belle-Île sans rien savoir?

– De vous, oui! Comment diable voulez-vous que je me figure

Aramis devenu ingénieur au point de fortifier comme Polybe ou

Archimède?

– C'est pourtant vrai. Cependant vous m'avez deviné là-bas?

– Oh! oui.

– Et Porthos aussi?

– Très cher, je n'ai pas deviné qu'Aramis fût ingénieur. Je n'ai pu deviner que Porthos le fût devenu. Il y a un Latin qui a dit: «On devient orateur, on naît poète.» Mais il n'a jamais dit: «On naît Porthos, et l'on devient ingénieur.»

– Vous avez toujours un charmant esprit, dit froidement Aramis.

Je poursuis.

– Poursuivez.

– Quand vous avez tenu notre secret, vous vous êtes hâté de le venir dire au roi?

– J'ai d'autant plus couru, mon bon ami, que je vous ai vu courir plus fort. Lorsqu'un homme pesant deux cent cinquante-huit livres, comme Porthos, court la poste, quand un prélat goutteux pardon, c'est vous qui me l'avez dit, quand un prélat brûle le chemin, je suppose, moi, que ces deux amis, qui n'ont pas voulu me prévenir, avaient des choses de la dernière conséquence à me cacher, et, ma foi! je cours… je cours aussi vite que ma maigreur et l'absence de goutte me le permettent.

– Cher ami, n'avez-vous pas réfléchi que vous pouviez me rendre, à moi et à Porthos, un triste service?

– Je l'ai bien pensé; mais vous m'aviez fait jouer, Porthos et vous, un triste rôle à Belle-Île.

– Pardonnez-moi, dit Aramis.

– Excusez-moi, dit d'Artagnan.

– En sorte, poursuivit Aramis, que vous savez tout maintenant?

– Ma foi, non.

– Vous savez que j'ai dû faire prévenir tout de suite M. Fouquet, pour qu'il vous prévînt près du roi?

– C'est là l'obscur.

– Mais non. M. Fouquet a des ennemis, vous le reconnaissez?

– Oh! oui.

– Il en a un surtout.

– Dangereux?

– Mortel! Eh bien! pour combattre l'influence de cet ennemi, M. Fouquet a dû faire preuve, devant le roi, d'un grand dévouement et de grands sacrifices. Il a fait une surprise à Sa Majesté en lui offrant Belle-Île. Vous, arrivant le premier à Paris, la surprise était détruite. Nous avions l'air de céder à la crainte.

– Je comprends.

– Voilà tout le mystère, dit Aramis, satisfait d'avoir convaincu le mousquetaire.

– Seulement, dit celui-ci, plus simple était de me tirer à quartier à Belle-Île pour me dire: «Cher amis, nous fortifions Belle-Île-en-Mer pour l'offrir au roi. Rendez-nous le service de nous dire pour qui vous agissez. Êtes-vous l'ami de M. Colbert ou celui de M. Fouquet?» Peut-être n'eussé-je rien répondu; mais vous eussiez ajouté: «Êtes-vous mon ami?» J'aurais dit: «Oui.»

Aramis pencha la tête.

 

– De cette façon, continua d'Artagnan, vous me paralysiez, et je venais dire au roi: «Sire, M. Fouquet fortifie Belle-Île, et très bien; mais voici un mot que M. le gouverneur de Belle-Île m'a donné pour Votre Majesté.» ou bien: «Voici une visite de M. Fouquet à l'endroit de ses intentions.» Je ne jouais pas un sot rôle; vous aviez votre surprise, et nous n'avions pas besoin de loucher en nous regardant.

– Tandis, répliqua Aramis, qu'aujourd'hui vous avez agi tout à fait en ami de M. Colbert. Vous êtes donc son ami?

– Ma foi, non! s'écria le capitaine. M. Colbert est un cuistre, et je le hais comme je haïssais Mazarin, mais sans le craindre.

– Eh bien! moi, dit Aramis, j'aime M. Fouquet, et je suis à lui. Vous connaissez ma position… Je n'ai pas de bien… M. Fouquet m'a fait avoir des bénéfices, un évêché; M. Fouquet m'a obligé comme un galant homme, et je me souviens assez du monde pour apprécier les bons procédés. Donc, M. Fouquet m'a gagné le coeur, et je me suis mis à son service.

– Rien de mieux. Vous avez là un bon maître.

Aramis se pinça les lèvres.

– Le meilleur, je crois, de tous ceux qu'on pourrait avoir.

Puis il fit une pause.

D'Artagnan se garda bien de l'interrompre.

– Vous savez sans doute de Porthos comment il s'est trouvé mêlé à tout ceci?

– Non, dit d'Artagnan; je suis curieux, c'est vrai, mais je ne questionne jamais un ami quand il veut me cacher son véritable secret.

– Je m'en vais vous le dire.

– Ce n'est pas la peine si la confidence m'engage.

– Oh! ne craignez rien; Porthos est l'homme que j'ai aimé le plus, parce qu'il est simple et bon; Porthos est un esprit droit. Depuis que je suis évêque, je recherche les natures simples, qui me font aimer la vérité, haïr l'intrigue.

D'Artagnan se caressa la moustache.

– J'ai vu et recherché Porthos; il était oisif, sa présence me rappelait mes beaux jours d'autrefois, sans m'engager à mal faire au présent. J'ai appelé Porthos à Vannes. M. Fouquet, qui m'aime, ayant su que Porthos m'aimait, lui a promis l'ordre à la première promotion; voilà tout le secret.

– Je n'en abuserai pas, dit d'Artagnan.

– Je le sais bien, cher ami; nul n'a plus que vous de réel honneur.

– Je m'en flatte, Aramis.

– Maintenant…

Et le prélat regarda son ami jusqu'au fond de l'âme.

– Maintenant, causons de nous pour nous. Voulez vous devenir un des amis de M. Fouquet? Ne m'interrompez pas avant de savoir ce que cela veut dire.

– J'écoute.

– Voulez-vous devenir maréchal de France, pair duc, et posséder un duché d'un million?

– Mais, mon ami, répliqua d'Artagnan, pour obtenir tout cela, que faut-il faire?

– Être l'homme de M. Fouquet.

– Moi, je suis l'homme du roi, cher ami.

– Pas exclusivement, je suppose?

– Oh! d'Artagnan n'est qu'un.

– Vous avez, je le présume, une ambition, comme un grand coeur que vous êtes.

– Mais, oui.

– Eh bien?

– Eh bien! je désire être maréchal de France; mais le roi me fera maréchal, duc, pair; le roi me donnera tout cela.

Aramis attacha sur d'Artagnan son limpide regard.

– Est-ce que le roi n'est pas le maître? dit d'Artagnan.

– Nul ne le conteste; mais Louis XIII était aussi le maître.

– Oh! mais, cher ami, entre Richelieu et Louis XIII il n'y avait pas un M. d'Artagnan, dit tranquillement le mousquetaire.

– Autour du roi, fit Aramis, il est bien des pierres d'achoppement.

– Pas pour le roi?

– Sans doute; mais…

– Tenez, Aramis, je vois que tout le monde pense à soi et jamais à ce petit prince; moi, je me soutiendrai en le soutenant.

– Et l'ingratitude?

– Les faibles en ont peur!

– Vous êtes bien sûr de vous.

– Je crois que oui.

– Mais le roi peut n'avoir plus besoin de vous.

– Au contraire, je crois qu'il en aura plus besoin que jamais; et, tenez, mon cher, s'il fallait arrêter un nouveau Condé, qui l'arrêterait? Ceci… ceci seul en France.

Et d'Artagnan frappa son épée.

– Vous avez raison, dit Aramis en pâlissant.

Et il se leva et serra la main de d'Artagnan.

– Voici le dernier appel du souper, dit le capitaine des mousquetaires; vous permettez…

Aramis passa son bras au cou du mousquetaire, et lui dit:

– Un ami comme vous est le plus beau joyau de la couronne royale.

Puis ils se séparèrent.

«Je le disais bien, pensa d'Artagnan, qu'il y avait quelque chose.»

«Il faut se hâter de mettre le feu aux poudres, dit Aramis; d'Artagnan a éventé la mèche.»