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Le vicomte de Bragelonne, Tome III.

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Porthos, étourdi, abasourdi par l'éloquence et les gestes de Saint-Aignan, faisait mille efforts pour recevoir cette averse de paroles, auxquelles il ne comprenait pas le plus petit mot, droit et immobile sur son siège; il y parvint.

De Saint-Aignan, lancé dans sa péroraison, continua, en donnant une action nouvelle à sa voix, une véhémence croissante à son geste:

– Quant au portrait, car je comprends que le portrait est le grief principal; quant au portrait, voyons, suis-je coupable? Qui a désiré avoir son portrait? est-ce moi? Qui l'aime? est-ce moi? Qui la veut? est-ce moi?.. Qui l'a prise? est-ce moi? Non! mille fois non! je sais que M. de Bragelonne doit être désespéré, je sais que ces malheurs-là sont cruels. Tenez, moi aussi, je souffre. Mais pas de résistance possible. Luttera-t-il? on en rirait. S'il s'obstine seulement, il se perd. Vous me direz que le désespoir est une folie; mais vous êtes raisonnable, vous, vous m'avez compris. Je vois à votre air grave réfléchi, embarrassé même, que l'importance de la situation vous a frappé. Retournez donc vers M. de Bragelonne; remerciez-le, comme je l'en remercie moi-même, d'avoir choisi pour intermédiaire un homme de votre mérite. Croyez que, de mon côté, je garderai une reconnaissance éternelle à celui qui a pacifié si ingénieusement si intelligemment notre discorde. Et, puisque le malheur a voulu que ce secret fût à quatre au lieu d'être à trois, eh bien! ce secret, qui peut faire la fortune du plus ambitieux, je me réjouis de le partager avec vous; je m'en réjouis du fond de l'âme. À partir de ce moment, disposez donc de moi, je me mets à votre merci. Que faut-il que je fasse pour vous? Que dois-je demander, exiger même? Parlez, monsieur, parlez.

Et, selon l'usage familièrement amical des courtisans de cette époque, de Saint-Aignan vint enlacer Porthos et le serrer tendrement dans ses bras.

Porthos se laissa faire avec un flegme inouï.

– Parlez, répéta de Saint-Aignan; que demandez-vous?

– Monsieur, dit Porthos, j'ai en bas un cheval; faites moi le plaisir de le monter; il est excellent et ne vous jouera point de mauvais tours.

– Monter à cheval! pour quoi faire? demanda de Saint-Aignan avec curiosité.

– Mais, pour venir avec moi où nous attend M. de Bragelonne.

– Ah! il voudrait me parler, je le conçois; avoir des détails. Hélas! c'est bien délicat! Mais, en ce moment, je ne puis, le roi m'attend.

– Le roi attendra, dit Porthos.

– Mais, où donc m'attend M. de Bragelonne?

– Aux Minimes, à Vincennes.

– Ah çà! mais, rions-nous?

– Je ne crois pas; moi, du moins.

Et Porthos donna à son visage la rigidité de ses lignes les plus sévères.

– Mais les Minimes, c'est un rendez-vous d'épée, cela? Eh bien! qu'ai-je à faire aux Minimes, alors?

Porthos tira lentement son épée.

– Voici la mesure de l'épée de mon ami, dit-il.

– Corbleu! Cet homme est fou! s'écria de Saint-Aignan.

Le rouge monta aux oreilles de Porthos.

– Monsieur, dit-il, si je n'avais pas l'honneur d'être chez vous, et de servir les intérêts de M. de Bragelonne, je vous jetterais par votre fenêtre! Ce sera partie remise, et vous ne perdrez rien pour attendre. Venez-vous aux Minimes, monsieur?

– Eh!..

– Y venez-vous de bonne volonté?

– Mais…

– Je vous y porte si vous n'y venez pas! Prenez garde!

– Basque! s'écria M. de Saint-Aignan.

– Le roi appelle M. le comte, dit Basque.

– C'est différent, dit Porthos; le service du roi avant tout.

Nous attendrons là jusqu'à ce soir, monsieur.

Et, saluant de Saint-Aignan avec sa courtoisie ordinaire, Porthos sortit, enchanté d'avoir arrangé encore une affaire.

De Saint-Aignan le regarda sortir; puis, repassant à la hâte son habit et sa veste, il courut en réparant le désordre de sa toilette, et disant:

– Aux Minimes!.. aux Minimes!.. Nous verrons comment le roi va prendre ce cartel-là. Il est bien pour lui, pardieu!

Chapitre CXCV – Rivaux politiques

Le roi, après cette promenade si fertile pour Apollon, et dans laquelle chacun payait son tribut aux Muses, comme disaient les poètes de l'époque, le roi trouva chez lui M. Fouquet qui l'attendait.

Derrière le roi venait M. Colbert, qui l'avait pris dans un corridor comme s'il l'eût attendu à l'affût, et qui le suivait comme son ombre jalouse et surveillante; M. Colbert, avec sa tête carrée, son gros luxe d'habits débraillés, qui le faisaient ressembler quelque peu à un seigneur flamand après la bière.

M. Fouquet, à la vue de son ennemi, demeura calme, et s'attacha pendant toute la scène qui allait suivre à observer cette conduite si difficile de l'homme supérieur dont le coeur regorge de mépris, et qui ne veut pas même témoigner son mépris, dans la crainte de faire encore trop d'honneur à son adversaire.

Colbert ne cachait pas une joie insultante. Pour lui, c'était de la part de M. Fouquet une partie mal jouée et perdue sans ressource, quoiqu'elle ne fût pas encore terminée. Colbert était de cette école d'hommes politiques qui n'admirent que l'habileté, qui n'estiment que le succès.

De plus, Colbert, qui n'était pas seulement un homme envieux et jaloux, mais qui avait à coeur tous les intérêts du roi, parce qu'il était doué au fond de la suprême probité du chiffre, Colbert pouvait se donner à lui-même le prétexte, si heureux lorsque l'on hait, qu'il agissait, en haïssant et en perdant M. Fouquet, en vue du bien de l'État et de la dignité royale.

Aucun de ces détails n'échappa à Fouquet. À travers les gros sourcils de son ennemi, et malgré le jeu incessant de ses paupières, il lisait, par les yeux, jusqu'au fond du coeur de Colbert; il vit donc tout ce qu'il y avait dans ce coeur: haine et triomphe.

Seulement, comme, tout en pénétrant, il voulait rester impénétrable, il rasséréna son visage, sourit de ce charmant sourire sympathique qui n'appartenait qu'à lui, et, donnant l'élasticité la plus noble et la plus souple à la fois à son salut:

– Sire, dit-il, je vois, à l'air joyeux de Votre Majesté, qu'elle a fait une bonne promenade.

– Charmante, en effet, monsieur le surintendant, charmante! Vous avez eu bien tort de ne pas venir avec nous, comme je vous y avais invité.

– Sire, je travaillais, répondit le surintendant.

Fouquet n'eut pas même besoin de détourner la tête; il ne regardait pas du côté de M. Colbert.

– Ah! la campagne, monsieur Fouquet! s'écria le roi. Mon Dieu, que je voudrais pouvoir toujours vivre à la campagne, en plein air, sous les arbres!

– Oh! Votre Majesté n'est pas encore lasse du trône, j'espère? dit Fouquet.

– Non; mais les trônes de verdure sont bien doux.

– En vérité, Sire, Votre Majesté comble tous mes voeux en parlant ainsi. J'avais justement une requête à lui présenter.

– De la part de qui, monsieur le surintendant?

– De la part des nymphes de Vaux.

– Ah! ah! fit Louis XIV.

– Le roi m'a daigné faire une promesse, dit Fouquet.

– Oui, je me rappelle.

– La fête de Vaux, la fameuse fête, n'est-ce pas, Sire? dit Colbert essayant de faire preuve de crédit en se mêlant à la conversation.

Fouquet, avec un profond mépris, ne releva pas le mot. Ce fut pour lui comme si Colbert n'avait ni pensé ni parlé.

– Votre Majesté sait, dit-il, que je destine ma terre de Vaux à recevoir le plus aimable des princes, le plus puissant des rois.

– J'ai promis, monsieur, dit Louis XIV en souriant, et un roi n'a que sa parole.

– Et moi, Sire, je viens dire à Votre Majesté que je suis absolument à ses ordres.

– Me promettez-vous beaucoup de merveilles, monsieur le surintendant?

Et Louis XIV regarda Colbert.

– Des merveilles? Oh! non, Sire. Je ne m'engage point à cela; j'espère pouvoir promettre un peu de plaisir, peut-être même un peu d'oubli au roi.

– Non pas, non pas, monsieur Fouquet, dit le roi. J'insiste sur le mot merveille. Oh! vous êtes un magicien, nous connaissons votre pouvoir, nous savons que vous trouvez de l'or, n'y en eût-il point au monde. Aussi le peuple dit que vous en faites.

Fouquet sentit que le coup partait d'un double carquois et que le roi lui lançait à la fois une flèche de son arc, une flèche de l'arc de Colbert. Il se mit à rire.

– Oh! dit-il, le peuple sait parfaitement dans quelle mine je le prends, cet or. Il le sait trop, peut-être; et du reste, ajouta-t- il fièrement, je puis assurer Votre Majesté que l'or destiné à payer la fête de Vaux ne fera couler ni sang ni larmes. Des sueurs, peut-être. On les paiera.

Louis resta interdit. Il voulut regarder Colbert, Colbert aussi voulut répliquer; un coup d'oeil d'aigle, un regard loyal, royal même, lancé par Fouquet, arrêta la parole sur ses lèvres.

Le roi, s'était remis pendant ce temps. Il se tourna vers Fouquet, et lui dit:

– Donc, vous formulez votre invitation?

– Oui, Sire, s'il plaît à Votre Majesté.

– Pour quel jour?

– Pour le jour qu'il vous conviendra, Sire.

– C'est parler en enchanteur qui improvise, monsieur Fouquet. Je n'en dirais pas autant, moi.

– Votre Majesté fera, quand elle le voudra, tout ce qu'un roi peut et doit faire. Le roi de France a des serviteurs capables de tout pour son service et pour ses plaisirs.

Colbert essaya de regarder le surintendant pour voir si ce mot était un retour à des sentiments moins hostiles. Fouquet n'avait pas même regardé son ennemi. Colbert n'existait pas pour lui.

– Eh bien! à huit jours, voulez-vous? dit le roi.

– À huit jours, Sire.

– Nous sommes à mardi; voulez-vous jusqu'au dimanche suivant?

– Le délai que daigne accorder Sa Majesté secondera puissamment les travaux que mes architectes vont entreprendre pour concourir au divertissement du roi et de ses amis.

 

– Et, en parlant de mes amis, repartit le roi, comment les traitez-vous?

– Le roi est maître partout, Sire; le roi fait sa liste et donne ses ordres. Tous ceux qu'il daigne inviter sont des hôtes très respectés par moi.

– Merci! reprit le roi, touché de la noble pensée exprimée avec un noble accent.

Fouquet prit alors congé de Louis XIV, après quelques mots donnés aux détails de certaines affaires…

Il sentit que Colbert demeurait avec le roi, qu'on allait s'entretenir de lui, que ni l'un ni l'autre ne l'épargnerait.

La satisfaction de donner un dernier coup, un terrible coup à son ennemi, lui apparut comme une compensation à tout ce qu'on allait lui faire souffrir…

Il revint donc promptement, lorsque déjà il avait touché la porte, et, s'adressant au roi:

– Pardon! Sire, dit-il pardon!

– De quoi pardon, monsieur? fit le prince avec aménité.

– D'une faute grave, que je commettais sans m'en apercevoir.

– Une faute, vous? Ah! monsieur Fouquet, il faudra bien que je vous pardonne. Contre quoi avez-vous péché, ou contre qui?

– Contre toute convenance, Sire. J'oubliais de faire part à Votre

Majesté d'une circonstance assez importante.

– Laquelle?

Colbert frissonna; il crut à une dénonciation. Sa conduite avait été démasquée. Un mot de Fouquet, une preuve articulée, et, devant la loyauté juvénile de Louis XIV, s'effaçait toute la faveur de Colbert. Celui-ci trembla donc qu'un coup si hardi ne vînt renverser tout son échafaudage, et, de fait, le coup était si beau à jouer, qu'Aramis, le beau joueur, ne l'eût pas manqué.

– Sire, dit Fouquet d'un air dégagé, puisque vous avez eu la bonté de me pardonner, je suis tout loger dans ma confession: ce matin, j'ai vendu l'une de mes charges.

– Une de vos charges! s'écria le roi; laquelle donc?

Colbert devint livide.

– Celle qui me donnait, Sire, une grande robe et un air sévère: la charge de procureur général.

Le roi poussa un cri involontaire, et regarda Colbert.

Celui-ci, la sueur au front, se sentit près de défaillir.

– À qui vendîtes-vous cette charge, monsieur Fouquet? demanda le roi.

Colbert s'appuya au chambranle de la cheminée.

– À un conseiller du Parlement, Sire, qui s'appelle M. Vanel.

– Vanel?

– Un ami de M. l'intendant Colbert, ajouta Fouquet en laissant tomber ces mots avec une nonchalance inimitable, avec une expression d'oubli et d'ignorance que le peintre, l'acteur et le poète doivent renoncer à reproduire avec le pinceau, le geste ou la plume.

Puis, ayant fini, ayant écrasé Colbert sous le poids de cette supériorité, le surintendant salua de nouveau le roi, et partit à moitié vengé par la stupéfaction du prince et par l'humiliation du favori.

– Est-il possible? se dit le roi quand Fouquet eut disparu. Il a vendu cette charge?

– Oui, Sire, répliqua Colbert avec intention.

– Il est fou! risqua le roi.

Colbert, cette fois, ne répliqua pas; il avait entrevu la pensée du maître. Cette pensée le vengeait aussi. À sa haine venait se joindre sa jalousie; à son plan de ruine venait s'allier une menace de disgrâce.

Désormais, Colbert le sentit, entre Louis XIV et lui, les idées hostiles ne rencontraient plus d'obstacles, et la première faute de Fouquet qui pourrait servir de prétexte devancerait de près le châtiment.

Fouquet avait laissé tomber son arme. Haine et Jalousie venaient de la ramasser.

Colbert fut invité par le roi à la fête de Vaux; il salua comme un homme sûr de lui, il accepta comme un homme qui oblige.

Le roi en était au nom de Saint-Aignan sur la liste d'ordres, quand l'huissier annonça le comte de Saint-Aignan.

Colbert se retira discrètement à l'arrivée du Mercure royal.

Chapitre CXCVI – Rivaux amoureux

De Saint-Aignan avait quitté Louis XIV il y avait deux heures à peine; mais, dans cette première effervescence de son amour, quand Louis XIV ne voyait pas La Vallière, il fallait qu'il parlât d'elle. Or, la seule personne avec laquelle il pût en parler à son aise était de Saint-Aignan; de Saint – Aignan lui était donc indispensable.

– Ah! c'est vous, comte? s'écria-t-il en l'apercevant, doublement joyeux qu'il était de le voir et de ne plus voir Colbert, dont la figure renfrognée l'attristait toujours. Tant mieux! je suis content de vous voir; vous serez du voyage, n'est-ce pas?

– Du voyage, Sire? demanda de Saint-Aignan. Et de quel voyage?

– De celui que nous ferons pour aller jouir de la fête que nous donne M. le surintendant à Vaux. Ah! de Saint-Aignan, tu vas enfin voir une fête près de laquelle nos divertissements de Fontainebleau seront des jeux de robins.

– À Vaux! le surintendant donne une fête à Votre Majesté, et à

Vaux, rien que cela?

– Rien que cela! Je te trouve charmant de faire le dédaigneux.

Sais-tu, toi qui fais le dédaigneux, que, lorsqu'on saura que

M. Fouquet me reçoit à Vaux, de dimanche en huit, sais-tu que l'on s'égorgera pour être invité à cette fête? Je te le répète donc, de

Saint-Aignan, tu seras du voyage.

– Oui, si, d'ici là, je n'en ai pas fait un autre plus long et moins agréable.

– Lequel?

– Celui de Styx, Sire.

– Fi! dit Louis XIV en riant.

– Non, sérieusement, Sire, répondit de Saint-Aignan. J'y suis convié, et de façon, en vérité, à ne pas trop savoir de quelle manière m'y prendre pour refuser.

– Je ne te comprends pas, mon cher. Je sais que tu es en verve poétique; mais tâche de ne pas tomber d'Apollon en Phébus.

– Eh bien! donc, si Votre Majesté daigne m'écouter je ne mettrai pas plus longtemps l'esprit de mon roi à la torture.

– Parle.

– Le roi connaît-il M. le baron du Vallon?

– Oui, pardieu! un bon serviteur du roi mon père, et un beau convive, ma foi! Car c'est de celui qui a dîné avec nous à Fontainebleau que tu veux parler?

– Précisément. Mais Votre Majesté a oublié d'ajouter à ses qualités: un aimable tueur de gens.

– Comment! il veut te tuer, M. du Vallon.

– Ou me faire tuer, ce qui est tout un.

– Oh! par exemple!

– Ne riez pas, Sire, je ne dis rien qui soit au-dessous de la vérité.

– Et tu dis qu'il veut te faire tuer?

– C'est son idée pour le moment, à ce digne gentilhomme.

– Sois tranquille, je te défendrai, s'il a tort.

– Ah! il y a un si.

– Sans doute. Voyons, réponds comme s'il s'agissait d'un autre, mon pauvre de Saint-Aignan; a-t-il tort ou raison?

– Votre Majesté va en juger.

– Que lui as-tu fait?

– Oh! à lui, rien; mais il paraît que j'ai fait à un de ses amis.

– C'est tout comme; et, son ami, est-ce un des quatre fameux?

– Non, c'est le fils d'un des quatre fameux, voilà tout.

– Qu'as-tu fait à ce fils? Voyons.

– Dame! j'ai aidé quelqu'un à lui prendre sa maîtresse.

– Et tu avoues cela?

– Il faut bien que je l'avoue, puisque c'est vrai.

– En ce cas, tu as tort.

– Ah! j'ai tort?

– Oui, et, ma foi, s'il te tue…

– Eh bien?

– Eh bien! il aura raison.

– Ah! voilà donc comme vous jugez, Sire?

– Trouves-tu la méthode mauvaise?

– Je la trouve expéditive.

– Bonne justice et prompte, disait mon aïeul Henri IV.

– Alors, que le roi signe vite la grâce de mon adversaire, qui m'attend aux Minimes pour me tuer.

– Son nom et un parchemin.

– Sire, il y a un parchemin sur la table de Votre Majesté, et, quant à son nom…

– Quant à son nom?

– C'est le vicomte de Bragelonne, Sire.

– Le vicomte de Bragelonne? s'écria le roi en passant du rire à la plus profonde stupeur.

Puis, après un moment de silence, pendant lequel il essuya la sueur qui coulait sur son front:

– Bragelonne! murmura-t-il.

– Pas davantage, Sire, dit de Saint-Aignan.

– Bragelonne, le fiancé de?..

– Oh! mon Dieu, oui! Bragelonne, le fiancé de…

– Il était à Londres, cependant!

– Oui; mais je puis vous répondre qu'il n'y est plus, Sire.

– Et il est à Paris?

– C'est-à-dire qu'il est aux Minimes, où il m'attend, comme j'ai eu l'honneur de le dire au roi.

– Sachant tout?

– Et bien d'autres choses encore! Si le roi veut voir le billet qu'il m'a fait tenir…

Et de Saint-Aignan tira de sa poche le billet que nous connaissons.

– Quand Votre Majesté aura lu le billet, dit-il, j'aurai l'honneur de lui dire comment il m'est parvenu.

Le roi lut avec agitation, et aussitôt.

– Eh bien? demanda-t-il.

– Eh bien! Votre Majesté connaît certaine serrure ciselée, fermant certaine porte en bois d'ébène, qui sépare certaine chambre de certain sanctuaire bleu et blanc?

– Certainement, le boudoir de Louise.

– Oui, Sire. Eh bien! c'est dans le trou de cette serrure que j'ai trouvé ce billet. Qui l'y a mis? M. de Bragelonne ou le diable? Mais, comme le billet sent l'ambre et non le soufre, je conclus que ce doit être non pas le diable, mais bien M. de Bragelonne.

Louis pencha la tête et parut absorbé tristement. Peut-être en ce moment quelque chose comme un remords traversait-il son coeur.

– Oh! dit-il, ce secret découvert!

– Sire, je vais faire de mon mieux pour que ce secret meure dans la poitrine qui le renferme, dit de Saint-Aignan d'un ton de bravoure tout espagnol.

Et il fit un mouvement pour gagner la porte; mais d'un geste le roi l'arrêta.

– Et où allez-vous? demanda-t-il.

– Mais où l'on m'attend, Sire.

– Quoi faire?

– Me battre, probablement.

– Vous battre? s'écria le roi. Un moment, s'il vous plaît, monsieur le comte!

De Saint-Aignan secoua la tête comme l'enfant qui se mutine quand on veut l'empêcher de se jeter dans un puits ou de jouer avec un couteau.

– Mais cependant, Sire… fit-il.

– Et d'abord, dit le roi, je ne suis pas éclairé.

– Oh! sur ce point, que Votre Majesté interroge, répondit de

Saint-Aignan, et je ferai la lumière.

– Qui vous a dit que M. de Bragelonne a pénétré dans la chambre en question?

– Ce billet que j'ai trouvé dans la serrure, comme j'ai eu l'honneur de le dire à Votre Majesté.

– Qui te dit que c'est lui qui l'y a mis?

– Quel autre que lui eût osé se charger d'une pareille commission?

– Tu as raison. Comment a-t-il pénétré chez toi?

– Ah! ceci est fort grave, attendu que toutes les portes étaient fermées, et que mon laquais, Basque, avait les clefs dans ses poches.

– Eh bien! on aura gagné ton laquais.

– Impossible, Sire.

– Pourquoi, impossible?

– Parce que, si on l'eût gagné, on n'eût pas perdu le pauvre garçon, dont on pouvait encore avoir besoin plus tard, en manifestant clairement qu'on s'était servi de lui.

– C'est juste. Maintenant, il ne resterait donc qu'une conjecture.

– Voyons, Sire, si cette conjecture est la même que celle qui s'est présentée à mon esprit?

– C'est qu'il se serait introduit par l'escalier.

– Hélas! Sire, cela me paraît plus que probable.

– Il n'en faut pas moins que quelqu'un ait vendu le secret de la trappe.

– Vendu ou donné.

– Pourquoi cette distinction?

– Parce que certaines personnes, Sire, étant au-dessus du prix d'une trahison, donnent et ne vendent pas.

– Que veux-tu dire?

– Oh! Sire, Votre Majesté a l'esprit trop subtil pour ne pas m'épargner, en devinant, l'embarras de nommer.

– Tu as raison: Madame!

– Ah! fit de Saint-Aignan.

– Madame, qui s'est inquiétée du déménagement.

– Madame, qui a les clefs des chambres de ses filles, et qui est assez puissante pour découvrir ce que nul, excepté vous, Sire, ou elle, ne découvrirait.

– Et tu crois que ma soeur aura fait alliance avec Bragelonne?

– Eh! eh! Sire…

– À ce point de l'instruire de tous ces détails?

– Peut-être mieux encore.

– Mieux!.. Achève.

– Peut-être au point de l'accompagner.

– Où cela? En bas, chez toi?

– Croyez-vous la chose impossible, Sire?

– Oh!

– Écoutez. Le roi sait si Madame aime les parfums?

– Oui, c'est une habitude qu'elle a prise de ma mère.

– La verveine surtout?

– C'est son odeur de prédilection.

– Eh bien! mon appartement embaume la verveine.

Le roi demeura pensif.

– Mais, reprit-il, après un moment de silence pourquoi Madame prendrait elle le parti de Bragelonne contre moi?

En disant ces mots, auxquels de Saint-Aignan eût bien facilement répondu par ceux-ci: «Jalousie de femme!» le roi sondait son ami jusqu'au fond du coeur pour voir s'il avait pénétré le secret de sa galanterie avec sa belle – soeur. Mais de Saint-Aignan n'était pas un courtisan médiocre; il ne se risquait pas à la légère dans la découverte des secrets de famille; il était trop ami des Muses pour ne pas songer souvent à ce pauvre Ovidius Naso, dont les yeux versèrent tant de larmes pour expier le crime d'avoir vu on ne sait quoi dans la maison d'Auguste. Il passa donc adroitement à côté du secret de Madame. Mais comme il avait fait preuve de sagacité en indiquant que Madame était venue chez lui avec Bragelonne, il fallait payer l'usure de cet amour-propre et répondre nettement à cette question: «Pourquoi Madame est-elle contre moi avec Bragelonne?»

 

– Pourquoi? répondit de Saint-Aignan. Mais Votre Majesté oublie donc que M. le comte de Guiche est l'ami intime du vicomte de Bragelonne?

– Je ne vois pas le rapport, répondit le roi.

– Ah! pardon, Sire, fit de Saint-Aignan; mais je croyais M. le comte de Guiche grand ami de Madame.

– C'est juste, repartit le roi; il n'y a plus besoin de chercher, le coup est venu de là.

– Et, pour le parer, le roi n'est-il pas d'avis qu'il faut en porter un autre?

– Oui; mais pas du genre de ceux qu'on se porte au bois de

Vincennes, répondit le roi.

– Votre Majesté oublie, dit de Saint-Aignan, que je suis gentilhomme, et que l'on m'a provoqué.

– Ce n'est pas toi que cela regarde.

– Mais c'est moi qu'on attend aux Minimes, Sire, depuis plus d'une heure; moi qui en suis cause, et déshonoré si je ne vais pas où l'on m'attend.

– Le premier honneur d'un gentilhomme, c'est l'obéissance à son roi.

– Sire…

– J'ordonne que tu demeures!

– Sire…

– Obéis.

– Comme il plaira à Votre Majesté, Sire.

– D'ailleurs, je veux éclaircir toute cette affaire; je veux savoir comment on s'est joué de moi avec assez d'audace pour pénétrer dans le sanctuaire de mes prédilections. Ceux qui ont fait cela, de Saint-Aignan, ce n'est pas toi qui dois les punir, car ce n'est pas ton honneur qu'ils ont attaqué, c'est le mien.

– Je supplie Votre Majesté de ne pas accabler de sa colère M. de Bragelonne, qui, dans cette affaire, a pu manquer de prudence, mais pas de loyauté.

– Assez! Je saurai faire la part du juste et de l'injuste, même au fort de ma colère. Pas un mot de cela à Madame, surtout.

– Mais que faire vis-à-vis de M. de Bragelonne, Sire? Il va me chercher, et…

– Je lui aurai parlé ou fait parler avant ce soir.

– Encore une fois, Sire, je vous en supplie, de l'indulgence.

– J'ai été indulgent assez longtemps, comte, dit Louis XIV en fronçant le sourcil; il est temps que je montre à certaines personnes que je suis le maître chez moi.

Le roi prononçait à peine ces mots, qui annonçaient qu'au nouveau ressentiment se mêlait le souvenir d'un ancien, que l'huissier apparut sur le seuil du cabinet.

– Qu'y a-t-il? demanda le roi, et pourquoi vient-on quand je n'ai point appelé?

– Sire, dit l'huissier, Votre Majesté m'a ordonné, une fois pour toutes, de laisser passer M. le comte de La Fère toutes les fois qu'il aurait à parler à Votre Majesté.

– Après?

– M. le comte de La Fère est là qui attend.

Le roi et de Saint-Aignan échangèrent à ces mots un regard dans lequel il y avait plus d'inquiétude que de surprise. Louis hésita un instant. Mais, presque aussitôt, prenant sa résolution:

– Va, dit-il à de Saint-Aignan, va trouver Louise, instruis-la de ce qui se trame contre nous; ne lui laisse pas ignorer que Madame recommence ses persécutions, et qu'elle a mis en campagne des gens qui eussent mieux fait de rester neutres.

– Sire…

– Si Louise s'effraie, continua le roi, rassure-la; dis-lui que l'amour du roi est un bouclier impénétrable. Si, ce dont j'aime à douter, elle savait tout déjà ou si elle avait subi de son côté quelque attaque, dis-lui bien, de Saint – Aignan, ajouta le roi tout frissonnant de colère et de fièvre, dis-lui bien que, cette fois, au lieu de la défendre, je la vengerai, et cela si sévèrement, que nul, désormais, n'osera lever les yeux jusqu'à elle.

– Est-ce tout, Sire?

– C'est tout. Va vite, et demeure fidèle, toi qui vis au milieu de cet enfer, sans avoir comme moi l'espoir du paradis.

Saint-Aignan s'épuisa en protestations de dévouement; il prit et baisa la main du roi et sortit radieux.

Fin du tome III