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Le comte de Moret

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Le comte tressaillit; il venait d'éprouver une sensation complétement nouvelle, et par conséquent complétement inconnue.

Cette sensation était délicieuse.

– Oh! murmura-t-il, où êtes vous?

– Ici, balbutia la voix.

– On m'avait dit que je trouverais une main pour me guider, ne connaissant pas mon chemin. Cette main, me la refuserez-vous?

Il y eut un moment sensible d'hésitation chez la personne à laquelle cette demande était adressée; mais presque aussitôt, cependant:

– La voici, dit-elle.

Le comte saisit de ses deux mains la main qu'on lui présentait et fit un mouvement pour la porter à ses lèvres, mais ce mouvement fut réprimé par un seul mot, qu'à son accent plein de prière, on ne pouvait interpréter autrement que comme le cri de la pudeur alarmée.

– Monseigneur!

– Pardon, Mademoiselle, répondit le comte d'une voix respectueuse, autant que s'il eût parlé à la reine.

Puis il écarta cette main frémissante et craintive, déjà à moitié chemin de ses lèvres, et un silence se fit.

Le comte la garda dans les siennes, et l'on n'essaya point de la retirer, mais elle y demeura immobile et comme si, par la force de la volonté, on lui avait enlevé jusqu'à l'apparence de la vie.

C'était, si l'on peut se servir de cette expression, une main complétement muette.

Mais ce mutisme qui lui était imposé n'empêchait point le comte de s'apercevoir qu'elle était petite, fine, douce, allongée, aristocratique et surtout virginale.

Ce n'était plus contre ses lèvres que le comte eût voulu la presser, c'était contre son cœur.

Il était, depuis qu'il avait touché cette main, resté immobile comme s'il eût complétement oublié la cause qui l'amenait.

– Venez-vous, monseigneur? demanda la douce voix.

– Où voulez-vous que j'aille? demanda le comte, sans trop savoir ce qu'il répondait.

– Mais, où la reine vous attend, chez Sa Majesté.

– C'est vrai! je l'avais oublié! – Et avec un soupir: Allons, dit-il.

Et il se remit en marche, nouveau Thésée, guidé dans le labyrinthe, moins compliqué, mais plus obscur que celui de Crète, non point par le fil d'Ariane, mais par Ariane elle-même.

Au bout de quelques pas, Ariane tourna à droite.

– Nous arrivons, dit-elle.

– Hélas! murmura le comte.

Et en effet, on approchait d'un grand portail vitré donnant sur l'antichambre de la reine. Mais comme, vu son indisposition, Sa Majesté était censée dormir, tout était éteint à l'exception d'une lampe pendue au plafond, et qui, à travers le vitrage, ne laissait filtrer qu'une lueur pareille à celle qu'eût projetée une étoile.

A cette faible lueur, le comte essaya de voir son guide, mais il ne distingua, pour ainsi dire, que les contours d'une ombre.

La jeune fille s'arrêta.

– Monseigneur, dit-elle, maintenant que vous y voyez assez pour vous conduire, suivez-moi!

Et, malgré le léger effort que fit le comte pour retenir sa main, elle la dégagea, marcha la première, ouvrit la porte du corridor, et se trouva dans l'antichambre de la reine.

Le comte la suivait.

Tous deux traversaient silencieusement, et sur la pointe du pied, l'antichambre pour gagner la porte en face du corridor, laquelle était la porte de l'appartement d'Anne d'Autriche, lorsque tous deux s'arrêtèrent, frappés en même temps par un bruit qui allait se rapprochant.

C'était celui que faisaient les pas de plusieurs personnes montant le grand escalier.

– Oh! mon Dieu, murmura la jeune fille, serait-ce le roi qui aurait eu l'idée, en sortant du ballet, de venir prendre des nouvelles de Sa Majesté, ou plutôt de s'assurer si elle est réellement malade?

– En effet, on vient de ce côté, dit le prince.

– Attendez, fit la jeune fille, je vais voir.

Elle s'élança vers la porte donnant sur le grand escalier, l'entrouvrit, et, revenant vivement vers le comte:

– C'est lui, dit-elle. Eh! vite, vite, dans ce cabinet!

Ouvrant alors une porte perdue dans la tapisserie, elle y poussa le comte et entra après lui.

Il était temps! Comme la porte du cabinet venait de se refermer, celle donnant sur le grand escalier s'ouvrit, et, précédé de deux pages portant des flambeaux, suivi de Baradas et de Saint-Simon, ses deux favoris, derrière lesquels marchait Beringhen, son valet de chambre, le roi Louis XIII parut, et faisant signe à sa suite de l'attendre, entra chez la reine.

CHAPITRE VIII.
SA MAJESTÉ LE ROI LOUIS XIII

Nous croyons que le moment est arrivé de présenter le roi Louis XIII à nos lecteurs, qui nous pardonneront, je l'espère, de consacrer un chapitre à cette étrange personnalité.

Le roi Louis XIII, né le jeudi 27 septembre 1601, et, par conséquent, âgé, à l'époque à laquelle nous sommes arrivés, de vingt-sept ans et trois mois, était une longue et triste figure, au teint brun et aux moustaches noires. Pas un trait en lui qui rappelât Henri IV, ni dans la physionomie, ni dans le caractère; rien de français non plus, pas de gaieté, pas même de jeunesse. Les Espagnols racontaient avec une certaine probabilité, qu'il était fils de Virginio Orsini, duc de Bracciano, cousin de Marie de Médicis, et, en effet, à son départ pour la France, Marie de Médicis, déjà âgée de 27 ans, avait reçu de son oncle, le cardinal Ferdinand, qui, pour monter sur le trône de Toscane, avait empoisonné son frère François et Bianca Capello, Marie de Médicis avait reçu, disons-nous, cet avis:

– Ma chère nièce, vous allez épouser un roi qui a répudié sa première femme, parce qu'elle n'avait pas d'enfants; vous avez un mois pour faire le voyage, trois beaux garçons à votre suite: l'un, Virginio Orsini, qui est déjà votre Sigisbé; l'autre Paolo Orsini; enfin, le troisième, Concino Concini; arrangez-vous de manière à être sûre, en arrivant en France, de ne pas être répudiée.

Marie de Médicis avait, assuraient toujours les Espagnols, suivi de point en point le conseil de son oncle; elle avait mis dix jours à aller seulement de Gênes à Marseille. Henri IV, quoiqu'il ne fût pas impatient de voir «sa grosse banquière,» comme il l'appelait, avait trouvé la traversée un peu bien longue; mais Malherbe avait cherché une raison à cette lenteur, et, bonne ou mauvaise, l'avait découverte. Il avait mis ce retard sur le compte de l'amour que Neptune avait conçu pour la fiancée du roi de France.

 
Dix jours ne pouvant se distraire
Au plaisir de la regarder,
Il a, par un effort contraire,
Essayé de la retarder.
 

Peut-être l'excuse n'était-elle pas bien logique, mais la reine Margot avait rendu son mari peu difficile sur les excuses conjugales.

C'est ce bâtiment paresseux qu'entourent les Néréides, dans le beau tableau de Rubens qui est au Louvre!

Au bout de neuf mois, le grand-duc Ferdinand fut rassuré: il apprit la naissance du dauphin Louis, surnommé immédiatement le Juste, parce qu'il était né sous le signe de la Balance.

Dès son enfance, Louis XIII manifesta cette tristesse héréditaire chez les Orsini, en même temps qu'il eut de naissance tous les goûts d'un Italien de la décadence. En effet, musicien et même compositeur passable, peintre médiocre, il était apte à une foule de petits métiers, ce qui fit qu'il ne sut jamais son métier de roi, malgré sa prodigieuse idolâtrie de la royauté. Faible de complexion, il avait été outrageusement médicamenté dans son enfance, et, devenu jeune homme, il était resté une créature si maladive que déjà trois ou quatre fois il avait touché à la mort. Un journal, tenu pendant vingt-huit ans par son médecin Hérouard, inscrit jour par jour tout ce qu'il mange, heure par heure tout ce qu'il fait. Dès sa jeunesse, il a peu de cœur, est sec et dur, parfois même cruel. Henri IV le fouetta deux fois de sa royale main: la première parce qu'il avait manifesté tant d'aversion à un gentilhomme, que pour le contenter il avait fallu tirer à ce gentilhomme un coup de pistolet sans balle, et faire croire au dauphin qu'il avait été tué sur le coup; la seconde, parce qu'il avait d'un coup de maillet écrasé la tête d'un moineau franc.

Une fois, une seule fois il eut la velléité d'être roi, et manifesta cette velléité: ce fut le jour de son sacre. Comme on lui présentait le sceptre des rois de France, sceptre fort lourd, étant fait d'or et d'argent et chargé de pierreries, sa main se prit à trembler, ce que voyant, M. de Condé qui, en sa qualité de premier prince du sang, était près du roi, il voulut, en lui soutenant le bras, l'aider à soutenir le sceptre.

Mais lui, se retournant vivement et le sourcil froncé:

– Non, dit-il, je prétends le porter seul, et ne veux pas de compagnie.

Sa grande distraction, enfant, était de tourner de petites pièces d'ivoire, de colorier des gravures, de confectionner des cages, de dresser des châteaux de cartes, et de faire chasser dans son appartement de petits oiseaux par un perroquet jaune et des pies-grièches. Au reste, dans toutes ses actions, dit l'Estoile, «enfant, enfantissime!»

Mais les deux goûts les plus enracinés et les plus persistants chez lui avaient été la musique et la chasse. C'est dans Hérouard, ce journal à peu près inconnu, s'il ne l'est tout à fait des historiens, qu'il faut chercher ces détails et d'autres plus curieux encore: «A midi, il va jouer dans la galerie avec ses chiens, Patelot et Grisette; à une heure il revient dans sa chambre, se met dans la ruelle de sa nourrice, appelle Ingret, son joueur de luth, et fait la musique en chantant lui-même, car il aimait la musique avec transport.

Parfois, pour se distraire, il versifiait sur des riens, sur des proverbes ou des maximes, et, quand le goût lui en prenait, il voulait que les autres versifiassent avec lui. Un jour il dit à son médecin, Hérouard: – Mettez-moi cette prose en vers:

 

«Je veux que ceux qui m'aiment, m'aiment longtemps, ou, s'ils ne m'aiment que peu, que dès demain ils me quittent.»

Et le bon docteur, meilleur courtisan que poëte, faisait à l'instant même le distique suivant:

 
Je veux que tous ceux-là qui m'aiment désirent
Que ce soit pour jamais, où bien qu'ils se retirent.
 

Comme tous les caractères mélancoliques, Louis XIII dissimulait à merveille, et c'est à ceux qu'il voulait perdre, au moment même où il retirait la main de dessus eux, qu'il montrait les plus blanches dents en souriant de son meilleur sourire. Ce fut le 2 mars, un lundi de l'année 1613, à l'âge de douze ans, que, se servant pour la première fois de la locution familière à François Ier, il jura par sa foi de gentilhomme. Cette même année, l'étiquette voulut que l'on présentât la chemise au jeune roi. Ce fut Courtauvaux, un de ses compagnons, nous ne dirons pas de plaisir, nous verrons tout à l'heure que Louis XIII ne s'amusa que deux fois dans sa vie, qui la lui passa.

On se rappelle que l'accusation contre Chalais portait: qu'il avait voulu empoisonner le roi en lui passant la chemise. Ce fut cette même année encore que fut introduit près de lui, par le maréchal d'Ancre lui-même, le jeune de Luynes. Il n'avait jusque-là, pour soigner et nourrir ses oiseaux, qu'un simple paysan, – «un pied-plat de Saint-Germain, nommé Pierrot,» dit l'Estoile. De Luynes fut nommé fauconnier en chef, et l'on commanda à Pierrot, tout-puissant jusque-là, de le reconnaître et de lui obéir. Enfin ses faucons, éperviers, milans, pies-grièches et perroquets, furent nommés oiseaux de cabinet, pour que de Luynes pût toujours rester près du roi, et de cette époque data chez Louis XIII une telle amitié pour lui, que non seulement il ne quittait son fauconnier en chef du matin au soir, mais encore qu'en dormant il rêvait tout haut de lui, dit Hérouard, criant son nom dans le sommeil et le croyant absent.

En effet, si de Luynes ne parvenait pas à l'amuser, il parvenait au moins à le distraire, en développant chez lui le goût de la chasse autant qu'il le pouvait, avec le peu de liberté qu'ont les enfants royaux. Nous avons vu que Louis pourchassait de petits oiseaux dans ses appartements avec un perroquet jaune et des pies-grièches. Luynes lui fit chasser des lapins avec des petits lévriers dans les fossés du Louvre, et voler le milan à la plaine de Grenelle. Ce fut là, toutes dates sont importantes dans la vie d'un roi du caractère de Louis XIII, qu'il prit son premier héron le 1er janvier, et ce fut à Vaugirard que le 18 de la même année, il tira sa première perdrix.

Enfin, ce fut à l'entrée du pont dormant, près du Louvre, qu'il chassa l'homme pour la première fois, et tua Concini.

Intercalons ici une page du journal d'Hérouard, la page est curieuse pour le philosophe aussi bien que pour l'historien; c'est ce que fait Louis XIII pendant ce lundi 24 avril 1617, où il chasse l'homme au lieu de chasser le moineau, le lapin, le héron ou la perdrix.

Nous copions textuellement. Nos lecteurs, et surtout nos lectrices sont avertis.

«Lundi 24 avril 1617.

«Eveillé à sept heures et demi du matin, pouls plein, égal, petite chaleur, douce, levé bon visage, gai, pissé jaune, fait ses affaires, peigné, vêtu, prié Dieu; à 8 heures 1/2 déjeuné, quatre cuillers, point bu, si ce n'est du vin clair et fort trempé.

 
«Le maréchal d'Ancre
«tué sur le pont du
«Louvre entre dix et
«onze heures du matin.
 

«Dîné à midi; bouts d'asperges en salade, douze; quatre crêtes de coq sur un potage blanchi; cuillerées de potage, dix bouts d'asperges sur un chapon bouilli; veau bouilli; la moelle d'un os; tallerins, douze; les ailes de deux pigeons rôtis; deux tranches de gelinotte rôties avec pain; gelée; figues, cinq; guignes sèches, quatorze cotignac sur un oubli; pain, peu; bu du vin clairet fort trempé; dragée de fenouil, une petite cuillerée.

 
«Amusé jusqu'à sept heures et demie.
«Fait ses affaires, jaune, mou, beaucoup.»
«Amusé jusqu'à neuf heures et demie.
«Bu de la tisane, dévêtu, mis au lit, pouls plein, égal, petite chaleur douce.
 

Vous voilà rassurés, n'est-ce pas, sur le compte de ce pauvre enfant royal; vous pouviez craindre, et moi aussi, que l'assassinat de l'amant de sa mère, du père plus que probable de son frère Gaston, d'un maréchal de France enfin, c'est-à-dire du personnage le plus considérable du royaume après lui et même avant lui, lui eût ôté l'appétit ou la gaieté, et que les mains rouges de sang, il a hésité à prier Dieu? Non pas; son dîner a été retardé d'une heure, c'est vrai, mais il ne pouvait pas tout à la fois être à table à onze heures et regarder par la fenêtre du rez-de-chaussée du Louvre, Vitry assassiner le maréchal d'Ancre. Il a le ventre assez relâché; mais c'est l'effet que faisait à Henri IV la vue de l'ennemi. En échange, il s'est AMUSÉ de sept heures à sept heures et demie; il s'est AMUSÉ de nouveau de neuf heures à neuf heures et demie, ce qui n'est pas dans ses habitudes.

Pendant les vingt-huit ans que le surveille le docteur Hérouard, il ne s'est AMUSÉ que ces deux fois là.

En outre, il s'est mis au lit avec un pouls plein, égal, une petite chaleur douce. Il a prié Dieu à dix heures et s'est endormi jusqu'à sept heures et demie du matin, c'est-à-dire qu'il a dormi un peu plus de neuf heures.

Pauvre enfant!

Aussi le lendemain il se réveille roi. Ce bon sommeil lui a donné des forces, et, après avoir fait acte de virilité la veille, il fait acte de royauté le lendemain.

La reine-mère est non-seulement disgraciée, mais exilée à Blois; défense lui est faite de voir les petites mesdames ses filles, son fils bien-aimé Gaston d'Orléans; ses ministres sont renvoyés, et l'évêque de Luçon, qui sera plus tard le grand cardinal, aura seul la permission de la suivre dans son exil, où il se glissera dans ce cœur qui ne sait pas rester vide, et remplacera Concini.

Mais, s'il est le roi, Louis XIII n'est pas homme encore. Marié depuis deux ans avec l'infante d'Espagne, Anne d'Autriche, il n'est son mari que de nom. M. Durand, contrôleur provincial des guerres, a beau lui faire des ballets, dans lesquels il représente le démon du feu, et dans lesquels il chante à la reine les vers les plus tendres, toute sa galanterie se borne à lui dire:

 
Beau soleil de qui je veux
Pour jamais souffrir les feux,
Regarde où tu me conduis,
Et connais ce que tu peux
En voyant ce que je suis.
 

En effet, Louis XIII portait un habit tout couvert de flammes, mais, comme il ôtait son habit pour se coucher, il dépouillait les flammes avec l'habit.

Comme le ballet de la Délivrance de Renaud n'a rien produit, on essaye d'un autre ballet qui a pour titre: les Aventures de Tancrède dans la forêt enchantée. Cette fois la chorégraphie de M. de Ponchère réveille un peu le roi, et sa curiosité va jusqu'à désirer savoir comment les choses se passent un soir de noces entre vrais époux; c'est M. d'Elbeuf et Mlle de Vendôme qui donnent au roi une répétition de la pièce qu'il n'a pas encore jouée: rien n'y fait, le roi reste deux heures dans la chambre des époux, assis sur leur lit, et rentre tranquillement dans sa chambre de garçon.

Enfin, ce fut Luynes qui, tourmenté par l'ambassadeur d'Espagne et par le nonce du pape, se chargea de cette grande affaire, ne cachant pas à ceux qui l'y poussaient qu'il courrait risque d'y perdre son crédit.

Le jour fut fixé au 25 janvier 1619.

Ce jour-là, c'est encore le journal d'Hérouard qui va nous en donner l'emploi.

Le 25 janvier 1619, le roi, ne sachant point ce qui l'attendait à la fin de la journée, se leva en excellente santé, avec bon visage, et même gai, relativement; il déjeuna à neuf heures et quart; ouït la messe à la chapelle de la Tour; présida le conseil; dîna à midi; fit visite à la reine; alla aux Tuileries par la galerie; revint vers quatre heures et demie par le même chemin au Louvre; monta chez M. de Luynes pour répéter son ballet; soupa à huit heures; fit de nouveau visite à la reine, la quitta à dix heures, rentra dans ses appartements et se coucha; mais à peine était-il couché, que Luynes entra dans sa chambre et l'engagea à se lever. Le roi le regarda avec le même étonnement que s'il lui eût proposé de faire un voyage en Chine. Mais Luynes insista, lui disant que l'Europe commençait à s'inquiéter de voir le trône de France sans héritier, et que ce serait une honte pour lui si sa sœur, madame Christine, qui venait d'épouser le fils du duc de Piémont, le prince Amédée de Savoie, avait un enfant avant que la reine eût un dauphin. Mais comme toutes ces raisons, quoiqu'il les approuvât de la tête, ne paraissaient pas suffisantes pour décider le roi, de Luynes le prit tout simplement entre ses bras et le porta où il ne voulait point aller. Que si vous doutez le moins du monde de ce petit détail qu'aucun historien ne vous a raconté, et que vous raconte un romancier, lisez la dépêche du nonce, en date du 30 janvier 1619, et vous y trouverez cette phrase qui nous paraît concluante: Luines lo prese a traverso e lo conduce quasi per forza al letto della Regina.

Mais si Luynes n'y perdit pas son crédit, et y gagna au contraire le titre de connétable, il y perdit au moins sa peine, ou n'en fut récompensé que tardivement. Ce dauphin qui devait concourir pour le prix de vitesse avec le premier-né de la duchesse de Savoie ne vit le jour, si ardemment réclamé qu'il fût, que dix-neuf ans après, c'est-à-dire en 1638, et Luynes, qui ne devait pas avoir le bonheur de voir l'arbre qu'il avait planté porter ses fruits, mourait deux ans après d'une fièvre pourprée. Cette mort laissait le chemin libre à Marie de Médicis, qui, rappelée de son exil, revenait à Paris, ramenait, et faisait entrer au conseil, Richelieu, cardinal depuis un an, et qui bientôt après devait devenir premier ministre.

Dès lors, c'est Richelieu qui règne, et qui, en se déclarant contre la politique autrichienne et espagnole, se brouille à la fois avec Anne d'Autriche et avec Marie de Médicis. A partir de ce moment, les haines le poursuivent, les complots l'entourent; Marie de Médicis a, comme le roi, son ministère présidé comme celui du roi par un cardinal, M. de Bérulle. Seulement, le cardinal de Richelieu est un homme de génie, tandis que le cardinal de Bérulle est un idiot. Monsieur, que Richelieu a marié, et auquel, croyant s'en faire un appui, il a donné l'immense fortune de Mlle de Montpensier, conspire contre lui. Un conseil secret s'organise, auquel est appelé le médecin Bouvard, qui a succédé comme médecin du roi au brave docteur Hérouard; par Bouvard, Monsieur, qui succède à Louis XIII si Louis XIII meurt sans enfants, a le doigt sur le pouls du malade, car Bouvard, homme de dévotion tout espagnole, vivant aux églises, est l'âme damnée des reines. On sait donc que ce sombre roi, que l'ennui consume, que les soucis minent, qui ne se sent aimé de personne, mais au contraire haï de tous, que les médecins exterminent par la médecine du temps implacablement purgative, qui n'a plus de sang et que l'on saigne une fois par mois, peut s'évanouir d'un moment à l'autre et disparaître avec cette humeur noire que l'on s'obstine à chasser et qui est sa vie. Si le roi meurt, Richelieu est à la merci de ses ennemis, et dans les 24 heures qui suivent la mort du roi, il est pendu. Eh bien, malgré toutes ces espérances, Chalais n'a pas le temps d'attendre; il propose de tuer le cardinal, Marie de Médicis appuie la proposition, Mme de Conti achète des poignards, et la douce Anne d'Autriche n'y fait d'autre objection que ces trois mots: Il est prêtre!

Quant au roi, qui, depuis l'assassinat de Henri IV, hait sa mère, qui, depuis la conspiration de Chalais, se défie de son frère, qui, depuis ses amours avec Buckingham, et particulièrement depuis le scandale des jardins d'Amiens, méprise la reine; quant au roi, qui n'aime ni sa femme, ni les femmes, et qui, n'ayant aucune des vertus d'un Bourbon, n'a qu'à moitié les vices des Valois, il est plus froid et plus défiant que jamais avec toute sa famille. Il sait que cette guerre d'Italie qu'il projette, ou plutôt que projette le cardinal, est antipathique à Marie de Médicis, à Gaston d'Orléans, et particulièrement à Anne d'Autriche, parce qu'en réalité, c'est une guerre contre Ferdinand II et Philippe III, et que la reine est mi-partie d'Autriche et mi-partie d'Espagne.

Aussi, lorsque, sous le prétexte d'un violent mal de tête, elle a refusé d'assister, le soir, au ballet qui se danse en l'honneur de la prise de La Rochelle, c'est-à-dire en l'honneur de la victoire de son mari sur son amant, Louis XIII a-t-il été pris de ce soupçon qu'elle ne restait chez elle que pour y nouer quelque cabale, et, pendant toute la soirée, a-t-il eu l'œil, non pas sur les danseurs et sur les danseuses, mais sur la reine-mère et sur Gaston d'Orléans, échangeant à voix basse avec le cardinal, qui se tenait à ses côtés, dans sa loge, des observations qui n'avaient aucun rapport avec la chorégraphie, et, le ballet fini, au lieu de rentrer chez lui, a-t-il eu l'idée de passer chez la reine sans la prévenir de sa visite, et cela pour la prendre sur le fait, s'il y avait un fait quelconque; et voilà pourquoi nous l'avons vu arriver d'une façon si inattendue, précédé de deux pages, accompagné de ses deux favoris, suivi de Beringhen, et apparaître dans l'antichambre, juste au moment où le comte de Moret et sa conductrice inconnue disparaissaient dans le cabinet.

 

L'étiquette royale défendait que, quand le roi couchait sous le même toit que la reine, une velléité conjugale étant prévue, les portes de l'appartement de la reine de France fussent fermées la nuit; le roi avait donc, l'une après l'autre, ouvert sans difficulté, au milieu de l'obscurité et du silence, les trois portes qui séparaient l'antichambre de la chambre à coucher.

En entrant dans la chambre à coucher, il en avait, d'un regard rapide, exploré les angles les plus obscurs et les recoins les plus retirés.

Tout y était dans l'ordre le plus parfait.

La reine dormait d'un sommeil dont le calme pouvait attester la chasteté, et un souffle doux et régulier s'échappait de sa poitrine au moment où Louis XIII, plus jaloux de son pouvoir de roi que de ses droits comme mari, ouvrit la porte et s'approcha du lit.

Mais les reines ont le sommeil léger, et quoiqu'un épais tapis de Flandre eût assourdi les pas de son auguste époux, le souffle doux et régulier s'arrêta tout à coup, puis une main, merveilleuse de forme et de blancheur, écarta le rideau: une tête adorable de coquetterie nocturne se souleva sur l'oreiller, et après que deux grands yeux étonnés se furent fixés un instant sur le visiteur inattendu, une voix frémissante de surprise s'écria:

– Comment, c'est vous, Sire?

– Moi-même, madame, répondit froidement le roi, mais en mettant le chapeau à la main, comme doit le faire tout gentilhomme devant une femme.

– Et à quel heureux hasard, continua la reine, dois-je la faveur de votre visite?

– Vous m'avez fait dire que vous étiez indisposée, madame; or, inquiet de votre santé, j'ai voulu moi-même venir prendre de vos nouvelles et vous dire que je n'aurai probablement pas, à moins que vous ne preniez le dérangement de me visiter à votre tour, le plaisir de vous voir, ni demain ni après-demain.

– Votre Majesté chasse? demanda la reine.

– Non, madame; mais Bouvard a décidé qu'il était bon qu'à la suite de toutes ces fêtes, qui sont pour moi des fatigues, je fusse purgé et saigné; il me purge donc demain et me saigne après-demain. Bonne nuit, madame, et excusez-moi de vous avoir réveillée. A propos, qui donc est de service auprès de vous cette nuit? Mme de Fargis ou Mme de Chevreuse?

– Ni l'une ni l'autre, sire; Mlle Isabelle de Lautrec.

– Ah! très-bien, fit le roi, comme si ce nom achevait de le rassurer; mais où est-elle donc?

– Dans la chambre à côté, où elle dort tout habillée sur un canapé. Votre Majesté a-t-elle le désir que je l'appelle?

– Non, merci. Au revoir, madame.

– Au revoir, Sire.

Et Anne, avec un soupir exprimant un regret feint ou réel, mais que, vu la circonstance, nous croyons plutôt feint que réel, laissa retomber le rideau devant son lit et sa tête sur l'oreiller.

Quant à Louis XIII, il se couvrit, jeta autour de la chambre un dernier regard dans lequel transperçait un reste de soupçon, et sortit en murmurant:

– Non, pour cette fois le cardinal s'était trompé.

Puis, arrivé dans l'antichambre où sa suite l'attendait:

– La reine est, en effet, très-souffrante, dit-il. Suivez-moi, messieurs!

Et, dans le même ordre qu'il était venu, le cortége se remit en marche pour rentrer chez le roi.