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La dame de Monsoreau — Tome 3

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D'Épernon, pendant cette longue énumération de chances contraires, mangea de terreur tout le carmin qui lustrait ses ongles.

— Ah çà! mais je suis mort! dit-il moitié riant, moitié pâlissant.

— Dame! répondit Aurilly.

— Mais c'est absurde, s'écria d'Épernon, d'aller sur le terrain avec un homme qui doit indubitablement nous tuer. C'est comme si l'on jouait aux dés avec un homme qui serait sûr d'amener tous les coups le double six.

— Il fallait songer à cela avant de vous engager, monsieur le duc.

— Peste, dit d'Épernon, je me dégagerai. On n'est pas Gascon pour rien. Bien fou qui sort volontairement de la vie, et surtout à vingt-cinq ans. Mais j'y pense, mordieu; oui, ceci est de la logique. Attends!

— Dites.

— M. de Bussy est sûr de me tuer, dis-tu?

— Je n'en doute pas un seul instant.

— Alors ce n'est plus un duel, s'il est sûr, c'est un assassinat.

— Au fait!

— Et si c'est un assassinat, que diable...

— Eh bien?

— Il est permis de prévenir un assassinat par...

— Par?..

— Par... un meurtre.

— Sans doute.

— Qui m'empêche, puisqu'il veut me tuer, de le tuer auparavant? moi!

— Oh! mon Dieu! rien du tout, et j'y songeais même.

— Est-ce que mon raisonnement n'est pas clair?

— Clair comme le jour.

— Naturel?

— Très-naturel!

— Seulement, au lieu de le tuer cruellement de mes mains, comme il veut le faire à mon égard, eh bien, moi qui abhorre le sang, je laisserai ce soin à quelque autre.

— C'est-à-dire que vous payerez des sbires?

— Ma foi, oui! comme M. de Guise, M. de Mayenne, pour Saint-Mégrin.

— Cela vous coûtera cher.

— J'y mettrai trois mille écus.

— Pour trois mille écus, quand vos sbires sauront à qui ils ont affaire, vous n'aurez guère que six hommes.

— N'est-ce point assez donc?

— Six hommes! M. de Bussy en aura tué quatre avant d'être seulement effleuré. Rappelez-vous l'échauffourée de la rue Saint-Antoine, dans laquelle il a blessé Schomberg à la cuisse, vous au bras, et presque assommé Quélus.

— Je mettrai six mille écus, s'il le faut, dit d'Épernon. Mordieu! si je fais la chose, je veux la bien faire, et qu'il n'en réchappe pas.

— Vous avez votre monde? dit Aurilly.

— Dame! répliqua d'Épernon, j'ai ça et là des gens inoccupés, des soldats en retraite, des braves, après tout, qui valent bien ceux de Venise et de Florence.

— Très-bien, très-bien! Mais prenez garde.

— A quoi?

— S'ils échouent, ils vous dénonceront.

— J'ai le roi pour moi.

— C'est quelque chose; mais le roi ne peut vous empêcher d'être tué par M. de Bussy.

— Voilà qui est juste, et parfaitement juste, dit d'Épernon rêveur.

— Je vous indiquerais bien une combinaison, dit Aurilly.

— Parle, mon ami, parle.

— Mais, vous ne voudriez peut-être pas faire cause commune?

— Je ne répugnerais à rien de ce qui doublerait mes chances de me défaire de ce chien enragé.

— Eh bien, certain ennemi de votre ennemi est jaloux.

— Ah! ah!

— De sorte qu'à cette heure même...

— Eh bien, à cette heure même... achève donc!

— Il lui tend un piège.

— Après?

— Mais il manque d'argent; avec les six mille écus, il ferait votre affaire en même temps que la sienne. Vous ne tenez point à ce que l'honneur du coup vous revienne, n'est-ce pas?

— Mon Dieu, non! je ne demande autre chose, moi, que de demeurer dans l'obscurité.

— Envoyez donc vos hommes au rendez-vous, sans vous faire connaître, et il les utilisera.

— Mais encore faudrait-il, si mes hommes ne me connaissent pas, que je connusse cet homme, moi.

— Je vous le ferai voir ce matin.

— Où cela?

— Au Louvre.

— C'est donc un gentilhomme?

— Oui.

— Aurilly, séance tenante, les six mille écus seront à ta disposition.

— C'est donc arrêté ainsi?

— Irrévocablement.

— Au Louvre donc!

— Au Louvre.

Nous avons vu, dans le chapitre précédent, comment Aurilly dit à d'Épernon:

— Soyez tranquille, M. de Bussy ne se battra pas avec vous demain!

CHAPITRE XXVIII
LA PROCESSION

Aussitôt la collation finie, le roi était rentré dans sa chambre avec Chicot, pour y prendre ses habits de pénitent, et il en était sorti, un instant après, les pieds nus, les reins ceints d'une corde, et le capuchon rabattu sur le visage.

Pendant ce temps, les courtisans avaient fait la même toilette.

Le temps était magnifique, le pavé jonché de fleurs; on parlait de reposoirs plus splendides les uns que les autres, et surtout de celui que les génovéfains avaient dressé dans la crypte de la chapelle.

Un peuple immense bordait le chemin qui conduisait aux quatre stations que devait faire le roi, et qui étaient aux jacobins, aux carmes, aux capucins et aux génovéfains.

Le clergé de Saint-Germain-l'Auxerrois ouvrait la marche. L'archevêque de Paris portait le Saint-Sacrement. Entre le clergé et l'archevêque, marchaient à reculons de jeunes garçons qui secouaient les encensoirs, et de jeunes filles qui effeuillaient des roses.

Puis venait le roi, les pieds nus, comme nous avons dit, et suivi de ses quatre amis, les pieds nus comme lui et enfroqués comme lui.

Le duc d'Anjou suivait, mais dans son costume ordinaire; toute sa cour angevine l'accompagnait, mêlée aux grands dignitaires de la couronne, qui marchaient à la suite du prince, chacun gardant le rang que l'étiquette lui assignait.

Puis enfin venaient les bourgeois et le peuple.

Il était déjà plus d'une heure de l'après-midi lorsqu'on quitta le Louvre. Crillon et les gardes françaises voulaient suivre le roi. Mais celui-ci leur fit signe que c'était inutile, et Crillon et les gardes demeurèrent pour garder le palais.

Il était près de six heures du soir quand, après avoir fait ses stations aux différents reposoirs, la tête du cortège commença d'apercevoir le porche dentelé de la vieille abbaye, et les génovéfains, le prieur en tête, disposés sur les trois marches, qui formaient le seuil, pour recevoir Sa Majesté.

Pendant la marche qui séparait l'abbaye de la dernière station, qui était celle que l'on avait faite au couvent des capucins, le duc d'Anjou, qui était sur pied depuis le matin, s'était trouvé mal de fatigue: il avait alors demandé au roi la permission de se retirer dans son hôtel, permission que le roi lui avait accordée.

Ses gentilshommes s'étaient alors détachés du cortège et s'étaient retirés avec lui, comme pour indiquer bien hautement que c'était le duc qu'ils suivaient et non le roi.

Mais le fait était que, comme trois d'entre eux devaient se battre le lendemain, ils désiraient ne pas se fatiguer outre mesure.

A la porte de l'abbaye, le roi, sous le prétexte que Quélus, Maugiron, Schomberg et d'Épernon n'avaient pas moins besoin de repos que Livarot, Ribérac et Antraguet, le roi, disons-nous, leur donna congé aussi.

L'archevêque, qui officiait depuis le matin, et qui n'avait encore rien pris, non plus que les autres prêtres, tombait de fatigue; le roi prit pitié de ces saints martyrs, et, arrivé, comme nous l'avons dit, à la porte de l'abbaye, il les renvoya tous.

Puis, se retournant vers le prieur, Joseph Foulon:

— Me voici, mon père, dit-il en nasillant, je viens, comme un pécheur que je suis, chercher le repos dans votre solitude.

Le prieur s'inclina.

Alors s'adressant à ceux qui avaient résisté à cette rude journée et qui l'avaient suivi jusque-là:

— Je vous remercie, messieurs, dit-il, allez en paix.

Chacun salua respectueusement, et le royal pénitent monta une à une, en se frappant la poitrine, les marches de l'abbaye.

A peine Henri avait-il dépassé le seuil de l'abbaye, que les portes en furent fermées derrière lui.

Le roi était si profondément absorbé dans ses méditations, qu'il ne parut pas remarquer cette circonstance, qui, d'ailleurs, après le congé donné par le roi à sa suite, n'avait rien d'extraordinaire.

— Nous allons d'abord, dit le prieur au roi, conduire Votre Majesté dans la crypte, que nous avons ornée de notre mieux en l'honneur du roi du ciel et de la terre.

Le roi se contenta de répondre par un geste d'assentiment et marcha derrière le prieur.

Mais, aussitôt qu'il fut passé sous la sombre arcade où se tenaient immobiles deux rangées de moines, aussitôt qu'on l'eut vu tourner l'angle de la cour qui conduisait à la chapelle, vingt capuchons sautèrent en l'air, et l'on vit resplendir, dans la demi-teinte, des yeux étincelants de la joie et de l'orgueil du triomphe.

Certes, ce n'étaient point là des figures de moines paresseux et poltrons; la moustache épaisse, le teint basané, dénotaient chez eux la force et l'activité. Bon nombre démasquaient des visages sillonnés de cicatrices, et, à côté du plus fier de tous, de celui qui portait la cicatrice la plus illustre et la plus célèbre, apparaissait, triomphante et exaltée, la figure d'une femme couverte d'un froc.

Cette femme agita une paire de ciseaux d'or qui pendaient d'une chaîne nouée à sa ceinture, et s'écria:

— Ah! mes frères, nous tenons enfin le Valois.

— Ma foi! ma soeur, je le crois comme vous, répondit le balafré.

 

— Pas encore, pas encore, murmura le cardinal.

— Comment cela?

— Oui, aurons-nous assez de troupes bourgeoises pour maintenir Crillon et ses gardes?

— Nous avons mieux que des troupes bourgeoises, répliqua le duc de Mayenne, et, croyez-moi, il ne sera pas échangé un seul coup de mousquet.

— Voyons, dit la duchesse de Montpensier, comment entendez-vous cela?

J'aurais cependant bien voulu un peu de tapage, moi.

— Eh bien, ma soeur, je vous le dis à regret, vous en serez privée. Quand le roi sera pris, il criera; mais nul ne répondra à ses cris. Nous lui ferons alors, par persuasion ou par violence, mais sans nous montrer, signer une abdication. Aussitôt l'abdication courra la ville et disposera en notre faveur les bourgeois et les soldats.

— Le plan est bon et ne peut échouer maintenant, dit la duchesse.

— Il est un peu brutal, fit le cardinal de Guise en secouant la tête.

— Le roi refusera de signer l'abdication, ajouta le Balafré; il est brave, il aimera mieux mourir.

— Qu'il meure alors! s'écrièrent Mayenne et la duchesse.

— Non pas, répliqua fermement le duc de Guise, non pas! Je veux bien succéder à un prince qui abdique et que l'on méprise; mais je ne veux pas remplacer un homme assassiné que l'on plaindra. D'ailleurs, dans vos plans, vous oubliez M. le duc d'Anjou, qui, si le roi est tué, réclamera la couronne.

— Qu'il réclame, mordieu! qu'il réclame, dit Mayenne; voici notre frère le cardinal qui a prévu le cas: M. le duc d'Anjou sera compris dans l'acte d'abdication de son frère; M. le duc d'Anjou a eu des relations avec les huguenots, il est indigne de régner.

— Avec les huguenots, êtes-vous sûr de cela?

— Pardieu, puisqu'il a fui par l'aide du roi de Navarre.

— Bien.

— Puis une autre clause en faveur de notre maison suit la clause de déchéance: cette clause vous fera lieutenant du royaume, mon frère, et de la lieutenance à la royauté il n'y aura qu'un pas.

— Oui, oui, dit le cardinal, j'ai prévu tout cela; mais il se pourrait que les gardes françaises, pour s'assurer que l'abdication est bien réelle et surtout bien volontaire, forçassent l'abbaye. Crillon n'entend pas raillerie, et il serait homme à dire au roi: Sire, il y a danger de la vie, c'est bien; mais, avant tout, sauvons l'honneur.

— Cela regardait le général, dit Mayenne, et le général a pris ses précautions. Nous avons ici, pour soutenir le siège, quatre-vingts gentilshommes, et j'ai fait distribuer des armes à cent moines. Nous tiendrons un mois contre une armée. Sans compter qu'en cas d'infériorité nous avons le souterrain pour fuir avec notre proie.

— Et que fait le duc d'Anjou dans ce moment?

— A l'heure du danger, il a faibli comme toujours. Le duc d'Anjou est rentré chez lui, où il attend, sans doute, de nos nouvelles entre Bussy et Monsoreau.

— Eh! mon Dieu, c'est ici qu'il faudrait qu'il fût, et non chez lui.

— Je crois que vous vous trompez, mon frère, dit le cardinal, le peuple et la noblesse eussent vu, dans cette réunion des deux frères, un guet-apens contre la famille. Comme nous le disions tout à l'heure, nous devons, avant toute chose, éviter de jouer le rôle d'usurpateur. Nous héritons, voilà tout. En laissant le duc d'Anjou libre, la reine mère indépendante, nous nous faisons bénir de tous et admirer de nos partisans, et nul n'aura le plus petit mot a nous dire. Sinon, nous aurons contre nous Bussy et cent autres épées fort dangereuses.

— Bah! Bussy se bat demain contre les mignons.

— Parbleu! il les tuera: la belle affaire! et ensuite il sera des nôtres, dit le duc de Guise. Quant à moi, je le fais général d'une armée en Italie, où la guerre éclatera sans nul doute. C'est un homme supérieur et que j'estime fort, que le seigneur de Bussy.

— Et moi, en preuve que je ne l'estime pas moins que vous, mon frère, si je deviens veuve, dit la duchesse de Montpensier, moi, je l'épouse.

— L'épouser, ma soeur! s'écria Mayenne.

— Tiens, dit la duchesse, il y a de plus grandes dames que moi qui ont fait plus pour lui, et il n'était pas général d'armée à cette époque.

— Allons, allons, dit Mayenne, nous verrons tout cela plus tard; à l'oeuvre maintenant!

— Qui est près du roi? demanda le duc de Guise.

— Le prieur et frère Gorenflot, à ce que je crois, dit le cardinal. Il faut qu'il ne voie que des visages de connaissance, sans cela, il s'effaroucherait tout d'abord.

— Oui, dit Mayenne, mangeons les fruits de la conspiration, mais ne les cueillons pas.

— Est-ce qu'il est déjà dans la cellule? dit madame de Montpensier, impatiente de donner au roi la troisième couronne qu'elle lui promettait depuis si longtemps...

— Oh! non pas, il verra d'abord le grand reposoir de la crypte, et il adorera les saintes reliques.

— Ensuite?

— Ensuite, le prieur lui adressera quelques paroles sonores sur la vanité des biens de ce monde; après quoi le frère Gorenflot, vous savez, celui qui a prononcé ce magnifique discours pendant la soirée de la Ligue...

— Oui, eh bien?

— Le frère Gorenflot essayera d'obtenir de sa conviction ce que nous répugnons d'arracher à sa faiblesse.

— En effet, cela vaudrait infiniment mieux ainsi, dit le duc rêveur.

— Bah! Henri est superstitieux et affaibli, dit Mayenne, je réponds qu'il cédera à la peur de l'enfer.

— Et moi, je suis moins convaincu que vous, dit le duc; mais nos vaisseaux sont brûlés, il n'y a plus à revenir en arrière. Maintenant, après la tentative du prieur, après le discours de Gorenflot, si l'un et l'autre échouent, nous essayerons du dernier moyen, c'est-à-dire de l'intimidation.

— Et alors je tondrai mon Valois, s'écria la duchesse, revenant toujours à sa pensée favorite.

En ce moment, une sonnette retentit sous les voûtes assombries par les premières ombres de la nuit.

— Le roi descend à la crypte, dit le duc de Guise; allons, Mayenne, appelez vos amis et redevenons moines.

Aussitôt les capuchons recouvrirent fronts audacieux, yeux ardents et cicatrices parlantes; puis trente ou quarante moines, conduits par les trois frères, se dirigèrent vers l'ouverture de la crypte.

CHAPITRE XXIX

CHICOT Ier.

Le roi était plongé dans un recueillement qui promettait un succès facile aux projets de MM. de Guise.

Il visita la crypte avec toute la communauté, baisa la châsse, et termina toutes les cérémonies en se frappant la poitrine à coups redoublés et en marmottant les psaumes les plus lugubres.

Le prieur commença ses exhortations, que le roi écouta en donnant les mêmes signes de contrition fervente.

Enfin, sur un geste du duc de Guise, Joseph Foulon s'inclina devant Henri et lui dit:

— Sire, vous plairait-il de venir maintenant déposer votre couronne terrestre aux pieds du maître éternel?

— Allons... répliqua simplement le roi.

Et aussitôt toute la communauté, formant la haie sur son passage, s'achemina vers les cellules, dont on entrevoyait, à gauche, le corridor principal.

Henri semblait très attendri. Ses mains ne cessaient de battre sa poitrine; le gros chapelet, qu'il roulait vivement, sonnait sur les têtes de mort en ivoire suspendues à sa ceinture.

On arriva enfin à la cellule: au seuil, se carrait Gorenflot, le visage enluminé, l'oeil brillant comme une escarboucle.

— Ici? fit le roi.

— Ici même, répliqua le gros moine.

Le roi pouvait hésiter, en effet, parce qu'au bout de ce corridor on voyait une porte, ou plutôt une grille assez mystérieuse, ouvrant sur une pente rapide et n'offrant à l'oeil que des ténèbres épaisses.

Henri entra dans la cellule.

— Hic portus salutis? murmura-t-il de sa voix émue.

— Oui, répondit Foulon, ici est le port.

— Laissez-nous, fit Gorenflot avec un geste majestueux.

Et aussitôt la porte se referma; les pas des assistants s'éloignèrent.

Le roi, avisant un escabeau dans le fond de la cellule, s'y plaça, les deux mains sur les genoux.

— Ah! te voilà, Hérodes! te voilà, païen! te voilà, Nabuchodonosor! dit Gorenflot sans transition aucune et en appuyant ses épaisses mains sur ses hanches.

Le roi sembla surpris.

— Est-ce à moi, dit-il, que vous parlez, mon frère?

— Oui, c'est à toi que je parle; et à qui donc? Peut-on dire une injure qui ne te soit pas convenable?

— Mon frère... murmura le roi.

— Bah! tu n'as pas de frère ici. Voilà assez longtemps que je médite un discours... tu l'auras... Je le divise en trois points, comme tout bon prédicateur. D'abord tu es un tyran, ensuite tu es un satyre, enfin tu es un détrôné; voilà sur quoi je vais parler.

— Détrôné! mon frère... dit avec explosion le roi perdu dans l'ombre.

— Ni plus, ni moins. Ce n'est pas ici comme en Pologne, et tu ne t'enfuiras pas...

— Un guet-apens!

— Oh! Valois, apprends qu'un roi n'est qu'un homme, lorsqu'il est homme encore.

— Des violences, mon frère!

— Pardieu! crois-tu que nous t'emprisonnions pour te ménager?

— Vous abusez de la religion, mon frère.

— Est-ce qu'il y a une religion! s'écria Gorenflot.

— Oh! fit le roi, un saint dire de pareilles choses!

— Tant pis, j'ai dit.

— Vous vous damnerez...

— Est-ce qu'on se damne!

— Vous parlez en mécréant, mon frère.

— Allons! pas de capucinades; es-tu prêt, Valois?

— A quoi faire?

— A déposer ta couronne. On m'a chargé de t'y inviter; je t'y invite.

— Mais vous faites un péché mortel!

— Oh! oh! fit Gorenflot avec un sourire cynique, j'ai droit d'absolution, et je m'absous d'avance; voyons, renonce, frère Valois.

— A quoi?

— Au trône de France.

— Plutôt la mort!

— Eh! mais tu mourras alors... Tiens, voici le prieur qui revient... décide-toi.

— J'ai mes gardes, mes amis; je me défendrai.

— C'est possible; mais on te tuera d'abord.

— Laisse-moi au moins un instant pour réfléchir.

— Pas un instant, pas une seconde.

— Votre zèle vous emporte, mon frère, dit le prieur.

Et il fit, de la main, un geste qui voulait dire au roi: «Sire, votre demande vous est accordée.»

Et le prieur referma la porte.

Henri tomba dans une rêverie profonde.

— Allons! dit-il, acceptons le sacrifice.

Dix minutes s'étaient écoulées tandis que Henri réfléchissait; on heurta aux guichets de la cellule.

— C'est fait, dit Gorenflot, il accepte.

Le roi entendit comme un murmure de joie et de surprise autour de lui, dans le corridor.

— Lisez-lui l'acte, dit une voix qui fit tressaillir le roi... à tel point qu'il regarda par les grillages de la porte.

Et un parchemin roulé passa de la main d'un moine dans celle de Gorenflot.

Gorenflot fit péniblement lecture de cet acte au roi, dont la douleur était grande et qui cachait son front dans ses mains.

— Et si je refuse de signer? s'écria-t-il en larmoyant.

— C'est vous perdre doublement, repartit la voix du duc de Guise, assourdie par le capuchon. Regardez-vous comme mort au monde, et ne forcez pas des sujets à verser le sang d'un homme qui a été leur roi.

— On ne me contraindra pas, dit Henri.

— Je l'avais prévu, murmura le duc à sa soeur, dont le front se plissa, dont les yeux reflétèrent un sinistre dessein.

Allez, mon frère, ajouta-t-il en s'adressant à Mayenne; faites armer tout le monde, et qu'on se prépare.

— A quoi? dit le roi d'un ton lamentable.

— A tout, répondit Joseph Foulon.

Le désespoir du roi redoubla.

— Corbleu! s'écria Gorenflot, je te haïssais, Valois; mais à présent je te méprise! Allons, signe, ou tu ne périras que de ma main.

— Patientez, patientez, dit le roi, que je me recommande au souverain Maître, que j'obtienne de lui la résignation.

— Il veut réfléchir encore, cria Gorenflot.

— Qu'on lui laisse jusqu'à minuit, dit le cardinal.

 

— Merci, chrétien charitable, dit le roi dans un paroxysme de désolation. Dieu te le rende!

— C'était réellement un cerveau affaibli, dit le duc de Guise; nous servons la France en le détrônant.

— N'importe, fit la duchesse; tout affaibli qu'il est, j'aurai du plaisir à le tondre.

Pendant ce dialogue, Gorenflot, les bras croisés, accablait Henri des injures les plus violentes et lui racontait tous ses débordements.

Tout à coup un bruit sourd retentit au dehors du couvent.

— Silence! cria la voix du duc de Guise.

Le plus profond silence s'établit. On distingua bientôt des coups frappés fortement et à intervalles égaux sur la porte sonore de l'abbaye.

Mayenne accourut aussi vite que le lui permettait son embonpoint.

— Mes frères, dit-il, une troupe de gens armés se porte au-devant du portail.

— On vient le chercher, dit la duchesse.

— Raison de plus pour qu'il signe vite, dit le cardinal.

— Signe, Valois, signe! cria Gorenflot d'une voix de tonnerre.

— Vous m'avez donné jusqu'à minuit, dit pitoyablement le roi.

— Oh! tu te ravises parce que tu crois être secouru.

— Sans doute, j'ai une chance...

— Pour mourir s'il ne signe aussitôt, répliqua la voix aigre et impérieuse de la duchesse.

Gorenflot saisit le poignet du roi et lui offrit une plume.

Le bruit redoublait au dehors.

— Une nouvelle troupe! vint dire un moine; elle entoure le parvis et le cerne à gauche.

— Allons! crièrent impatiemment Mayenne et la duchesse.

Le roi trempa la plume dans l'encre.

— Les Suisses! accourut dire Foulon; ils envahissent le cimetière à droite. Toute l'abbaye est cernée présentement.

— Eh bien, nous nous défendrons, répliqua résolument Mayenne. Avec un otage comme celui-là, une place n'est jamais prise à discrétion.

— Il a signé! hurla Gorenflot en arrachant le papier des mains de Henri, qui, abattu, enfouit sa tête dans son capuchon et son capuchon dans ses deux bras.

— Alors nous sommes roi, dit le cardinal au duc. Emporte vite ce précieux papier.

Le roi, dans son accès de douleur, renversa la petite lampe qui seule éclairait cette scène; mais le duc de Guise tenait déjà le parchemin.

— Que faire? que faire? vint demander un moine sous le froc duquel se dessinait un gentilhomme bien complet, bien armé. Crillon arrive avec les gardes françaises, et menace de briser les portes. Écoutez!..

— Au nom du roi! cria la voix puissante de Crillon.

— Bon! il n'y a plus de roi, répliqua Gorenflot par une fenêtre.

— Qui dit cela, maraud? répondit Crillon.

— Moi! moi! moi! fit Gorenflot dans les ténèbres, avec un orgueil des plus provocateurs.

— Qu'on tâche de m'apercevoir ce drôle et de lui planter quelques balles dans le ventre, dit Crillon.

Et Gorenflot, voyant les gardes apprêter leurs armes, fit le plongeon aussitôt et retomba sur son derrière au milieu de la cellule.

— Enfoncez la porte, mons Crillon, dit, au milieu du silence général, une voix qui fit dresser les cheveux à tous les moines, faux ou vrais, qui attendaient dans le corridor.

Cette voix était celle d'un homme qui, sorti des rangs, s'était avancé jusqu'aux marches de l'abbaye.

— Voilà, sire, répliqua Crillon en déchargeant dans la porte principale un vigoureux coup de hache.

Les murs en gémirent.

— Que veut-on?.. dit le prieur, paraissant tout tremblant à la fenêtre.

— Ah! c'est vous, messire Foulon, dit la même voix hautaine et calme. Rendez-moi donc mon fou, qui est allé passer la nuit dans une de vos cellules. J'ai besoin de Chicot; je m'ennuie au Louvre.

— Et moi, je m'amuse joliment, va, mon fils, répliqua Chicot se dégageant de son capuchon et fendant la foule des moines, qui s'écartèrent avec un hurlement d'effroi.

A ce moment, le duc de Guise, qui s'était fait apporter une lampe, lisait au bas de l'acte la signature encore fraîche obtenue avec tant de peine:

CHICOT Ier

— Moi, Chicot Ier! s'écria-t-il; mille damnations!

— Allons, dit le cardinal, nous sommes perdus; fuyons.

— Ah! bah! fit Chicot en distribuant à Gorenflot, presque évanoui, des coups de la corde qu'il portait à sa ceinture; ah! bah!