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Venus et Adonis

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CXLVII. – Tout à coup elle entend que les chiens sont aux abois: elle tressaille; comme celui qui aperçoit devant lui une vipère repliée en funestes anneaux, tremble et frissonne dans sa terreur, de même le timide jappement des chiens épouvante Vénus et trouble tous ses sens.

CXLVIII. – Car elle n'ignore plus que ce n'est pas une chasse sans danger, et qu'on poursuit le sanglier farouche, l'ours féroce ou le superbe lion. Les cris partent toujours du même point et la voix des chiens exprime la terreur. A la vue d'un si redoutable ennemi ils se font tous des politesses à qui l'attaquera le premier.

CXLXIX. – Ces cris lugubres retentissent tristement à l'oreille de Vénus, et pénètrent par surprise jusqu'à son coeur, qui, accablé par le doute et par la terreur glacé, engourdit d'une faiblesse mortelle tous les sens de la déesse; tels que des soldats qui, voyant leur capitaine se rendre, fuient lâchement et n'osent tenir la campagne.

CL. – C'est ainsi qu'elle s'arrête tremblante, jusqu'à ce que, pour ranimer ses sens abattus, elle leur dise que c'est une terreur sans fondement, et une illusion puérile qui les effraye. Elle leur ordonne de ne plus trembler, elle leur ordonne de ne rien craindre, et au même instant elle aperçoit le sanglier poursuivi.

CLI. – Une écume blanche teinte de rouge comme un mélange de sang et de lait teint sa gueule entr'ouverte à un sang couleur de pourpre: une nouvelle terreur parcourt tout le corps de Vénus et l'emporte comme une folle sans qu'elle sache où elle va; elle court d'un côté, puis n'ose aller plus avant, et revient sur ses pas pour accuser le sanglier de meurtre.

CLII. – Mille pensées contraires l'entraînent de mille côtés divers; elle revient dans les sentiers qu'elle a quittés; sa précipitation se joint à des délais; semblable à l'homme pris de vin qui, ayant l'air de faire attention à tout, et toujours inattentif, commence toujours et ne termine rien.

CLIII. – Ici elle trouve un limier réfugié dans un buisson, et demande à l'animal fatigué où est son maître; plus loin elle en trouve un autre qui lèche ses blessures, seul baume souverain contre les plaies envenimées: en voici un autre qui se traîne d'un air chagrin; elle lui parle, et il lui répond en hurlant.

CLIV. – A peine a-t-il terminé ses discordantes clameurs, qu'un autre chien blessé, à la gueule béante, le poil noir et hérissé, déchire les airs de sa voix plaintive; un autre, et puis un autre encore, lui répondent en traînant leur noble queue jusqu'à terre et secouant leurs oreilles écorchées en versant leur sang à chaque pas.

CLV. – Voyez! de même que les pauvres habitants du monde sont effrayés par les apparitions, les signes et les prodiges qu'ils contemplent longtemps d'un oeil effaré en leur attribuant de sinistres prophéties, de même Vénus à ces signes funestes, respire avec peine, et puis soupirant, s'indigne contre la Mort.

CLVI. – «Tyran horrible, affreux, maigre, décharné, odieux ennemi de l'Amour! – C'est ainsi qu'elle inspire la mort. Fantôme au sourire sinistre, ver de la terre, que prétends-tu donc? étouffer la beauté, et terminer les jours de celui qui, pendant sa vie, d'un souffle donnait de l'éclat à la rose, du parfum à la violette.

CLVII. – «S'il est mort… Oh! non; il est impossible qu'en voyant sa beauté tu aies osé le frapper! Oh! oui, c'est possible, tu n'as point d'yeux pour voir, mais dans ta rage tu frappes au hasard; ton but est la vieillesse; mais ton trait infidèle manque ce but, et perce le coeur d'un enfant.

CLVIII. – «Si tu lui avais seulement dit de prendre garde, il eût parlé; à sa voix ton bras eût été sans pouvoir. Les destinées te maudiront pour ce coup fatal: elles t'ordonnent d'arracher une mauvaise herbe, tu arraches une fleur. C'est la flèche d'or de l'Amour qui aurait dû l'atteindre, et non le dard d'ébène de la Mort pour le tuer.

CLIX. – «As-tu soif de larmes, que tu en veuilles faire tant verser? quel bien un douloureux sanglot peut-il te faire? pourquoi as-tu plongé dans l'éternel sommeil ces yeux qui apprenaient à voir à tous les yeux? Maintenant la nature s'inquiète peu de tes coups mortels, puisque ta rigueur a détruit son plus bel ouvrage.»

CLX. – Ici, accablée comme une femme désespérée, elle abaisse ses paupières, qui, comme des écluses, arrêtent l'humide cristal qui coulait en ruisseau de ses deux belles joues, jusque dans le doux lit de son sein: mais cette pluie argentée se fait bientôt jour à travers ces obstacles, et les contraint de se rouvrir par son cours impétueux.

CLXI. – Oh! combien ses yeux et ses larmes se furent réciproquement redevables! Ses yeux se voient dans les larmes, les larmes dans ses yeux: l'un et l'autre cristal reproduisent leur douleur mutuelle, leurs douleurs que des soupirs consolateurs cherchaient à calmer. Mais comme on voit dans un jour d'orage tantôt la pluie, tantôt le vent, les soupirs sèchent ses joues que les larmes inondent encore.

CLXII. – Des passions variables se pressent autour de sa constante douleur, comme se disputant à qui conviendra le mieux à sa détresse. Chacune d'elles est accueillie, chaque passion sauvage à la douleur présente semble la plus forte; mais aucune ne l'emporte sur les autres; alors elles se confondent ensemble comme un groupe de nuages qui se consultent pour une tempête.

CLXIII. – Cependant elle entend un chasseur appeler dans le lointain. Jamais chant de nourrice ne plut autant à son nourrisson. Ce son appelle l'espérance, qui s'efforce de bannir les tristes idées qu'elle poursuit: la joie renaissante l'engage à se réjouir et la flatte en lui persuadant que c'est la voix d'Adonis.

CLXIV. – Ses larmes remontent à leur source, et restent prisonnières dans ses yeux comme des perles sous un verre: cependant parfois une de ces perles orientales s'échappe sur sa joue qui l'absorbe, comme si elle craignait de la laisser passer et de la voir laver le sale visage de la terre, qui n'est qu'enivrée lorsqu'elle semble noyée.

CLXV. – Inexplicable amour! qu'il est étrange de ne pas croire et d'être si crédule! ton bonheur et ta souffrance sont également extrêmes; le désespoir et l'espérance te rendent également ridicule: l'une te flatte par d'improbables pensées, et l'autre te détruit aussitôt par des pensées vraisemblables!

CLXVI. – Maintenant elle défait le tissu qu'elle a fabriqué: Adonis vit, la mort n'est plus coupable. Ce n'est pas elle qui l'accusait de ne rien valoir; elle s'empresse d'ajouter des louanges à son nom odieux: elle l'appelle la reine des tombeaux, le tombeau des rois, la souveraine de toutes les choses mortelles.

CLXVII. – «Non, non, dit-elle, aimable Mort, je ne faisais que plaisanter; cependant pardonne-moi, j'éprouvai une espèce de crainte en voyant le sanglier, cet animal féroce qui ne connut jamais la pitié mais qui reste impitoyable. Voilà pourquoi, aimable fantôme (je dois avouer la vérité), je t'accusais, craignant la mort de mon amant.

CLXVIII. – «Ce n'est pas ma faute; le sanglier a provoqué ma langue. Prends-t'en à lui, invisible souveraine; c'est cet odieux animal qui t'a outragée; je n'étais que son instrument; c'est lui qui est l'auteur de la calomnie. La douleur a deux langues; et jusqu'ici jamais une femme ne put les gouverner toutes deux sans avoir l'esprit de dix femmes.»

CLXIX. – Espérant qu'Adonis est vivant, c'est ainsi qu'elle atténue ses premiers soupçons, et pour préserver la beauté d'Adonis, elle cherche à s'insinuer humblement dans les bonnes grâces de la Mort; elle lui parle de ses trophées, de ses statues, de ses monuments; elle raconte ses victoires, ses triomphes et ses gloires.

CLXX. – «O Jupiter! dit-elle, que j'étais insensée de m'abandonner à tant de faiblesse, et de pleurer la mort de celui qui vit et ne doit pas mourir jusqu'au renversement complet de toute l'espèce humaine; car avec lui périrait la beauté; et la beauté une fois morte le noir chaos régnerait de nouveau!

CLXXI. – «Fi donc, fol amour, tu es aussi craintif qu'un homme chargé d'un trésor et pressé par les voleurs; des bagatelles, que n'ont distinguées ni l'oeil ni l'oreille, troublent ton lâche coeur de fausses alarmes.» Elle entend à ce dernier mot un cor joyeux, elle bondit, elle qui tout à l'heure était si abattue.

CLXXII. – Elle vole, telle qu'un faucon vers sa proie, et le gazon ne fléchit pas, tant elle le foule légèrement et dans sa hâte elle aperçoit le triomphe de l'odieux sanglier sur celui qu'elle aimait; à ce spectacle ses yeux, comme frappés de mort, se cachent, semblables aux étoiles honteuses du jour.

CLXXIII. – Telle encore que le limaçon qui, si ses cornes délicates sont touchées, rentre souffrant dans sa caverne d'écaille, et là tout rabougri reste longtemps à l'ombre avant d'oser ressortir de nouveau; de même à l'aspect du cadavre sanglant, les yeux de Vénus se sont réfugiés dans les sombres orbites de sa tête.

CLXXIV. – Là, ils abandonnent leur fonction et leur lumière à l'indisposition du cerveau troublé qui leur ordonne de s'associer avec la nuit sombre, et de ne plus blesser le coeur par leurs regards; comme un roi affligé sur son trône, ce coeur pousse un douloureux gémissement excité par leurs suggestions.

CLXXV. – Cependant, chaque sens tributaire frémit, de même que le vent, emprisonné dans la terre, s'efforçant de s'ouvrir un passage, ébranle les fondements du monde, ce qui trouble l'esprit des hommes par de sinistres terreurs. Ce bouleversement surprend si fort chaque organe que les yeux s'élancent de nouveau de leurs sombres retraites.

CLXXVI. – En souriant, ils jettent à regret leur lumière sur la large blessure que le sanglier a faite dans le tendre sein d'Adonis, dont la blancheur ordinaire, semblable à celle du lis, était inondée de larmes de pourpre répandues par la plaie. Il n'était à l'entour aucune fleur, aucune herbe, aucune plante, aucune feuille, aucune racine qui ne lui ravît son sang, et ne semblât saigner avec lui.

 

CLXXVII. – La pauvre Vénus remarque cette sympathie solennelle; elle penche sa tête sur une épaule, son désespoir est muet, elle s'abandonne à son délire. Elle pense qu'il ne pouvait mourir, qu'il n'est pas mort. Sa voix est étouffée, ses genoux oublient de fléchir; ses yeux sont furieux d'avoir pleuré naguère!

CLXXVIII. – Elle tient ses regards constamment fixés sur la blessure, sa vue éblouie la lui représente triple, et alors elle blâme ses yeux féroces de multiplier les blessures là où il ne devait y en avoir aucune. Le visage d'Adonis paraît double, chacun de ses membres est doublé, car souvent l'oeil s'abuse quand le cerveau est troublé.

CLXXIX. – «Ma langue, dit-elle, ne peut exprimer ma douleur pour un seul, et cependant voilà deux Adonis morts. Je n'ai plus de soupirs; mes larmes amères sont taries, mes yeux sont un feu brûlant, mon coeur est changé en plomb et le plomb de mon coeur accablé se dissout devant le feu ardent de mes yeux; je mourrai dans cette flamme liquide du désir.

CLXXX. – «Hélas, pauvre univers! quel trésor tu as perdu? quel visage reste ici-bas digne d'être regardé? quelle langue musicale entendons-nous? qu'y a-t-il dans le passé ou dans l'avenir qui puisse désormais faire ta gloire? Ces fleurs sont suaves, leurs couleurs fraîches et vermeilles, mais la véritable et parfaite beauté vivait et est morte dans lui.

CLXXXI. – «Qu'aucune créature ne porte à l'avenir ni toque ni voile! Ni le soleil ni le vent ne chercheront à vous caresser; n'ayant point de beauté à perdre, vous ne devez plus craindre: le soleil vous dédaigne, et le vent vous siffle; mais quand Adonis vivait, le soleil et le vent l'épiaient comme deux voleurs pour lui ravir sa beauté.

CLXXXII. – «C'est pourquoi il mettait sa toque sous les bords de laquelle le soleil brillant se glissait; le vent l'emportait, et puis jouait avec ses cheveux: Adonis pleurait alors, et, par pitié pour ses tendres années, tous deux se disputaient à qui le premier sècherait ses larmes.