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Venus et Adonis

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LXXII. – «Quoi! tu sais parler? répond-elle. As-tu donc une langue? Oh! que n'en as-tu point! ou plutôt que je n'eusse point d'oreilles? Ta voix de sirène m'a doublement blessée. J'étais assez chargée tout à l'heure, sans ce surcroît qui m'accable. Mélodieuse dissonance, célestes accords aux rudes effets! douce harmonie pour l'oreille qui blesse profondément le coeur!

LXXIII. – «Si je n'avais point d'yeux, si je n'avais que des oreilles, mes oreilles adoreraient cette beauté invisible et intérieure; ou si j'étais sourde, tes charmes extérieurs toucheraient en moi tout ce qu'il y a de sensible. Quoique sans yeux et sans oreilles pour voir ou pour entendre, je t'aimerais encore rien qu'en te touchant.

LXXIV. – «Suppose maintenant que le sens du toucher me soit ravi; que je ne puisse ni voir, ni entendre, ni toucher, qu'il ne me reste que l'odorat; mon amour pour toi n'en serait pas moins vif, car de la distillerie de ton adorable visage sort une haleine parfumée qui excite l'amour par l'odorat.

LXXV. – «Mais quel banquet n'offrirais-tu pas au goût puisque tu nourris et alimentes les quatre autres sens? ne désireraient-ils pas que le festin fût éternel, en ordonnant au soupçon de fermer la porte à double tour, de peur que la jalousie, cet hôte sombre et mal venu, ne se glissât parmi eux pour troubler la fête?»

LXXVI. – Encore une fois s'ouvrit le portique couleur de rubis qui avait déjà donné passage aux doux accents de son discours: semblable à une aurore rougeâtre qui prédit toujours le naufrage aux marins, la tempête aux campagnes, les regrets aux pasteurs, la désolation aux oiseaux, le vent et les bourrasques aux troupeaux et aux bergers.

LXXVII. – Prudemment elle observe ce sinistre présage. De même que le vent se tait avant la pluie, que le loup entr'ouvre les dents avant de hurler, que la baie se fend avant de faire tache, ou comme la balle meurtrière d'un fusil, ce qu'il allait dire la frappe avant qu'il eût parlé.

LXXVIII. – Elle tombe par le seul effet de son regard; car les regards tuent l'amour, et l'amour ressuscite par des regards: un sourire guérit la blessure produite par des sourcils froncés. Heureuse faillite que celle qui enrichit ainsi l'amour! Le pauvre enfant, croyant qu'elle est morte, presse ses joues pâles jusqu'à leur rendre leur vermillon.

LXXIX. – Tout étonné, il renonce à sa première intention, qui était de la réprimander vertement; ce que prévint l'astucieux amour. Honneur à la ruse qui sut si bien la protéger! car elle reste étendue sur le gazon, comme si elle était morte, jusqu'à ce que le souffle d'Adonis la rappelle à la vie.

LXXX. – Il lui serre le nez, la frappe sur les joues, plie ses doigts, lui presse l'artère, réchauffe ses lèvres, et cherche mille moyens pour réparer le mal qu'ont causé ses duretés. Il lui donne un baiser: volontiers elle ne se relèverait plus pourvu qu'il l'embrasse encore.

LXXXI. – A cette nuit de chagrin succède le jour: elle entr'ouvre doucement ses deux fenêtres bleues, semblables au soleil lorsqu'à son éclatant retour il charme le matin et console l'univers. De même que le brillant soleil embellit le ciel, l'oeil de Vénus illumine son visage.

LXXXII. – Elle en tourne les rayons sur son visage sans barbe comme s'il lui empruntait tout son éclat. Jamais quatre astres aussi beaux n'auraient été réunis, si Adonis n'avait voilé les siens, en abaissant ses sourcils: mais ceux de Vénus, qui brillaient à travers le cristal de ses larmes, resplendissaient comme la lune réfléchie dans l'eau pendant la nuit.

LXXXIII. – «Où suis-je donc?? dit-elle; sur la terre ou dans le ciel? Suis-je dans l'Océan ou dans le feu? quelle heure est-il? est-ce le matin ou le soir fatigué? suis-je ravie de mourir, ou désiré-je la vie? Tout à l'heure je vivais, et ma vie était assurée contre la mort! tout à l'heure je mourais, et la mort m'était un ravissement!

LXXXIV. – «Oh! c'était toi qui me tuais! Fais-moi mourir encore: l'habile maître de tes yeux, ton coeur inflexible a su leur enseigner des regards dédaigneux et un tel mépris qu'ils ont assassiné mon pauvre coeur; et mes yeux, fidèles guides de leur reine, auraient été à jamais privés de la vue, sans la compassion de tes lèvres.

LXXXV. – «Puissent-elles se baiser longtemps, pour prix de cette cure! Oh! ne laisse jamais flétrir leur incarnat! et puisse leur fraîcheur dissiper tant qu'elles dureront les influences dangereuses de l'année! Les astrologues qui ont écrit sur la mort diront que la peste est bannie par ton souffle.

LXXXVI. – «Lèvres pures, sceaux délicieux imprimés sur mes lèvres, quel marché pourrais-je faire pour obtenir encore leur empreinte! Me vendre moi-même? ah! j'y consens, pourvu que tu veuilles m'acheter, me payer, et en bien user envers moi. Si tu fais cette acquisition, de crainte de méprises, applique bien ton sceau sur mes lèvres vermeilles.

LXXXVII. – «Avec mille baisers tu peux acheter mon coeur, et les payer à ton loisir l'un après l'autre. Que sont pour toi dix fois cent baisers? ne sont-ils pas bien vite comptés, bien vite donnés? Convenons, qu'en cas de non-payement, la dette serait double; deux mille baisers te donneraient-ils tant de peine?»

LXXXVIII. – «Belle reine, dit-il, si vous me devez quelque amour, que mes jeunes années vous expliquent mes bizarreries; ne cherchez pas à me connaître avant que je me connaisse moi-même: il n'est pas de pêcheur qui n'épargne le fretin. La prune mûre tombe, la verte tient à la branche; ou si elle est cueillie trop tôt, elle est aigre au goût.

LXXXIX. – «Voyez! le consolateur du monde achève à l'occident, d'un pas fatigué, sa brûlante carrière de la journée; le hibou, héraut de la nuit, crie qu'il est tard; les troupeaux sont rentrés dans leur bercail, les oiseaux dans leur nid, les noirs nuages qui voilent la lumière du ciel nous somment de nous séparer et de nous dire bonsoir…

XC. – «Laissez-moi donc vous dire bonne nuit, et dites-en de même; si vous y consentez, vous aurez un baiser.» «Bonne nuit,» répond Vénus. Et avant qu'il ait dit adieu, elle lui offre le doux gage du départ; ses bras se croisent autour du cou d'Adonis; elle semble s'incorporer avec lui; leurs visages se touchent.

XCI. – Enfin, hors d'haleine, il se dégage et retire la rosée céleste, cette jolie bouche de corail dont les lèvres avides de la déesse connaissaient bien le parfum délicieux; elles s'en désaltèrent, et se plaignent cependant de la sécheresse. Adonis accablé de caresses, elle épuisée par sa froideur, tous deux tombent à terre avec leurs lèvres collées ensemble.

XCII. – Maintenant ses rapides désirs ont conquis sa proie plus docile, elle se nourrit sans pouvoir se rassasier; ses lèvres sont triomphantes, celles d'Adonis obéissent et payent la rançon qu'exige un vainqueur dont la pensée, vorace comme un vautour, porte si haut ses prétentions qu'il tarit l'humide trésor des lèvres du vaincu.

XCIII. – Une fois qu'elle a goûté la douceur des dépouilles, elle commence à piller avec une aveugle fureur; son visage est en sueur, son sang bouillonne; sa passion, sans frein, lui donne un courage désespéré; elle appelle l'oubli, et repousse la raison, elle oublie la chaste rougeur de la honte et le naufrage de l'honneur.

XCIV. – Lassé, fatigué et échauffé par ses étroits embrassements, tel qu'un oiseau sauvage apprivoisé à force d'être manié, tel que l'agile chevreuil fatigué par la chasse, ou comme un enfant mutin calmé par des caresses, Adonis obéit, et ne résiste plus, pendant que Vénus lui prend non tout ce qu'elle veut, mais tout ce qu'elle peut.

XCV. – Quelle cire assez gelée pour ne pas se fondre à la chaleur, et pour ne pas céder enfin à la plus légère impression? Les objets placés au delà de l'espérance sont souvent atteints par la témérité, surtout en fait d'amour; la hardiesse dépasse la permission: l'Amour ne se décourage pas comme un lâche pâle et tremblant, mais ose davantage quand ce qu'il courtise est rebelle.

XCVI. – Oh! si elle avait renoncé, lorsque Adonis fronçait le sourcil, elle n'eût point savouré un semblable nectar sur ses lèvres: des mots durs et de sévères regards ne doivent point repousser les amants. Les roses ont bien des épines, mais on recueille néanmoins. La beauté fût-elle sous vingt verrous, l'Amour triompherait de tous les obstacles et les enfoncerait tous.

XCVII. – Par pitié, enfin, elle ne peut le retenir plus longtemps; le pauvre enfant la prie de le laisser aller; elle se décide à ne plus le retenir, lui dit adieu, et lui recommande d'avoir bien soin de son coeur, qu'il emporte captif dans sa poitrine, jure-t-elle par l'arc de Cupidon.

XCVIII. – «Aimable enfant, dit-elle, je vais passer cette nuit dans la douleur, car mon coeur blessé ordonne à mes yeux de veiller. Dis-moi, maître de l'Amour, nous verrons-nous demain? Dis-moi, nous verrons-nous, nous verrons-nous; veux-tu me le promettre?» Il lui répond, non, parce qu'il a l'intention d'aller le lendemain chasser le sanglier avec quelques-uns de ses amis.

XCIX. – «Le sanglier!» s'écrie-t-elle, et une soudaine pâleur couvre son visage, comme une gaze étendue sur une rose purpurine: elle tremble à ses paroles, elle jette ses bras autour de son cou qu'elle enchaîne, elle tombe, toujours suspendue à son cou, elle tombe sur le dos et lui sur son sein.

C. – La voilà dans la lice de l'Amour; son champion est monté pour le combat: vaine illusion; il ne veut pas dompter sa monture. Plus malheureuse que Tantale, elle tient l'Élysée et les délices lui échappent.

CI. – Telle que ces pauvres oiseaux, qui, abusés par des grappes peintes, se rassasient par les yeux et souffrent la faim, elle languit dans sa mésaventure, comme ces pauvres oiseaux qui voyaient des baies inutiles. Elle prodigue ses baisers à son amant pour chercher à allumer l'ardeur qu'elle ne trouve point en lui.

CII. – Mais tout est inutile, bonne reine, cela ne sera pas; elle a osé tout ce qui se pouvait oser: ses prières eussent mérité une plus riche récompense. Elle est l'Amour; elle aime et n'est point aimée. «Fi donc! fi donc! dit-il, vous m'étouffez; laissez-moi partir, vous n'avez aucune raison de me retenir ainsi.»

 

CIII. – «Tu serais déjà parti, cher enfant, répond-elle, si tu ne m'avais dit que tu voulais chasser le sanglier. Oh! sois prudent; tu ne sais pas ce que c'est de blesser avec le fer d'une javeline ce sauvage animal qui aiguise sans cesse des défenses qui n'ont jamais de fourrure, décidé à tuer son adversaire comme un boucher funeste.

CIV. – «Sur son dos il a une armée de piques hérissées qui sans cesse menacent ses ennemis; ses yeux, semblables à des vers luisants, étincellent quand il est irrité; son groin creuse des tombeaux partout où il passe; furieux, il frappe tout ce qu'il rencontre, et tous ceux qu'il frappe, ses cruelles défenses les tuent.

CV. – «Ses flancs robustes, armés de rudes soies, sont à l'épreuve de la pointe de ta lance; son cou épais et court est difficile à blesser; dans sa fureur, il attaquerait le lion; les broussailles et les arbustes épineux à travers lesquels il se précipite se séparent comme s'ils en avaient peur.

CVI. – «Hélas! il ferait peu de cas de ton visage, auquel les yeux de l'Amour payent un tribut de regards; de ta douce main, de tes lèvres suaves, ou de tes yeux de cristal dont la perfection étonne le monde. Mais, s'il pouvait te surprendre, le cruel, ô triste pressentiment! il détruirait tous tes charmes, comme il détruit une prairie.

CVII. – «Oh! laisse-le en paix dans sa dégoûtante tanière: la beauté n'a rien à faire avec de tels monstres; ne t'expose pas volontairement à ce danger! Ceux qui prospèrent prennent conseil de leurs amis. Quand tu as nommé le sanglier, à ne te rien cacher, j'ai tremblé pour toi, et tout mon corps a frémi.

CVIII. – «N'as-tu pas remarqué mon visage? N'ai-je point pâli? n'as-tu pas vu les indices de la crainte dans mes yeux? ne me suis-je pas évanouie? ne suis-je point tombée? Dans ce sein sur lequel tu es penché, mon coeur, troublé par de tristes pressentiments, palpite, s'agite, ne trouve point de repos; il te soulève sur ma poitrine comme un tremblement de terre.