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Roméo et Juliette

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SCÈNE V

Le jardin de Capulet.

JULIETTE.

JULIETTE.—Neuf heures sonnaient quand j'ai envoyé la nourrice: elle m'avait promis qu'elle serait de retour au bout d'une demi-heure; peut-être n'aura-t-elle pu le trouver. Non, ce n'est pas cela.—Oh! elle est boiteuse! La messagère de l'Amour devrait être la pensée, dix fois plus rapide que les rayons du soleil lorsqu'ils chassent les ombres des sombres collines. Aussi l'Amour est-il traîné par des colombes aux ailes agiles; aussi, prompt comme le vent, Cupidon porte-t-il des ailes.—Déjà le soleil arrive au point le plus élevé de sa course journalière, et depuis neuf heures jusqu'à midi il s'est écoulé trois longues heures, et cependant elle ne revient pas. Si elle avait les affections et le sang brûlant de la jeunesse, son mouvement serait aussi prompt que celui d'une balle; d'un mot je la ferais bondir vers mon tendre amant, et un mot de lui me la renverrait. Mais ces vieilles gens, il semble qu'ils soient morts; on ne saurait les remuer; ils sont d'une lenteur! lourds et pâles comme le plomb! (Entrent la nourrice et Pierre.)—O Dieu! la voilà qui revient. O ma douce nourrice! quelle nouvelle? l'as-tu vu? L'as-tu trouvé? Renvoie ton valet.

LA NOURRICE.—Pierre, restez à la porte.

JULIETTE.—Eh bien, bonne, chère nourrice?—O Dieu! pourquoi cet air triste? Eusses-tu de mauvaises nouvelles, annonce-les moi gaiement; si elles sont bonnes, c'est faire honte à la musique des douces nouvelles que de me les dire sur un air si discordant.

LA NOURRICE.—Je suis fatiguée; laissez-moi me reposer un moment. Fi donc! comme les os me font mal! Ai-je assez couru!

JULIETTE.—Je voudrais que tu eusses mes os et moi tes nouvelles..... Je t'en prie, allons, parle; bonne, bonne nourrice, parle.

LA NOURRICE.—Jésus! que vous êtes pressée! ne pouvez-vous pas attendre un instant? Ne voyez-vous pas que je suis hors d'haleine?

JULIETTE.—Comment peux-tu être hors d'haleine, puisque tu en as assez pour me dire que tu es hors d'haleine? Les raisons que tu me donnes pour me faire attendre sont plus longues que le récit que tu me refuses. Tes nouvelles sont-elles bonnes ou mauvaises? Réponds à cela oui ou non, et après j'attendrai patiemment les détails. Contente-moi; sont-elles bonnes ou mauvaises?

LA NOURRICE.—Eh bien! vous avez fait le choix d'une sotte; vous n'entendez rien à choisir un homme. Roméo! Non, ce n'est pas ça.—Quoiqu'il soit plus beau de visage que personne, malgré cela, il a la jambe mieux faite que tous les autres. Pour la main, le pied, la taille, il n'en faut pas parler; cependant ça n'a pas son pareil. Il n'est pas la fleur de la politesse!… non! mais, j'en réponds, il a la douceur d'un agneau. Va ton chemin, jeune fille, et sers Dieu.—Comment! est-ce qu'on a dîné ici?

JULIETTE.—Non, non, mais je savais déjà tout cela. Que dit-il de notre mariage? qu'en dit-il?

LA NOURRICE.—Ah Dieu! que la tête me fait mal! Quelle tête j'ai! elle me bat comme si elle allait se fendre en mille pièces; et mon dos, de l'autre côté! oh! le dos! le dos! Vous devriez vous maudire d'avoir eu le coeur de m'envoyer comme cela me tuer à courir de tous côtés.

JULIETTE.—En vérité, je suis bien fâchée de te voir souffrir. Chère, chère, chère nourrice, réponds; que dit mon amant?

LA NOURRICE.—Votre amant parle comme un honnête gentilhomme, poli, obligeant, gracieux, et, j'en réponds, plein de vertu.—Où est votre mère?

JULIETTE.—Où est ma mère? Eh bien! elle est là dedans. Où veux-tu qu'elle soit? Que tu me réponds singulièrement! Votre amant parle comme un honnête gentilhomme… Où est votre mère?

LA NOURRICE.—Oh! bonne sainte Vierge! est-ce que le feu y est? Ma foi! comme vous voudrez; si c'est là l'emplâtre que vous mettez sur mes os malades, vous pourrez dorénavant faire vos commissions vous-même.

JULIETTE.—Est-ce donc la peine de se fâcher ainsi? Allons! que dit Roméo?

LA NOURRICE.—Avez-vous obtenu la permission d'aller à confesse aujourd'hui?

JULIETTE.—Oui.

LA NOURRICE.—Eh bien! dépêchez-vous de vous rendre à la cellule du père Laurence; il y a là un mari qui va vous rendre femme. A présent, voilà le sang léger qui vous monte aux joues: elles deviennent écarlates à la moindre nouvelle. Dépêchez-vous d'aller à l'église; moi, il faut que j'aille d'un autre côté chercher une échelle au moyen de laquelle votre amant grimpera aussitôt qu'il fera nuit, pour vous dénicher un oiseau. J'ai toute la peine, et je travaille pour votre plaisir; mais bientôt, ce soir, vous aurez votre part du fardeau. Allez, je vais dîner; dépêchez-vous de vous rendre à la cellule.

JULIETTE.—De voler au plus beau sort.—Excellente nourrice, adieu.

(Elles sortent.)

SCÈNE VI

La cellule du frère Laurence.

Entrent FRÈRE LAURENCE et ROMÉO.

FRÈRE LAURENCE.—Veuille le ciel, souriant à notre cérémonie sainte, ne pas envoyer le chagrin nous la reprocher dans les heures à venir!

ROMÉO.—Amen, amen. Mais viennent les chagrins qui pourront, ils ne suffiront pas à payer le bonheur que me donne un seul et court instant de sa vue. Unissez seulement nos mains au son des paroles sacrées, et qu'ensuite la mort, qui dévore l'amour, fasse tout ce qu'elle peut oser; c'en est assez pour moi d'avoir pu la nommer mienne.

FRÈRE LAURENCE.—Ces violents transports ont une fin violente au milieu de leur triomphe, comme la poudre et le feu, que le même instant voit s'unir et s'épuiser. Le miel le plus doux rassasie par sa délicieuse saveur, et dans les plaisirs du goût s'éteint l'appétit. Aimez donc avec modération; ainsi font les longues amours: qui va trop vite arrive aussi tard que qui va trop lentement. (Entre Juliette.)—Voici la dame. Oh! un pied si léger n'usera jamais ces pierres inaltérables. Un amant monterait à cheval sur ces fils qui l'été flottent dans le vague de l'air, qu'il ne tomberait point à terre, tant sont légères les vanités de ce monde.

JULIETTE.—Je souhaite le bonjour à mon vénérable confesseur.

FRÈRE LAURENCE.—Roméo, ma fille, te remerciera pour nous deux.

JULIETTE.—Je lui en souhaite autant à lui-même, sans quoi ses remerciements seraient un prix trop élevé.

ROMÉO.—Ah! Juliette, si la mesure de ta joie est comblée comme la mienne, et que tu aies plus de talent pour la peindre, parfume de ton haleine l'air qui nous environne, et que la brillante harmonie de ta voix déploie les images du bonheur que nous recevons l'un de l'autre en une si chère entrevue.

JULIETTE.—Il est des pensées qui sont plus riches de fond que de paroles, et qui se sentent de leur trésor et non de leur parure. Ils sont dans la misère ceux qui peuvent calculer ce qu'ils possèdent. Mais tel est l'excès de fortune où s'est élevé mon sincère amour, que je ne saurais compter seulement jusqu'à moitié la valeur de mes richesses.

FRÈRE LAURENCE.—Allons, allons, venez avec moi, et nous aurons bientôt fait; car, avec votre permission, vous ne resterez pas seuls jusqu'à ce que la sainte Église ait fait de vous deux une seule chair.

(Ils sortent.)

FIN DU DEUXIÈME ACTE

ACTE TROISIÈME

SCÈNE I

Un lieu public.

Entrent BENVOLIO, MERCUTIO, UN PAGE et des VALETS.

BENVOLIO.—Je t'en prie, cher Mercutio, retirons-nous. Le jour est brûlant, les Capulet sont dehors, si nous venons à les rencontrer, jamais nous n'éviterons une querelle, car dans ces chaleurs où nous sommes le sang bouillonne avec furie50.

MERCUTIO.—Tu ressembles à ces hommes qui, en entrant dans une taverne, vous campent leur épée sur la table en disant: «Dieu me fasse la grâce de n'avoir pas besoin de toi,» et qui n'ont pas plutôt senti l'effet du second verre de vin qu'ils la tirent contre le cabaretier, lorsqu'il n'y en a réellement aucun besoin.

BENVOLIO.—Moi! je ressemble à ces gens-là?

MERCUTIO.—Allons, allons, tu es dans ton espèce un gaillard aussi bouillant que personne en Italie, aussi prompt à t'emporter et aussi emporté dans ta promptitude.

BENVOLIO.—Et à quoi revient ceci?

MERCUTIO.—C'est que, s'il y en avait deux comme toi, bientôt nous ne les aurions plus, car ils se tueraient l'un l'autre. Toi, tu te prendrais de querelle avec un homme pour un poil de plus ou de moins à la barbe; tu te prendrais de querelle avec un homme parce qu'il casserait des noisettes, sans autre raison, si ce n'est que tu as les yeux couleur de noisette. Quel autre oeil qu'un oeil ainsi fait pourrait découvrir un pareil sujet de querelle? Ta tête est pleine de querelles, comme l'oeuf est plein de nourriture; cependant elle a été rendue, à force de querelles et de coups, aussi vide qu'un oeuf éclos. N'as-tu pas cherché dispute à un homme sur ce qu'il toussait dans la rue, parce que cela éveillait ton chien qui dormait au soleil; à un tailleur, parce qu'il portait son habit neuf avant les fêtes de Pâques; à un autre encore, parce qu'un vieux ruban nouait ses souliers neufs? Et tu veux me faire la leçon pour m'empêcher de quereller?

BENVOLIO.—Si j'étais aussi querelleur que toi, le premier que je rencontrerais pourrait acheter le revenu de toute ma vie pour le prix d'une heure et quart.

 

MERCUTIO.—De toute ta vie, imbécile51!

(Entrent Tybalt et plusieurs autres.)

BENVOLIO.—Par mon chef, voici venir les Capulet.

MERCUTIO.—Par mon talon, je m'en moque.

TYBALT.—Tenez-vous près de moi, je veux leur parler.—Cavaliers, bonsoir; un mot avec un de vous.

MERCUTIO.—Rien qu'un seul mot avec un de nous? Accouplez quelque chose avec, que cela fasse un mot et un coup.

TYBALT.—Vous m'y trouverez assez disposé, mon gentilhomme, pour peu que vous m'en donniez l'occasion.

MERCUTIO.—Ne pouvez-vous prendre l'occasion sans qu'on vous la donne?

TYBALT.—Mercutio, tu es de concert avec Roméo.

MERCUTIO.—De concert? Comment! nous prend-il pour des ménétriers, c'est que si nous étions des ménétriers, faites attention que vous ne nous trouveriez pas d'accord avec vous. Voilà mon archet, voilà qui vous fera danser. Corbleu, de concert!

BENVOLIO.—Nous parlons ici dans un lieu fréquenté de tout le monde: ou retirons-nous en quelque lieu écarté, ou raisonnez tranquillement sur vos griefs, ou bien allons-nous-en; tous les yeux se fixent sur nous.

MERCUTIO.—Les hommes ont des yeux pour regarder. Qu'ils nous regardent, si cela leur plaît; pour moi, je ne bouge pas d'ici pour faire plaisir à qui que ce soit.

(Entre Roméo.)

TYBALT.—Eh bien! la paix soit avec vous, cavalier. J'aperçois mon homme.

MERCUTIO.—Que je sois pendu pourtant, mon gentilhomme, s'il porte votre livrée. Par ma foi, vous pouvez marcher devant sur le pré, il vous y suivra; et dans ce sens votre seigneurie peut dire qu'elle a trouvé son homme.

TYBALT.—Roméo, la haine que je te porte ne me permet pas un mot plus doux: tu es un traître.

ROMÉO.—Tybalt, les raisons que j'ai de t'aimer me font pardonner à la fureur qu'annonce un pareil salut. Je ne suis point un traître: ainsi donc, adieu, je vois que tu ne me connais pas.

TYBALT.—Jeune homme, cela ne répare point les outrages que tu m'as faits: ainsi reviens et mets l'épée à la main.

ROMÉO.—Je proteste que je ne t'ai jamais offensé, et que je t'aime plus que tu ne saurais le penser jusqu'à ce que tu connaisses les motifs de mon affection. Ainsi, brave Capulet, dont le nom m'est aussi cher que le mien, accepte cette satisfaction.

MERCUTIO.—Oh! lâche sang-froid! déshonorante soumission!—A la stoccata, pour effacer cela. Tybalt, le preneur de rats, voulez-vous faire un tour avec moi?

TYBALT.—Que veux-tu de moi?

MERCUTIO.—Bon roi des chats, rien du tout qu'une de vos neuf vies, afin d'en faire ce qu'il me plaira; et ensuite, selon que vous en userez à mon égard, je pourrai bien battre à plat les huit autres. Veuillez donc prendre votre épée par les oreilles pour la faire sortir de son étui, et dépêchez-vous; ou bien, avant qu'elle soit dehors, la mienne sera sur vos oreilles.

TYBALT, tirant l'épée.—Je suis à vous.

ROMÉO.—Cher Mercutio, remets ton épée.

MERCUTIO.—Allons, mon gentilhomme, votre passade.

(Il se battent.)

ROMÉO.—Tire ton épée, Benvolio, désarmons-les.—Gentilshommes, c'est une honte: ne tombez pas dans une pareille désobéissance.—Tybalt, Mercutio, le prince a expressément défendu toute querelle dans les rues de Vérone.—Tybalt, arrêtez.—Cher Mercutio.....

(Sortent Tybalt et ses partisans.)

MERCUTIO.—Je suis blessé! Malédiction sur les deux maisons! me voilà expédié!—Est-ce qu'il est parti, et sans rien avoir?

BENVOLIO.—Quoi, tu es blessé?

MERCUTIO.—Oui, oui, une égratignure: par ma foi, c'est assez. Où est mon page?—Drôle, va chercher un chirurgien.

(Le page sort.)

ROMÉO.—Prends ton courage, ami, ta blessure ne peut être grave.

MERCUTIO.—Non, elle n'est pas aussi profonde qu'un puits, ni aussi large que la porte d'une église; mais c'en est assez, elle suffira. Venez me voir demain matin, et vous me trouverez tombé52 dans le sérieux. Je suis poivré, j'en réponds, du moins pour ce monde-ci. Malédiction sur vos deux maisons! Corbleu! un chien, un rat, une souris, un chat, égratigner un homme à mort! un bravache, un faquin, un traître, qui ne combat que par règles d'arithmétique! pourquoi diable êtes-vous venu vous jeter entre nous deux? J'ai reçu le coup par-dessous votre bras.

ROMÉO.—Je faisais pour le mieux.

MERCUTIO.—Aidez-moi, Benvolio, à entrer dans quelque maison voisine, ou bien je vais m'évanouir. Malédiction sur vos deux maisons! elles ont fait de moi une pâture à vers. Oh! j'ai la botte et bien à fond. Ah! vos deux maisons!

(Mercutio et Benvolio sortent.)

ROMÉO.—C'est pour moi que ce gentilhomme, le proche parent du prince, mon intime ami, a reçu cette blessure mortelle: ma réputation est entachée par l'affront que m'a fait Tybalt; Tybalt, mon parent depuis une heure! O chère Juliette! ta beauté a fait de moi un homme efféminé, elle a amolli la trempe vigoureuse de mon courage.

(Entre Benvolio.)

BENVOLIO.—O Roméo, Roméo! le brave Mercutio est mort: cette âme généreuse, dédaignant trop tôt la terre, s'est élevée vers les nuages.

ROMÉO.—Les noires destinées de ce jour vont s'étendre sur des jours nombreux: celui-ci commence seulement les malheurs, d'autres les finiront.

(Rentre Tybalt.)

BENVOLIO.—Voici le furieux Tybalt qui revient.

ROMÉO.—Vivant, triomphant, et Mercutio est tué! Retourne dans les cieux, prudente douceur, et toi, fureur à l'oeil enflammé, sois maintenant mon guide.—A présent, Tybalt, reprends pour toi ce nom de traître que tu me donnais tout à l'heure: l'âme de Mercutio, arrêtée à peu de distance au-dessus de nos têtes, attend que la tienne vienne lui tenir compagnie. Il faut que toi ou moi, ou tous les deux, nous allions le rejoindre.

TYBALT.—C'est toi, qui étais ici-bas de son parti, misérable enfant, qui dois l'aller trouver.

ROMÉO.—Voici qui en décidera.

(Ils se battent. Tybalt tombe.)

BENVOLIO.—Fuis, Roméo; va-t'en: les citoyens sont en alarme, et Tybalt est tué. Ne reste point ainsi dans la stupeur. Le prince va te condamner à mort si tu es pris. Fuis, sauve-toi, va-t'en.

ROMÉO.—Oh! je suis le jouet de la fortune53.

BENVOLIO.—Pourquoi es-tu encore ici?

(Roméo sort.)

(Entrent des citoyens, etc.)

UN CITOYEN.—Par quelle rue s'est-il enfui, celui qui a tué Mercutio? Tybalt, cet assassin, par où s'est-il sauvé?

BENVOLIO.—Le voilà étendu là, ce Tybalt.

LE CITOYEN.—Levez-vous, seigneur, suivez-moi, je vous somme au nom du prince; obéissez.

(Entrent le prince et sa suite, Montaigu, Capulet, leurs femmes et autres personnages.)

LE PRINCE.—Où sont les vils auteurs de ce tumulte?

BENVOLIO.—Noble prince, je puis raconter toutes les malheureuses circonstances de cette fatale querelle. Voilà celui que le jeune Roméo a tué, et qui avait tué ton parent le brave Mercutio.

LA SIGNORA CAPULET.—Tybalt! mon neveu! ô fils de mon frère! Cruelle vue! hélas! le sang de mon cher neveu tout répandu!—Prince, si tu es juste, pour notre sang, le sang des Montaigu doit être versé.—Mon neveu, mon neveu!

LE PRINCE.—Benvolio, qui a commencé cette rixe sanglante?

BENVOLIO.—Tybalt, que vous voyez ici tué de la main de Roméo. Roméo lui a parlé raisonnablement; il l'a prié de considérer combien la querelle était légère; il lui a représenté en outre quel serait votre courroux. Tout cela dit d'un ton plein de douceur, d'un regard tranquille, et même dans l'humble attitude d'un suppliant, n'a pu faire trêve à la violence désordonnée de Tybalt, qui, sourd aux paroles de paix, tourne la pointe de son épée contre le sein du brave Mercutio: celui-ci, tout aussi bouillant que lui, engage le fer homicide contre le fer, et, avec un dédain martial, d'une main écarte la froide mort, et de l'autre la renvoie à Tybalt, qui par son adresse la repousse vers lui. Roméo crie de toutes ses forces: «Arrêtez, amis; séparez-vous;» et d'un bras plus prompt que sa parole, il abaisse leurs pointes meurtrières et se précipite entre eux deux: mais un coup cruel de Tybalt se fait jour par-dessous le bras de Roméo, et atteint aux sources de la vie l'intrépide Mercutio. Alors Tybalt se sauve; mais quelques moments après il revient vers Roméo, chez qui venait de naître le désir de la vengeance: tous deux y courent comme la foudre; car avant que j'eusse eu le temps de tirer mon épée pour les séparer, le courageux Tybalt était tué. Roméo l'ayant vu tomber a pris la fuite. Voilà la vérité, ou Benvolio consent à mourir.

LA SIGNORA CAPULET.—Il est parent des Montaigu; l'affection le rend imposteur: il ne dit pas la vérité. Près de vingt d'entre eux ont combattu dans cette odieuse rencontre, et les vingt ensemble n'ont pu tuer qu'un seul homme. Je demande justice; et toi, prince, tu nous la dois: Roméo a tué Tybalt; Roméo ne doit plus vivre.

LE PRINCE.—Roméo a tué Tybalt, mais Tybalt a tué Mercutio: qui de vous payera le prix d'un sang si cher?

LA SIGNORA MONTAIGU.—Ce n'est pas Roméo, prince; il était l'ami de Mercutio: sa faute a seulement terminé la vie de Tybalt, comme l'aurait fait la loi.

LE PRINCE.—Et pour cette offense, nous l'exilons sur l'heure. Je suis intéressé dans l'effet de vos haines: mon sang coule ici pour vos querelles féroces; mais je saurai vous imposer une si forte amende que je vous ferai tous repentir de mes pertes. Je serai sourd à toute défense et à toute excuse; ni larmes ni prières ne pourront racheter de pareils délits: ne songez donc point à en faire usage. Que Roméo quitte ces lieux en toute hâte, ou l'heure qui l'y verra surprendre sera la dernière de sa vie. (A sa suite.)—Emportez ce corps, et attendez mes ordres: la clémence devient meurtrière quand elle pardonne à l'homicide.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

Un appartement dans la maison de Capulet.

Entre JULIETTE.

JULIETTE.—Qu'un galop rapide, coursiers aux pieds brûlants, vous emporte vers le palais du Soleil: de son fouet, un conducteur tel que Phaéton vous aurait précipités vers le couchant et aurait ramené la sombre Nuit. Étends ton épais rideau. Nuit qui couronne l'amour; ferme les yeux errants, et que Roméo puisse voler dans mes bras sans qu'on le dise et sans qu'on le voie. La lumière de leurs mutuelles beautés suffit aux amants pour accomplir leurs amoureux mystères; ou si l'Amour est aveugle, il ne s'en accorde que mieux avec la Nuit. Viens, Nuit obligeante, matrone aux vêtements modestes, tout en noir, apprends-moi à perdre au jeu de qui perd gagne, où l'enjeu est deux virginités sans tache; couvre de ton obscur manteau mes joues où se révolte mon sang effarouché, jusqu'à ce que mon craintif amour, devenu plus hardi dans l'épreuve d'un amour fidèle, n'y voie plus qu'un chaste devoir.—Viens, ô Nuit; viens, Roméo; viens, toi qui es le jour au milieu de la nuit; car sur les ailes de la nuit tu arriveras plus éclatant que n'est sur les plumes du corbeau la neige nouvellement tombée. Viens, douce nuit; viens, nuit amoureuse, le front couvert de ténèbres: donne-moi mon Roméo; et quand il aura cessé de vivre, reprends-le, et, partage-le en petites étoiles, il rendra la face des cieux si belle, que le monde deviendra amoureux de la nuit et renoncera au culte du soleil indiscret. Oh! j'ai acheté une demeure d'amour, mais je n'en suis pas encore en possession, et celui qui m'a acquise n'est pas encore en jouissance. Ce jour est aussi ennuyeux que la veille d'une fête pour l'enfant qui a une robe neuve et qui ne peut encore la mettre.—Oh! voilà ma nourrice. (Entre la nourrice avec une échelle de cordes.) Elle m'apporte des nouvelles, et la bouche qui prononce seulement le nom de Roméo devient l'organe d'une éloquence céleste.—Eh bien! nourrice, quelles nouvelles? Qu'as-tu là? l'échelle que Roméo t'a dit d'apporter?

 

LA NOURRICE.—Oui, oui, l'échelle.

(Elle la jette à terre.)

JULIETTE.—Ah ciel! quelles nouvelles? Pourquoi tordre ainsi tes mains?

LA NOURRICE.—O jour de malheur! il est mort, il est mort, il est mort! Nous sommes perdues, madame, nous sommes perdues. O malheureux jour! il n'est plus, il est tué, il est mort!

JULIETTE.—Le ciel a-t-il pu être si cruel?

LA NOURRICE.—Ce n'est pas le ciel, non; c'est Roméo. O Roméo! ô Roméo! qui l'aurait jamais pensé? Roméo!....

JULIETTE.—Quel démon es-tu, pour me tourmenter ainsi? L'horrible enfer devrait seul retentir des hurlements d'un pareil supplice. Roméo s'est-il tué lui-même? Dis seulement oui, et ce simple monosyllabe oui renfermera plus de poison que l'oeil empoisonné du basilic. L'existence de ce oui54 terminera la mienne; ou ferme ces yeux qui me répondent oui, ou s'il est mort dis oui, et s'il ne l'est pas dis non: qu'un mot bien court décide de mon bonheur ou de mon malheur.

LA NOURRICE.—J'ai vu la blessure, je l'ai vue de mes yeux, Dieu me pardonne! là, sur sa mâle poitrine. Un pauvre cadavre, un pauvre cadavre tout sanglant, pâle, pâle comme les cendres, tout souillé de sang, d'un sang tout noir. A cette vue je me suis évanouie.

JULIETTE.—Oh! manque, mon coeur! Pauvre banqueroutier, manque pour toujours55; emprisonnez-vous, mes yeux; ne jetez plus un seul regard sur la liberté. Terre vile, rends-toi à la terre; que tout mouvement s'arrête, et qu'une même bière presse de son poids et Roméo et toi.

LA NOURRICE.—O Tybalt, Tybalt! le meilleur ami que j'eusse! O aimable Tybalt, honnête cavalier, faut-il que j'aie vécu pour te voir mort!

JULIETTE.—Quelle est donc cette tempête qui souffle ainsi dans les deux sens contraires? Roméo est-il tué, et Tybalt est-il mort? Mon cousin chéri et mon époux plus cher encore? Que la terrible trompette sonne donc le jugement universel. Qui donc est encore en vie, si ces deux-là sont morts?

LA NOURRICE.—Tybalt est mort, et Roméo est banni: Roméo, qui l'a tué, est banni.

JULIETTE.—O Dieu! la main de Roméo a-t-elle versé le sang de Tybalt?

LA NOURRICE.—Il l'a fait, il l'a fait! O jour de malheur! il l'a fait!

JULIETTE.—O coeur de serpent caché sous un visage semblable à une fleur! jamais dragon a-t-il choisi un si charmant repaire? Beau tyran, angélique démon, corbeau couvert des plumes d'une colombe, agneau transporté de la rage du loup, méprisable substance de la plus divine apparence, toi, justement le contraire de ce que tu paraissais à juste titre, damnable saint, traître plein d'honneur! O nature, qu'allais-tu donc chercher en enfer, lorsque de ce corps charmant, paradis sur la terre, tu fis le berceau de l'âme d'un démon? Jamais livre contenant une aussi infâme histoire porta-t-il une si belle couverture? et se peut-il que la trahison habite un si brillant palais?

LA NOURRICE.—Il n'y a plus ni sincérité, ni foi, ni honneur dans les hommes; tous sont parjures, corrompus, hypocrites. Ah! où est mon valet? Donnez-moi un peu d'aqua vitæ..... Tous ces chagrins, tous ces maux, toutes ces peines me vieillissent. Honte soit à Roméo!

JULIETTE.—Maudite soit ta langue pour un pareil souhait! Il n'est pas né pour la honte: la honte rougirait de s'asseoir sur son front; c'est un trône où on peut couronner l'honneur, unique souverain de la terre entière. Oh! quelle brutalité me l'a fait maltraiter ainsi?

LA NOURRICE.—Quoi! vous direz du bien de celui qui a tué votre cousin?

JULIETTE.—Eh! dirai-je du mal de celui qui est mon mari? Ah! mon pauvre époux, quelle langue soignera ton nom, lorsque moi, ta femme depuis trois heures, je l'ai ainsi déchiré? Mais pourquoi, traître, as-tu tué mon cousin? Ah! ce traître de cousin a voulu tuer mon époux.—Rentrez, larmes insensées, rentrez dans votre source; c'est au malheur qu'appartient ce tribut que par méprise vous offrez à la joie. Mon époux vit, lui que Tybalt aurait voulu tuer; et Tybalt est mort, lui qui aurait voulu tuer mon époux. Tout ceci est consolant, pourquoi donc pleuré-je? Ah! c'est qu'il y a là un mot, plus fatal que la mort de Tybalt, qui m'a assassinée.—Je voudrais bien l'oublier; mais, ô ciel! il pèse sur ma mémoire comme une offense digne de la damnation sur l'âme du pécheur. Tybalt est mort, et Roméo est..... banni! Ce banni, ce seul mot banni, a tué pour moi dix mille Tybalt. La mort de Tybalt était un assez grand malheur, tout eût-il fini là; ou si les cruelles douleurs se plaisent à marcher ensemble, et qu'il faille nécessairement que d'autres peines les accompagnent, pourquoi, après m'avoir dit: «Tybalt est mort,» n'a-t-elle pas continué: «ton père aussi, ou ta mère, ou tous les deux?» cela eût excité en moi les douleurs ordinaires56. Mais par cette arrière-garde qui a suivi la mort de Tybalt, Roméo est banni; par ce seul mot, père, mère, Tybalt, Roméo, Juliette, tous sont assassinés, tous morts. Roméo banni! Il n'y a ni fin, ni terme, ni borne, ni mesure dans la mort qu'apporte avec lui ce mot, aucune parole ne peut sonder ce malheur.—Mon père, ma mère, où sont-ils, nourrice?

LA NOURRICE.—Pleurants et gémissants sur le corps de Tybalt. Voulez-vous aller les trouver? Je vais vous y conduire.

JULIETTE.—Ils lavent donc ses blessures de leurs larmes! Quand elles se sécheront, les miennes seront finies par le bannissement de Roméo.—Remporte ces cordes.—Pauvre échelle, te voilà trompée comme moi, car Roméo est exilé. Il t'avait faite pour lui servir de route vers mon lit; et moi, fille encore, je meurs fille et veuve.—Viens, échelle; viens, nourrice; je vais à mon lit nuptial: c'est à la mort, et non à Roméo qu'appartient ma virginité.

LA NOURRICE.—Hâtez-vous de vous rendre à votre chambre: je trouverai Roméo pour vous consoler; je sais bien où il est. Écoutez-moi, votre Roméo sera ici ce soir; je vais le trouver; il est caché dans la cellule du frère Laurence.

JULIETTE.—Oh! trouve-le. Donne cet anneau à mon fidèle chevalier, et dis-lui de venir recevoir mon dernier adieu.

(Elles sortent.)

50In the warm time the people for the most part be more unruly. P. Smith, Commonwealth of England.
51The fee simple of my life! BENV. The fee simple; oh! simple, MERCUT. Ce jeu de mots de Mercutio a été impossible à rendre.
52A grave man, un homme grave et un homme bon pour le tombeau.
53I am fortune's fool.
54Juliette joue sur le mot I, qui signifiait alors également moi et oui, I pour yes.
55O break my heart, poor bankrupt, break at once; break signifie se briser et faire banqueroute.
56Modern lamentation (douleurs d'usage).