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Peines d'amour perdues

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BOYET. – Cette brave lice a été vigoureusement courue jusqu'au bout.

BIRON. – Voyez, il joute encore: en voilà assez; moi, j'ai fini. (Entre Costard.) Te voilà venu fort à propos, «tout esprit;» tu viens terminer une belle dispute.

COSTARD. – «O mon Dieu, monsieur,» ils voudraient savoir si les trois héros 75 viendront ou non.

BIRON. – Comment, est-ce qu'ils ne sont que trois?

COSTARD. – Non, monsieur; mais cela est fort beau, car chacun en représente trois.

BIRON. – Et trois fois trois font neuf.

COSTARD. – Non pas, monsieur; sous votre bon plaisir, monsieur, j'espère qu'il n'en est pas ainsi: vous ne pouvez pas demander notre interdictions76, monsieur; je vous le proteste, monsieur, nous savons ce que nous savons. – J'espère que trois fois trois, monsieur?

BIRON. – Ne font pas neuf?

COSTARD. – Sous votre bon plaisir, monsieur, nous savons à combien cela se monte.

BIRON. – Par Jupiter, j'ai toujours pris trois fois trois pour neuf.

COSTARD. – «O mon Dieu, monsieur,» vous seriez bien malheureux, si vous étiez obligé de gagner votre vie à compter, monsieur.

BIRON. – Combien donc cela fait-il?

COSTARD. – «O mon Dieu, monsieur,» les parties elles-mêmes, les acteurs, monsieur, vous l'apprendront, combien cela fait. Quant à moi, je ne suis, comme on dit, que pour faire un homme dans un pauvre homme, Pompion le Grand, monsieur.

BIRON. – Es-tu un des neuf héros?

COSTARD. – Il leur a plu de me croire digne d'être Pompion le Grand: quant à moi, je ne connais pas le rang ni le caractère de ce champion; mais je dois le représenter.

BIRON. – Va, dis-leur de se préparer.

COSTARD. – Nous donnerons à cela une jolie tournure, monsieur; nous y donnerons quelque attention.

LE ROI. – Biron, ils nous feront affront; qu'ils n'approchent pas.

(Costard sort.)

BIRON. – Nous sommes à l'épreuve de la honte, mon prince; et il y a une certaine politique à avoir un spectacle plus mauvais que celui qu'ont donné le roi et ses courtisans.

LE ROI. – Qu'ils s'abstiennent de venir.

LA PRINCESSE. – Allons, mon noble prince, laissez-vous gouverner par moi à présent. Souvent le spectacle plaît d'autant plus que les acteurs savent moins les moyens de plaire. Lorsque le zèle s'évertue pour contenter les spectateurs, et que la pièce expire au milieu des efforts de ceux qui la représentent, alors la ridicule confusion des caractères donne plus de gaieté, c'est ainsi qu'on voit de grands projets, conduits avec beaucoup de peine, avorter dès leur naissance.

BIRON. – Une juste description de notre mascarade, seigneur!

(Entre Armado.)

ARMADO. – Oint du Seigneur, j'implore de votre auguste souffle autant de temps qu'il m'en faut pour proférer une couple de mots.

(Il converse en particulier avec le roi et lui remet un papier.)

LA PRINCESSE. – Cet homme sert-il Dieu?

BIRON. – Pourquoi me faites-vous cette question, madame?

LA PRINCESSE. – C'est qu'il ne parle pas comme les hommes que Dieu a créés.

ARMADO, haut. – Cela est égal, mon beau, mon gracieux, mon doux monarque; car je proteste que le maître d'école est excessivement original, trop, trop vain; trop, trop vain; mais nous risquerons la chose, comme on dit: alla fortuna della guerra. Je vous souhaite la paix de l'âme, mon royal couple.

(Il sort.)

LE ROI. – Il y a à parier que nous aurons une belle représentation de héros. Lui, il représente Hector de Troie; le paysan, Pompée le Grand; le curé de la paroisse, Alexandre; le page d'Armado, Hercule; le pédant, Judas Machabée; et si ces quatre héros réussissent d'abord dans leur premier rôle, les quatre changeront de costume et représenteront les cinq autres.

BIRON. – Il y en a cinq dans la première pièce.

LE ROI. – Non, vous vous trompez.

BIRON. – Le pédant, le fanfaron, le prêtre de campagne, le fou et le page… Une vraie partie de neuf77, et le monde entier n'en fournirait pas cinq pareils, à les prendre chacun dans leur caractère.

LE ROI. – Le vaisseau est à la voile, et le voilà qui cingle en pleine mer.

(On apporte des sièges.)
(Entre Costard représentant Pompée.)

COSTARD. – Moi, je suis Pompée.

BOYET. – Vous mentez, vous n'êtes pas Pompée.

COSTARD. – Je suis Pompée…

BOYET. – Avec la tête d'un léopard sur le genou.

BIRON. – Bien dit, vieux railleur; il faut que je me réconcilie avec toi.

COSTARD. – Je suis Pompée, Pompée surnommé le gros.

DUMAINE, le reprenant. – Le grand.

COSTARD. – Oui, c'est le grand, monsieur: Pompée surnommé le grand, qui, souvent dans le champ de bataille, avec mon bouclier et mon épée, ai fait suer mon ennemi. Voyageant le long de cette côte, je suis venu ici par hasard, et je dépose mes armes aux pieds de cette belle damoiselle de France. (A la princesse.) Si Votre Altesse voulait dire: Pompée, je vous rends grâces, j'aurais fini.

LA PRINCESSE. – Grand merci, grand Pompée.

COSTARD. – Je n'en méritais pas tant, mais je me flatte que j'ai été parfait; je n'ai fait qu'une petite faute dans le mot grand.

BIRON. – Mon chapeau contre un sou que Pompée est le meilleur des neuf héros.

(Entre Nathaniel représentant Alexandre.)

NATHANIEL. – Lorsque je vivais dans le monde, j'étais le monarque du monde; j'étendis ma puissance et mes conquêtes à l'orient, à l'occident, au nord et au midi; mon écusson annonce clairement que je suis Alisandre.

BOYET. – Votre nez dit que non, que vous ne l'êtes pas; car il est trop droit.

BIRON, à Boyet. – Votre nez sent à merveille que non, mon chevalier au flair délicat.

LA PRINCESSE. – Le conquérant est tout en désarroi; continuez, bon Alexandre.

NATHANIEL. – Lorsque je vivais dans le monde, j'étais le maître du monde.

BOYET. – Rien de plus vrai; cela est juste, vous l'étiez, Alisandre.

BIRON. – Pompée le Grand!

COSTARD. – Votre serviteur, et Costard.

BIRON. – Enlève le conquérant, enlève Alisandre!

COSTARD. – Oh! monsieur, vous avez mis en déroute Alisandre le conquérant. (A Nathaniel.) Tu seras pour cela dépouillé de ton habit de représentation; et ton lion, qui tient sa hache d'armes, assis sur une chaise de garde-robe, sera donné à un Ajax, et ce sera lui qui sera le neuvième héros. Un conquérant qui tremble de parler! Fuis de honte, Alisandre. (Nathaniel sort.) S'il vous plaît, c'est un bon homme imbécile, un honnête homme, voyez-vous, et bientôt mis en déroute! C'est un excellent voisin, en vérité, et un fort bon joueur de boule… Mais, pour Alisandre, hélas! vous voyez ce que c'est, il s'est un peu trompé dans son rôle. Mais voilà des héros qui expliqueront leur pensée un peu mieux.

BIRON. – Rangez-vous de ce côté, bon Pompée.

(Entrent Holoferne représentant Judas Machabée, et Moth représentant Hercule.)

HOLOFERNE, montrant le page Moth.

 
Le grand Hercule est représenté par ce marmot,
Lui dont la massue a tué Cerbère, ce Canus78 à triple tête;
Et lorsqu'il n'était encore qu'un nain, qu'un petit enfant au berceau,
Il vous étranglait ainsi les serpents dans ses manus
Quoniam, il semble être ici dans la minorité.
Ergo, je viens avec cette apologie. -
 
(A Moth.)
 
Conserve quelque majesté dans ton exit, et disparais.
 
(Moth sort.)

HOLOFERNE continuant. – Je suis Judas…

DUMAINE. – Un Judas!

HOLOFERNE. – Non pas l'Iscariote, monsieur. – Je suis Judas, nommé Macchabæus.

DUMAINE. – Un Judas Machabée tondu79 est un vrai Judas nu.

BIRON. – Un traître qui donne des baisers! Comment es-tu devenu Judas?

HOLOFERNE. – Je suis Judas.

DUMAINE. – A ta plus grande honte, Judas.

HOLOFERNE. – Que prétendez-vous, monsieur?

 

DUMAINE. – Faire que Judas se pende lui-même.

HOLOFERNE. – Commencez, monsieur; vous êtes mon aîné.

BIRON. – Bien répondu: Judas fut pendu à un sureau.

HOLOFERNE. – Je ne me laisserai pas déconcerter.

BIRON. – Parce que tu es dévisagé80.

HOLOFERNE. – Qu'est-ce que c'est que cela?

BOYET. – Une tête de cistre.

DUMAINE. – La tête d'une épingle à cheveux.

BIRON. – Une tête de mort dans une bague.

LONGUEVILLE. – La face d'une vieille médaille romaine, à demi effacée.

BOYET. – Le pommeau du sabre de César.

DUMAINE. – La tête sculptée en os d'une cartouche de soldat.

BIRON. – Une demi-joue de saint George dans une boucle.

DUMAINE. – Oui, dans une boucle de plomb.

BIRON. – Oui, et que porte à son chapeau un arracheur de dents. Et à présent, poursuis; car nous t'avons mis en bonne contenance.

HOLOFERNE. – Vous m'avez mis hors de contenance.

BIRON. – Tu mens; nous t'avons donné des physionomies.

HOLOFERNE. – Mais vous les avez toutes dévisagées.

BIRON. – C'est ce que nous te ferions si tu étais un lion.

BOYET. – Mais comme c'est un âne, qu'il s'en aille: et là-dessus, adieu, cher Jude; pourquoi restes-tu?

DUMAINE. – Pour la fin de son nom.

BIRON. – Pour l'âne ajouté au Jude: donnez-la-lui. – Jud-as81, va-t'en.

HOLOFERNE. – Cela n'est pas généreux, ni poli, ni honnête.

BOYET. – Une lumière pour monsieur Judas, il fait nuit; il pourrait se jeter par terre.

LA PRINCESSE. – Hélas! le pauvre Machabée, comme il a mordu à l'hameçon!

(Entre Armado, représentant Hector.)

BIRON. – Cache ta tête, Achille; voici Hector qui s'avance en armes.

DUMAINE. – Quand mes railleries devraient retomber sur moi, je veux m'égayer en ce moment.

LE ROI. – Hector n'était qu'un Troyen82 en comparaison de celui-ci.

BOYET. – Mais est-ce bien Hector?

DUMAINE. – Je pense qu'Hector n'était pas si bien fait.

LONGUEVILLE. – Sa jambe est trop grosse pour Hector.

DUMAINE. – Sûrement, il est plus gras.

BOYET. – Non, il est habillé au mieux en petit.

BIRON. – Ce ne peut être là Hector.

DUMAINE. – C'est un dieu ou un peintre, car il fait des mines.

ARMADO. – L'armipotent Mars, le tout-puissant des lances, a fait à Hector un don…

DUMAINE. – Une muscade dorée.

BIRON. – Un citron.

LONGUEVILLE. – Garni de clous de girofle83.

DUMAINE. – Non, fendu.

ARMADO. – Paix! – Mars l'armipotent, le tout-puissant des lances, a fait un don à Hector, l'héritier d'Ilion: un homme d'une si infatigable halcine, que, sûrement, il combattrait, oui, depuis le matin jusqu'au soir, hors de sa tente. Je suis cette fleur…

DUMAINE. – Cette menthe.

LONGUEVILLE. – Cette violette.

ARMADO. – Cher seigneur Longueville, tenez votre langue.

LONGUEVILLE. – Je dois plutôt lui lâcher la bride: car elle court sur la trace d'Hector.

DUMAINE. – Et Hector est un lévrier.

ARMADO. – Le cher guerrier est mort et en poussière: mes chers coeurs, ne battez pas les cendres des morts. Quand il respirait, c'était un homme! – Mais je vais poursuivre mon rôle. (A la princesse.) Douce royauté, accordez-moi le sens de votre ouïe.

LA PRINCESSE. – Parlez, brave Hector; vous nous faites beaucoup de plaisir.

ARMADO. – J'adore la pantoufle de votre aimable grâce.

BOYET. – Il l'aime au pied.

DUMAINE. – Il ne pourrait pas l'aimer à l'aune.

ARMADO. – Cet Hector a surpassé de bien loin Annibal.

COSTARD. – Votre partie adverse, camarade Hector, est une fille perdue. Elle est à deux mois de sa carrière.

ARMADO. – Que veux-tu dire?

COSTARD. – En bonne foi, si vous ne jouez pas le rôle de l'honnête Troyen, la pauvre fille est à plaindre; elle le sent remuer: l'enfant fait déjà le fanfaron dans son ventre; il est à vous.

ARMADO. – Veux-tu me diffamoniser parmi les potentats? Tu mourras.

COSTARD. – Hector sera donc fouetté pour Jacquinette, dont il a troublé la vie; et pendu pour Pompée, à qui il veut donner la mort.

DUMAINE. – O rare Pompée!

BOYET. – O fameux Pompée!

BIRON. – Pompée plus grand que le grand, grand, grand Pompée. Pompée le géant!

DUMAINE. – Hector, tremble.

BIRON. – Pompée est ému. Attisez, attisez la fureur84. Excitez-les, excitez-les.

DUMAINE. – Hector lui fera un défi.

BIRON. – Oui, pour peu qu'il y ait dans son ventre autant de sang humain qu'il en faut pour le dîner d'une mouche.

ARMADO, à Costard. – Par le pôle nord, je te fais un défi.

COSTARD. – Je ne veux point combattre avec un pieu85, comme un homme du nord. Je veux me battre d'estoc et de taille: je veux me servir de l'épée. – Je vous prie, laissez-moi reprendre mes armes d'Hector.

DUMAINE. – Place aux héros irrités.

COSTARD. – Je veux me battre dans ma chemise.

DUMAINE. – Voilà un Pompée des plus résolus!

MOTH, à Armado. – Mon maître, baissez le ton d'une note: ne voyez-vous pas que Pompée se déshabille pour le combat? Que prétendez-vous? Vous allez perdre votre réputation.

ARMADO. – Nobles gentilshommes, nobles guerriers, pardonnez: mais je ne combattrai point en chemise.

DUMAINE. – Vous ne pouvez pas le refuser: c'est Pompée qui a fait le défi.

ARMADO. – Aimables gentilshommes, je le peux, et je le veux.

BIRON. – Quelle est votre raison?

ARMADO. – La vérité nue de la chose, c'est que je n'ai point de chemise; je vais en laine par pénitence.

BOYET. – Cela est vrai; et à Rome on lui a enjoint de s'abstenir de la toile; depuis ce temps, je le jurerais, il n'en a porté aucune, si ce n'est un vieux lange de Jacquinette; et cela il le porte près de son coeur comme un gage de sa maîtresse.

(Entre Mercade.)

MERCADE. – Dieu conserve vos jours, madame!

LA PRINCESSE. – Soyez le bienvenu, Mercade; vous nous faites tort pourtant, en interrompant notre divertissement.

MERCADE. – J'en suis bien fâché, madame; car la nouvelle que j'apporte pèse cruellement sur ma langue. Le roi votre père…

LA PRINCESSE. – Est mort, sur ma vie?

MERCADE. – Oui, madame: mon message est fini.

BIRON, aux acteurs. – Messieurs les héros, retirez-vous. La scène commence à se rembrunir.

ARMADO. – Quant à moi, je respire librement: j'ai jusqu'ici vu les affronts qu'on m'a faits, par le petit trou de la prudence, et je me ferai justice comme un vrai guerrier.

(Les héros sortent.)

LE ROI, à la princesse. – Dans quelles dispositions se trouve Votre Altesse?

LA PRINCESSE, à Boyet. – Boyet, préparez tout: je veux partir ce soir.

LE ROI. – Non pas si vite, madame: je vous en conjure, attendez encore.

LA PRINCESSE, à Boyet. – Préparez-vous, vous dis-je. – (Au roi et à ses seigneurs.) Je vous remercie, mes gracieux seigneurs, de tous vos galants efforts pour nous plaire: et je vous prie, du fond de mon âme qui vient d'être affligée, de daigner, dans votre rare sagesse, excuser et oublier l'excessive liberté de nos procédés et de nos contradictions. Si nous nous sommes comportées avec un excès de hardiesse dans nos mutuelles entrevues, et dans notre conversation ensemble, c'est la faute de votre politesse. (Au roi.) Adieu, noble prince. Un coeur oppressé de tristesse abrége les compliments. Excusez-moi si je ne donne qu'un mot de remerciement à l'importante requête que vous m'avez si facilement accordée.

LE ROI. – Il n'est rien que la fuite rapide du temps ne précipite et ne modifie; et souvent, au moment où il force les hommes à se séparer, il décide ce qui n'aurait pu se terminer que par de longues discussions. Quoique la douleur peinte sur le front d'une fille défende le sourire galant de l'amour et la prière sacrée de la tendresse, qui voudrait triompher de vos regrets: cependant, puisque l'amour a été le premier objet de nos démarches, que les nuages de la tristesse ne le détournent pas du but où il se proposait d'arriver. Pleurer des amis perdus n'est pas, il s'en faut bien, aussi salutaire, aussi avantageux que de se réjouir d'avoir gagné de nouveaux amis.

LA PRINCESSE. – Je ne vous comprends point, et cela double mon chagrin.

BIRON. – Des paroles franches pénètrent mieux l'oreille et la douleur: comprenez donc mieux la pensée du roi; c'est pour votre beauté que nous avons dépensé notre temps, et que nous nous sommes si mal acquittés de nos serments. Votre beauté, belles dames, a considérablement défiguré nos caractères, en façonnant nos humeurs dans un sens tout opposé à nos intentions, et c'est là la cause de tout ce qui vous a paru ridicule en nous. L'amour est plein d'écarts qui offensent les bienséances, il est tout folâtre comme un enfant, toujours sautillant et toujours frivole; comme il se forme par les yeux, il est comme l'oeil, rempli d'habitudes étranges, de formes bizarres; il varie sans cesse les objets, comme l'oeil qui, en roulant, reçoit les images successives de tous les objets qui se présentent à ses regards; – si ces bigarrures changeantes du volage amour, qui ont masqué nos caractères, ont paru, à vos beaux yeux, se mal associer avec nos serments et la gravité des personnages, ce sont ces yeux célestes, témoins de nos fautes, qui nous ont excités à les commettre. Ainsi, belles dames, puisque notre amour est vôtre, l'erreur qu'a produite l'amour est vôtre également. Si nous devenons parjures à nous-mêmes, c'est par un parjure qui nous rend à jamais fidèles à celles qui nous font violer et garder notre foi, à vous, belles dames; et cette fausseté qui, par elle-même, est un crime, s'épure par son objet, et devient vertu.

LA PRINCESSE. – Nous avons reçu vos lettres pleines d'amour, vos présents, messagers d'amour; et, dans notre conseil de femmes, nous les avons évalués à une simple galanterie, à une agréable plaisanterie, à une pure politesse; comme des paroles insignifiantes, destinées à faire passer le temps; nous n'y avons pas attaché plus d'importance que cela; et, dans cette opinion, nous avons reçu vos propositions d'amour pour ce qu'elles valaient à nos yeux, comme un simple passe-temps.

DUMAINE. – Nos lettres, madame, montraient quelque chose de plus qu'un simple badinage.

LONGUEVILLE. – Et nos regards aussi.

ROSALINE. – Nous n'en avons pas jugé ainsi.

LE ROI. – A présent, à la dernière minute de l'heure qui nous sépare, accordez-nous votre amour.

LA PRINCESSE. – Une minute est, je pense, un temps trop court pour terminer un marché éternel; non, non, seigneur, Votre Altesse a commis un parjure, c'est un crime de la tendresse; et en conséquence, voici ma proposition. – Si, par amour pour moi (amour encore bien gratuit de votre part), vous voulez faire quelque sacrifice, vous ferez celui-ci à ma considération. Je ne veux point me fier à votre serment; mais allez promptement vous renfermer dans quelque ermitage solitaire et désert, éloigné de tous les plaisirs du monde; restez-y jusqu'à ce que les douze signes célestes aient complètement rendu leur compte annuel. Si cette vie austère et privée de toute société ne change rien à votre offre faite dans l'ardeur du sang; si les gelées, les jeûnes, la tristesse de l'habitation, et de grossiers habillements ne fanent pas cette fragile fleur d'amour, mais qu'elle résiste à cette longue épreuve, et que vos sentiments persévèrent; alors, à l'expiration de l'année, venez me réclamer au nom du mérite de ce noviciat; et, je le jure par cette main virginale qui s'unit maintenant à la vôtre, je serai à vous. Jusqu'à ce terme, je vais enfermer ma triste existence dans une maison de deuil, versant les pleurs de la douleur sur le souvenir de mon père. Si vous vous refusez à cette convention, que nos mains se désunissent, sans prétendre à aucun droit sur le coeur l'un de l'autre.

 

LE ROI. – Si je refusais cette épreuve, ou toute autre plus pénible encore; si je refusais de laisser dormir dans le repos toutes mes facultés, que la main soudaine de la mort vienne fermer à l'instant mes yeux; de ce moment mon coeur vole dans votre sein.

BIRON. – Et moi, chère amante, et moi, quelle sera ma pénitence?

ROSALINE. – Il faut aussi vous purifier; vos péchés sont en grand nombre, vous êtes coupable de parjure; si donc vous prétendez à mes faveurs, vous passerez un mois à visiter les lits des malades.

DUMAINE. – Et moi, ma belle, et moi, quelle sera la mienne?

CATHERINE. – Une femme! – Plus de barbe, une belle santé et l'honnêteté; voilà les trois souhaits que forme pour vous mon amour.

DUMAINE. – Puis-je répondre: «Je vous rends grâces, aimable épouse?»

CATHERINE. – Non pas, seigneur. – Pendant un an et un jour, je n'écouterai pas un mot des doux propos que les galants débitent d'un visage flatteur. Lorsque le roi viendra retrouver notre princesse, alors, si j'ai beaucoup d'amour, je vous en donnerai un peu.

DUMAINE. – Je vous servirai jusqu'à ce terme avec loyauté et fidélité.

CATHERINE. – Mais ne le jurez pas, de crainte d'un second parjure.

LONGUEVILLE. – Et que dit Marie?

MARIE. – A la fin des douze mois révolus, j'échangerai ma robe de deuil contre un fidèle ami.

LONGUEVILLE. – J'attendrai avec patience; mais le terme est bien long.

MARIE. – Il vous en ressemble mieux; il est peu de jeunes cavaliers plus longs, plus grands que vous.

BIRON. – Ma belle Rosaline médite-t-elle? Ma maîtresse, regardez-moi, considérez la fenêtre de mon coeur, ce sont mes yeux; voyez l'humble respect peint dans mes regards qui attendent votre réponse. Imposez-moi quelque service pour vous prouver mon amour.

ROSALINE. – J'avais souvent ouï parler de vous, seigneur Biron, avant que j'eusse eu l'avantage de vous voir, et la vaste langue de l'univers vous peignait comme un homme fécond en railleries, en comparaisons plaisantes, en sarcasmes mordants que vous lancez sur toutes les conditions qui se trouvent exposées à la merci des traits de votre esprit. Pour déraciner cette herbe amère de votre cerveau trop fertile et mériter mes bonnes grâces, si vous êtes jaloux de les acquérir (et sans cela je ne serai jamais à vous), il faut que, pendant ces douze mois, vous visitiez tous les jours les malades muets, et que vous conversiez à toute heure avec les malheureux gémissants dans leurs maux; et votre tâche sera de réunir tous les efforts et toutes les ressources de votre esprit pour forcer au rire le malade tourmenté de faiblesse et de douleurs.

BIRON. – Exciter le sourire dans la bouche de la mort! cela ne se peut pas, cela est impossible; la joie ne peut entrer dans une âme à l'agonie.

ROSALINE. – Eh bien! c'est là le vrai moyen de réprimer un esprit railleur, dont les écarts sont le fruit d'applaudissements indiscrets, que des auditeurs, à tête vide et rieurs, donnent à ses folies. Le succès d'un bon mot dépend de l'oreille qui l'entend, et jamais de la langue qui le dit. Ainsi donc, si les oreilles des malades, assourdies par les clameurs de leurs propres gémissements, veulent se prêter à entendre vos vaines railleries, alors continuez sur ce ton, et je consens à vous accepter avec ce défaut; mais si elles ne veulent pas les entendre, alors défaites-vous de ce genre d'esprit, et je vous retrouverai corrigé de ce défaut et tout joyeux de votre réforme.

BIRON. – Douze mois entiers? Allons, arrive ce qui voudra: je consens à aller plaisanter pendant douze mois dans un hôpital.

LA PRINCESSE, qui s'entretenait à part avec le roi. – Oui, noble prince; et je prends congé de vous.

LE ROI. – Non, madame; nous voulons vous accompagner et vous mettre dans votre route.

BIRON. – Notre amour ne finit pas comme nos anciennes pièces: Jeannot n'a pas sa Jeannette. Si ces dames avaient voulu, elles auraient pu donner à notre scène le dénoûment d'une comédie.

LE ROI. – Allons, seigneurs, il n'y a plus que douze mois et un jour à passer, et le dénoûment viendra.

BIRON. – Cela est trop long pour une pièce.

(Entre Armado.)

ARMADO. – Gracieuse Majesté, daignez m'accorder…

LA PRINCESSE. – N'est-ce pas là notre Hector?

DUMAINE. – Oui, le preux chevalier de Troie.

ARMADO. – Que je baise votre doigt royal, et que je prenne congé de vous. Je suis lié par un voeu; j'ai promis à Jacquinette de tenir pour l'amour d'elle la charrue pendant trois ans: mais, très-renommée Altesse, vous plaît-il d'entendre le dialogue que deux savants ont compilé à la louange de la chouette et du coucou? Il aurait dû suivre immédiatement la fin de notre spectacle.

LE ROI. – Nous le voulons bien: faites-les paraître promptement.

ARMADO, aux acteurs. – Holà! avancez. (Entrent Holoferne, Nathaniel, Moth, Costard, et autres.) De ce côté est Hyems, l'Hiver. – De celui-ci est Ver, le Printemps: l'un est ami de la chouette, et l'autre du coucou. – Printemps, commence.

LE PRINTEMPS, chante les deux couplets suivants.

 
Quand la marguerite étoilée et la violette azurée,
Quand la primevère argentée
Et les marguerites d'or
Émaillent les prés de riantes couleurs,
Le coucou alors, de feuillage en feuillage,
Se moque des maris en chantant
Coucou,
Coucou, coucou. – O mot redoutable!
Fatal à l'oreille d'un époux.
 
 
Quand les bergers enflent leur chalumeau d'avoine;
Quand l'alouette joyeuse sonne le réveil du laboureur;
Quand les tourterelles se caressent, et roucoulent et murmurent,
Et que la jeune bergère blanchit son linge,
Alors, etc.
 

L'HIVER, chante à son tour.

 
Quand les glaçons brillent aux toits;
Quand le berger Guillot souffle dans ses doigts;
Quand Pierrot entasse des souches dans le foyer;
Quand le lait gèle et durcit dans le vase,
Que le sang se glace et que les chemins se salissent,
Alors la chouette effrayante chante dans la nuit
Toou oüe,
Tou oüe, to oüe. Note faite pour plaire!
 
 
Quand la grosse Jeanne écume son pot;
Quand tous les vents sifflent déchaînés;
Que la toux emporte le prône du pasteur,
Que les oiseaux sont blottis dans la neige;
Quand le froid rougit le nez de Marianne;
Quand les pommes rôties sifflent sur le feu,
Alors la chouette effrayante, etc.
 

ARMADO. – Après les chants d'Apollon, Mercure offense l'oreille. – Vous, sortez de ce côté; et vous, de celui-ci86.

(Tous sortent.)
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE
75Shakspeare veut tourner en ridicule l'histoire des neuf preux.
76Nous ne sommes pas fous.
77Ad novum pour novem, ancien jeu de dés.
78Pour canis, chien.
79Y cleped nommé, et clipt, tondu.
80To out face one, dévisager quelqu'un.
81Jude ass, pour Jude âne.
82Trojan, Troyen. Du temps de Shakspeare, sobriquet de voleur.
83Étrennes à la mode pour la Noël.
84Atis, Até, la déesse des fureurs.
85Pole, pôle, et pole, pieu.
86Holoferne représente un pédant ou maître de langues, contemporain du poëte, nommé Jean Florio, maître d'italien à Londres. Sa profession est cause qu'il débite tant de sentences italiennes dans sa conversation. Dans un de ses ouvrages il désigne clairement Shakspeare, furieux de ce qu'il l'avait joué sur le théâtre. – «Qu'Aristophane, dit-il, et ses comédiens fassent des pièces, et injurient Socrate; tout ce qu'ils font pour le diffamer ne sert qu'à rehausser l'éclat de sa vertu.» Il parle aussi d'un sonnet d'un de ses amis (cet ami, c'était sans doute lui-même), qu'on avait parodié selon toute apparence dans le sonnet de cette pièce: The praiseful princess, etc. On voit aussi que le même Florio aimait l'allitération, cette ridicule affectation de plusieurs mots commençant par la même lettre. – Il signait, le résolu Jean Florio. C'est la férocité du caractère de cet Italien qui lui fait donner par Shakspeare le nom que Rabelais donne à son pédant Thubal, Holoferne. Warburton cite ce personnage comme un des rares exemples de satire personnelle que Shakspeare se soit permis.