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Le conte d'hiver

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(Entre un seigneur.)

LE SEIGNEUR. – Noble seigneur, ce que je vais annoncer ne mériterait aucune foi, si les preuves n'étaient pas si près. Apprenez, seigneur, que le roi de Bohême m'envoie vous saluer et vous prier d'arrêter son fils, qui, abandonnant sa dignité et ses devoirs, a fui loin de son père et de ses hautes destinées, pour s'évader avec la fille d'un berger.

LÉONTES. – Où est le roi de Bohême? parlez.

LE SEIGNEUR. – Ici, dans votre ville: je viens de le quitter; je parle avec désordre, mais ce désordre convient et à mon étonnement, et à mon message. Tandis qu'il se hâtait d'arriver à votre cour, poursuivant, à ce qu'il paraît, le beau couple, il a rencontré en chemin le père de cette prétendue princesse, et son frère, qui tous deux avaient quitté leur pays avec le jeune prince.

FLORIZEL. – Camillo m'a trahi, lui, dont l'honneur et la fidélité avaient jusqu'ici résisté à toutes les épreuves.

LE SEIGNEUR. – Vous pouvez le lui reprocher à lui-même. – Il est avec le roi votre père.

LÉONTES. – Qui? Camillo?

LE SEIGNEUR. – Oui, Camillo, seigneur. Je lui ai parlé, et c'est lui qui est actuellement chargé de questionner ces pauvres gens. Jamais je n'ai vu deux malheureux si tremblants; ils se prosternent à ses genoux, ils baisent la terre; ils se parjurent à chaque mot qu'ils prononcent; le roi de Bohême se bouche les oreilles et les menace de plusieurs morts dans la mort.

PERDITA. – O mon pauvre père! – Le ciel suscite après nous des espions qui ne permettront pas que notre union s'accomplisse.

LÉONTES. – Êtes-vous mariés?

FLORIZEL. – Nous ne le sommes point, seigneur, et il n'est pas probable que nous le soyons. Les étoiles, je le vois, viendront baiser auparavant les vallons: la comparaison n'est que trop juste.

LÉONTES. – Prince, est-elle la fille d'un roi?

FLORIZEL. – Oui, seigneur, quand une fois elle sera ma femme.

LÉONTES. – Et cela, je le vois, par la prompte poursuite de votre bon père, viendra bien lentement. Je suis fâché, très-fâché, que vous vous soyez aliéné son amitié, que votre devoir vous obligeait de conserver; et aussi fâché que votre choix ne soit pas aussi riche en mérite qu'en beauté, afin que vous puissiez jouir d'elle.

FLORIZEL. – Chérie, relève la tête: quoique la fortune, qui se déclare ouvertement notre ennemie, nous poursuive avec mon père, elle n'a pas le moindre pouvoir pour changer notre amour. (Au roi.) Je vous en conjure, seigneur, daignez vous rappeler le temps où vous ne comptiez pas plus d'années que je n'en ai à présent; en souvenir de ces affections, présentez-vous mon avocat: à votre prière, mon père accordera les plus grandes grâces comme des bagatelles.

LÉONTES. – S'il voulait le faire, je lui demanderais votre précieuse amante, qu'il regarde, lui, comme une bagatelle.

PAULINE. – Mon souverain, vos yeux sont trop jeunes: moins d'un mois avant que votre reine mourut, elle méritait encore mieux ces regards que ce que vous regardez à présent.

LÉONTES. – Je songeais à elle, même en contemplant cette jeune fille. – (A Florizel.) Mais je n'ai pas encore donné de réponse à votre demande. Je vais aller trouver votre père. Puisque vos penchants n'ont point triomphé de votre honneur, je suis leur ami et le vôtre: je vais donc le chercher pour cette affaire; ainsi, suivez-moi et voyez le chemin que je ferai. – Venez, cher prince.

(Ils sortent.)

SCÈNE II

La scène est devant le palais
AUTOLYCUS ET UN GENTILHOMME

AUTOLYCUS. – Je vous prie, monsieur, étiez-vous présent à ce récit?

LE GENTILHOMME. – J'étais présent à l'ouverture du paquet; j'ai entendu le vieux berger raconter la manière dont il l'avait trouvé; et là-dessus, après quelques moments d'étonnement, on nous a ordonné à tous de sortir de l'appartement; et j'ai seulement entendu, à ce que je crois, que le berger disait qu'il avait trouvé l'enfant.

AUTOLYCUS. – Je serais bien aise de savoir l'issue de tout cela.

LE GENTILHOMME. – Je vous rends la chose sans ordre. – Mais les changements que j'ai aperçus sur les visages du roi et de Camillo étaient singulièrement remarquables: ils semblaient, pour ainsi dire, en se regardant l'un l'autre, faire sortir leurs yeux de leurs orbites; il y avait un langage dans leur silence, et leurs gestes parlaient: à leurs regards, on eût dit qu'ils apprenaient le salut ou la perte d'un monde; tous les symptômes d'un grand étonnement éclataient en eux, mais l'observateur le plus pénétrant, qui ne savait que ce qu'il voyait, n'aurait pu dire si leur émotion était de la joie ou de la tristesse: toujours est-il certain que c'était l'une ou l'autre poussée à l'extrême.

(Survient un autre gentilhomme.)

PREMIER GENTILHOMME. – Voici un gentilhomme qui peut-être en saura davantage. Quelles nouvelles, Roger?

SECOND GENTILHOMME. – Rien que feux de joie. L'oracle est accompli, la fille du roi est retrouvée; tant de merveilles se sont révélées dans l'espace d'une heure, que nos faiseurs de ballades ne pourront jamais les célébrer.

(Arrive un troisième gentilhomme.)

SECOND GENTILHOMME. – Mais voici l'intendant de madame Pauline, il pourra vous en dire davantage. – (A l'intendant.) Eh bien! monsieur, comment vont les choses à présent? Cette nouvelle, qu'on assure vraie, ressemble si fort à un vieux conte, que sa vérité excite de violents soupçons. Est-il vrai que le roi a retrouvé son héritière?

TROISIÈME GENTILHOMME. – Rien n'est plus vrai, si jamais la vérité fut prouvée par les circonstances. Ce que vous entendez, vous jureriez le voir de vos yeux, tant il y a d'accord dans les preuves: le mantelet de la reine Hermione, – son collier autour du cou de l'enfant, – les lettres d'Antigone, trouvées avec elle, et dont on reconnaît l'écriture, – les traits majestueux de cette fille et sa ressemblance avec sa mère, – un air de noblesse que lui a imprimé la nature, et qui est au-dessus de son éducation, – et mille autres preuves évidentes proclament avec toute certitude qu'elle est la fille du roi. – Avez-vous assisté à l'entrevue des deux rois?

SECOND GENTILHOMME. – Non.

TROISIÈME GENTILHOMME. – Alors vous avez perdu un spectacle qu'il fallait voir et qu'on ne peut raconter. Alors vous auriez vu une joie en commencer une autre; et de manière qu'il semblait que le chagrin pleurait de s'éloigner d'eux, car leur joie nageait dans des flots de larmes. Il fallait les voir élever leurs regards et leurs mains vers le ciel avec des visages si altérés, qu'on ne pouvait les reconnaître qu'à leurs vêtements et nullement à leurs traits. Notre roi, comme prêt à s'élancer hors de lui-même, dans sa joie de retrouver sa fille, s'écrie, comme si sa joie eût été une perte: Oh! ta mère! ta mère! Ensuite il demande pardon au roi de Bohême, et puis il embrasse son gendre; et puis il tourmente sa fille en la prenant dans ses bras, et puis il remercie le vieux berger, qui était là debout près de lui, comme un conduit rongé par le laps de plusieurs règnes successifs. Je n'ai jamais ouï parler de pareille entrevue, qui ne permet pas au récit boiteux de la suivre et défie la description de la représenter.

SECOND GENTILHOMME. – Et qu'est devenu, je vous prie, Antigone, qui emporta l'enfant d'ici?

TROISIÈME GENTILHOMME. – C'est encore comme un vieux conte, où il y a matière à raconter, lors même que toute foi serait endormie et qu'il n'y aurait pas une oreille ouverte. Il a été mis en pièces par un ours, et cela est garanti par le fils du berger, qui a non-seulement sa simplicité (qui semble incroyable) pour appuyer son témoignage, mais qui produit encore un mouchoir et des anneaux d'Antigone, que Pauline reconnaît.

PREMIER GENTILHOMME. – Et sa barque, et ceux qui le suivaient, que sont-ils devenus?

TROISIÈME GENTILHOMME. – Naufragés au même instant où leur maître a péri, et à la vue du berger, en sorte que tous les instruments qui avaient servi à exposer l'enfant furent perdus au moment où l'enfant a été trouvé. Mais quel noble combat entre la joie et la douleur s'est passé dans l'âme de Pauline! Elle avait un oeil baissé à cause de la perte de son époux; un autre levé dans la joie de voir l'oracle accompli. Elle soulève de terre la princesse et elle la serre dans ses bras, comme si elle eût voulu l'attacher à son coeur, de façon à ne plus avoir à craindre de la perdre.

PREMIER GENTILHOMME. – La grandeur de cette scène méritait des rois et des princes pour spectateurs, puisqu'elle avait des rois pour acteurs.

TROISIÈME GENTILHOMME. – Mais un des plus touchants incidents, et qui a pêché dans mes yeux (pour y prendre de l'eau et non du poisson), c'était un récit de la mort de la reine, avec les détails de la manière dont elle est arrivée (confessés avec courage et pleures par le roi); c'était de voir l'attention de sa fille, et la douleur qui la pénétrait, jusqu'à ce que d'un signe de douleur à l'autre, elle a poussé un hélas! et, je pourrais bien le dire, saigné des larmes; car je suis sûr que mon coeur a pleuré du sang. Alors le spectateur qui était le plus froid comme marbre, a changé de couleur; quelques-uns se sont évanouis, tous s'attristaient; et, si l'univers entier avait assisté à cette scène, la douleur eût été universelle.

PREMIER GENTILHOMME. – Sont-ils revenus à la cour?

TROISIÈME GENTILHOMME. – Non. La princesse a entendu parler de la statue de sa mère, qui est entre les mains de Pauline; morceau qui a coûté plusieurs années de travail, et récemment achevé par ce célèbre maître italien, Jules Romain23. S'il possédait lui-même l'éternité, et qu'il pût de son souffle la communiquer à son ouvrage, il priverait la nature de son ouvrage, tant il l'imite parfaitement. Il a fait Hermione si ressemblante à Hermione, qu'on dit qu'on lui adresserait la parole, et qu'on attendrait sa réponse: c'est là qu'ils sont tous allés avec l'ardeur de l'affection, et ils se proposent d'y souper.

 

SECOND GENTILHOMME. – Je m'étais toujours imaginé qu'elle avait là quelque grande affaire en main, car, depuis la mort d'Hermione, elle ne manquait jamais d'aller deux ou trois fois par jour visiter cette maison écartée. Irons-nous les y trouver et nous associer à la joie commune?

PREMIER GENTILHOMME. – Et quel est celui qui, jouissant de la faveur d'y être admis, voudrait s'en priver? A chaque clin d'oeil, nouvelle découverte et nouveau plaisir. Notre absence nous fait perdre des connaissances précieuses. Partons24.

(Ils sortent.)

AUTOLYCUS. – C'est maintenant, si je n'avais pas contre moi les torts de mon ancienne conduite, que les honneurs pleuvraient sur ma tête! C'est moi qui ai conduit le vieillard et son fils à bord du navire du prince, qui lui ai dit que je leur avais entendu parler d'un paquet et de je ne savais pas quoi, mais il était alors enivré de son amour pour la fille du berger (comme il la croyait alors), qui commençait à avoir cruellement le mal de mer; et lui-même ne se sentait guère mieux par la tempête qui continuait toujours; ce mystère est ainsi demeuré sans être découvert. Mais cela m'est égal; car quand j'aurais trouvé ce secret, il ne m'aurait pas été d'un grand avantage, au milieu des autres raisons qui me discréditent. (Entrent le berger et son fils.) Voici ceux à qui j'ai fait du bien, contre mon intention, et qui paraissent déjà dans la fleur de leur fortune.

LE BERGER. – Viens, mon garçon: j'ai passé l'âge d'avoir des enfants, mais tes fils et tes filles naîtront tous gentilshommes.

LE FILS, à Autolycus. – Je suis bien aise de vous rencontrer, monsieur. Vous avez refusé de tous battre avec moi l'autre jour, parce que je n'étais pas né gentilhomme: voyez-vous ces habits? Dites que vous ne les voyez pas, et croyez encore que je ne suis pas né gentilhomme. Vous feriez bien mieux de dire que ces vêtements ne sont pas nés gentilshommes. Osez me donner un démenti, et essayez si je ne suis pas à présent né gentilhomme.

AUTOLYCUS. – Je sais que vous êtes actuellement, monsieur, un gentilhomme né.

LE FILS. – Oui, et c'est ce que je suis depuis quatre heures.

LE BERGER. – Et moi aussi, mon garçon.

LE FILS. – Et vous aussi. – Mais j'étais né gentilhomme avant mon père, car le fils du roi m'a pris par la main et m'a appelé son frère; et ensuite les deux rois ont appelé mon père leur frère; et ensuite le prince mon frère et la princesse ma soeur ont appelé mon père, leur père, et nous nous sommes mis à pleurer; et ce sont les premières larmes de gentilhomme que nous ayons jamais versées.

LE BERGER. – Nous pouvons vivre, mon fils, assez pour en verser bien davantage.

LE FILS. – Sans doute, ou il y aurait bien du malheur, étant devenus nobles un peu tard.

AUTOLYCUS. – Je vous conjure, monsieur, de me pardonner toutes les fautes que j'ai commises contre Votre Seigneurie, et de vouloir bien m'appuyer de votre favorable recommandation auprès du prince mon maître.

LE BERGER. – Je t'en prie, fais-le, mon fils; car nous devons être obligeants, à présent que nous sommes gentilshommes.

LE FILS. – Tu amenderas ta vie?

AUTOLYCUS. – Oui, si c'est le bon plaisir de Votre Seigneurie.

LE FILS. – Donne-moi ta main: je jurerai au prince que tu es un aussi honnête et brave homme qu'on en puisse trouver en Bohême.

LE BERGER. – Tu peux le dire, mais non pas le jurer.

LE FILS. – Ne pas le jurer, à présent que je suis gentilhomme? Que les paysans et les franklins25 le disent, moi, je le jurerai.

LE BERGER. – Et si cela est faux, mon fils?

LE FILS. – Quelque faux que cela puisse être, un gentilhomme peut le jurer en faveur de son ami. – Oui, et je jurerai au prince que tu es un robuste garçon pour ta taille et que tu ne t'enivreras point; mais je sais que tu n'es pas un robuste garçon pour ta taille et que tu t'enivreras; je le jurerai tout de même; et je voudrais que tu fusses un robuste garçon pour ta taille.

AUTOLYCUS. – Je me montrerai tel, monsieur, tant que je pourrai.

LE FILS. – Oui, montre-toi au moins un garçon robuste, si je ne suis pas étonné comment tu oses t'aventurer à t'enivrer, n'étant pas un garçon robuste, ne fais pas état de ma parole. – Écoute: les rois et les princes nos parents sont allés voir le portrait de la reine; viens, suis-nous, nous serons tes bons maîtres.

(Ils sortent.)

SCÈNE III

Appartement dans la maison de Pauline
Entrent LÉONTES, POLIXÈNE, FLORIZEL, PERDITA, CAMILLO, PAULINE, COURTISANS et suite

LÉONTES. – O sage et bonne Pauline! quelles grandes consolations j'ai reçues de vous!

PAULINE. – Mon souverain, ce qui n'a pas bien réussi, je le faisais dans de bonnes intentions. Quant à mes services, vous me les avez bien payés; l'honneur que vous m'avez fait de daigner visiter mon humble demeure avec votre frère couronné, et ce couple fiancé d'héritiers de vos royaumes, c'est de votre part un surcroît de bienfaits que ma vie ne pourra jamais assez reconnaître.

LÉONTES. – Ah! Pauline, c'est un honneur plein d'embarras. Mais nous sommes venus pour voir la statue de notre reine; nous avons traversé votre galerie en regardant avec plaisir toutes les curiosités qu'elle présente; mais nous n'avons pas vu celle que ma fille est venue y chercher, la statue de sa mère.

PAULINE. – Comme de son vivant elle n'eut point d'égale, je suis persuadée aussi que sa ressemblance inanimée surpasse tout ce que vous avez jamais vu, et tout ce qu'a fait la main de l'homme. Voilà pourquoi je la tiens seule et à part. Mais la voici: préparez-vous à voir la vie aussi parfaitement imitée, que le sommeil imite la mort. Regardez, et avouez que c'est beau. (Pauline tire un rideau et découvre une statue.) J'aime votre silence, il prouve mieux votre admiration. Mais parlez pourtant, et vous le premier, mon souverain, dites, n'approche-t-elle pas un peu de l'original?

LÉONTES. – C'est son attitude naturelle! Cher marbre, fais-moi des reproches, afin que je puisse dire: oui, tu es Hermione: – ou plutôt, c'est bien mieux toi encore dans ton silence; car elle était aussi tendre que l'enfance et les grâces. – Mais cependant, Pauline, Hermione n'était pas si ridée; elle n'était pas aussi âgée que cette statue la représente.

POLIXÈNE. – Oh! non, de beaucoup.

PAULINE. – C'est ce qui prouve encore plus l'excellence de l'art du statuaire, qui laisse écouler seize années, et la représente telle qu'elle serait aujourd'hui si elle vivait.

LÉONTES. – Comme elle aurait pu vivre pour me procurer des consolations aussi vives que la douleur dont elle me perce l'âme aujourd'hui. Oh! voilà son maintien et son air majestueux (plein de vie alors, comme il est là glacé) la première fois que je lui parlai d'amour! Je suis honteux: ce marbre ne me reprend-il pas d'avoir été plus dur que lui? – O noble chef-d'oeuvre! il y a dans ta majesté une magie, qui évoque dans ma mémoire tous mes torts, et qui a privé de ses sens ta fille, dont l'admiration fait une seconde statue.

PERDITA. – Et permettez-moi, sans dire que c'est une superstition, de tomber à ses genoux et d'implorer sa bénédiction. – Madame, chère reine, qui finîtes lorsque je ne faisais que de commencer, donnez-moi cette main à baiser.

PAULINE. – Oh! arrêtez! la statue n'est posée que tout nouvellement; les couleurs ne sont pas sèches.

CAMILLO. – Seigneur, vous n'avez que trop cruellement ressenti le chagrin que seize hivers n'ont pu dissiper, qu'autant d'étés n'ont pu tarir; à peine est-il de bonheur qui ait duré aussi longtemps; il n'est point de chagrin qui ne se soit détruit lui-même beaucoup plus tôt.

POLIXÈNE, au roi. – Chère frère, permettez que celui qui a été la cause de tout ceci, ait le pouvoir de vous ôter autant de chagrin qu'il en peut prendre lui-même pour sa part.

PAULINE. – En vérité, seigneur, si j'avais pu prévoir que la vue de ma pauvre statue vous eût fait tant d'impression (car ce marbre est à moi), je ne vous l'aurais pas montrée.

(Elle va pour fermer le rideau.)

LÉONTES. – Ne tirez point le rideau.

PAULINE. – Vous ne la contemplerez pas plus longtemps: peut-être votre imagination en viendrait-elle à penser qu'elle se remue.

LÉONTES. – Je voudrais être mort, si ce n'est qu'il me semble que déjà… Quel est cet homme qui l'a faite? Voyez, seigneur, ne croiriez-vous pas qu'elle respire, et que le sang circule en effet dans ses veines?

POLIXÈNE. – C'est le chef-d'oeuvre d'un maître: la vie même semble animer ses lèvres.

LÉONTES. – Son oeil, quoique fixe, semble animé, tant est grande l'illusion de l'art!

PAULINE. – Je vais fermer le rideau: mon seigneur est déjà si transporté qu'il va croire tout à l'heure qu'elle est vivante.

LÉONTES. – O ma chère Pauline! faites-le-moi croire pendant vingt années de suite; il n'est point de raison sage dans ce monde qui puisse égaler le plaisir de ce délire. Laissez-moi la voir.

PAULINE. – Je suis bien fâchée, seigneur, de vous avoir causé tant d'émotion; mais je pourrais vous affliger encore davantage.

LÉONTES. – Faites-le, Pauline; car cette tristesse a autant de douceur que les plus grandes consolations. – Eh quoi! il me semble qu'il sort de sa bouche un souffle: quel habile ciseau a donc pu sculpter l'haleine! Que personne ne rie; mais je veux l'embrasser.

PAULINE. – Mon cher seigneur, arrêtez. Le vermillon de ses lèvres est encore humide; vous le gâteriez, si vous l'embrassiez, et vous souilleriez les vôtres de l'huile de la peinture. Fermerai-je le rideau?

LÉONTES. – Non, non, pas de vingt ans.

PERDITA. – Je pourrais rester tout ce temps à la contempler.

PAULINE. – Ou arrêtez-vous là et quittez cette chapelle, ou préparez-vous à un plus grand étonnement. Si vous pouvez en soutenir la vue, je vais faire mouvoir véritablement la statue, la faire descendre et venir vous prendre la main; mais alors vous croiriez, et cependant je proteste qu'il n'en est rien, que je suis aidée des esprits du mal.

LÉONTES. – Tout ce qu'il est en votre pouvoir de lui faire faire, je serai satisfait de le voir; tout ce qu'il est en votre pouvoir de lui faire dire, je serai satisfait de l'entendre; car il est aussi aisé de la faire parler que de la faire mouvoir.

PAULINE. – Il faut que vous réveilliez toute votre foi. Allons, demeurez tous immobiles, ou que ceux qui croiront que j'accomplis quelque oeuvre illicite se retirent.

LÉONTES. – Commencez; personne ne bougera d'un pas.

PAULINE, à des musiciens. – Musique, éveillez-la. Commencez, – il est temps; descends, cesse d'être une pierre; approche et frappe d'étonnement tous ceux qui te regardent. Allons, je vais fermer ta tombe; remue, descends, rends à la mort ce silence obstiné; car la vie chérie te rachète de ses bras. – Vous le voyez, elle se remue. (Hermione descend.) Ne tressaillez point; ses actions seront saintes comme l'enchantement que vous tenez pour légitime; ne l'évitez point que vous ne la revoyiez mourir une seconde fois; car vous lui donneriez deux fois la mort. – Allons, présentez-lui votre main: lorsqu'elle était jeune, c'était vous qui lui faisiez la cour; à présent qu'elle est plus âgée, c'est elle qui vous prévient.

 

LÉONTES, en l'embrassant. – Oh! sa main est chaude! Si ceci est de la magie, que ce soit un art aussi légitime que de manger.

POLIXÈNE. – Elle l'embrasse!

CAMILLO. – Elle se suspend à son cou! Si elle appartient à la vie, qu'elle parle donc aussi!

POLIXÈNE. – Oui, et qu'elle nous révèle où elle a vécu, ou comment elle s'est échappée du milieu des morts?

PAULINE. – Si l'on n'eût fait que vous dire qu'elle était vivante, vous auriez bafoué cette idée comme un vieux conte: mais vous voyez qu'elle vit, quoiqu'elle ne parle pas encore. Faites attention un petit moment. – (A Perdita.) Voudriez-vous, belle princesse, vous jeter entre elle et le roi? tombez à ses genoux, et demandez la bénédiction de votre mère. (A Hermione.) Tournez-vous de ce côté, chère reine, notre Perdita est retrouvée.

(Elle lui présente Perdita, qui s'agenouille aux pieds d'Hermione.)

HERMIONE, prenant la parole. – O vous, dieux! abaissez ici vos regards, et de vos urnes sacrées versez toutes vos grâces sur la tête de ma fille! (A sa fille.) Dis-moi, ma fille, où tu as été conservée? Où tu as vécu? Comment as-tu retrouvé la cour de ton père? Car, sachant par Pauline que l'oracle avait donné l'espérance que tu étais en vie, je me suis conservée pour en voir l'accomplissement.

PAULINE. – Il y aura assez de temps pour cela. – De crainte que les spectateurs, excités par cet exemple, n'aient l'envie de troubler votre joie par de pareilles relations, – allez ensemble, vous tous qui retrouvez en ce moment quelque bonheur: et communiquez à chacun votre allégresse: moi, tourterelle vieillie, je vais me reposer sur quelque rameau flétri, et là pleurer mon compagnon, que jamais je ne retrouverai qu'en mourant moi-même.

LÉONTES. – Ah! calmez-vous, Pauline: vous devriez prendre un époux sur mon consentement, comme je prends moi une épouse sur le vôtre: c'est un pacte fait entre nous, et confirmé par nos serments. Vous avez trouvé mon épouse, mais comment? C'est là la question: car je l'ai vue morte, à ce que j'ai cru: et j'ai fait en vain plus d'une prière sur son tombeau. Je n'irai pas chercher bien loin (car je connais en partie ses sentiments) pour vous trouver un honorable époux. – Avancez, Camillo, et prenez-la par la main; son mérite et sa vertu sont bien connus, et attestés encore ici par le témoignage de deux rois. – Quittons ces lieux. – Quoi? (A Hermione.) Regardez mon frère! Ah! pardonnez-moi tous deux, de ce que j'ai pu jamais me placer par mes soupçons entre vos chastes regards. (A Hermione.) Voici votre gendre, le fils du roi, qui, grâce au ciel, a engagé sa foi à votre fille. – Chère Pauline, conduisez-nous dans un lieu où nous puissions à loisir nous questionner mutuellement et répondre sur le rôle que chacun de nous a joué dans ce long intervalle de temps depuis l'instant où nous avons été séparés les uns des autres: hâtez-vous de nous conduire.

(Tous sortent.)
FIN DU CINQUIÈME ET DERNIER ACTE
23Jules Romain vécut précisément le même nombre d'années que Shakspeare, qui naquit dix-huit ans après sa mort. Le poëte commet ici un anachronisme volontaire pour louer le peintre. Mais comment songer à Jules Romain, lorsqu'il s'agit ici d'une statue? Il faut se rappeler que les statues étaient autrefois enluminées.
24On voit que Shakspeare était ici pressé de terminer; la scène aurait été complète, si ce qui se passe en récit avait été mis en action. Segniùs irritant animos demissa per aurem, etc.
25Propriétaire libre.