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La vie et la mort du roi Richard III

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SCÈNE IV

A Londres. – Une chambre dans la Tour
Entrent CLARENCE ET BRAKENBURY

BRAKENBURY. – D'où vous vient aujourd'hui, milord, cet air si abattu?

CLARENCE. – Oh! j'ai passé une nuit déplorable, une nuit si pleine de songes effrayants et de fantômes hideux, qu'en vérité, comme je suis un fidèle chrétien, je ne voudrais pas en passer une autre semblable, dussé-je acheter à ce prix une éternité d'heureux jours! tant j'ai été pendant toute la soirée assiégé d'affreuses terreurs!

BRAKENBURY. – Quel était votre songe, milord? Je vous prie, racontez-le-moi.

CLARENCE. – Je me croyais échappé de la Tour et embarqué pour me rendre en Bourgogne, ayant mon frère de Glocester avec moi. Il est venu me chercher dans mon cabinet, pour nous promener sur le tillac du vaisseau, d'où nous jetions nos regards sur l'Angleterre, et nous nous rappelions l'un l'autre mille mauvais moments que nous avons eus à passer pendant les guerres d'York et de Lancastre. Tandis que nous arpentions le sol tremblant du tillac, j'ai cru voir Glocester faire un faux pas; comme je voulais le retenir, il m'a poussé par-dessus le bord, dans les vagues amoncelées de l'Océan. O Dieu! qu'il m'a semblé que c'était une mort douloureuse que de se noyer! Quel vacarme effrayant des eaux dans mes oreilles! Sous combien de formes hideuses la mort s'offrit à mes yeux! Je m'imaginai voir les effroyables débris de mille naufrages, des milliers d'hommes que rongeaient les poissons, des lingots d'or, des ancres énormes, des monceaux de perles, des pierres inestimables, des joyaux sans prix semés au fond de la mer; quelques-uns dans des têtes de morts; et là, dans les ouvertures qu'avaient occupées les yeux, s'étaient introduites à leur place, comme par dérision, des pierres brillantes qui semblaient contempler avec ardeur le fond fangeux de l'abîme, et se rire des os des morts répandus de tous côtés.

BRAKENBURY. – Mais pouviez-vous ainsi, en mourant, contempler les secrets de l'abîme?

CLARENCE. – Il me semblait le pouvoir. Et plusieurs fois je m'efforçai de rendre l'âme: mais toujours les flots jaloux laissaient vivre mon âme malgré moi, et ne voulaient point lui permettre d'aller au dehors errer dans les vastes et vides espaces de l'air; mais ils la retenaient dans mon sein haletant, prêt à se briser pour l'exhaler dans les ondes.

BRAKENBURY. – Et vous ne vous êtes pas éveillé dans cette cruelle agonie?

CLARENCE. – Oh! non: mon songe s'est prolongé au delà de ma vie; et c'est alors qu'ont commencé les orages de mon âme. Il me sembla que, conduit par le sombre nocher dont nous parlent les poëtes, je passais le fleuve mélancolique, et j'entrais dans le royaume de l'éternelle nuit. La première ombre qui salua mon âme à son arrivée fut celle de mon illustre beau-père, le renommé Warwick, qui s'écria d'une voix forte: Quel supplice propre au parjure ce sombre royaume pourra-t-il fournir pour le perfide Clarence? Et elle s'évanouit. Ensuite je vis s'approcher, errant çà et là, une ombre semblable à un ange; sa brillante chevelure était trempée de sang, et elle cria fortement: Clarence est arrivé! – Le traître, l'inconstant, le parjure Clarence, qui m'a poignardé dans les champs de Tewksbury! Saisissez-le, furies, livrez-le à vos tourments.-A ces mots, il m'a semblé qu'une légion de démons hideux m'environnait, hurlant à mes oreilles des cris si affreux qu'à ce bruit je me suis éveillé tremblant, et longtemps après je ne pouvais me persuader que je ne fusse pas en enfer, tant ce songe m'avait laissé une impression terrible!

BRAKENBURY. – Je ne m'étonne pas, milord, qu'il vous ait épouvanté: il me semble que je le suis moi-même de vous l'avoir entendu raconter.

CLARENCE. – O Brakenbury, toutes ces choses qui maintenant déposent contre mon âme, je les ai faites pour l'amour d'Édouard; et tu vois comme il m'en récompense! O Dieu, si mes prières élevées du fond du coeur ne te peuvent apaiser, et que tu veuilles être vengé de mes offenses, n'exécute que sur moi l'oeuvre de ta colère. Oh! épargne mon innocente femme et mes pauvres enfants! – Je te prie, cher gardien, demeure auprès de moi. Mon âme est appesantie, et je voudrais dormir.

BRAKENBURY. – Je resterai, milord; que Dieu accorde à Votre Grâce un sommeil paisible! (Clarence s'endort sur une chaise.) Le chagrin intervertit les temps et les heures du repos. Il fait de la nuit le matin, et du midi la nuit. La gloire des princes se réduit à leurs titres; des honneurs extérieurs pour des peines intérieures, et pour des rêveries imaginaires, ils sentent souvent un monde de soucis inquiets; en sorte qu'entre leurs titres et un nom obscur, il n'y a d'autre différence que la renommée extérieure.

(Entrent les deux assassins.)

PREMIER ASSASSIN. – Holà! y a-t-il quelqu'un ici?

BRAKENBURY. – Que veux-tu, mon ami? Et comment es-tu arrivé jusqu'ici?

SECOND ASSASSIN. – Je voulais parler à Clarence. – Et je suis arrivé sur mes jambes.

BRAKENBURY. – Quoi! le ton si bref?

PREMIER ASSASSIN. – Oh! ma foi, il vaut mieux être bref qu'ennuyeux. (A son camarade.) Montre-lui notre commission, et trêve de discours.

(On remet un papier à Brakenbury qui le lit.)

BRAKENBURY. – Cet ordre m'enjoint de remettre le noble duc de Clarence entre vos mains. – Je ne ferai point de réflexions sur les intentions qui l'ont dicté, je veux les ignorer pour en être innocent. Voilà les clefs, – et voici le duc endormi. Je vais trouver le roi, et lui rendre compte de la manière dont je vous ai remis mes fonctions.

PREMIER ASSASSIN. – Vous le pouvez, mon cher, et c'est un acte de prudence. Adieu.

(Brakenbury sort.)

SECOND ASSASSIN. – Eh quoi, le tuerons-nous endormi?

PREMIER ASSASSIN. – Non, il dirait à son réveil que nous l'avons tué en lâches.

SECOND ASSASSIN. – A son réveil! imbécile. Il ne se réveillera jamais qu'au grand jour du jugement.

PREMIER ASSASSIN. – Eh bien, il dirait alors que nous l'avons tué pendant qu'il dormait.

SECOND ASSASSIN. – Ce mot de jugement, que je viens de prononcer, a fait naître en moi une espèce de remords.

PREMIER ASSASSIN. – Quoi! as-tu peur?

SECOND ASSASSIN. – Non pas de le tuer, puisque nous avons notre ordre pour garantie, mais d'être damné pour l'avoir tué: ce dont aucun ordre ne pourrait me sauver.

PREMIER ASSASSIN. – Je t'aurais cru plus résolu.

SECOND ASSASSIN. – Je suis résolu de le laisser vivre.

PREMIER ASSASSIN. – Je vais retourner trouver le duc de Glocester, et lui conter cela.

SECOND ASSASSIN. – Non, je te prie: arrête un moment. J'espère que cet accès de dévotion me passera; il n'a pas coutume de me tenir plus de temps qu'un homme n'en mettrait à compter vingt.

PREMIER ASSASSIN. – Eh bien, comment te sens-tu maintenant?

SECOND ASSASSIN. – Ma foi, je sens encore en moi quelque résidu de conscience.

PREMIER ASSASSIN. – Songe à notre récompense quand l'action sera faite.

SECOND ASSASSIN. – Allons, il va mourir: j'avais oublié la récompense.

PREMIER ASSASSIN. – Où est ta conscience à présent?

SECOND ASSASSIN. – Dans la bourse du duc de Glocester.

PREMIER ASSASSIN. – Ainsi dès que sa bourse s'ouvrira pour nous donner notre salaire, voilà ta conscience partie.

SECOND ASSASSIN. – Cela m'est bien égal. – Qu'elle s'en aille; elle ne trouvera pas beaucoup de gens, ou même pas du tout, qui veuillent l'héberger.

PREMIER ASSASSIN. – Mais si elle allait te revenir?

SECOND ASSASSIN. – Je n'irai pas me commettre avec elle: c'est une dangereuse espèce. Elle vous fait d'un homme un poltron: on ne peut pas voler qu'elle ne vous accuse; on ne peut pas jurer qu'elle ne vous gourmande; on ne peut pas coucher avec la femme du voisin qu'elle ne vous trahisse: c'est un lutin au visage timide et toujours prêt à rougir, qui est sans cesse à se mutiner dans le sein d'un homme; elle vous remplit partout d'obstacles; elle m'a fait restituer une fois une bourse d'or que j'avais trouvée par hasard; elle réduit à la mendicité quiconque la garde chez soi; aussi est-elle bannie de toutes les villes et cités comme une chose dangereuse; et tout homme qui veut vivre à son aise doit s'arranger pour ne s'en rapporter qu'à soi et se passer d'elle.

PREMIER ASSASSIN. – Corbleu! la voilà précisément à mon oreille qui veut me persuader de ne pas tuer le duc.

SECOND ASSASSIN. – Renferme ce diable-là dans ton esprit, et ne l'écoute pas; il ne veut s'insinuer auprès de toi que pour te coûter ensuite des soupirs.

PREMIER ASSASSIN. – Je suis robuste de ma nature: elle n'aura pas le dessus.

SECOND ASSASSIN. – C'est parler en brave compagnon jaloux de sa réputation. Allons, nous mettrons-nous à l'ouvrage?

PREMIER ASSASSIN. – Attrape-le-moi par le haut de la tête avec la poignée de ton épée, et ensuite jetons-le dans cette tonne de malvoisie qui est dans la chambre voisine.

SECOND ASSASSIN. – O l'excellente idée! Nous en ferons une soupe.

PREMIER ASSASSIN. – Doucement. Il s'éveille…

SECOND ASSASSIN. – Frappe.

PREMIER ASSASSIN. – Non; raisonnons un peu avec lui.

CLARENCE. – Où es-tu, gardien? Donne-moi un verre de vin.

PREMIER ASSASSIN. – Vous allez tout à l'heure, milord, avoir du vin tant que vous en voudrez.

CLARENCE. – Au nom de Dieu, qui es-tu?

PREMIER ASSASSIN. – Un homme, comme vous en êtes un.

CLARENCE. – Mais non pas, comme moi, du sang royal.

PREMIER ASSASSIN. – Et vous n'êtes pas, comme nous, un homme loyal.

CLARENCE. – Ta voix est un tonnerre: mais ton regard est humble!

PREMIER ASSASSIN. – Ma voix est celle du roi: mes regards sont de moi.

CLARENCE. – Que tes réponses sont obscures, mais qu'elles sont sinistres! vos yeux me menacent: pourquoi êtes-vous si pâles? Qui vous a envoyés ici? Pourquoi venez-vous?

 

LES DEUX ASSASSINS. – Pour… pour… pour…

CLARENCE. – Pour m'assassiner?

LES DEUX ASSASSINS. – Oui. Oui.

CLARENCE. – A peine avez-vous le coeur de me le dire; vous n'aurez donc pas le coeur de le faire. En quoi, mes amis, vous ai-je offensés?

PREMIER ASSASSIN. – Nous? vous ne nous avez pas offensés: mais c'est le roi.

CLARENCE. – Je suis sûr d'être bientôt réconcilié avec lui.

PREMIER ASSASSIN. – Jamais, milord. Ainsi, préparez-vous à mourir.

CLARENCE. – Êtes-vous donc choisis entre tous les hommes pour égorger l'innocent? Quel est mon crime? où sont les preuves qui m'accusent? quel jury légal a donné son verdict à mon juge? qui a prononcé l'amère sentence de mort du pauvre Clarence? Avant que je sois convaincu d'un crime par la loi, me menacer de la mort est un acte illégal. Je vous enjoins, sur vos espérances de rédemption, et par le précieux sang du Christ versé pour nos graves péchés, de sortir d'ici, et de ne me pas toucher. L'action que vous voulez faire est une action damnable.

PREMIER ASSASSIN. – Ce que nous voulons faire, nous le faisons par ordre.

SECOND ASSASSIN. – Et celui qui l'a donné est notre roi.

CLARENCE. – Sujet insensé! Le grand Roi des rois a dit dans les tables de sa loi: «Tu ne commettras pas de meurtre.» – Veux-tu donc mépriser son ordre pour obéir à celui d'un homme? Prends garde; il tient dans sa main la vengeance, pour la précipiter sur la tête de ceux qui violent sa loi.

SECOND ASSASSIN. – Et c'est cette vengeance qu'il précipite sur toi, comme sur un traître parjure et sur un meurtrier: tu avais fait le serment sacré de combattre pour la cause de la maison de Lancastre.

PREMIER ASSASSIN. – Et, traître au nom de Dieu, tu as violé ton serment, et avec ton épée perfide tu as percé les entrailles du fils de ton souverain.

SECOND ASSASSIN. – Que tu avais juré de soutenir et de défendre.

PREMIER ASSASSIN. – Comment peux-tu nous opposer la loi redoutable de Dieu, après l'avoir violée à tel point?

CLARENCE. – Hélas! pour l'amour de qui ai-je commis cette mauvaise action? Pour Édouard, pour mon frère, pour lui seul: et ce n'est pas pour cela qu'il vous envoie m'assassiner: car il est dans ce péché tout aussi avant que moi. Si Dieu veut en tirer vengeance, sachez qu'il se venge publiquement; n'ôtez pas à son bras puissant le soin de sa querelle; il n'a pas besoin de moyens indirects et illégaux pour retrancher du monde ceux qui l'ont offensé.

PREMIER ASSASSIN. – Qui donc t'a chargé de te faire son ministre sanglant, en frappant à mort le brave Plantagenet, ce noble adolescent, qui s'élevait avec tant de vigueur?

CLARENCE. – Mon amour pour mon frère, le diable et ma rage.

PREMIER ASSASSIN. – C'est notre amour pour ton frère, notre obéissance et ton crime, qui nous amènent ici pour t'égorger.

CLARENCE. – Si vous aimez mon frère, ne me haïssez pas. Je suis son frère, et je l'aime beaucoup. Si vous êtes payés pour cette action, allez-vous-en, et je vous enverrai de ma part à mon frère Glocester, qui vous récompensera bien mieux pour m'avoir laissé vivre qu'Édouard ne vous payera la nouvelle de ma mort.

SECOND ASSASSIN. – Vous êtes dans l'erreur: votre frère Glocester vous hait.

CLARENCE. – Oh! cela n'est pas. Il m'aime, et je lui suis cher: allez le trouver de ma part.

LES DEUX ASSASSINS. – Oui, nous irons.

CLARENCE. – Dites-lui que lorsque notre illustre père York bénit ses trois fils de sa main victorieuse, et nous recommanda du fond de son coeur de nous aimer mutuellement, il ne prévoyait guère cette discorde dans notre amitié: dites à Glocester de se souvenir de cela, et il pleurera.

PREMIER ASSASSIN. – Oui, des meules de moulin: voilà les pleurs qu'il nous a enseignés à verser.

CLARENCE. – Oh! ne le calomniez pas; il est bon.

PREMIER ASSASSIN. – Précisément, comme la neige sur la récolte. – Tenez, vous vous trompez; c'est lui qui nous envoie ici pour vous tuer.

CLARENCE. – Cela ne peut pas être, car il a gémi de ma disgrâce, et, me serrant dans ses bras, il m'a juré, avec des sanglots, qu'il travaillerait à ma délivrance.

PREMIER ASSASSIN. – C'est ce qu'il fait aussi lorsqu'il veut vous délivrer de l'esclavage de ce monde, pour vous envoyer aux joies du ciel.

SECOND ASSASSIN. – Faites votre paix avec Dieu; car il vous faut mourir, milord.

CLARENCE. – Comment, ayant dans l'âme cette sainte pensée de m'engager à faire ma prière avec Dieu, peux-tu être toi-même assez aveugle sur les intérêts de ton âme pour faire la guerre à Dieu en m'assassinant? O mes amis, réfléchissez, et songez bien que celui qui vous a envoyés pour commettre ce forfait vous haïra pour l'avoir commis.

SECOND ASSASSIN. – Que devons-nous faire?

CLARENCE. – Vous laisser toucher et sauver vos âmes.

PREMIER ASSASSIN. – Nous laisser toucher! ce serait une lâcheté, une faiblesse de femme.

CLARENCE. – Ne se point laisser toucher est d'un être brutal, sauvage, diabolique. – Qui de vous deux, s'il était fils d'un roi, privé de sa liberté comme je le suis à présent, voyant venir à lui deux assassins tels que vous, ne plaiderait pas pour sa vie? Mon ami, j'entrevois quelque pitié dans tes regards. Oh! si ton oeil n'est pas hypocrite, range-toi de mon côté, et demande grâce pour moi comme tu la demanderais si tu étais dans la même détresse. – Quel homme, réduit à mendier sa vie, n'aurait pas pitié d'un prince réduit à prier pour la sienne 9!

SECOND ASSASSIN. – Détournez la tête, milord.

PREMIER ASSASSIN, le poignardant. – Tiens, tiens encore; et si tout cela ne suffit pas, je vais vous noyer dans ce tonneau de malvoisie qui est ici à côté.

(Il sort avec le corps.)

SECOND ASSASSIN. – O action sanguinaire, et bien imprudemment précipitée! Que je voudrais, comme Pilate, pouvoir me laver les mains de cet odieux et coupable meurtre 10!

(Rentre le premier assassin.)

PREMIER ASSASSIN. – Eh bien, à quoi penses-tu donc de ne pas m'aider? Par le ciel! le duc saura comme tu as été lâche.

SECOND ASSASSIN. – Je voudrais qu'il pût savoir que j'ai sauvé son frère. – Va recevoir seul la récompense, et rends-lui ce que je dis là; car je me repens de la mort du duc.

(Il sort.)

PREMIER ASSASSIN. – Et moi, non. – Va, poltron que tu es. – Allons, je vais cacher ce cadavre dans quelque trou, jusqu'à ce que le duc donne des ordres pour sa sépulture. Et lorsque j'aurai reçu mon salaire je disparaîtrai; car ceci va éclater, et alors il ne serait pas bon que je restasse ici.

(Il sort.)
FIN DU PREMIER ACTE

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

Toujours à Londres. – Un appartement dans le palais
Entrent LE ROI ÉDOUARD, malade et soutenu; LA REINE ÉLISABETH, DORSET, RIVERS, HASTINGS, BUCKINGHAM, GREY et autres lords

LE ROI ÉDOUARD. – Allons, je suis satisfait; j'ai fait un bon emploi de ma journée. – Conservez, nobles pairs, cette étroite union. J'attends de jour en jour un message de mon Rédempteur, pour m'élargir de ce monde: mon âme le quittera avec plus de paix pour aller au ciel, puisque j'ai rétabli la paix entre mes amis sur la terre. Rivers, et vous, Hastings, prenez-vous la main. Ne gardez plus de haine dissimulée: jurez-vous une amitié mutuelle.

RIVERS. – Le ciel m'est témoin que mon âme est purgée de tout secret venin de haine, et de ma main je scelle la sincère amitié de mon coeur.

HASTINGS. – Puissé-je prospérer comme je fais avec sincérité le même serment!

LE ROI ÉDOUARD. – Gardez-vous de vous jouer de votre roi, de peur que Celui qui est le suprême Roi des rois ne confonde votre fausseté cachée, et ne vous condamne à périr l'un par l'autre.

HASTINGS. – Puissé-je ne prospérer qu'autant que je jure avec sincérité une affection parfaite!

RIVERS. – Et moi, comme il est vrai que j'aime Hastings du fond de mon coeur.

LE ROI ÉDOUARD. – Madame, vous n'êtes pas non plus étrangère à ceci… ni votre fils Dorset… ni vous, Buckingham. Vous avez tous agi les uns contre les autres. Ma femme, aimez lord Hastings; donnez-lui votre main à baiser, et ce que vous faites, faites-le sincèrement.

ÉLISABETH. – Voilà ma main, Hastings. – Jamais je ne me souviendrai de nos anciennes haines: j'en jure par mon bonheur et celui des miens.

LE ROI ÉDOUARD. – Dorset, embrassez-le. – Hastings, soyez l'ami du marquis Dorset.

DORSET. – Je proteste ici que de ma part ce traité d'amitié sera inviolable.

HASTINGS. – Et je fais le même serment.

(Il embrasse Dorset.)

LE ROI ÉDOUARD. – Maintenant c'est à toi, illustre Buckingham, à mettre le sceau à cette union, en embrassant les parents de mon épouse, et en me donnant le bonheur de vous voir amis.

BUCKINGHAM, à la reine. – Si jamais Buckingham tourne son ressentiment contre Votre Majesté, s'il ne vous rend pas à vous et aux vôtres tous les soins et les devoirs de l'attachement, que Dieu m'en punisse par la haine de ceux de qui j'attends le plus d'amitié. Que dans l'instant où j'aurai le plus besoin d'employer un ami, où je compterai le plus sur son zèle, je le trouve faux, perfide, traître et plein d'artifices envers moi! Voilà ce que je demande au ciel aussitôt que je me montrerai froid dans mes affections pour vous et les vôtres.

(Il embrasse Rivers.)

LE ROI ÉDOUARD. – Noble Buckingham, ce voeu que tu viens de faire est un doux cordial pour mon âme malade. Il ne manque plus ici que notre frère Glocester, pour achever de couronner l'ouvrage de cette heureuse paix.

BUCKINGHAM. – Voici le noble duc qui arrive tout à propos.

(Entre Glocester.)

GLOCESTER. – Bonjour, mes souverains roi et reine, et vous, illustres pairs; que cette heure du jour vous soit heureuse!

LE ROI ÉDOUARD. – Elle est heureuse par l'emploi que nous avons fait de ce jour. Mon frère, nous avons accompli des oeuvres de charité. Nous avons, entre ces pairs irrités de ressentiments toujours croissants, fait succéder la paix aux inimitiés, l'amitié à la haine.

GLOCESTER. – C'est une oeuvre de bénédiction, mon souverain seigneur. Si dans cette assemblée princière, il est quelqu'un qui, trompé par de faux rapports ou par d'injustes soupçons, m'ait tenu pour son ennemi; si j'ai fait à mon insu ou dans un moment de colère quelque action qui ait offensé aucun de ceux qui sont ici présents, je désire sincèrement me remettre avec lui en paix et amitié. C'est la mort pour moi que d'être en inimitié avec quelqu'un; je déteste cela, et je désire l'amitié de tous les gens de bien. – Je commence par vous, madame, et je vous demande une paix sincère, que j'aurai soin d'entretenir par un respectueux dévouement. – Je vous la demande aussi à vous, mon noble cousin Buckingham, si jamais il a existé entre nous quelque secret mécontentement. – A vous, lord Rivers, et lord Grey, qui m'avez toujours, sans que je l'aie mérité, regardé d'un oeil malveillant. – En un mot à vous tous, ducs, comtes, lords, gentilshommes. Je ne connais pas un seul Anglais vivant contre qui mon âme renferme, sur quelque point que ce soit, plus d'aigreur que n'en a l'enfant qui naquit cette nuit; et je remercie Dieu de m'avoir donné ces sentiments d'humilité.

ÉLISABETH. – Ce jour sera consacré pour être désormais un jour de fête. Plût à Dieu que toutes les querelles fussent accommodées! – Mon souverain seigneur, je conjure Votre Majesté de recevoir en grâce notre frère Clarence.

 

GLOCESTER. – Quoi, madame, suis-je donc venu vous offrir ici mon amitié pour me voir ainsi bafoué en présence du roi? Qui ne sait que cet aimable duc est mort? (Tous tressaillent.) C'est l'outrager que d'insulter ainsi à son cadavre.

LE ROI ÉDOUARD. – Qui ne sait qu'il est mort? Eh! qui sait qu'il le soit?

ÉLISABETH. – O ciel qui vois tout, quel monde est celui-ci!

BUCKINGHAM. – Lord Dorset, suis-je aussi pâle que les autres?

DORSET. – Oui, mon bon lord; et il n'est personne dans cette assemblée dont les joues n'aient perdu leur couleur.

LE ROI ÉDOUARD. – Est-il vrai que Clarence soit mort? – L'ordre avait été révoqué.

GLOCESTER. – Mais le pauvre malheureux a été mis à mort sur le premier ordre, il avait été porté sur les ailes de Mercure; le second ordre est arrivé lentement par quelque messager boiteux survenu trop tard, et seulement pour le voir ensevelir. – Dieu veuille que quelqu'un, moins noble et moins fidèle que Clarence, moins proche du roi par le sang, mais d'un coeur plus sanguinaire, et cependant encore exempt de soupçons, n'ait pas mérité bien pis que le malheureux Clarence!

(Entre Stanley.)

STANLEY. – Une grâce, mon souverain, pour tous mes services.

LE ROI ÉDOUARD. – Je t'en prie, laisse-moi: mon âme est pleine de douleur.

STANLEY. – Je ne me relève point que Votre Majesté ne m'ait entendu.

LE ROI ÉDOUARD. – Dis donc en peu de mots ce que tu demandes.

STANLEY. – La grâce, mon souverain, d'un de mes serviteurs qui a tué aujourd'hui un gentilhomme querelleur, depuis peu attaché au duc de Norfolk.

LE ROI ÉDOUARD. – Ma langue aura prononcé l'arrêt de mort de mon frère, et l'on veut que cette même langue prononce le pardon d'un valet? Mon frère n'avait tué personne: son crime ne fut qu'une pensée; et cependant il a été puni par une mort cruelle. Qui de vous m'a sollicité pour lui? Qui, dans ma colère, s'est jeté à mes pieds, et m'a engagé à réfléchir? Qui m'a parlé des liens fraternels? Qui m'a parlé de notre affection? Qui m'a rappelé comment le pauvre malheureux avait abandonné le puissant Warwick, et avait combattu pour moi? Qui m'a rappelé que dans les champs de Tewksbury, lorsque Oxford m'avait terrassé, il me sauva la vie, en disant: Cher frère, vivez, et soyez roi? Qui m'a rappelé comment, lorsque couchés tous deux sur la terre, nous étions presque morts de froid, il m'enveloppa de ses propres vêtements, et s'exposa nu et sans force au froid pénétrant de la nuit? Hélas! ma brutale colère avait criminellement arraché tout cela de mon souvenir, et pas un de vous n'a eu la charité de me le remettre… Mais lorsqu'un de vos palefreniers ou de vos valets de pied a commis un meurtre dans l'ivresse, et défiguré la précieuse image de notre bien-aimé Rédempteur, vous voilà aussitôt à mes genoux demandant pardon, pardon; et il faut qu'injuste autant que vous, je vous l'accorde! – Mais pour mon frère, personne n'a élevé la voix, ni moi non plus, ingrat! je ne me suis rien dit en faveur de ce pauvre malheureux! – Les plus fiers d'entre vous ont été ses obligés pendant sa vie, et pas un de vous n'aurait parlé pour le défendre. – O Dieu! je crains bien que ta justice ne venge ce crime sur moi, sur vous, sur les miens et les vôtres! – Venez, Hastings; aidez-moi à regagner mon cabinet. – O pauvre Clarence!..

(Sortent le roi et la reine, Hastings, Rivers, Dorset et Grey.)

GLOCESTER. – Voilà les fruits d'une aveugle colère! – N'avez-vous pas remarqué comme tous ces coupables parents de la reine ont pâli à la nouvelle de la mort de Clarence! Oh! ils n'ont cessé de la solliciter auprès du roi. Dieu en tirera vengeance. – Allons, milord, voulez-vous venir avec moi tenir compagnie à Édouard, pour soulager sa douleur?

BUCKINGHAM. – Nous suivons Votre Grâce.

(Ils sortent.)
9A begging prince what beggar pities not?
10Clarence ne périt point de cette manière ni par le fait seul du duc de Glocester, mais de concert avec le roi qui, aigri par Richard et par la reine, et d'ailleurs toujours disposé à se méfier de Clarence, le fit condamner à mort par la chambre des pairs, instrument servile, à cette époque, des actes de tyrannie les plus odieux envers les particuliers, en même temps qu'elle était presque intraitable sur les subsides. Clarence fut condamné pour de simples propos qu'on avait eu soin de provoquer.