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Henri VI. 3

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SCÈNE III

Plaine près du château de Sandal
Alarme; excursions. Entrent RUTLAND et son GOUVERNEUR

RUTLAND. – Ah! où fuirai-je? Où me sauverai-je de leurs mains? Ah! mon gouverneur, voyez, le sanguinaire Clifford vient à nous.

(Entrent Clifford et des soldats.)

CLIFFORD. – Fuis, chapelain; ton état de prêtre te sauve la vie. – Mais pour le rejeton de ce maudit duc, dont le père a tué mon père, il mourra.

LE GOUVERNEUR. – Et moi, milord, je lui tiendrai compagnie.

CLIFFORD. – Soldats, emmenez-le.

LE GOUVERNEUR. – Ah! Clifford, ne l'assassine pas, de peur que tu ne sois haï de Dieu et des hommes.

(Les soldats l'entraînent de force. L'enfant reste pâmé de frayeur.)

CLIFFORD. – Allons. – Quoi! est-il déjà mort? ou est-ce la peur qui lui fait ainsi fermer les yeux? – Oh! je vais te les faire ouvrir.

RUTLAND. – C'est ainsi que le lion affamé regarde le malheureux qui tremble sous ses griffes avides, c'est ainsi qu'il se promène insultant à sa proie, et c'est ainsi qu'il s'approche pour déchirer ses membres. – Ah! bon Clifford, tue-moi avec ton épée, mais non pas avec ce regard cruel et menaçant. Bon Clifford, écoute-moi avant que je meure: je suis trop peu de chose pour être l'objet de ta colère: venge-toi sur des hommes, et laisse-moi vivre.

CLIFFORD. – Tu parles en vain, pauvre enfant. Le sang de mon père a fermé le passage par où tes paroles pourraient pénétrer.

RUTLAND. – Eh bien! c'est au sang de mon père à le rouvrir: c'est un homme, Clifford, mesure-toi avec lui.

CLIFFORD. – Eussé-je ici tous tes frères, leur vie et la tienne ne suffiraient pas pour assouvir ma vengeance. Non, quand je creuserais encore les tombeaux de tes pères, et que j'aurais pendu à des chaînes leurs cercueils pourris, ma fureur n'en serait pas ralentie, ni mon coeur soulagé. La vue de tout ce qui appartient à la maison d'York est une furie qui tourmente mon âme; et jusqu'à ce que j'aie extirpé leur race maudite, sans en laisser un seul au monde, je vis en enfer. – Ainsi donc…

(Levant le bras.)

RUTLAND. – Oh! laisse-moi prier un moment avant de recevoir la mort! – Ah! c'est toi que je prie, bon Clifford; aie pitié de moi.

CLIFFORD. – Toute la pitié que peut t'accorder la pointe de mon épée.

RUTLAND. – Jamais je ne t'ai fait aucun mal, pourquoi veux-tu me tuer?

CLIFFORD. – Ton père m'a fait du mal.

RUTLAND. – Mais avant que je fusse né. – Tu as un fils, Clifford; pour l'amour de lui, aie pitié de moi, de crainte qu'en vengeance de ma mort, comme Dieu est juste, il ne soit aussi misérablement égorgé que moi. Ah! laisse-moi passer ma vie en prison; et à la première offense, tu pourras me faire mourir; mais à présent tu n'en as aucun motif.

CLIFFORD. – Aucun motif? ton père a tué mon père: c'est pourquoi, meurs.

(Il le poignarde.)

RUTLAND. -Dii faciant, laudis summa sit ista tuæ4.

(Il meurt.)

CLIFFORD. – Plantagenet! Plantagenet! j'arrive; et ce sang de ton fils, attaché à mon épée va s'y rouiller jusqu'à ce que ton sang figé avec celui-ci me détermine à les en faire disparaître tous deux.

(Il sort.)

SCÈNE IV

Alarme. Entre YORK

YORK. – L'armée de la reine a vaincu; mes deux oncles ont été tués en défendant ma vie, et tous mes partisans tournent le dos à l'ennemi acharné, et fuient comme les vaisseaux devant les vents, ou comme des agneaux que poursuivent des loups affamés. – Mes fils!.. Dieu sait ce qu'ils sont devenus. Mais je sais bien que, vivants ou morts, ils se sont comportés en homme nés pour la gloire. Trois fois Richard s'est ouvert un passage jusqu'à moi, en me criant: Courage! mon père, combattons jusqu'à la fin. Et trois fois aussi Édouard m'a joint, son épée toute rouge, teinte jusqu'à la garde du sang de ceux qui l'avaient combattu, et lorsque les plus intrépides guerriers se retiraient, Richard criait: Chargez, ne lâchez pas un pied de terrain; il criait encore: Une couronne ou un glorieux tombeau! un sceptre, ou un sépulcre en ce monde! C'est alors que nous avons chargé de nouveau: mais, hélas! nous avons encore reculé; – comme j'ai vu un cygne s'efforcer inutilement de nager contre le courant, et s'épuiser à combattre les flots qui le maîtrisaient. – Mais qu'entends-je! (Courte alarme derrière le théâtre.) Écoutons! nos terribles vainqueurs continuent la poursuite; et je suis trop affaibli, et je ne peux fuir leur fureur; et eussé-je encore toutes mes forces, je ne leur échapperais pas. Le sable qui mesurait ma vie a été compté: il faut rester ici; c'est ici que ma vie doit finir. (Entrent la reine Marguerite, Clifford, Northumberland, soldats.) Viens, sanguinaire Clifford. – Farouche Northumberland! me voilà pour servir de but à vos coups; je les attends de pied ferme.

NORTHUMBERLAND. – Rends-toi à notre merci, orgueilleux Plantagenet.

CLIFFORD. – Oui, et tu auras merci tout juste comme ton bras sans pitié l'a faite à mon père. Enfin Phaéton est tombé de son char, et le soir est arrivé à l'heure de midi.

YORK. – De mes cendres comme de celles du phénix peut sortir l'oiseau qui me vengera sur vous tous. Dans cet espoir, je lève les yeux vers le ciel, et je brave tous les maux que vous pourrez me faire subir. Eh bien! que n'avancez-vous? Quoi! vous êtes une multitude et vous avez peur!

CLIFFORD. – C'est ainsi que les lâches commencent à combattre, quand ils ne peuvent plus fuir: ainsi la colombe attaque de son bec les serres du faucon qui la déchire: ainsi les voleurs sans ressource, et désespérant de leur vie, accablent le prévôt de leurs invectives.

YORK. – O Clifford, recueille-toi un moment, et dans ta pensée rappelle ma vie entière; et alors, si tu le peux, regarde-moi pour rougir de tes paroles, et mords cette langue qui accuse de lâcheté celui dont l'aspect menaçant t'a fait jusqu'ici trembler et fuir.

CLIFFORD. – Je ne m'amuserai pas à disputer avec toi de paroles: mais nous allons jouter de coups, quatre pour un!

(Il tire son épée.)

MARGUERITE. – Arrête, vaillant Clifford! Pour mille raisons, je veux prolonger encore un peu la vie de ce traître. – La rage le rend sourd. – Parle-lui, Northumberland.

NORTHUMBERLAND. – Arrête, Clifford: ne lui fais pas l'honneur de t'exposer à avoir le doigt piqué, pour lui percer le coeur. Quand un roquet montre les dents, quelle valeur y a-t-il à mettre la main dans sa gueule, lorsqu'on pourrait le repousser avec le pied? Le droit de la guerre est d'user de tous ses avantages; et ce n'est point faire brèche à l'honneur que de se mettre dix contre un.

(Ils se jettent sur York, qui se débat.)

CLIFFORD. – Oui, oui, c'est ainsi que se débat l'oiseau dans le lacet.

NORTHUMBERLAND. – C'est ainsi que s'agite le lapin dans le piége.

(York est fait prisonnier.)

YORK. – Ainsi triomphent les brigands sur la proie qu'ils ont conquise; ainsi succombe l'honnête homme attaqué en nombre inégal par des voleurs.

NORTHUMBERLAND. – Maintenant, madame, qu'ordonnez-vous de lui?

MARGUERITE. – Braves guerriers, Clifford, Northumberland, il faut le placer sur ce tertre de terre, lui qui les bras étendus voulait atteindre les montagnes, et n'a fait avec sa main que traverser leur ombre. – Quoi, c'était donc vous qui vouliez être roi d'Angleterre? C'était donc vous qui triomphiez dans notre parlement, et nous faisiez entendre un discours sur votre naissance? Où est maintenant votre potée d'enfants, pour vous soutenir? Votre pétulant Édouard et votre robuste George? Où est-il, ce vaillant miracle des bossus, votre petit Dicky, dont la voix toujours grondante animait son papa à la révolte? Où est-il aussi votre bien-aimé Rutland? Voyez, York, j'ai teint ce mouchoir dans le sang que le brave Clifford a fait sortir avec la pointe de son épée du sein de cet enfant; et si vos yeux peuvent pleurer sa mort, tenez, je vous le présente, pour en essuyer vos larmes. Hélas! pauvre York! si je ne vous haïssais pas mortellement, je plaindrais l'état misérable où je vous vois! Je t'en prie, York, afflige-toi pour me réjouir. Frappe du pied, enrage, désespère-toi, que je puisse chanter et danser. Quoi! le feu de ton coeur a-t-il tellement desséché tes entrailles, qu'il ne puisse couler une larme pour la mort de Rutland? D'où te vient ce calme? Tu devrais être furieux, et c'est pour te rendre furieux que je t'insulte ainsi. Mais je le vois; tu veux que je te paye pour me divertir: York ne sait parler que quand il porte une couronne. – Une couronne pour York. – Et vous, lords, inclinez-vous bien bas devant lui. – Tenez-lui les mains, tandis que je vais le couronner. (Elle lui place sur la tête une couronne du papier5). Mais, vraiment, à présent il a l'air d'un roi. Oui, voilà celui qui s'est emparé du trône de Henri; voilà celui qui s'était fait adopter par lui pour son héritier. – Mais comment se fait-il donc que le grand Plantagenet soit couronné sitôt, au mépris de son serment solennel? Je croyais, moi, que tu ne devais être roi qu'après que notre roi Henri aurait serré la main à la mort; et vous voulez ceindre votre tête de la gloire de Henri, et ravir à son front le diadème dès à présent, pendant sa vie, et contre votre serment sacré! Oh! c'est aussi un crime trop impardonnable! Allons, faites tomber cette couronne, et avec elle sa tête, et qu'il suffise d'un clin d'oeil pour le mettre à mort.

 

CLIFFORD. – Cet office me regarde, en mémoire de mon père.

MARGUERITE. – Non, arrête encore: écoutons-le pérorer.

YORK. – Louve de France, mais pire que les loups de France; toi dont la langue est plus envenimée que la dent de la vipère, qu'il sied mal à ton sexe de triompher, comme une amazone effrontée, des malheurs de ceux qu'enchaîne la fortune! Si ton visage n'était pas immobile comme un masque, et accoutumé à l'impudence par l'habitude des mauvaises actions, j'essayerais de te faire rougir, reine présomptueuse: te dire seulement d'où tu viens, de qui tu sors, c'en serait assez pour te couvrir de honte, s'il te restait quelque sentiment de honte. Ton père, qui se pare des titres de roi de Naples, des Deux-Siciles et de Jérusalem, n'a pas le revenu d'un métayer anglais. Est-ce donc ce monarque indigent qui t'a appris à insulter? Cela est bien inutile et ne te convient pas, reine insolente! à moins qu'il ne te faille vérifier le proverbe, qu'un mendiant sur un cheval le pousse jusqu'à ce qu'il crève. C'est la beauté qui souvent fait l'orgueil des femmes. Mais Dieu sait que ta part en est petite. C'est la vertu qui les fait le plus admirer. Le contraire t'a rendue un objet d'étonnement. C'est par la décence et la douceur qu'elles deviennent comme divines; et c'est par l'absence de ces qualités que tu es abominable. Tu es l'opposé de tout bien, comme les antipodes le sont du lieu que nous habitons, comme le sud l'est du septentrion. Oh! coeur de tigresse, caché sous la forme d'une femme! Comment, après avoir teint ce linge du sang vital d'un enfant pour en essuyer les larmes de son père, peux-tu porter encore la figure d'une femme? Les femmes sont douces, sensibles, pitoyables et d'un coeur facile à fléchir; et toi, tu es féroce, implacable, dure comme la roche, inflexible et sans remords. Tu m'excitais à la fureur; eh bien! tu as ce que tu désirais. Tu voulais me voir pleurer; eh bien! tu as ce que tu voulais; car la fureur des vents amasse d'interminables ondées, et, dès qu'elle se ralentit, commence la pluie. Ces pleurs sont les obsèques de mon cher Rutland; et chaque larme crie vengeance sur sa mort… contre toi, barbare Clifford… et toi, perfide Française.

NORTHUMBERLAND. – Je m'en veux; mais ses douleurs m'émeuvent au point que j'ai de la peine à retenir mes larmes.

YORK. – Des cannibales affamés eussent craint de toucher à un visage comme celui de mon fils, et n'eussent pas voulu le souiller de sang; mais vous êtes plus inhumains, plus inexorables; oh! dix fois plus que les tigres de l'Hyrcanie. Vois, reine impitoyable; vois les larmes d'un malheureux père: ce linge que tu as trempé dans le sang de mon cher enfant, vois, j'en lave le sang avec mes larmes; tiens, reprends-le, et va te vanter de ce que tu as fait. (Il lui rend le mouchoir.) Si tu racontes, comme elle est, cette histoire, sur mon âme, ceux qui l'entendront lui donneront des larmes: oui, mes ennemis même verseront des larmes abondantes, et diront: Hélas! ce fut un lamentable événement. – Allons, reprends ta couronne, et ma malédiction avec elle; et puisses-tu, quand tu en auras besoin, trouver la consolation que je reçois de ta cruelle main! Barbare Clifford! ôte-moi du monde! Que mon âme s'envole aux cieux, et que mon sang retombe sur vos têtes!

NORTHUMBERLAND. – Il aurait massacré toute ma famille, que je ne pourrais pas, dût-il m'en coûter la vie, m'empêcher de pleurer avec lui, en voyant combien la douleur domine profondément son âme.

MARGUERITE. – Quoi! tu en viens aux larmes, milord Northumberland? – Songe seulement aux maux qu'il nous a faits à tous, et cette pensée séchera bientôt tes tendres pleurs.

CLIFFORD. – Voilà pour accomplir mon serment, voilà pour la mort de mon père.

(Le perçant de son épée.)

MARGUERITE, lui portant aussi un coup d'épée. – Et voilà pour venger le droit de notre bon roi.

YORK. – Ouvre-moi les portes de ta miséricorde, Dieu de clémence! Mon âme s'envole par ces blessures pour aller vers toi.

(Il meurt.)

MARGUERITE. – Abattez sa tête, et placez-la sur les portes d'York: de cette manière York dominera sa ville d'York.

(Ils sortent.)

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

Plaine voisine de la Croix de Mortimer dans le comté d'Hereford
Tambours; entrent ÉDOUARD ET RICHARD en marche avec leurs troupes

ÉDOUARD. – J'ignore comment notre auguste père aura pu échapper, et même s'il aura pu échapper ou non à la poursuite de Clifford et de Northumberland. S'il avait été pris, nous en aurions appris la nouvelle; s'il avait été tué, le bruit nous en serait aussi parvenu; mais s'il avait échappé, il me semble aussi que nous aurions dû recevoir le consolant avis de son heureuse fuite. Comment se trouve mon frère? pourquoi est-il si triste?

RICHARD. – Je n'aurai point de joie que je ne sache ce qu'est devenu notre très-valeureux père. Je l'ai vu dans la bataille renversant tout sur son passage; j'ai observé comme il cherchait à écarter Clifford, et à l'attirer seul. Il m'a paru se conduire au plus fort de la mêlée, comme un lion au milieu d'un troupeau de boeufs, ou un ours entouré de chiens qui, lorsque quelques-uns d'entre eux atteints de sa griffe ont poussé des cris de douleur, se tiennent éloignés, aboyant contre lui. Tel était notre père au milieu de ses ennemis: ainsi les ennemis fuyaient mon redoutable père. C'est, à mon avis, gagner assez de gloire que d'être ses fils. – Vois comme l'aurore ouvre ses portes d'or et prend congé du soleil radieux. Comme elle ressemble au printemps de la jeunesse! au jeune homme qui s'avance gaiement vers celle qu'il aime!

ÉDOUARD. – Mes yeux sont-ils éblouis, ou vois-je en effet trois soleils?

RICHARD. – Ce sont trois soleils brillants, trois soleils bien entiers: non pas un soleil coupé par les nuages, car, distincts l'un de l'autre, ils brillent dans un ciel clair et blanchâtre. Voyez, voyez, ils s'unissent, se confondent et semblent s'embrasser, comme s'ils juraient ensemble une ligue inviolable: à présent ils ne forment plus qu'un seul astre, qu'un seul flambeau, qu'un seul soleil. – Sûrement le ciel nous veut représenter par là quelque événement.

ÉDOUARD. – C'est bien étrange: jamais on n'ouït parler d'une telle chose. Je pense qu'il nous appelle, mon frère, au champ de bataille: afin que nous, enfants du brave Plantagenet, déjà brillants séparément par notre mérite, nous unissions nos splendeurs pour luire sur la terre, comme ce soleil sur le monde. Quel que soit ce présage, je veux désormais porter sur mon bouclier trois soleils radieux.

RICHARD. – Portez-y plutôt trois filles, car, avec votre permission, vous aimez mieux les femelles que les mâles. (Entre un messager.) Qui es-tu, toi, dont les sombres regards annoncent quelques tristes récits suspendus au bout de ta langue?

LE MESSAGER. – Ah! je viens d'être le triste témoin du meurtre du noble duc d'York, votre auguste père, et mon excellent maître.

ÉDOUARD. – Oh! n'en dis pas davantage: j'en ai trop entendu.

RICHARD. – Raconte-moi comment il est mort: je veux tout entendre.

LE MESSAGER. – Environné d'un grand nombre d'ennemis, il leur faisait face à tous; semblable au héros, espoir de Troie, s'opposant aux Grecs qui voulaient entrer dans la ville. Mais Hercule même doit succomber sous le nombre; et plusieurs coups redoublés de la plus petite cognée tranchent et abattent le chêne le plus dur et le plus vigoureux. Saisi par une foule de mains, votre père a été dompté; mais il n'a été percé que par le bras furieux de l'impitoyable Clifford, et par la reine. Elle lui a mis par grande dérision une couronne sur la tête: elle l'a insulté de ses rires; et lorsque de douleur il s'est mis à pleurer, cette reine barbare lui a offert, pour essuyer son visage, un mouchoir trempé dans le sang innocent de l'aimable et jeune Rutland, égorgé par l'affreux Clifford. Enfin, après une multitude d'outrages et d'affronts odieux, ils lui ont tranché la tête, et l'ont placée sur les portes d'York, où elle offre le plus affligeant spectacle que j'aie jamais vu.

ÉDOUARD. – Cher duc d'York, appui sur qui nous nous reposions, à présent que tu nous es enlevé, nous n'avons plus de soutien ni d'appui. – O Clifford! insolent Clifford, tu as détruit la fleur des chevaliers de l'Europe! et ce n'est que par trahison que tu l'as abattu: seul contre toi seul, il t'aurait vaincu. – Ah! maintenant la demeure de mon âme lui est devenue une prison; oh! qu'elle voudrait s'en affranchir avant que ce corps pût, enfermé sous la terre, y trouver le repos! jamais, à compter de ce moment, je ne puis plus goûter aucune joie; jamais, jamais je ne connaîtrai plus la joie.

RICHARD. – Je ne puis pleurer. Tout ce que mon corps contient d'humidité peut à peine suffire à calmer le brasier qui brûle mon coeur, et ma langue ne le peut délivrer du poids qui le surcharge, car le souffle qui pousserait mes paroles au dehors est employé à exciter les charbons qui embrasent mon sein et le dévorent de flammes qu'éteindraient les larmes. Pleurer, c'est diminuer la profondeur de la douleur: aux enfants donc les pleurs; et à moi le fer et la vengeance! – Richard, je porte ton nom, je vengerai ta mort, ou je mourrai environné de gloire pour l'avoir tenté.

ÉDOUARD. – Ce vaillant duc t'a laissé son nom: il me laisse à moi sa place et son duché.

RICHARD. – Allons, si tu es vraiment l'enfant de cet aigle royal, prouve ta race en regardant fixement le soleil. Au lieu de sa place et de son duché, dis le trône et le royaume: ils sont à toi, ou tu n'es pas son fils.

(Une marche. Entrent Warwick, Montaigu, suivis de leur armée.)

WARWICK. – Eh bien, mes beaux seigneurs, où en êtes-vous? Quelles nouvelles avez-vous reçues?

RICHARD. – Illustre Warwick, s'il fallait vous redire nos funestes nouvelles, et recevoir à chaque mot un coup de poignard dans notre coeur, jusqu'à la fin du récit, nous souffririons moins de ces blessures que de ces cruelles paroles. O valeureux lord, le duc d'York est tué!

ÉDOUARD. – O Warwick! Warwick! ce Plantagenet qui t'aimait aussi chèrement que le salut de son âme a été mis à mort par le cruel lord Clifford!

WARWICK. – Il y a déjà dix jours que j'ai noyé de mes larmes cette douloureuse nouvelle; et aujourd'hui, pour mettre le comble à vos malheurs, je viens vous instruire des événements qui l'ont suivie. Après le sanglant combat livré à Wakefield, où votre brave père a rendu son dernier soupir, des nouvelles apportées avec toute la promptitude des plus rapides courriers m'instruisirent de votre perte et de sa mort. J'étais alors à Londres, tenant le roi sous ma garde: j'ai mis mes soldats sur pied, j'ai rassemblé une foule d'amis; et me trouvant en forces, à ce que j'imaginais, j'ai marché vers Saint-Albans pour intercepter la reine, me couvrant toujours de la présence du roi que je conduisais avec moi: car des espions m'avaient averti que la reine venait avec la résolution d'anéantir le dernier décret que nous avons fait arrêter en parlement, relativement au serment du roi Henri et à votre succession. – Pour abréger; nous nous sommes rencontrés à Saint-Albans: nos deux armées se sont jointes, et l'on a opiniâtrement combattu des deux côtés… Mais soit que la froideur du roi, qui regardait sans nulle colère sa belliqueuse épouse, ait éteint la vindicative fureur de mes soldats; soit que ce fût en effet la nouvelle du succès récent de la reine, ou l'extraordinaire effroi que leur causait la cruauté de Clifford, qui foudroie ses prisonniers des mots de sang et de mort; c'est ce que je ne peux juger: mais la vérité, en un mot, c'est que les armes de nos ennemis allaient et venaient comme l'éclair, et que celles de nos soldats, semblables au vol indolent de l'oiseau de nuit, ou au fléau d'un batteur paresseux, tombaient avec mollesse, comme si elles eussent frappé des amis. J'ai essayé de les ranimer par la justice de notre cause, par la promesse d'une haute paye et de grandes récompenses, mais en vain. Ils n'avaient pas le coeur au combat, et ne nous offraient aucune espérance de gagner la victoire; nous avons fui, le roi auprès de la reine, et nous, le lord George, votre frère, Norfolk et moi, nous sommes accourus en toute hâte et ventre à terre, pour vous rejoindre, car on nous avait appris que vous étiez ici sur les frontières, occupés à rassembler une autre armée pour livrer un nouveau combat.

 

ÉDOUARD. – Cher Warwick, où est le duc de Norfolk? Apprenez-nous encore quand mon frère est revenu de Bourgogne en Angleterre.

WARWICK. – Le duc est à six milles d'ici environ, avec ses troupes. – Quant à votre frère, la duchesse de Bourgogne, votre bonne tante, l'a renvoyé ces jours derniers avec un renfort de soldats, bien nécessaire dans cette guerre.

RICHARD. – Il fallait que la partie fût bien inégale, lorsque le vaillant Warwick a fui. Je lui ai souvent entendu attribuer la gloire d'avoir poursuivi l'ennemi; mais jamais, jusqu'à aujourd'hui, le scandale d'une retraite.

WARWICK. – Et tu n'auras point par moi de scandale, Richard; tu apprendras que mon bras si vigoureux peut enlever le diadème de la tête du faible Henri, et arracher de sa main le sceptre du pouvoir imposant, fût-il aussi intrépide, aussi renommé dans la guerre, qu'il est connu par sa faiblesse, et son amour pour la paix et la prière.

RICHARD. – Je le sais bien: Warwick, ne t'offense pas; c'est l'amour que je porte à ta gloire qui m'a fait parler ainsi. Mais, dans ces temps de crise, quel parti prendre? Faut-il jeter de côté cette armure de fer, pour nous envelopper dans de noirs manteaux de deuil, et compter des ave Maria sur nos chapelets? Ou bien, chargerons-nous nos armes vengeresses de dire notre dévotion aux casques de nos ennemis? Si vous êtes pour ce dernier parti, dites oui, et partons, milords.

WARWICK. – C'est pour cela que Warwick est venu vous chercher, et c'est pour cela que vient mon frère Montaigu. Suivez-moi, lords. Cette reine hautaine et insultante, aidée de Clifford et du superbe Northumberland, et de plusieurs autres fiers oiseaux du même plumage, a manié comme la cire ce roi flexible et docile. Il vous a, avec serment, acceptés pour ses successeurs; son serment est enregistré dans les dépôts du parlement; et dans ce moment toute la bande est allée à Londres, pour annuler son engagement, et tout ce qui pourrait faire un titre contre la maison de Lancastre. Leur armée, je pense, est forte de trente mille hommes. Eh bien, si le secours qu'amène Norfolk, avec ma troupe, et tous les amis que tu pourras nous procurer, brave comte des Marches, parmi les fidèles Gallois, monte seulement à vingt-cinq mille hommes, alors, en route! nous marchons vigoureusement sur Londres; et remontés sur nos coursiers écumants, nous crierons encore une fois: Chargez l'ennemi; mais jamais on ne nous reverra tourner le dos et fuir.

RICHARD. – Oui, maintenant je puis le croire, c'est le grand Warwick que j'entends. Qu'il ne vive pas un jour de plus, celui qui criera Retraite, lorsque Warwick lui ordonnera de tenir ferme!

ÉDOUARD. – Lord Warwick, je veux m'appuyer sur ton épaule; et si tu viens à tomber (Dieu ne permette pas que nous voyions arriver une pareille heure!), il faudra qu'Édouard tombe aussi, danger dont me préserve le Ciel!

WARWICK. – Tu n'es plus comte des Marches, mais duc d'York. Après ce titre, le premier est celui de souverain de l'Angleterre. Tu seras proclamé roi d'Angleterre dans tous les bourgs que nous traverserons; et quiconque ne jettera pas son chaperon en l'air en signe de joie payera de sa tête son offense. – Roi Édouard, – vaillant Richard, – Montaigu, ne restons pas ici plus longtemps à rêver la gloire; que les trompettes sonnent, et courons à notre tâche.

RICHARD. – Ton coeur, Clifford, fût-il aussi dur que l'acier (et tes actions ont assez montré qu'il était de fer), je cours le percer, ou te livrer le mien.

ÉDOUARD. – Allons, battez, tambours. Dieu et saint George avec nous!

(Entre un messager.)

WARWICK. – Eh bien, quelles nouvelles?

LE MESSAGER. – Le duc de Norfolk m'envoie pour vous annoncer que la reine s'avance avec une puissante armée: il désire votre présence pour prendre promptement ensemble une résolution.

WARWICK. – Tout va donc à souhait! Braves guerriers, marchons.

(Ils sortent.)
4Hall dit seulement que le jeune Rutland, alors âgé tout au plus de douze ans, ayant été trouvé par Clifford, dans une maison où il s'était caché, se jeta à ses pieds, et implora sa miséricorde, en levant vers lui ses mains jointes, car la frayeur lui avait ôté la parole. Le jeune comte de Rutland avait alors, non pas douze ans, mais dix-sept.
5Ces détails, dont le fond est rapporté par Hollinshed, d'après quelques chroniques, et en particulier celle de Whetamstede, ne sont pas dans Hall qui dit que la couronne de papier ne fut placée sur la tête d'York qu'après sa mort. Quant à la circonstance du mouchoir trempé dans le sang de Rutland, elle paraît être une invention de l'auteur de la pièce originale, quel qu'il soit.