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Henri IV (1re partie)

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SCÈNE III

Autre appartement du palais
Entrent LE ROI HENRI, NORTHUMBERLAND, WORCESTER, HOTSPUR, SIR W. BLOUNT et autres personnages

LE ROI. – Mon sang a été trop calme et trop froid, de ne pas bouillir à cet indigne affront: c'est ainsi que vous avez pensé, et en conséquence vous foulez ma patience aux pieds. Mais soyez bien sûrs que désormais je serai ce que je suis par mon rang puissant et redoutable, plutôt que de me livrer à mon caractère, qui a été jusqu'ici coulant comme l'huile, doux comme un jeune duvet, et m'a fait perdre ainsi mes titres au respect que les âmes orgueilleuses ne rendent jamais qu'aux orgueilleux.

WORCESTER. – Notre maison, mon souverain, n'a guère mérité qu'on déployât sur elle la verge du pouvoir, de ce même pouvoir que nos propres mains ont aidé à devenir si imposant.

NORTHUMBERLAND. – Seigneur…

LE ROI. – Worcester, va-t'en: car je vois dans tes yeux l'audace de la désobéissance. – Oh! monsieur! votre maintien est trop arrogant, trop impérieux, et la majesté royale ne se laisserait pas plus longtemps insulter par le froncement de sourcils d'un serviteur. Vous avez toute liberté de vous retirer: quand nous aurons besoin de vos services et de vos conseils, nous vous ferons appeler. (Worcester sort.-A Northumberland.) Vous vouliez parler.

NORTHUMBERLAND. – Oui, mon bon seigneur: ces prisonniers, demandés au nom de Votre Altesse, et que Henri Percy a faits ici près de Holmedon, n'ont pas été, à ce qu'il assure, refusés d'une manière aussi positive qu'on l'a rapporté à Votre Majesté. C'est donc à l'envie, ou bien à une méprise, qu'on doit attribuer cette faute, et non pas à mon fils.

HOTSPUR. – Mon souverain, je n'ai point refusé de prisonniers; mais je me rappelle que, le combat fini, au moment où je me sentais desséché par les fureurs de l'action et l'excès de la fatigue; lorsque, faible et hors d'haleine, je m'appuyais sur mon épée, il vint à moi un certain lord, propre, élégamment paré, frais comme un marié, et le menton nouvellement fauché, offrant l'aspect d'un champ de chaume après la moisson; il était parfumé comme une lingère. Entre son pouce et l'index, il tenait une petite boite de senteur que de temps en temps il portait et ôtait à son nez, qui en reniflait d'humeur, quand je m'approchai de lui 14. Et en même temps il ne cessait de sourire et de babiller; et comme les soldats passaient près de lui, emportant les corps morts, il les traitait d'impertinents coquins et de mal-appris, de venir apporter ainsi un sale et vilain cadavre entre le vent et sa grandeur. Il me questionna en termes arrangés et d'un ton de jolie femme: entre autres choses, il me demanda mes prisonniers au nom de Votre Majesté. Moi, dans ce moment, tout irrité, avec mes blessures refroidies, de me sentir ainsi harcelé par un perroquet, dans mon ressentiment et mon impatience, je lui répondis, sans y faire attention, je ne sais pas quoi… qu'il les aurait ou qu'il ne les aurait pas: car il me mettait en fureur quand il venait si sautillant, sentant si bon, me parler dans le langage d'une femme de chambre de cour, de canons, de tambours et de blessures; me dire, Dieu sait à quel propos, qu'il n'y avait rien au monde de si admirable que le spermaceti pour des contusions internes… et que c'était grand'pitié qu'on allât déterrer, dans les entrailles de la terre innocente, ce traître de salpêtre qui a détruit lâchement plus d'un bon et robuste compagnon, et que sans ces détestables armes à feu il aurait été guerrier comme les autres. C'est, je vous le dis, mon prince, à ce plat bavardage, aux propos décousus qu'il me tenait, que je répondis indirectement; et je vous en conjure, que son rapport ne soit pas regardé ici comme d'assez de valeur pour m'accuser, et venir se mettre entre mon attachement et votre haute Majesté.

BLOUNT. – En considérant les circonstances, mon bon seigneur, tout ce qu'Henri Percy aura dit à un pareil personnage, en pareil lieu, et dans un pareil moment, peut bien, avec tout ce qu'on vous a rapporté, périr dans un juste oubli, sans jamais être relevé pour lui nuire, ou fonder aucun motif d'accusation; ce qu'il a dit alors, il le désavoue maintenant.

LE ROI. – Mais cependant il refuse encore ses prisonniers, à moins que l'on n'accepte ses réserves, ses conditions, qui sont que nous payerons sur-le-champ, à nos frais, la rançon de son beau-frère, de l'extravagant Mortimer 15, qui, sur mon âme, a volontairement livré la vie des soldats qu'il a menés au combat contre cet indigne magicien et damné Glendower 16 dont la fille, à ce que nous apprenons, vient tout récemment d'épouser le comte des Marches 17. Ainsi nous viderons nos coffres pour racheter un traître et le remettre dans le pays; nous irons solder la trahison, et traiter avec la peur quand elle s'est perdue et livrée elle-même! Non, qu'il périsse de faim sur les montagnes stériles! Jamais je ne regarderai comme mon ami l'homme dont la voix me demandera de dépenser un penny pour délivrer et faire rentrer dans mes États le rebelle Mortimer.

HOTSPUR. – Le rebelle Mortimer! C'est par les hasards seuls de la guerre, mon souverain, qu'il est tombé entre les mains de l'ennemi, et il suffit d'une seule langue pour faire parler en témoignage de cette vérité toutes ses blessures comme autant de bouches. Ces blessures qu'il a reçues en brave, lorsque sur les bords de la douce Severn, seul contre seul, fer contre fer, il a passé la meilleure partie d'une heure à faire échange de courage avec le puissant Glendower. Trois fois ils ont repris haleine, et trois fois, d'un mutuel accord, ils ont bu les eaux de la rapide Severn, qui, effrayée alors de leurs sanguinaires regards, a fui pleine de crainte à travers ses roseaux tremblants, et a caché sa tête ondoyante dans les profondeurs de son lit tout ensanglanté par ces valeureux combattants. Jamais une politique basse et corrompue ne colora ses oeuvres de blessures si mortelles, et jamais le noble Mortimer n'eût pu en recevoir un si grand nombre, le tout volontairement. Qu'on ne le flétrisse donc pas du nom de rebelle.

LE ROI. – Tu le montres ce qu'il n'est pas, Percy, tu le montres ce qu'il n'est pas: jamais il ne s'est mesuré avec Glendower. Je te dis, moi, qu'il aurait aussi volontiers risqué de se trouver tête à tête avec le diable, qu'en face d'Owen Glendower. N'as-tu pas honte? – Mais, jeune homme, que désormais je ne vous entende plus dire un mot de Mortimer. Envoyez-moi vos prisonniers par la voie la plus prompte, ou vous aurez de mes nouvelles d'une manière qui pourra vous déplaire. – Milord Northumberland, vous pouvez partir avec votre fils. – Envoyez-nous vos prisonniers, ou vous en entendrez parler.

(Sortent le roi, Blount et la suite.)

HOTSPUR. – Et quand le diable voudrait rugir ici pour les avoir, je ne les enverrai pas. – Je veux le suivre à l'instant, et le lui dire; je veux soulager mon coeur, fût-ce au péril de ma tête.

NORTHUMBERLAND. – Quoi, tout ivre de colère? – Arrêtez et attendez un moment. Voici votre oncle.

(Entre Worcester.)

HOTSPUR. – Ne plus parler de Mortimer! mordieu! j'en parlerai. Et que mon âme n'ait jamais miséricorde si je ne me joins pas à lui! Oui, j'épuiserai en sa faveur toutes ces veines, je répandrai tout mon sang le plus précieux goutte à goutte sur la poussière, ou j'élèverai Mortimer, qu'on foule aux pieds, aussi haut que ce roi oublieux, cet ingrat et pervers Bolingbroke.

 

NORTHUMBERLAND, à Worcester. – Mon frère, le roi a fait perdre la raison à votre neveu.

WORCESTER. – Qui donc a allumé toute cette fureur depuis que je suis sorti?

HOTSPUR. – Il veut réellement avoir tous mes prisonniers, et lorsque je suis venu à lui reparler de la rançon du frère de ma femme, ses joues ont pâli, et il a tourné sur moi un oeil de mort; il tremblait au seul nom de Mortimer.

WORCESTER. – Je ne puis le blâmer. Mortimer n'a-t-il pas été déclaré publiquement par Richard, qui aujourd'hui n'est plus, le plus proche du trône après lui?

NORTHUMBERLAND. – Rien n'est plus vrai; j'ai entendu la déclaration: ce fut lorsque notre malheureux roi (Dieu veuille nous pardonner nos torts envers lui!) partit pour son expédition d'Irlande; il y fut intercepté, et n'en revint que pour être déposé, et bientôt après assassiné.

WORCESTER. – Et à cause de cette mort, la voix générale de l'univers nous diffame et parle de nous avec opprobre.

HOTSPUR. – Mais, doucement, je vous en prie; le roi Richard a donc déclaré mon frère, Edmond Mortimer, l'héritier de la couronne?

NORTHUMBERLAND. – Il l'a déclaré; moi-même je l'ai entendu.

HOTSPUR. – Vraiment, je ne puis blâmer le roi, son cousin, de désirer qu'il meure de faim sur les montagnes stériles. Mais sera-t-il dit que vous, qui avez posé la couronne sur la tête de cet homme ingrat, et qui, pour son profit, portez la tache détestable d'un assassinat payé… sera-t-il dit que vous subissiez patiemment un déluge de malédictions, en demeurant simplement des agents de meurtre, des instruments secondaires, les cordes, l'échelle, ou plutôt le bourreau… – Oh! pardonner si je descends si bas pour vous montrer en quel rang et en quelle catégorie vous vous placez sous ce roi artificieux. – N'avez-vous pas de honte, qu'on puisse raconter à nos temps, ou étaler un jour dans les chroniques, que des hommes de votre noblesse et de votre puissance se sont engagés tous deux dans une cause injuste (comme, Dieu vous le pardonne! vous l'avez fait tous deux), pour abattre Richard, cette douce et belle rose, et planter à sa place cette épine, ce chardon, ce Bolingbroke? Et pour comble d'opprobre, sera-t-il dit encore que vous aurez été joués, écartés, rejetés par celui pour qui vous vous êtes soumis à toutes ces ignominies? Non, il est temps encore de racheter vos honneurs perdus, et de vous rétablir dans l'estime de l'univers. Vengez-vous des insultants et dédaigneux mépris de ce roi orgueilleux, jour et nuit occupé des moyens de se débarrasser de sa dette envers vous; dût votre mort en être le sanglant payement… je vous dis donc…

WORCESTER. – C'est assez, cousin, n'en dites pas davantage: à l'instant même je vais vous ouvrir un livre secret, où du rapide coup d'oeil de la colère vous allez lire des projets profonds et dangereux, aussi pleins de périls et d'audace qu'il en faut pour traverser, sur une lance mal assurée, un torrent mugissant à grand bruit.

HOTSPUR. – Si l'on y tombe, bonsoir, il faut périr ou nager. – Étendez le danger du couchant à l'aurore, que l'honneur le traverse du nord au midi, et mettez-les aux prises. – Oh! le sang remue bien davantage à réveiller un lion qu'à lancer un lièvre.

NORTHUMBERLAND. – Voilà que l'idée de quelques grands exploits lui fait perdre toute patience.

HOTSPUR. – Par le ciel, il me semble que ce serait un saut facile que d'aller sur la face pâle de la lune enlever d'un coup la gloire brillante, ou de plonger dans les profondeurs de la mer, là ou jamais la sonde n'a touché le sol, pour y ressaisir par les cheveux la gloire engloutie, en telle sorte que celui qui la retirerait de là pût posséder sans rival tous les honneurs qu'elle accorde; mais ne me parlez pas d'une association de deux demi-visages.

WORCESTER. – Le voilà qui embrasse un monde de fantômes, mais où ne se trouve pas la réalité dont il devrait s'occuper. – Cher cousin, donnez-moi un moment d'audience.

HOTSPUR. – Ah! je vous demande pardon.

WORCESTER. – Ces nobles Écossais qui sont prisonniers…

HOTSPUR. – Je les garderai tous. Par le ciel, il n'aura pas un seul Écossais de ceux-là. Non, lui fallût-il un Écossais pour sauver son âme, il ne l'aura pas. Par mon bras, je les garderai tous.

WORCESTER. – Vous vous jetez de côté et d'autre, et vous ne prêtez pas la moindre attention à mes desseins. – Ces prisonniers, vous les garderez.

HOTSPUR. – Oui, je les garderai, cela est positif. – Il a dit qu'il ne rachèterait pas Mortimer! Il a défendu à ma langue de nommer Mortimer! Mais je l'attraperai au moment où il sera endormi, et dans son oreille je crierai tout à coup: Mortimer! Quoi! j'aurai un oiseau qui sera instruit à ne dire que Mortimer, et je le lui donnerai, pour tenir sa colère toujours en mouvement.

WORCESTER. – Écoutez donc, cousin; un mot.

HOTSPUR. – Je fais ici le serment solennel de n'avoir d'autre étude que de chercher les moyens de vexer et de tourmenter sans cesse ce Bolingbroke. Et ce ferrailleur de tavernes, son prince de Galles… n'était que j'ai dans l'idée que son père ne l'aime pas et serait bien aise qu'il lui arrivât quelque malheur, je voudrais qu'il s'empoisonnât avec un pot de bière.

WORCESTER. – Adieu, cousin; je vous parlerai lorsque vous serez mieux disposé à m'écouter.

NORTHUMBERLAND. – Eh quoi, quelle mouche te pique et quel fou impatient es-tu donc de t'emporter ainsi dans des colères de femme, sans pouvoir prêter l'oreille à d'autres voix que la tienne?

HOTSPUR. – Tenez, voyez-vous, je suis fustigé, fouetté de verges, déchiré d'épines, piqué des fourmis quand j'entends parler de ce vil politique, de ce Bolingbroke. Du temps de Richard… Comment appelez-vous cet endroit?.. que le diable l'emporte!.. C'est dans le comté de Glocester… là, au château du duc, de son imbécile d'oncle, son oncle d'York… ce fut là que je fléchis pour la première fois le genou devant ce roi des sourires, ce Bolingbroke, au moment où vous reveniez avec lui de Ravenspurg.

NORTHUMBERLAND. – C'était au château de Berkley.

HOTSPUR. – Oui, c'est là même!.. Eh bien, quelle quantité de politesses sucrées me fit alors ce chien couchant! voyez… quand sa fortune, encore au berceau, aurait grandi. Et… mon aimable Henri Percy… et, cher cousin… Oh! que le diable emporte de pareils fourbes! – Dieu veuille me pardonner! Bon oncle, dites votre affaire, j'ai fini.

WORCESTER. – Non, si vous n'avez pas fini, continuez; nous attendrons votre loisir.

HOTSPUR. – J'ai fini, sur ma parole.

WORCESTER. – Allons, revenons encore une fois à vos prisonniers écossais. Rendez-leur la liberté sur-le-champ et sans rançon, et que le fils de Douglas soit votre seul agent pour lever une armée en Écosse. Ce qui, à raison de diverses causes que je vous expliquerai par cet écrit, sera, soyez-en certain, aisément accompli. (A Northumberland.) Vous, milord, tandis que votre fils sera employé, comme je viens de le dire, en Écosse, vous vous insinuerez adroitement dans le coeur de ce noble prélat, le meilleur de nos amis, l'archevêque.

NORTHUMBERLAND. – D'York, n'est-ce pas?

WORCESTER. – Lui-même, lui qui supporte avec peine la mort que son frère le lord Scroop a subie à Bristol. Je ne parle pas ici par conjectures; je ne dis pas ce que je pense qui pourrait être, mais ce que je sais qui est médité, conçu, déjà réduit en plan, et n'attend que les premiers regards de l'occasion propre à le faire éclore.

HOTSPUR. – Je pressens le tout. Sur ma vie, cela réussira.

NORTHUMBERLAND. – Toujours tu lâches la meute avant que la chasse soit ouverte.

HOTSPUR. – Quoi? Il n'est pas possible que ce plan ne soit excellent. Et ensuite l'armée d'Écosse et d'York!.. Ah! elles se joindront à Mortimer.

WORCESTER. – C'est ce qui arrivera.

HOTSPUR. – Sur ma foi, c'est un projet merveilleusement imaginé.

WORCESTER. – Et nous n'avons pas peu de raisons de nous hâter. Il s'agit de sauver nos têtes en nous mettant à la tête d'une armée 18; car nous aurions beau nous conduire aussi modestement que nous pourrions, le roi se croira toujours notre débiteur, et pensera que nous nous jugeons mal récompensés, jusqu'à ce qu'il ait trouvé moyen de nous payer complétement; et voyez déjà comme il commence à nous retrancher toute marque d'amitié.

Head, armée, corps de troupes.

HOTSPUR. – C'est un fait, c'est un fait. Nous serons vengés de lui.

WORCESTER. – Cousin, adieu. – N'avancez dans cette entreprise qu'autant que mes lettres vous indiqueront la route que vous avez à suivre. Quand l'occasion sera mûre, et elle va l'être incessamment, je me rendrai secrètement près de Glendower et du lord Mortimer; c'est là que vous et Douglas et toutes nos forces, d'après mes mesures, se trouveront à la fois heureusement réunies; et alors nos bras vigoureux seront chargés de nos fortunes, maintenant incertaines entre nos mains.

NORTHUMBERLAND. – Adieu, mon bon frère. Nous réussirons, j'en ai la confiance.

HOTSPUR. – Adieu, mon oncle. Oh! que les heures puissent amener promptement l'instant où les champs de bataille, les coups, les gémissements, applaudiront à nos jeux!

FIN DU PREMIER ACTE

ACTE DEUXIÈME

SCÈNE I

Rochester. – Une cour d'auberge
Entre UN VOITURIER avec une lanterne à la main

PREMIER VOITURIER. – Holà! ho! s'il n'est pas quatre heures du matin, je veux que le diable m'emporte. Le chariot paraît déjà au-dessus de la cheminée neuve, et notre cheval n'est pas encore chargé. Allons, garçon!

LE VALET D'ÉCURIE, derrière le théâtre. – On y va, on y va.

PREMIER VOITURIER. – Oh! je t'en prie, Thomas, bats-moi bien la selle de Cut, et mets un peu de bourre dans les pointes; car la pauvre rosse est écorchée sur les épaules que cela passe la permission.

(Entre un autre voiturier.)

SECOND VOITURIER. – Les pois et les fèves sont humides ici comme le diable, et voilà le moyen tout juste de donner des tranchées à ces pauvres rosses. Cette maison-ci est toute sens dessus dessous depuis que Robin le palefrenier est mort.

PREMIER VOITURIER. – Le pauvre garçon n'a pas eu un moment de joie depuis que les avoines ont augmenté de prix; ça lui a donné le coup de la mort.

SECOND VOITURIER. – Je crois que cette auberge-ci est pour les puces la plus infâme qu'il y ait sur la route de Londres. J'en suis piqueté comme une tanche.

PREMIER VOITURIER. – Comme une tanche? Par la messe, je ne crois pas que roi dans la chrétienté puisse être mieux mordu que je ne l'ai été depuis le premier chant du coq.

SECOND VOITURIER. – Je le crois bien, ils ne vous donnent jamais de pot; cela fait qu'on lâche l'eau dans la cheminée, et les puces s'engendrent dans vos chambres par fourmilières.

PREMIER VOITURIER. – Allons, garçon, allons donc, dépêche, et puisses-tu être pendu, allons donc!

SECOND VOITURIER. – J'ai un jambon et deux balles de gingembre à rendre à Londres aussi loin que Charing-Cross.

PREMIER VOITURIER. – Ventrebleu! j'ai là des dindons, dans mon panier, qui meurent presque de faim. Holà, garçon! que la peste te crève! N'as-tu donc pas des yeux dans la tête? Es-tu sourd? Que je sois un coquin, s'il n'est pas vrai que j'aurais autant de plaisir à te fendre la caboche qu'à boire un verre de vin. Viens donc te faire pendre; n'as-tu pas de conscience?

(Entre Gadshill.)

GADSHILL. – Bonjour, voiturier. Quelle heure est-il?

PREMIER VOITURIER. – Je crois qu'il est deux heures.

GADSHILL. – Je t'en prie, prête-moi ta lanterne pour aller voir mon cheval dans l'écurie.

PREMIER VOITURIER. – Doucement, je vous en prie; nous savons, ma foi, un tour qui en vaut deux comme celui-là.

GADSHILL, au second voiturier. – Je t'en prie, prête-moi la tienne.

SECOND VOITURIER. – Ha! et quand cela, dis-moi donc! Prête-moi ta lanterne, dit-il; par ma foi, je te verrai bien pendre auparavant.

 

GADSHILL. – Voituriers, à quelle heure comptez-vous arriver à Londres?

SECOND VOITURIER. – Assez tôt pour nous coucher à la chandelle, je t'assure. Allons, voisin Mugs, il nous faut aller réveiller ces messieurs; ils viendront de compagnie; car ils sont bien chargés.

(Les voituriers s'en vont.)

GADSHILL. – Hé! holà, garçon!

LE GARÇON, derrière le théâtre. – Prêt à la main, dit le filou.

GADSHILL. – C'est comme qui dirait: Prêt à la main, dit le garçon, car tu ne diffères pas plus, d'un coupeur de bourses que celui qui dirige ne diffère de celui qui travaille. C'est toi qui arranges le complot.

LE GARÇON. – Bonjour, monsieur Gadshill; c'est toujours ce que je vous ai dit hier au soir. Nous avons ici un certain franc tenancier des bruyères de Kent, qui a apporté avec lui trois cents marcs d'or. Je l'ai entendu moi-même le dire à souper à une personne de sa compagnie, à une espèce d'inspecteur qui a aussi beaucoup de bagage; Dieu sait ce que c'est. Ils sont déjà levés et demandent des oeufs et du beurre; ils vont partir tout à l'heure.

GADSHILL. – Mon garçon, s'ils ne rencontrent pas les clercs de Saint-Nicolas 19, je te donne ce cou que voilà.

LE GARÇON. – Non; je n'en veux point: garde-le, je t'en prie, pour le bourreau, car je sais que tu honores saint Nicolas aussi sincèrement qu'un coquin le peut faire.

GADSHILL. – Que viens-tu me chanter avec ton bourreau? Si jamais je suis pendu, nous serons une grosse paire de pendus; car si on me pend, le vieux sir Jean sera pendu avec moi, et tu sais bien qu'il n'est pas étique. – Bah! il y a encore d'autres Troyens 20 qui, pour le seul plaisir de se divertir, veulent bien se prêter à faire honneur à la profession: des gens qui, si on venait à mettre le nez dans nos affaires, se chargeraient, pour leur propre réputation, de tout arranger. Ce n'est pas avec de la canaille de voleurs à pied, de ces estafiers à vous arrêter pour six sous, et ces crânes à moustaches, la trogne rougie de bière, que je suis associé; mais c'est avec de la noblesse, des gens tranquilles, des bourgmestres, de grands propriétaires, gens qui peuvent soutenir la gageure, plus prêts à frapper qu'à parler, plus prêts à parler qu'à boire, plus prêts à boire qu'à prier; et cependant je mens, car ils ne font autre chose que de prier leur sainte, qui est la bourse du public; la prier? non, c'est plutôt la piller, car ils sont toujours à lui courir sus pour en garnir leurs bottes 21. Nous volons comme dans un château, tête levée; nous savons la recette de la poudre de fougère; nous marchons invisibles 22.

LE GARÇON. – Quoi! c'est la bourse du public qui garnit leurs bottes? les garantiront-elles mieux de l'eau dans les mauvais chemins?

GADSHILL. – Oui, oui, car la justice s'est chargée de les cirer.

LE GARÇON. – Sur ma foi, je crois que c'est plutôt à la nuit que vous êtes redevables de marcher invisibles, qu'à la poudre de fougère.

GADSHILL. – Donne-moi la main; tiens, tu auras part à notre butin comme je suis un homme, vrai.

LE GARÇON. – Oh! non, promettez-la-moi plutôt comme vous êtes un fourbe de voleur.

GADSHILL. – Laisse donc, est-ce que homo n'est pas le vrai nom de tous les hommes. Dis au valet de faire sortir mon cheval de l'écurie; adieu, maroufle crotté.

(Ils sortent.)
14Who there with angry, When I next came there Took it in snuff. Take in snuff répond à ce que nous appelons se sentir monter la moutarde au nez. Hotspur joue ici sur l'expression, et prétend que le nez du lord qui respirait cette odeur, took it in snuff, le prenait en guise de tabac; ce qui veut dire aussi: le prenait avec colère, angry.
15Edmond Mortimer, comte des Marches, n'était pas le beau-frère, mais le neveu d'Hotspur, par la femme de celui-ci, soeur de Roger Mortimer, père d'Edmond. Dans la première scène du troisième acte Mortimer, en parlant de lady Percy, femme d'Hotspur, l'appelle sa tante.
16Owen Glendower, ou Glindour Dew, du lieu de sa naissance (Glindourure, sur les bords de la Dee), était fils d'un gentilhomme du pays de Galles; il avait d'abord étudié à Londres pour suivre la carrière du barreau; mais n'ayant pu obtenir justice de lord Ruthwen, qui lui retenait les terres provenant de l'héritage de son père, il résolut de se la faire par les armes, ravagea les propriétés du lord, emmena ses bestiaux, tua ses vassaux, et finit par le faire prisonnier lui-même. Il parvint à une telle puissance qu'il se fit en 1402 couronner prince de Galles. Il fut mêlé à tous les troubles qui désolèrent le règne de Henri IV; et, après des succès divers, mais qui le laissaient toujours sur pied et toujours redoutable, il fut enfin totalement défait et réduit à vivre dans les bois et dans les cavernes; il y mourut de misère en 1420. Il était regardé comme magicien.
17Hollinshed et les autres chroniqueurs ont parlé de ce prétendu mariage.
18To save our heads by raising of a head:
19Saint Nicholas' clerks, les clercs ou les chevaliers de Saint-Nicolas était le nom que se donnaient les voleurs; Nicolas, ou Old Nick était, en termes d'argot, le nom du diable.
20Troyens, Corinthiens, noms d'argot pour les libertins.
21Make her their boots (font d'elle leur butin). Le jeu de mots roule sur boots, butin, et boots, bottes: il a fallu, pour le conserver, s'écarter un peu du sens littéral.
22Gadshill, sur la route de Kent, était un lieu renommé pour la quantité de vols qui s'y commettaient. Shakspeare en a donné le nom à celui de ses personnages qui paraît être en possession d'exploiter le poste.