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Cymbeline

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SCÈNE IV

Rome. – Appartement de la maison de Philario
Entrent PHILARIO, IACHIMO, UN FRANÇAIS, UN HOLLANDAIS ET UN ESPAGNOL

IACHIMO. – Croyez-moi, seigneur; je l'ai vu en Angleterre, sa réputation allait croissant, on s'attendait à lui voir prouver le mérite qu'on lui reconnaît aujourd'hui; mais je pouvais alors le regarder encore sans admiration, quand le catalogue de ses qualités eût été inscrit à son côté et que j'eusse parcouru article par article.

PHILARIO. – Vous parlez d'un temps où il n'était pas encore, comme aujourd'hui, revêtu de tout ce qui en fait un homme accompli, au dedans et au dehors.

LE FRANÇAIS. – Je l'ai vu en France; et nous avions là bien des gens qui pouvaient fixer le soleil d'un oeil aussi ferme que lui.

IACHIMO. – Cette affaire, d'avoir épousé la fille de son roi, le fait valoir, je n'en doute point, fort au delà de son mérite; on l'apprécie d'après la valeur de son amante, bien plus que d'après la sienne.

LE FRANÇAIS. – Et puis son bannissement…

IACHIMO. – Oui, oui; les suffrages de ceux qui, sous la bannière de la princesse, pleurent ce douloureux divorce; tout cela sert merveilleusement à exalter Posthumus. Ne fût-ce que pour prouver le bon jugement d'Imogène, qu'il serait autrement aisé de nier si elle avait pris pour époux un mendiant sans autres qualités. Mais comment arrive-t-il, Philario, qu'il vienne s'établir chez vous? Où votre liaison s'est-elle formée?

PHILARIO. – Son père et moi nous avons fait la guerre ensemble, et je ne dois pas moins que la vie à son père, qui me l'a sauvée plus d'une fois. Voici l'Anglais. (Posthumus paraît.) Qu'il soit traité parmi vous avec les égards que des gentilshommes comme vous doivent à un étranger de sa qualité. Je vous exhorte tous à lier une plus étroite connaissance avec ce cavalier, je vous le recommande comme mon digne ami. Je veux lui donner le temps de montrer son mérite, plutôt que de faire son éloge en sa présence.

LE FRANÇAIS, à Posthumus. – Seigneur, nous nous sommes connus à Orléans.

POSTHUMUS. – Et depuis lors je vous suis resté redevable d'une foule d'attentions dont je resterai toujours votre débiteur tout en m'acquittant sans cesse.

LE FRANÇAIS. – Seigneur, vous estimez trop haut un faible service. Je me félicitai de vous avoir réconcilié avec mon compatriote; c'eût été une pitié que de vous laisser rencontrer avec les intentions meurtrières que vous aviez alors tous deux pour une affaire aussi légère, une bagatelle.

POSTHUMUS. – Permettez, seigneur; j'étais alors un jeune voyageur: j'évitais de m'en rapporter à mes propres lumières, aimant mieux me laisser guider par l'expérience des autres; mais depuis que mon jugement s'est formé, si je puis dire, sans offenser personne, qu'il s'est formé, je ne trouve pas que la querelle fût si frivole.

LE FRANÇAIS. – D'honneur, elle l'était trop pour mériter d'être décidée par le fer, surtout entre deux hommes dont l'un aurait très-probablement immolé l'autre, ou qui seraient restés tous deux sur la place.

IACHIMO. – Pouvons-nous, sans indiscrétion, vous demander quel était le sujet de ce différend?

LE FRANÇAIS. – Sans difficulté, je le pense; la querelle fut publique, et dès lors on peut, sans blesser personne, en faire le récit. C'était à peu près la même thèse qui fut agitée entre nous l'autre soir, lorsque chacun de nous fit l'éloge des dames de son pays. Ce gentilhomme soutenait en ce temps-là, et offrait de le soutenir aux dépens de son sang, que la sienne était plus belle, plus vertueuse, plus spirituelle, plus chaste, plus constante et moins abordable qu'aucune des dames les plus accomplies de France.

IACHIMO. – Cette dame ne vit plus aujourd'hui, ou bien l'opinion qu'en avait ce gentilhomme doit être usée à présent.

POSTHUMUS. – Elle conserve toujours sa vertu, et moi mon opinion.

IACHIMO. – Il ne faut pas que vous lui donniez si fort la préférence sur nos dames d'Italie.

POSTHUMUS. – Quand je serais poussé au point où je le fus en France, je ne rabattrais rien de son prix, quoique je me déclare ici non son ami, mais son adorateur.

IACHIMO. – Aussi belle et aussi vertueuse puisque c'est une espèce de comparaison qui se tient par la main, c'est trop beau et trop bon pour quelque dame de Bretagne que ce soit. Si elle surpassait d'autres femmes que j'ai connues, comme le diamant que vous portez là dépasse en éclat beaucoup de diamants que j'ai vus, je croirais volontiers qu'elle surpasse beaucoup de femmes; mais je n'ai pas vu le plus beau diamant, ni vous la plus belle femme qui soit au monde.

POSTHUMUS. – Je l'ai louée d'après le cas que j'en fais, comme ce diamant.

IACHIMO. – Et combien estimez-vous cette pierre?

POSTHUMUS. – Plus que les trésors du monde entier.

IACHIMO, – Ou votre incomparable maîtresse est morte, ou la voilà au-dessous du prix d'une bagatelle.

POSTHUMUS. – Vous êtes dans l'erreur: l'une peut s'acheter ou se donner, s'il se trouve assez de richesses pour la payer, ou de mérite pour l'obtenir en don. L'autre n'est pas une chose qui se vende, et les dieux seuls peuvent en faire don.

IACHIMO. – Et ce don, les dieux vous l'ont fait?

POSTHUMUS. – Oui, et avec leur secours je le conserverai.

IACHIMO. – Vous pouvez le posséder en titre. Mais, vous le savez, des oiseaux étrangers viennent souvent s'abattre sur nos étangs voisins… Votre bague aussi, on peut vous la voler: ainsi, de cette paire de trésors inappréciables que vous possédez, l'un est bien fragile, et l'autre est casuel. Un adroit filou et un cavalier accompli pourraient tenter de vous les enlever tous deux.

POSTHUMUS. – Votre Italie n'a point de cavalier assez accompli pour triompher de l'honneur de ma maîtresse, si c'est de la garde ou de la perte de l'honneur que vous prétendez parler, en disant qu'elle est fragile. Je ne doute pas que vous n'ayez des filous en abondance, et pourtant je ne crains rien pour mon anneau.

PHILARIO. – Restons-en là, messieurs.

POSTHUMUS. – Très-volontiers. Ce noble seigneur, et je l'en remercie, ne me traite point en étranger: nous voilà familiers dès l'abord.

IACHIMO. – En cinq entretiens, pas plus longs que le nôtre, je voudrais m'établir dans le coeur de votre belle maîtresse, et voir sa vertu fléchir et prête à céder, si j'avais seulement accès près d'elle et l'occasion de lui faire ma cour.

POSTHUMUS. – Non, non.

IACHIMO. – J'ose parier là-dessus la moitié de ma fortune contre votre diamant, qui, à mon avis, vaut quelque chose de moins. Mais je fais ma gageure plutôt contre votre confiance que contre sa réputation; et de peur que vous vous en offensiez, j'ajoute que j'oserais le tenter avec quelque femme au monde que ce fût!

POSTHUMUS. – Vous êtes étrangement abusé par vos idées téméraires: et je ne doute pas qu'il ne nous arrivât ce que vous méritez dans votre tentative.

IACHIMO. – Et quoi?

POSTHUMUS. – D'être repoussé, quoique votre tentative, comme vous l'appelez, méritât quelque chose de plus, un châtiment peut-être.

PHILARIO. – Messieurs, en voilà assez là-dessus: cette vaine dispute s'est élevée trop tôt; qu'elle meure comme elle est née; je vous prie, faites plus ample connaissance.

IACHIMO. – Je voudrais avoir engagé ma fortune et celle de mon voisin au soutien de ce que j'ai avancé.

POSTHUMUS. – Quelle dame choisiriez-vous pour l'assaillir?

IACHIMO. – La vôtre, que vous croyez si bien affermie dans sa constance. Voulez-vous seulement me recommander à la cour où est votre dame? je gagerai dix mille ducats contre votre diamant, que, sans autres avantages que deux entretiens avec elle, je rapporterai de là cet honneur que vous croyez si bien défendu.

POSTHUMUS. – Je consens à parier de l'or, contre votre or. Pour mon anneau, il m'est aussi cher que mon doigt; il en fait partie.

IACHIMO. – Vous êtes amant, et de là vient votre prudence. – Quand vous auriez acheté le corps d'une femme un million la drachme, vous ne pourriez l'empêcher de se corrompre. Mais, je le vois, vous avez dans l'âme quelques scrupules puisque vous avez peur.

POSTHUMUS. – Tout ceci n'est qu'un jargon d'habitude; vous portez, j'espère, des sentiments plus réfléchis.

IACHIMO. – Je suis maître de mes paroles; et je jure que je veux tenter l'épreuve dont j'ai parlé.

POSTHUMUS. – Vous le voulez? – Je ne fais que prêter mon diamant jusqu'à votre retour. – Qu'on dresse entre nous des conventions. Ma maîtresse surpasse en vertu toute l'étendue de vos indignes pensées. Je vous défie dans cette gageure; voilà ma bague.

PHILARIO. – Je ne souffrirai point qu'elle serve de gage.

IACHIMO. – Par les dieux, c'en est un. Si je ne vous rapporte pas des preuves suffisantes que j'ai joui des plus chers appas de votre maîtresse, mes dix mille ducats sont à vous, et votre diamant aussi; si je la quitte en laissant sans atteinte cet honneur auquel vous vous fiez, elle qui est votre joyau, le joyau que voilà et mon or, tout est à vous; mais il me faut votre recommandation, afin de me procurer un plus libre accès.

POSTHUMUS. – J'accepte ces conditions. Faisons des conventions entre nous. Voici seulement ce dont vous me répondrez. Si vous faites ce voyage pour la séduire, et que vous me démontriez clairement que vous avez triomphé, je ne suis plus votre ennemi, et elle ne mérite pas notre dispute. Mais si elle reste fidèle, et que vous ne puissiez me prouver le contraire, vous me répondrez l'épée à la main, et de votre mauvaise opinion, et de l'attaque que vous aurez livrée à sa pudeur.

IACHIMO. – Votre main; l'accord est fait. Nous allons faire régler tout cela dans les formes, et je pars sur-le-champ pour la Grande-Bretagne, de peur que notre marché ne prît froid et ne se rompît. Je vais chercher mon or et faire inscrire le pari.

 

POSTHUMUS. – Convenu.

(Posthumus et Iachimo sortent.)

LE FRANÇAIS. – Le pari tiendra-t-il? Croyez-vous?

PHILARIO. – Le seigneur Iachimo ne reculera pas. Je vous prie, suivons-les.

(Ils sortent.)

SCÈNE V

Grande-Bretagne. – Appartement dans le palais de Cymbeline
LA REINE paraît avec ses DAMES ET CORNÉLIUS tenant une fiole

LA REINE, à ses femmes. – Tandis que larosée est encore sur la terre, allez cueillir ces fleurs; hâtez-vous. Qui de vous en a la liste?

UNE DES FEMMES. – Moi, madame.

LA REINE. – Allez. (Les dames sortent.) Maintenant, monsieur le docteur, avez-vous apporté ces drogues?

CORNÉLIUS. – Sous le bon plaisir de Votre Majesté, les voici. (Il présente une petite boîte.) Mais si Votre Majesté me le permet, et j'espère qu'elle ne s'en offensera pas, ma conscience me force à vous demander pour quel usage vous avez exigé de moi ces potions empoisonnées, qui amènent une mort languissante, et sont mortelles quoique lentes.

LA REINE. – Je m'étonne, docteur, que vous me fassiez une pareille question. N'ai-je pas été longtemps votre disciple? Ne m'avez-vous pas enseigné l'art de composer des parfums, de distiller, de conserver les fruits? Si bien que notre grand roi lui-même me fait souvent la cour pour mes confitures? En étant arrivée là, serez-vous étonné, à moins que vous ne me supposiez une âme infernale, que je cherche à perfectionner ma science par de nouvelles expériences? Je veux faire l'essai de ces compositions sur de vils animaux qui ne valent pas la peine d'être pendus; jamais sur aucune créature humaine, afin de connaître leur force, d'opposer des antidotes à leur activité, et par là d'apprendre leurs diverses vertus et leurs effets.

CORNÉLIUS. – Votre Majesté, par ces expériences, ne fera que s'endurcir le coeur; d'ailleurs on ne voit point ces résultats sans dégoût ni sans danger.

LA REINE. – Oh! soyez tranquille. – (Entre Pisanio.) (A part.) Voici un flatteur de valet; c'est sur lui que je ferai mon premier essai; il appartient à son maître, et est l'ennemi de mon fils… Eh bien! Pisanio? (A Cornélius.) Docteur, votre office auprès de moi est fini pour le moment; allez votre chemin.

CORNÉLIUS, s'éloignant et à part. – Vous m'êtes suspecte, madame; mais vous ne ferez aucun mal.

LA REINE, à Pisanio. – Écoute, un mot.

CORNÉLIUS, à part. – Je n'aime point cette femme… Elle croit tenir des poisons lents et étranges; je connais bien son âme, je ne confierai pas à une personne aussi perverse des ingrédients d'une nature aussi infernale; ceux qu'elle possède assoupiront et alourdiront un moment les sens; peut-être ses essais commenceront-ils par des chiens et des chats, pour monter ensuite plus haut; mais il n'y a aucun danger dans la mort apparente qu'elle donnera; elle ne fera que suspendre pour un temps les esprits, qui renaîtront plus actifs. Elle est trompée par ces faux effets; et moi, en la trompant ainsi, je n'en suis que plus fidèle.

LA REINE. – Docteur, je n'ai plus besoin de votre présence jusqu'à ce que je vous fasse rappeler.

CORNÉLIUS. – Je prends humblement congé de vous.

(Il se retire.)

LA REINE. – Elle pleure donc toujours, dis-tu? Penses-tu qu'avec le temps ses larmes ne s'arrêteront pas, pour laisser entrer les conseils de la raison là où règne maintenant la folie? Travaille à cela: et quand tu viendras me dire qu'elle aime mon fils, je te dirai à l'instant même que tu es aussi grand que ton maître; plus grand que lui; car sa fortune est gisante et sans voix, et sa renommée est à l'agonie: il ne peut revenir ici, ni demeurer où il est… En changeant d'existence, il ne fera que changer de misère; et chaque jour en arrivant vient ruiner un jour de sa vie. Quel est ton espoir, en t'appuyant sur une colonne qui penche et qu'il sera impossible de relever? – sur un homme qui n'a pas même assez d'amis pour l'étayer? (La reine laisse tomber une boîte: Pisanio la ramasse.) Tu ne connais pas ce que tu tiens là; reçois-le de moi pour tes services, c'est un élixir de ma composition: il a déjà arraché cinq fois le roi à la mort: je ne connais pas de cordial plus efficace. Non, je te prie, prends-le, comme un gage des faveurs plus grandes que je te destine: – fais sentir à ta maîtresse quelle est sa position; fais-le comme de toi-même: songe quelle chance t'offre la fortune, songe seulement que tu conserves toujours ta maîtresse, et de plus tu gagnes mon fils, qui se souviendra de toi… J'intéresserai le roi à ton avancement, quoi que tu puisses désirer; et moi-même alors, moi surtout qui t'aurai mis sur la voie de mériter les grâces, je m'engage à récompenser richement ton mérite. Appelle mes femmes: songe à mes paroles. (Pisanio sort.) Un valet fin et fidèle qu'on ne peut ébranler: l'agent de son maître auprès d'elle, et qui lui rappelle sans cesse de conserver sa main et sa foi à son seigneur. Je lui ai fait là un don qui, s'il en fait usage, enlèvera à la belle son émissaire auprès de son doux ami; et elle-même, dans la suite, si elle ne plie pas son humeur, peut être sûre d'en goûter aussi. (Pisanio reparaît avec les dames, qui rapportent des paniers de fleurs.) Fort bien, fort bien: portez dans mon cabinet ces violettes, ces primevères, ces pervenches: adieu, Pisanio; songe à ce que je t'ai dit.

(La reine sort suivie de ses femmes.)

PISANIO seul. – J'y songerai, mais quand je deviendrai infidèle à mon bon maître, je m'étoufferai de mes propres mains: c'est là tout ce que je ferai pour toi.

(Il sort.)

SCÈNE VI

Un autre appartement du palais
IMOGÈNE Seule

IMOGÈNE. – Un père cruel, une belle-mère perfide, un stupide soupirant près d'une femme mariée, dont l'époux est banni: oh! mon époux! le comble et la couronne de tous mes chagrins! et des vexations qui se renouvellent à chaque instant! – Si j'avais été dérobée par des voleurs, comme mes deux frères, je serais heureuse: mais malheureux ceux que leurs désirs élèvent trop haut! Heureux, quelque humble que soit leur état, ceux qui voient accomplir leurs modestes voeux que chaque saison satisfait… Quel peut être cet homme? Fi donc!

(Iachimo entre précédé par Pisanio.)

PISANIO. – Madame, un noble gentilhomme de Rome vous apporte des lettres de mon maître.

IACHIMO. – Vous changez de couleur, madame? Le noble Léonatus est en sûreté: il salue tendrement Votre Altesse.

(Il lui présente une lettre.)

IMOGÈNE. – Je vous remercie, bon seigneur: vous êtes le très-bienvenu.

IACHIMO, à part. – Tout ce qu'elle laisse voir est parfait: si elle est munie d'une âme aussi rare, c'est ici le phénix de l'Arabie, et j'ai perdu la gageure. Hardiesse, sois mon amie; audace, arme-moi de pied en cap, ou bien, comme le Parthe, je ne combattrai qu'en fuyant, ou plutôt je fuirai sans avoir combattu.

IMOGÈNE, lisant tout haut la lettre. -C'est un cavalier de la plus haute distinction, et auquel de bons offices m'ont infiniment attaché. Traitez-le en conséquence comme vous estimez votre fidèle Léonatus.

Je ne lis que cela tout haut; mais mon coeur est réchauffé jusqu'au fond par le reste de la lettre: il est tout ému de reconnaissance. – Vous êtes le bienvenu, digne seigneur, autant que peuvent l'exprimer mes paroles; et vous l'éprouverez dans tout ce que je pourrai faire pour vous.

IACHIMO. – Je vous rends grâces, belle dame. – Eh quoi! les hommes sont-ils insensés? La nature leur aura donné des yeux pour voir l'arche voûtée des cieux et les richesses de la terre et des mers, pour distinguer les globes enflammés sur nos têtes, et les pierres semées sur les rivages; et avec des organes si précieux, nous ne pourrons pas faire la différence de la laideur et de la beauté!

IMOGÈNE. – D'où vient votre étonnement?

IACHIMO. – Cela ne peut être la faute des yeux: des singes et des guenons placés entre deux créatures semblables bavarderaient de ce côté, et repousseraient l'autre par des grimaces. Ce n'est pas la faute du jugement: l'idiot devant cette beauté saurait faire son choix. Ce n'est pas la passion; car la laideur, mise à côté de cette beauté parfaite, exciterait le désir à vomir à vide au lieu de le pousser à se satisfaire.

IMOGÈNE. – Quelle est donc la cause…?

IACHIMO. – Le vice blasé, ce désir rassasié mais non satisfait (comme un vase plein et qui fuit), dévore d'abord l'agneau, et puis est avide de charogne.

IMOGÈNE. – Quelle est donc, digne seigneur, la cause de votre agitation? Êtes-vous bien?

IACHIMO. – Bien, merci, madame. (A Pisanio.) Ami, je vous prie, ordonnez à mon serviteur de m'attendre là où je l'ai laissé: il est étranger et susceptible.

PISANIO. – J'allais sortir, seigneur, pour lui faire accueil.

(Il sort.)

IMOGÈNE. – La santé de mon seigneur continue-t-elle à être bonne? De grâce, dites-le-moi.

IACHIMO. – Bonne, madame.

IMOGÈNE. – Est-il disposé à la gaieté? J'espère qu'il l'est.

IACHIMO. – Excessivement gai: Rome n'a point d'étranger aussi jovial, aussi folâtre: on l'appelle le joyeux Anglais.

IMOGÈNE. – Lorsqu'il était ici, il était enclin à la mélancolie, et souvent sans savoir pourquoi.

IACHIMO. – Jamais je ne l'ai vu triste. Il y a un Français, son compagnon, un monsieur d'un rang éminent, qui aime fort à ce qu'il paraît une jeune Française restée dans son pays; il pousse de profonds soupirs, comme la flamme d'une fournaise; pendant que le joyeux Anglais (votre époux, veux-je dire) rit aux éclats et s'écrie: «Comment mes côtes y résisteront-elles, lorsqu'on songe que l'homme, qui sait par l'histoire, par tous les récits, par sa propre expérience, ce qu'est la femme et ce qu'il lui est impossible de ne pas être, va languir en livrant ses heures de liberté à un esclavage volontaire!»

IMOGÈNE. – Est-ce que mon époux dit cela?

IACHIMO. – Oui, madame, en riant jusqu'aux larmes. C'est un amusement que de se trouver là, et de le voir se moquer du Français. Mais le ciel sait qu'il est des hommes qui sont bien blâmables.

IMOGÈNE. – Ce n'est pas lui, j'espère?

IACHIMO. – Lui? Non. Cependant il devrait recevoir avec plus de reconnaissance les bontés du ciel envers lui: il y a en lui et en vous, – que je regarde comme son bien au-dessus de toutes les richesses; – oui, il y a pour moi des motifs d'admirer et en même temps de plaindre.

IMOGÈNE. – Et qui plaignez-vous, seigneur?

IACHIMO. – Deux créatures du fond du coeur.

IMOGÈNE. – Suis-je une des deux, seigneur? Vous me regardez; quel ravage discernez-vous en moi qui mérite votre pitié?

IACHIMO. – C'est lamentable! Quoi? Fuir le soleil radieux et se plaire dans un cachot auprès d'une chandelle!

IMOGÈNE. – Je vous prie, seigneur, énoncez plus clairement vos réponses à mes questions? Pourquoi me plaignez-vous?

IACHIMO. – Parce que d'autres, j'allais le dire, jouissent de votre…; mais c'est l'office des dieux d'en tirer vengeance, et ce n'est pas le mien de parler.

IMOGÈNE. – Vous paraissez savoir quelque chose qui me concerne ou qui m'intéresse. Je vous prie, parlez: puisque soupçonner que les choses vont mal fait souvent plus souffrir que la certitude qu'il en est ainsi; les faits certains sont au-dessus des remèdes, ou bien connus à temps on peut y appliquer le remède. Ah! découvrez-moi ce secret qui vous pousse à parler et que vous retenez.

IACHIMO. – Si j'avais cette joue pour y reposer mes lèvres; cette main dont le toucher, le seul toucher devrait forcer un homme au serment de fidélité; si je possédais cet objet qui captive les regards errants de mes yeux et les tient attachés sur lui seul; irais-je souiller ma bouche, comme un réprouvé, sur des lèvres aussi publiques que les degrés qui conduisent au Capitole; presserais-je de mes mains des mains flétries par le travail, et plus encore par des parjures journaliers; si j'allais fixer mes regards sur des yeux, sur des yeux abjects et ternes comme la lueur opaque de ces flambeaux que nourrit un suif fétide, ne serait-il pas bien juste que tous les fléaux de l'enfer punissent une fois une telle trahison?

IMOGÈNE. – Mon seigneur, je le crains, a oublié la Bretagne.

IACHIMO. – Et lui-même. Ce n'est pas mon penchant qui me porte à vous éclairer, à révéler la bassesse de son changement, ce sont vos grâces qui, du fond de ma conscience muette, attirent malgré moi sur mes lèvres cet aveu.

 

IMOGÈNE. – Je ne veux pas en entendre davantage.

IACHIMO. – O chère âme, votre sort touche mon coeur d'une pitié qui me fait mal. Une princesse aussi belle et née dans la puissance, qui doublerait la grandeur du plus grand roi, être ainsi associée avec de viles créatures louées avec l'argent même que fournissent vos coffres; avec d'infâmes aventurières, qui, pour de l'or, jouent avec tous les maux dont la corruption souille la nature; pestes contagieuses, qui pourraient empoisonner le poison; vengez-vous, ou celle qui vous porta n'était pas reine, et vous dégénérez de votre illustre origine.

IMOGÈNE. – Me venger! et comment me venger? Si ce récit est vrai, car je porte un coeur qui doit craindre de se laisser trop vite abuser par mes deux oreilles; si ce récit est vrai, comment pourrais-je me venger?

IACHIMO. – Quoi! vous ferait-il vivre comme une vestale de Diane entre des draps glacés, tandis qu'il se livre à de capricieuses prostituées, au mépris de votre personne, aux dépens de votre bourse? Vengez-vous. Je me consacre à votre bon plaisir. Amant plus noble que ce déserteur de votre lit, je resterai fidèle à votre tendresse, toujours discret et toujours constant.

IMOGÈNE. – Holà! Pisanio!

IACHIMO. – Souffrez que je jure sur vos lèvres mon dévouement.

IMOGÈNE. – Va-t'en! – J'en veux à mes oreilles de t'avoir écouté si longtemps. Si tu avais de l'honneur, tu m'aurais fait ce récit par vertu, et non pour la fin que tu te proposes, aussi basse qu'étrange! Tu outrages un gentilhomme qui est aussi loin de ta calomnie que tu l'es de l'honneur, et tu tentes de séduire ici une femme qui te méprise comme le démon. Holà! Pisanio!.. Le roi mon père sera instruit de ton audace; s'il trouve bon qu'un étranger téméraire marchande à sa cour comme dans une mauvaise maison de Rome, et nous dévoile ses brutales pensées, il a une cour dont il ne se soucie guère, et une fille qu'il estime bien peu. Holà! Pisanio!

IACHIMO. – O heureux Léonatus! je puis bien le dire, la confiance que ta dame a en toi mérite bien la tienne, et ta parfaite vertu mérite bien aussi sa tranquille confiance! Vivez longtemps heureuse, vous la dame du plus digne chevalier dont jamais se soit vanté un pays; vous, sa maîtresse digne seulement du plus noble coeur. Accordez-moi mon pardon; je n'ai parlé ainsi que pour éprouver si votre fidélité était bien enracinée; je vais rendre votre époux ce qu'il est déjà, l'homme le plus aimable et le plus fidèle; il possède la charmante sorcellerie de charmer toutes les sociétés; la moitié du coeur de tous les hommes est à lui.

IMOGÈNE. – Vous réparez vos fautes.

IACHIMO. – Il est assis au milieu des hommes comme un dieu descendu du ciel, il est paré d'une sorte d'honneur qui surpasse sa beauté mortelle; ne soyez pas offensée, auguste princesse, si j'ai osé éprouver quel accueil vous feriez à un faux rapport. Il n'a servi qu'à confirmer honorablement votre bon jugement dans le choix que vous avez fait d'un époux si rare, que vous saviez ne pouvoir faillir. C'est l'amitié que j'ai pour lui qui m'a porté à vous éprouver; mais les dieux vous ont formée différente de toutes les autres femmes, exempte de faiblesse; je vous prie, pardonnez-moi.

IMOGÈNE. – Tout est réparé, seigneur. Disposez de mon pouvoir dans cette cour.

IACHIMO. – Recevez mes humbles actions de grâces. – J'avais presque oublié de faire à Votre Altesse une petite prière, et qui pourtant est importante, car elle intéresse votre époux; plusieurs amis et moi avons part aussi à cette affaire.

IMOGÈNE. – Je vous prie, de quoi s'agit-il?

IACHIMO. – Une douzaine de nos Romains et votre époux (la meilleure plume de notre aile), nous avons tous contribué pour une somme destinée à acheter un présent pour l'empereur; agent des autres, j'en ai fait l'emplette en France. C'est de la vaisselle d'un rare dessin, et des bijoux d'une forme exquise et riche; leur valeur est considérable; étranger comme je suis, je serais désireux de les voir en lieu sûr; vous plairait-il de les prendre sous votre protection?

IMOGÈNE. – Volontiers, et j'engage mon honneur à leur sûreté, puisque mon seigneur y est intéressé; je veux les garder dans ma chambre à coucher.

IACHIMO. – Ils sont renfermés dans un coffre escorté par mes gens. Je prendrai la liberté de vous les envoyer, seulement pour cette nuit. Demain je dois me rembarquer.

IMOGÈNE. – Oh! non, non.

IACHIMO. – Il le faut, daignez me le permettre, ou je manquerais à ma parole en différant mon retour. J'ai traversé les mers en venant de France, pour tenir ma promesse de voir Votre Altesse.

IMOGÈNE. – Je vous remercie de votre peine; mais vous ne partirez pas dès demain?

IACHIMO. – Oh! il le faut, madame. Ainsi, si vous voulez saluer votre époux dans une lettre, je vous supplie, écrivez-la ce soir; j'ai déjà passé le terme marqué pour mon séjour, et le temps presse pour offrir notre présent.

IMOGÈNE. – J'écrirai; envoyez-moi votre coffre, il sera gardé avec soin et fidèlement rendu. Vous êtes le bienvenu.

FIN DU PREMIER ACTE