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Ivanhoe. 4. Le retour du croisé

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À ces mots il sortit en hâte de l'appartement, et le précepteur le suivit pour le surveiller, et le confirmer dans son dessein; car il portait le plus vif intérêt à la réputation de Bois-Guilbert, espérant de grands avantages dans le cas où celui-ci deviendrait quelque jour grand-maître de l'ordre; ce qui lui permettrait alors de monter à un des premiers rangs. Il avait encore un motif bien puissant pour agir de la sorte, vu les promesses que lui avait prodiguées Conrad de Mont-Fichet, s'il contribuait à la condamnation de l'infortunée Israélite. Cependant, quoique, en combattant les sentimens de compassion de son ami, il eût sur lui tout l'avantage qu'une disposition vile, astucieuse et égoïste donne sur un homme agité par des passions violentes et opposées, il eut besoin d'employer toute sa ruse pour maintenir Bois-Guilbert dans la résolution qu'il lui avait fait adopter. Il fut contraint de le surveiller de très près, pour l'empêcher de reprendre ses projets de fuite, ou pour faire avorter son dessein de revoir le grand-maître, et d'en venir à une rupture ouverte avec son chef suprême. Enfin, il dut lui répéter fréquemment les mêmes argumens par lesquels il s'était efforcé de lui prouver qu'en paraissant dans la lice comme champion, en une telle circonstance, lui, Bois-Guilbert, sans hâter ni retarder le sort de Rébecca, suivrait uniquement la voie par laquelle il saurait mettre à couvert en même temps son honneur et sa renommée.

CHAPITRE XL

«Spectres, loin d'ici! voilà Richard lui-même.»

SHAKSPEARE. Richard III.

Lorsque le chevalier noir, car il est nécessaire de reprendre le cours de ses aventures, eut quitté le grand arbre qui avait servi de lieu de rendez-vous au brave Locksley, il se rendit en droite ligne à une maison religieuse du voisinage, peu vaste et peu riche, nommée le prieuré de Saint-Botolph, où Ivanhoe blessé avait été conduit après la prise du château, par les soins du fidèle Gurth et du magnanime Wamba. Il est inutile à présent de mentionner ce qui arriva dans l'intervalle, entre Wilfrid et son libérateur: il suffit de dire qu'après une longue et sérieuse conférence, des messages furent envoyés par le prieur dans plusieurs directions, et que, le lendemain matin, le chevalier noir se disposa à continuer son voyage, accompagné de Wamba qui lui servait de guide.

«Nous nous retrouverons à Coningsburgh, dit-il à Ivanhoe, puisque c'est là que ton père Cedric doit célébrer les funérailles de son noble parent. Je voudrais voir vos amis saxons, cher Wilfrid, et me lier avec eux; tu m'y joindras, et je me charge de te réconcilier avec ton père.» À ces mots il reçut un affectueux adieu d'Ivanhoe, qui lui exprima le plus vif désir d'accompagner son libérateur; mais le chevalier noir n'y voulut pas consentir. «Demeure ici aujourd'hui, tu auras à peine assez de force pour voyager demain; je ne veux d'autre guide que l'honnête Wamba, qui jouera près de moi le rôle de moine ou celui de fou, selon l'humeur où je me trouverai.»

«Et moi, dit Wamba, je vous suivrai très volontiers; je désire vivement assister au banquet des funérailles d'Athelstane; car, s'il n'est pas splendide et nombreux, le défunt sortira du tombeau pour venir se prendre de querelle avec le cuisinier, son intendant et l'échanson: ce serait, vous l'avouerez, un spectacle assez amusant. Toutefois, sire chevalier, je prie votre valeur de m'excuser, et je compte sur elle pour faire ma paix avec Cedric, si mon esprit vient à faillir.»

«Et que pourrait ma faible valeur, mon cher bouffon, si ton esprit venait à échouer? apprends-moi cela.» – «L'esprit, noble chevalier, répliqua le bouffon, peut faire beaucoup; c'est un fripon vif et intelligent qui voit le côté faible de son voisin, qui en profite et se tient à l'écart si l'orage des passions vient à gronder trop haut; mais le courage est un compagnon vigoureux qui brise tout: il rame à la fois contre vent et marée, et poursuit son chemin malgré tous les obstacles. Et moi, bon chevalier, si je prends soin du tempérament de notre noble maître dans le beau temps, j'espère que vous vous en chargerez durant la tempête.»

«Sire chevalier du cadenas, puisque tel est votre plaisir de vous faire donner ce nom, dit Ivanhoe, je crains que vous n'ayez pris pour guide un fou bien bavard et bien importun; mais il connaît tous les sentiers de nos bois aussi bien que le meilleur des gardes qui les fréquentent; et le pauvre diable, comme vous l'avez pu voir, est aussi fidèle que l'acier qui ne rompt point.» – «S'il a le don de montrer le chemin, dit le chevalier, je ne serai point fâché qu'il le rende agréable. Adieu, mon cher Wilfrid, je te recommande de ne pas songer à te mettre en voyage avant demain.»

Parlant ainsi, il présenta sa main à Ivanhoe, qui la pressa contre ses lèvres; et prenant congé du prieur, il monta à cheval et partit avec son guide Wamba. Ivanhoe les suivit des yeux, jusqu'à ce que les arbres de la foret les eussent dérobés à ses regards, et il retourna au couvent. Mais peu d'instans après Wilfrid demanda à voir le prieur. Le vieillard vint en hâte, et s'informa avec inquiétude de l'état des blessures du chevalier.

«Je me trouve mieux, dit ce dernier, que je ne l'espérais; ma blessure est moins profonde que je ne l'avais cru d'abord, d'après la faiblesse où m'avait mis la perte de mon sang: peut-être que le baume employé pour la guérir a été efficace. Je me sens presque assez fort déjà pour porter une armure, et je suis tellement bien, que mes pensées me poussent à ne plus rester dans l'oisiveté plus long-temps.» – «À Dieu ne plaise, dit le prieur, que le fils de Cedric s'en aille de mon couvent avant que ses blessures ne soient cicatrisées! Ce serait une honte pour la communauté si je le souffrais.» – «Je ne songerais point à quitter votre demeure hospitalière, vénérable prieur, si je ne me sentais point capable de supporter la fatigue du voyage, et si je n'étais pas forcé de l'entreprendre.» – «Et qui donc peut vous obliger à un si prompt départ?» dit le prieur. – «N'avez-vous donc jamais, mon digne père, lui répondit le chevalier, ressenti de fâcheux pronostics auxquels il vous était impossible d'assigner aucune cause? N'avez-vous jamais trouvé votre esprit tout obscurci par des nuages, comme les paysages fantastiques qui apparaissent tout à coup dans les airs sous les feux du soleil, et qui annoncent la tempête? Croyez-vous que de semblables pressentimens soient indignes de notre attention, et ne soient pas comme des inspirations de nos anges gardiens, qui nous avertissent de quelques dangers imprévus?»

«Je ne saurais nier, dit le prieur en faisant un signe de croix, que le ciel n'ait ce pouvoir, et que de pareilles choses n'aient existé; mais alors de telles inspirations avaient un but visible et utile. Mais toi, blessé comme tu l'es, à quoi te servirait de suivre les pas de celui que tu ne peux aider, s'il était attaqué?» – «Prieur, dit Ivanhoe, vous vous trompez. Je me sens assez fort pour échanger un coup de lance contre quiconque voudrait me défier. Mais ne peut-il courir aucun autre péril où je pourrais le secourir autrement que par les armes? Il n'est que trop vrai que les Saxons n'aiment point la race normande. Et qui sait ce qui peut arriver s'il se présente au milieu d'eux, dans un moment où leurs coeurs sont irrités de la mort d'Athelstane, et où leurs têtes seront échauffées par les orgies du banquet funéraire? Je regarde cette apparition parmi eux comme très périlleuse, et je suis résolu de partager ou de prévenir le danger auquel il s'expose. Je te prie donc de me laisser partir sur un palefroi dont le pas soit plus doux que celui de mon destrier.»

«Assurément, dit le vénérable ecclésiastique, vous aurez ma propre haquenée; elle est accoutumée à l'amble, et son allure est aussi favorable au voyageur que la jument de l'abbé de Saint-Alban. Vous ne pourriez trouver une monture plus commode que Malkin, nom sous lequel je désigne ma bête, quand même vous prendriez le poulain du jongleur qui danse à travers les oeufs sans en briser aucun. Je la dois au prieur de Saint-Bees, et je vous promets que c'est un animal rempli d'intelligence, et qui ne souffrirait pas un fardeau incommode. J'empruntai un jour le Fructus temporum de l'abbé de Saint-Bees, et, je vous l'assure, elle ne voulut point franchir la porte du couvent que je n'eusse échangé l'énorme in-folio contre mon bréviaire.» – «Fiez-vous à moi, mon père, dit Ivanhoe, je ne l'accablerai point d'un trop lourd fardeau, et si Malkin me provoque au combat, je vous certifie que j'en saurai triompher.»

Gurth arriva dans ce moment, et attacha aux talons du chevalier une paire de grands éperons dorés propres à convaincre le cheval le plus rétif que le meilleur parti à prendre est de se conformer aux volontés du cavalier. Cette vue inspira des craintes au prieur pour sa chère monture, et il commença à se repentir intérieurement de sa courtoisie. «J'ai oublié, dit-il, de vous prévenir, sire chevalier, que ma mule se cabre au premier coup d'éperon. Il vaudrait mieux que vous prissiez dans la grange la mule de notre pourvoyeur. Je puis l'envoyer chercher, et elle sera prête en moins d'une heure. Elle ne saurait être que fort douce, ayant fait récemment toute notre provision de bois pour l'hiver, et ne recevant jamais un grain d'avoine.» – «Je vous remercie, révérend père, mais je m'en tiendrai à votre première offre, puisque déjà votre Malkin est sortie et a franchi la porte principale. Gurth portera mon armure, et pour le reste, soyez bien sûr que le dos de Malkin ne sera point chargé, et qu'elle n'aura aucune raison à alléguer pour lasser ma patience. Maintenant recevez mes adieux.»

Ivanhoe descendit l'escalier plus vite et plus aisément que sa blessure ne l'eût fait espérer, et il sauta lestement sur la mule, joyeux d'échapper à l'importunité du prieur qui le suivait aussi vite que son âge et son embonpoint le permettaient, tantôt chantant la louange de Malkin, tantôt recommandant au chevalier de ne la point trop fatiguer. «Elle est dans l'âge le plus dangereux pour les jumens comme pour les filles, dit le prieur en riant lui-même du bon mot; elle est dans sa quinzième année.»

 

Ivanhoe qui songeait à toute autre chose qu'aux importans avis et aux facéties du prieur, et qui ne voulait pas entendre davantage ces réflexions bizarres sur la mule, le poids qu'elle devait porter et le pas qu'elle devait tenir, donna sur-le-champ à Malkin le signal du départ, au moyen d'un coup d'éperon au flanc, et il prescrivit à Gurth de le suivre. Pendant qu'à travers la foret il suivait le chemin de Coningsburgh, en allant à la trace du chevalier noir, le prieur se tenant à la porte du couvent l'accompagnait des yeux, et criait: «Sainte Marie! comme ils sont vifs et impétueux ces hommes de guerre! je voudrais bien ne lui avoir pas confié Malkin; car, perclus comme je le suis, par un rhumatisme, que deviendrai-je s'il lui arrive malheur? Et, cependant, ajouta-t-il après une seconde réflexion, comme je n'épargnerais pas mes vieux membres ni mon sang pour la bonne cause de la vieille Angleterre, Malkin doit aussi courir le même hasard, et il peut arriver qu'ils jugent notre pauvre couvent digne de quelque magnifique donation; du moins qu'ils envoient au vieux prieur un jeune cheval habitué au pas. S'ils ne font rien de tout cela, car les grands oublient souvent les services des petits, je me trouverai suffisamment récompensé, en songeant que j'ai rempli mon devoir. Mais il est temps de faire sonner la cloche pour appeler les frères au déjeuner du réfectoire; c'est un appel auquel ils obéissent plus volontiers qu'à celui des matines15

À ces mots le prieur revint en clopinant16 vers le réfectoire, afin de présider à la distribution du stockfish et de l'ale qu'on venait de servir pour le repas des frères. Haletant et grave, il s'assit à table, et laissa échapper quelques mots des avantages que le couvent pouvait espérer et des services que lui-même venait de rendre, lesquels, dans une autre circonstance, eussent attiré l'attention générale. Mais le stockfish était fort salé, l'ale assez bonne, et les mâchoires des frères commensaux trop occupées pour qu'ils pussent laisser quelque usage à leurs oreilles; de sorte que nul des anachorètes ne fut tenté de réfléchir sur les discours mystérieux de leur supérieur, excepté le frère Diggory17, qui était affligé d'un atroce mal de dents et ne pouvait mâcher que d'un coté de la bouche.

Pendant ce temps, le chevalier noir et son guide parcouraient tranquillement l'obscurité de la forêt. Tantôt le bon chevalier fredonnait à demi-voix des chansons qu'il avait retenues de quelque troubadour amoureux, tantôt il encourageait par ses questions le penchant naturel de Wamba au babil, de manière que leur conversation était un mélange assez bizarre de chants et de quolibets. Nous essaierons d'en offrir une idée au lecteur. Il faut vous représenter ce chevalier comme nous l'avons déjà dépeint: haut de taille, vigoureusement constitué, ayant de larges épaules, et monté sur un cheval noir qui semblait avoir été choisi tout exprès pour le fardeau qu'il devait supporter; le cavalier avait levé la visière de son casque pour respirer plus librement, mais la mentonnière en était fermée, de façon qu'il eût été difficile de distinguer ses traits. On voyait pourtant des joues pleines et vermeilles, quoique brunies par le soleil de l'orient, et de grands yeux bleus qui étincelaient sous l'ombre formée par sa visière levée; du reste, toute la physionomie et la contenance du chevalier annonçaient une gaieté insouciante, une confiance affranchie de toute crainte, un esprit aussi peu fait à prévoir le danger que prompt à le défier quand il se présentait, et qu'il attendait sans étonnement, la principale de ses pensées ou de ses occupations ayant été la guerre et les aventures périlleuses.

Le bouffon portait ses vêtemens ordinaires; mais les derniers événemens dont il avait été témoin l'avaient déterminé à substituer à son sabre de bois une espèce de couteau de chasse bien affilé, et un petit bouclier, objets dont il s'était assez bien servi, malgré sa profession, dans la tour de Torquilstone, le jour de la ruine de ce château. Il est vrai que l'infirmité du cerveau de Wamba ne consistait guère qu'en une sorte d'impatience irritable qui ne lui permettait ni de rester long-temps dans la même posture, ni de suivre un certain cours d'idées, quoiqu'il sût s'acquitter à merveille de ce qui n'exigeait qu'une attention de quelques minutes, et qu'il saisît parfaitement tout ce qui fixait un moment son intelligence.

Dans la circonstance actuelle il changeait perpétuellement de situation sur son cheval; tantôt sur le cou, tantôt sur la croupe de l'animal; d'autres fois les deux jambes pendantes du même côté, ou la face tournée vers la queue; enfin remuant sans cesse, et tourmentant de mille façons la pauvre bête, qui finit par se cabrer et le jeter sur le gazon, accident qui n'eut d'autre suite que d'éveiller le rire du chevalier et de forcer son guide à demeurer plus tranquille.

Au point de leur voyage où nous revenons à eux, ils étaient occupés à chanter un virelai, où le bouffon mêlait un refrain moitié rauque moitié doux au savoir plus grand du chevalier de Fetterlock ou du cadenas18. Voici quel était ce virelai;

LE CHEVALIER
 
Lève-toi, douce Anna-Marie,
Déjà revient l'astre du jour;
Il revient dorer la prairie,
Et le brouillard fuit à son tour.
Les oiseaux dans l'épais bocage
Ont repris leur joyeux ramage;
Debout, l'aurore est de retour.
Du chasseur absent de sa couche
Le cor sonne aux bois d'alentour,
D'où le cerf effrayé débouche;
Et l'écho charmé du désert
Redit ce sauvage concert.
Lève-toi donc, Anna-Marie,
Sors de ta chaste rêverie,
Et viens de ta maison chérie
Folâtrer sur le gazon vert.
 
WAMBA
 
Quel bruit résonne à mon oreille?
Ô Tybalt, ne m'éveille pas;
Sur le duvet quand je sommeille,
Qu'un doux songe a pour moi d'appas!
Que sont, près d'un rêve paisible,
Les plaisirs du monde éveillé?
Ô Tybalt, j'y suis peu sensible,
Mon coeur en est peu chatouillé.
Devant le brouillard qui s'enlève,
Que l'oiseau répète ses chants;
Que du cor, au milieu des champs,
Le bruit aigu monte et s'achève:
Des sons plus doux et plus touchans
Me flattent pendant que je rêve;
Mais ne crois pas qu'en ces momens
Ton amour occupe mon rêve.
 

«Délicieuse chanson, dit Wamba quand ils l'eurent finie, et belle morale, je le jure par ma marotte. Il me souvient que je la chantais un jour à mon camarade Gurth qui, par la grâce de Dieu et de son maître, n'est pas moins aujourd'hui qu'un homme libre; et nous reçûmes tous deux la bastonnade pour être demeurés au lit jusqu'à deux heures après le soleil levé, pour répéter notre romance; rien qu'en songeant à l'air il me semble que le terrible jonc secoue mes épaules et m'arrache des cris. Cependant, pour vous obliger, noble chevalier, je n'ai point balancé à chanter la partie d'Anna-Marie.» Le bouffon passa ensuite à une autre chanson comique, dans laquelle le chevalier, saisissant le ton, l'accompagna comme on va le voir:

LA VEUVE DE WYCOMBE
LE CHEVALIER ET WAMBA
 
Trois preux galans de l'est, du nord et du couchant,
(Mes amis, chantons à la ronde),
Ensemble courtisaient certaine veuve blonde:
De qui la veuve a-t-elle écouté le penchant?
 
 
Le premier qui parla, venu de Tynedale19,
Se prétendait issu d'aïeux de grand renom;
Devant cette origine, ingénieux dédale,
La veuve dira-t-elle non?
 
 
Son père était un laird20, son oncle était un squire21;
Son orgueil égalait celui d'Agamemnon.
Elle lui dit: Ailleurs va conter ton martyre;
À tes voeux ma réponse est non.
 
WAMBA
 
Celui du Nord jura sur son ame et sa race
Qu'il était gentilhomme et valeureux Gallois.
Elle lui dit: Grand bien vous fasse!
Je ne vivrai pas sous vos lois.
 
 
Il s'appelait David, Ap Tudor, Morgan, Rhice.
C'est trop de noms, lui dit-elle en riant;
Une veuve auprès d'eux aurait trop de service;
Offrez ailleurs votre soupir brûlant.
 
 
Mais du comté de Kent, un beau fermier arrive,
Chantant sa joyeuse chanson:
La veuve à son aspect cesse d'être rétive;
Il est riche et gaillard; elle ne dit plus non.
 
ENSEMBLE
 
L'Écossais, le Gallois, rebutés de la belle,
Vont chercher un autre tendron;
Car au fermier de Kent, à sa rente annuelle,
Aucune veuve n'a dit non.
 

«Je voudrais, Wamba, dit le chevalier, que notre hôte du grand chêne, ou le joyeux moine son chapelain, entendissent cette chanson à la louange de notre yeoman fermier.» – «Pour moi, je ne m'en soucierais pas, dit le bouffon, si je ne voyais le cor suspendu à votre baudrier.» – «Oui, dit le chevalier, c'est un gage de l'amitié de Locksley, quoique je n'en aie apparemment nul besoin. Trois mots sur ce cor, et je suis sûr de voir accourir à notre aide une bande de braves archers.»

 

«Je dirais, à Dieu ne plaise que nous n'ayons leur visite, reprit Wamba, si ce beau présent n'était point là pour empêcher qu'ils n'exigeassent de nous un droit de passe.» – «Que veux-tu dire par là? Penses-tu que sans ce gage d'amitié ils oseraient nous attaquer?» – «Je ne dis rien, car ces arbres ont des oreilles comme les murailles. Mais répondez à votre tour, sire chevalier: quand vaut-il mieux avoir sa cruche et sa bourse pleines que vides?» – «Ma foi, jamais, je pense, dit le chevalier.» – «Vous ne méritez d'avoir pleine ni l'une ni l'autre pour m'avoir fait une semblable réponse. Il vaut mieux vider sa cruche avant de la passer à un Saxon, et laisser l'argent à la maison avant de s'aventurer dans un bois.»

«Vous prenez donc nos amis pour des voleurs,» dit le chevalier du cadenas. – «Je n'ai point dit cela, beau chevalier, reprit Wamba; mais un voyageur peut soulager son cheval en le déchargeant d'un fardeau inutile, et un homme soulager son semblable en lui ôtant ce qui est la source de tout mal. Je ne veux donc pas injurier ceux qui rendent de tels services; seulement je voudrais avoir laissé ma malle et ma bourse chez moi, si je rencontrais ces braves gens dans ma route, afin de leur éviter la peine de m'en débarrasser.»

«Nous devons prier pour eux, mon ami, nonobstant l'idée flatteuse que tu en donnes.» – «Je prierai pour eux de tout mon coeur, mais à la maison et non dans la forêt, comme l'abbé de Saint-Bees, qu'ils contraignirent à dire la messe dans le creux d'un arbre qui lui servit de stalle.» – «Quoi que tu puisses en penser, Wamba, ces yeomen ont rendu de grands services à Cedric au château de Torquilstone.» – «J'en conviens, mais c'était en guise de trafic avec le ciel.»

«De trafic avec ciel! Que veux-tu dire par là?» – «Rien de plus simple: ils font avec le ciel une balance de compte, suivant que notre vieil intendant le pratiquait dans ses écritures, suivant que l'établit le juif Isaac avec ses débiteurs: comme ce dernier, ils donnent peu et prennent beaucoup; calculant sans doute en leur faveur, à titre d'usure, sept fois la somme que la sainte Bible a promise sur les emprunts charitables.»

«Donne-moi un exemple de ce que tu entends; je ne sais rien des chiffres ou règles d'intérêt en usage.» – «Puisque votre valeur a l'intelligence si bouchée, je vous dirai que ces gens balancent une bonne action avec une qui n'est pas aussi louable; par exemple, ils donnent une demi-couronne à un frère mendiant, sur cent besans d'or pris à un gros abbé; ou ils caressent une jolie fille dans un bois, en respectant une veuve ridée.» – «Laquelle de ces actions est la bonne, et quelle est celle qui ne l'est pas?» demanda le chevalier. «Bonne plaisanterie! bonne plaisanterie! dit Wamba; la compagnie des gens d'esprit aiguise l'intelligence. Je vous assure que vous n'avez rien dit d'aussi bien, sire chevalier, lorsque vous chantiez matines avec le saint ermite; mais, pour suivre mon raisonnement, vos braves gens de la foret bâtissent une chaumière en brûlant un château; ils décorent une chapelle et pillent une église; ils délivrent un pauvre prisonnier et mettent à mort un shériff22; ils secourent un franklin saxon, et jettent dans les flammes un baron normand. Ce sont enfin de gentils voleurs, d'honnêtes brigands; mais il vaut toujours mieux les rencontrer quand leur balance n'est pas de niveau.»

«Et pourquoi cela? dit le chevalier; parce qu'alors ils éprouvent de la contrition et tâchent de rétablir l'équilibre, vu que cette balance ne penche jamais du bon coté; mais quand elle est de niveau, malheur à ceux qu'ils rencontrent. Les premiers voyageurs qu'ils trouveront après leur bonne action à Torquilstone, seront écorchés tout vifs. Et cependant, ajouta le bouffon en se rapprochant du chevalier, il y a dans les bois des compagnons encore plus dangereux que les outlaws.»

«Et que peuvent-ils être? je crois, dit le chevalier, qu'il ne s'y trouve ni loups, ni ours.» – «Les hommes d'armes de Malvoisin, répondit Wamba; sachez que dans un moment de trouble, une demi-douzaine de ces hommes est plus dangereuse qu'une bande de loups enragés. À l'heure qu'il est, ils attendent leur proie, et ils ont recruté les soldats échappés de Torquilstone; et si nous en rencontrions une bande, elle nous ferait payer un peu cher nos exploits. Maintenant, sire chevalier, permettez-moi de vous demander ce que vous feriez si deux de ces gens fondaient sur nous.» – «Je les clouerais contre terre avec ma lance s'ils osaient s'opposer à notre passage.» – «Mais s'ils étaient quatre?» – «Je les ferais boire à la même coupe.» – «S'ils étaient six, pendant que nous ne sommes que deux, ne vous rappelleriez-vous pas alors le présent de Locksley?» – «Quoi! je demanderais du secours contre une pareille canaille23, qu'un vrai chevalier chasse devant lui, comme le vent chasse les feuilles desséchées!» – «Alors, je vous prierai, sire chevalier, de vouloir bien me permettre d'examiner de plus près le cor dont le son a un pouvoir si merveilleux.»

Le chevalier, pour satisfaire à la curiosité du Bouffon, détacha le cor de son baudrier et le remit à Wamba, qui aussitôt le pendit à son cou: tra-lira-la, dit-il en chuchotant les notes convenues. «Je connais ma gamme aussi bien qu'un autre.» – «Que veux-tu dire, faquin? rends-moi ce cor.» – «Contentez-vous, sire chevalier, de savoir que j'en aurai soin. Quand la valeur et la folie voyagent ensemble, la folie doit porter le cor, parce que c'est elle qui souffle le mieux.» – «Wamba, ceci passe les limites du respect, dit le chevalier noir, prends garde de mettre ma patience à bout.» – «Point de violence, sire chevalier, dit Wamba en s'écartant à une certaine distance du champion impatienté, ou la folie vous montrera qu'elle a une bonne paire de jambes, et laissera la valeur chercher toute seule sa route à travers la forêt.»

«Tu m'as vaincu, Wamba, reprit le chevalier; tu as fait vibrer une corde sensible; d'ailleurs, je n'ai pas le temps de me quereller avec toi: garde le cor, et poursuivons notre chemin.» – «Vous me promettez de ne point me maltraiter, sire chevalier, dit Wamba.» – «Je te le promets, faquin.» – «Foi de chevalier! continua Wamba en se rapprochant avec précaution.» – «Foi de chevalier! mais hâtons-nous.» – «Ainsi donc, voilà la valeur et la folie réconciliées encore une fois, dit le bouffon en se replaçant sans crainte auprès du chevalier noir; je n'eusse pas aimé un coup de poing comme celui que vous appliquâtes au moine, quand sa piété roula comme une quille sur le sol; et maintenant que la folie porte le cor, il est temps que la valeur se lève et secoue sa crinière; car si je ne me trompe, je vois là-bas de la compagnie qui nous attend.»

«Qu'est-ce qui te fait juger ainsi? dit le chevalier. Je viens de voir étinceler à travers le feuillage quelque chose qui ressemble à un morion. Si c'étaient d'honnêtes gens ils suivraient le sentier; mais cette broussaille est une chapelle choisie par les clercs de Saint-Nicolas.» – «Par ma foi, dit le chevalier en baissant sa visière, je crois que tu as raison.» Il la baissa bien à point; car à l'instant trois flèches lui arrivèrent au front, et l'une d'elles lui fût entrée dans la cervelle si le casque ne l'eût garantie; les deux autres furent parées par le bouclier qui pendait à son cou.»

«Grand merci, ma bonne armure. Wamba, il faut montrer de la vigueur,» dit le chevalier; et il se précipita vers le taillis. Il y fut entouré par sept individus qui se firent contre sa fougue un rempart de leurs lances. Trois de ces armes le touchèrent et se brisèrent comme si elles eussent rencontré une tour d'airain. Les yeux du chevalier noir semblaient lancer le feu à travers les ouvertures de sa visière. Il se leva sur ses étriers, et, avec une dignité singulièrement imposante, il s'écria: «Que signifie ceci, mes maîtres?» Les assaillans ne lui répondirent qu'en tirant leurs épées et en l'attaquant de toutes parts avec ce cri: «Mort au tyran!» – «Ah! saint Édouard! saint Georges! dit le chevalier noir en abattant un homme à chaque invocation, il y a donc ici des traîtres?»

Les agresseurs, quelque déterminés qu'ils fussent, se tenaient hors de la portée d'un bras qui à chaque coup donnait la mort; et il était à présumer que sa seule valeur allait mettre en fuite tous ceux qui l'assaillaient, quand un chevalier couvert d'armes bleues, qui jusqu'alors s'était tenu en arrière, fondit sur le noir fainéant; mais, au lieu de le frapper de sa lance, il la poussa contre le cheval que celui-ci montait, et qui tomba blessé à mort. «C'est le trait d'un lâche et d'un félon!» s'écria le chevalier noir en tombant avec son coursier.

En ce moment, le bouffon prit son cor dont le bruit soudain fit retirer un peu les assassins, et Wamba, quoique mal armé, ne balança point à voler au secours du chevalier noir. «Lâches! s'écria celui-ci, n'avez-vous pas honte de reculer au seul bruit d'un cor?» Animés par cette apostrophe, ils attaquèrent de nouveau le noir fainéant, qui n'eut d'autre ressource que de s'adosser contre un chêne et de se défendre l'épée à la main. Le chevalier félon, qui avait pris une autre lance, épiant le moment où son redoutable antagoniste était serré de plus près, galopa vers lui dans l'espoir de le clouer avec sa lance contre l'arbre, lorsque Wamba fit encore échouer ce projet. Le bouffon, suppléant à la force par l'agilité, et étant dédaigné par les hommes d'armes, occupés d'un objet plus important, voltigeait à quelque distance du combat, et il arrêta l'élan du chevalier bleu, en coupant les jarrets de son cheval d'un revers de son couteau de chasse. Le cheval et le cavalier mordirent aussitôt la poussière; mais la situation du chevalier du cadenas n'en était pas moins périlleuse, car il était assailli par plusieurs hommes complétement armés, et il commençait à s'épuiser par la violence de ses efforts réitérés sur tous les points, quand une flèche inconnue et soudaine étendit par terre celui des combattans qui le harcelait le plus; et presque au même instant une bande d'archers ayant à leur tête Locksley et le moine, sortirent du taillis et se ruèrent sur les marauds qu'ils tuèrent ou blessèrent tous dangereusement. Le chevalier noir remercia ses libérateurs avec une dignité qu'ils n'avaient pas remarquée jusqu'alors; car on le prenait plutôt pour un soldat courageux que pour un personnage de haut rang.

«Avant de vous témoigner ma reconnaissance, mes braves amis, leur dit-il, il importe que je sache quels sont ces ennemis que je n'avais point provoqués.» Wamba leva la visière du chevalier bleu qui paraît être le chef de ces bandits. Aussitôt le bouffon courut au chef des assassins, qui, froissé par sa chute et embarrassé sous son coursier blessé, ne pouvait ni fuir ni opposer aucune résistance.

«Venez, vaillant chevalier, lui dit Wamba, il faut que je sois votre armurier après avoir été votre écuyer. Je vous ai démonté, et je vais maintenant vous délivrer de votre casque.» En parlant ainsi, et sans cérémonie, il dénoua les cordons du casque qui, roulant sur le sol, montra au chevalier noir des traits qu'il était loin de présumer. «Waldemar Fitzurse! dit-il frappé de surprise; et quel motif a pu pousser un homme de ton rang et de ta naissance à une expédition aussi infâme?»

«Richard, lui répondit le chevalier captif en le regardant avec fierté, tu connais peu le coeur humain, si tu ne sais pas à quoi l'ambition et la vengeance peuvent entraîner un fils d'Adam.» – «La vengeance! dit le chevalier noir; je ne t'ai jamais fait aucun mal; tu n'as rien à venger sur moi.» – «Ma fille, Richard, dont tu as dédaigné l'alliance, n'était-ce pas une injure que ne peut pardonner un Normand, dont le sang est aussi noble que le tien?» – «Ta fille! reprit le chevalier noir, et telle est la cause de ton inimitié et qui te portait à vouloir me tuer!.. Mes amis, éloignez-vous un peu, j'ai besoin de lui parler seul… Maintenant que personne ne nous entend, Waldemar, dis-moi la vérité: qui t'a porté à cet acte de scélératesse?» – «Le fils de ton père, répondit Waldemar, et en agissant ainsi, il vengeait à son tour ta désobéissance envers ton père.»

15Ceci rappelle les vers du Lutrin de Boileau: «Ces chanoines vermeils et brillans de santéS'engraissaient d'une longue et sainte oisiveté;Sans sortir de leurs lits, plus doux que leurs hermines,Ces pieux fainéans faisaient chanter matines,Veillaient à bien dîner, et laissaient en leur lieuÀ des chantres gagés le soin de louer Dieu.»Ch. Ier. Walter Scott a la tête pleine des ouvrages de nos meilleurs écrivains; mais il ne les cite point: il croit peut-être que sa nationalité en souffrirait.
16Hobbled back, clopine pour le retour, expression que M. Defauconpret a rendue par «il reprit à pas lents le chemin,» ce qui n'est pas, je crois, reproduire un des traits les plus caractéristiques de l'abbé.A. M.
17Digged, creusé; gory, plein de mauvais sang; comme qui dirait, le frère de triste figure.A. M.
18Fetter, fers; lock, chaîne ou tresse; comme qui dirait le chevalier de la chaîne de fer. C'est ici le cadenas, et nous l'avons déjà employé, dans ce sens, plusieurs fois.A. M.
19Pays sur la limite de l'Angleterre et de l'Écosse.
20Gentilhomme écossais.
21Gentilhomme anglais.A. M.
22Sorte de préfet ou chef de comté en Angleterre. A. M.
23Le texte porte rascaille, mot imité du français canaille, et qui vient de rascal, faquin.A. M.