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Ivanhoe. 3. Le retour du croisé

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CHAPITRE XXIX

«Va, monte à la tour d'observation là-bas, vaillant soldat; promène tes regards sur la compagne, et dis-moi comment va la bataille.»

SHILLER. La Pucelle d'Orléans.

Le moment du péril est souvent aussi le moment où le coeur s'ouvre à la bienveillance et à l'affection. Nous nous trouvons trahis par l'agitation générale de nos sentimens, en sorte que nous laissons à découvert ceux que, dans des momens plus tranquilles, nous aurions, sinon totalement réduits au silence, du moins déguisés et cachés sous le voile de la prudence. En se trouvant encore une fois à côté du lit d'Ivanhoe, Rébecca fut tout étonnée de la vive sensation de plaisir qu'elle éprouvait, même dans un moment où tout ce qui les environnait ne présentait que danger, désespoir même. En lui tâtant le pouls et lui demandant comment il se trouvait, il y avait une douceur de sentiment, dans le contact et dans la voix, qui témoignait un plus grand degré d'intérêt qu'elle n'aurait elle-même voulu se hasarder à exprimer. Sa voix était mal assurée, sa main tremblante, et ce ne fut que la froide question d'Ivanhoe: «Est-ce toi, aimable fille, qui la rappela à elle-même et la fit souvenir que le sentiment qu'elle éprouvait n'était et ne pouvait être partagé?» Un soupir lui échappa; mais il fut à peine entendu, et les questions qu'elle adressa au chevalier sur l'état de sa santé furent faites avec l'accent calme de l'amitié. Ivanhoe répondit, avec une sorte de hâte, que sa santé était aussi bonne, même meilleure qu'il n'aurait pu s'y attendre, «grâce, ma chère Rébecca, ajouta-t-il, à vos soins obligeans.»

«Il m'appelle sa chère Rébecca, se dit-elle à elle-même, mais c'est d'un ton froid et indifférent qui s'accorde mal avec l'expression: son cheval de bataille, son chien de chasse, lui sont plus chers que la juive qu'il méprise.»

«Mon esprit, bonne et douce fille, continua Ivanhoe, éprouve plus d'anxiété que mon corps ne ressent de douleur. D'après la conversation qui a eu lieu entre les gardes qui m'entouraient, je vois que je suis prisonnier; et si j'en juge par la voix forte et rauque de celui qui vient justement de leur donner des ordres, je suis dans le château de Front-de-Boeuf. S'il en est ainsi, quel sera le résultat, et comment puis-je protéger lady Rowena et mon père?»

«Il ne fait aucune mention ni du juif, ni de la juive, dit Rébecca en elle-même. Mais enfin quel droit avons-nous à une part dans ses pensées? Ô combien je suis surprise d'avoir laissé mon imagination s'arrêter aussi long-temps sur lui.» Après cette courte accusation portée contre elle-même, elle s'empressa de donner à Ivanhoe tous les renseignemens qui étaient en son pouvoir, mais qui se bornèrent à lui dire que le templier Bois-Guilbert et le baron Front-de-Boeuf commandaient dans le château, que le château était assiégé, mais par qui, c'est ce qu'elle ignorait. Elle ajouta qu'il y avait dans le château un prêtre chrétien, qui peut-être lui donnerait de plus amples renseignemens.»

«Un prêtre chrétien! dit Ivanhoe transporté de joie, amène le ici, Rébecca, s'il est possible; dis-lui qu'un malade a besoin de son secours spirituel; dis-lui ce que tu voudras, mais fais-le venir. Il faut que je fasse, il faut du moins que je tente quelque chose; mais comment puis-je prendre une détermination avant de savoir ce qui se passe?»

Ce fut pour se conformer aux désirs d'Ivanhoe que Rébecca fit la tentative dont nous avons parlé pour amener Cedric dans la chambre du chevalier blessé; l'arrivée d'Ulrique en empêcha la réussite; car elle aussi s'était tenue aux aguets pour intercepter la venue du moine. Rébecca se retira afin d'instruire Ivanhoe du non succès de son plan.

Ils n'eurent pas beaucoup de temps à donner au regret qu'ils éprouvèrent de n'avoir pu se procurer les informations qu'ils désiraient, non plus qu'à chercher quelque moyen d'y suppléer; car le bruit qui se faisait dans l'intérieur du château, occasionné par les préparatifs de défense, et qui d'abord avait été considérable, devint bientôt un mélange confus de tumulte et de clameurs qui le rendit dix fois plus assourdissant. La marche pesante et cependant rapide des hommes d'armes se faisait entendre sur les murailles, ou retentissait dans les divers passages étroits ou escaliers tournans qui conduisaient aux divers points de défense. On entendait les voix des chevaliers animant leurs soldats, ou leur indiquant l'usage qu'ils devaient faire de leurs armes; parfois néanmoins ces voix étaient couvertes par le cliquetis des armes ou par les clameurs de ceux à qui elles s'adressaient. Quelque épouvantables que fussent ces cris, quel que fût le degré d'horreur de la scène qui allait bientôt se passer, il s'y mêlait néanmoins une sorte de sublime auquel l'âme exaltée de Rébecca pouvait s'élever même dans ce moment d'effroi. Son oeil étincelait, quoique son visage fût entièrement décoloré, et il y avait un mélange de crainte et d'enthousiasme dans l'expression qu'elle donna aux paroles du texte sacré, lorsqu'elle dit, moitié à elle-même, moitié à Ivanhoe: «On entend le bruit du carquois, le cliquetis de la lance et du bouclier, la voix des capitaines et les cris des soldats.»

Mais Ivanhoe était comme le coursier belliqueux dont il est fait mention dans ce passage sublime de l'Écriture, tourmenté de son inaction, et du désir ardent de se précipiter au milieu des combats dont tout ce vacarme était le prélude. «Si je pouvais, disait-il, me traîner jusqu'à cette fenêtre, pour voir l'issue probable de la lutte qui va s'engager. Si j'avais un arc pour décocher une flèche!.. une hache d'armes, pour frapper, ne fût-ce qu'un seul coup, pour notre délivrance!.. Mais non!.. vains désirs! je suis sans force, aussi bien que sans arme.»

«Calme-toi, noble chevalier, dit Rébecca; le bruit a cessé tout à coup; il est possible qu'il n'y ait pas de combat.» – «Tu n'entends rien à cela, dit Wilfrid d'un ton d'impatience. Ce moment de silence ne prouve autre chose sinon que les soldats sont à leur poste sur les murailles, s'attendant à être attaqués d'un instant à l'autre; ce que nous avons entendu n'était que l'annonce éloignée de la tempête; tout à l'heure elle va fondre sur nous dans toute sa fureur. Si je pouvais aller seulement jusqu'à cette fenêtre!» – «Le tenter seulement ne ferait qu'empirer ton mal, noble chevalier, dit Rébecca; puis, observant son extrême inquiétude: «Eh bien! ajouta-t-elle avec fermeté, je vais me tenir moi-même à la fenêtre, et vous ferai, aussi bien que je pourrai, la description de ce qui se passera.»

«Ne faites pas cela, s'écria Ivanhoe; gardez-vous-en bien; chaque fenêtre, chaque ouverture va être un point de mire pour les archers; il ne faudrait qu'un trait lancé au hasard pour…» – «Et il sera le bienvenu,» murmura Rébecca en montant d'un pas ferme et assuré deux ou trois marches qui conduisaient à la fenêtre. – «Rébecca, chère Rébecca, s'écria Ivanhoe, ceci n'est point un passe-temps de jeune fille; ne va pas t'exposer à recevoir quelque blessure, peut-être même le coup de la mort, et me rendre à jamais malheureux pour y avoir donné lieu; du moins couvre-toi de cet ancien bouclier qui est là-bas et ne montre à la fenêtre qu'une faible partie de ton corps.» Suivant avec une promptitude extraordinaire les instructions d'Ivanhoe, et profitant de la protection que lui fournissait le vaste et antique bouclier, qu'elle plaça contre le bas de la fenêtre, elle fut à même de voir, sans être trop exposée, ce qui se passait en dehors du château et de rendre compte à Ivanhoe des préparatifs que l'on faisait pour l'assaut. La position qu'elle venait de prendre était effectivement très favorable au but qu'elle se proposait; car, placée à l'un des angles du bâtiment principal, non seulement elle découvrait tout le mouvement qui se faisait hors de l'enceinte du château, mais encore elle dominait sur les ouvrages avancés contre lesquels il paraissait probable que les assiégeans allaient d'abord marcher. C'était une fortification extérieure, peu élevée, peu fortifiée, et destinée à protéger l'entrée de la poterne par laquelle Front-de-Boeuf avait tout récemment fait sortir Cedric. Le fossé du château séparait cette espèce de barbacane du reste de la forteresse; de manière que, si elle venait à être surprise, il était facile de couper toute communication avec le bâtiment principal, en enlevant le pont temporaire. Dans les ouvrages avancés se trouvait une porte de sortie, correspondant à la poterne du château, et le tout environné d'une forte palissade. Rébecca put remarquer, d'après le nombre d'hommes qu'on avait chargés de la défense de ce poste, que les assiégés n'étaient pas tranquilles à cet égard; et comme les assaillans se portaient directement en face de la poterne, il était également évident qu'ils la regardaient comme le point le plus vulnérable de la place. Elle s'empressa de faire part de ces observations à Ivanhoe; puis elle ajouta: «La lisière du bois semble garnie d'archers, mais l'ombre des arbres ne permet d'en voir qu'un petit nombre.»

«Sous quelle bannière?» demanda Ivanhoe. – «Je n'en vois aucune, répondit la juive, ni rien qui y ressemble.» – «C'est bien étrange! marmotta le chevalier; marcher à l'attaque d'un château comme celui-ci sans bannières ni enseignes déployées, c'est pour moi une chose toute nouvelle. Dis-moi, peux-tu distinguer ceux qui paraissent être les chefs?» – «Celui que l'on peut le plus facilement remarquer, répondit la juive, est un chevalier revêtu d'une armure noire: c'est le seul qui soit armé de pied en cap, et il paraît avoir le commandement général de tout ce qui l'entoure.» – «Quelles armes a-t-il sur son bouclier?» demanda Ivanhoe. – «Quelque chose qui ressemble à une barre de fer, et à un cadenas, le tout peint en bleu sur un fond noir.» – «Un cadenas et un verrou peints en bleu? dit Ivanhoe; j'ignore qui peut porter ces armes, mais il me semble que ce pourrait fort bien être les miennes en ce moment».

 

«Ne pourrais-tu lire la devise?» – «C'est tout ce que je puis faire que d'apercevoir les armes à cette distance, répondit Rébecca, encore faut-il que le soleil donne en plein sur le bouclier.» – «Paraît-il y avoir d'autres chefs?» demanda encore Ivanhoe. – «De l'endroit où je suis, répondit Rébecca, je ne vois aucun personnage qui se fasse remarquer. Mais, ajouta-t-elle, il est probable que l'autre point du château est également assailli. Les voilà maintenant qui se mettent en marche. Dieu de Sion, protége-nous. Quel spectacle épouvantable! Ceux qui marchent les premiers portent des boucliers énormes, et poussent devant eux des murailles faites en planches; ils sont suivis par d'autres qui bandent leurs arcs à mesure qu'ils avancent. Les voilà qui ajustent les flèches! Dieu de Sion, épargne les créatures que tu as formées!14»

Sa description fut tout à coup interrompue par le signal de l'attaque, qui fut donné par le son aigu d'un cor, auquel il fut de suite répondu du haut des murs par le bruit des trompettes normandes, lequel, se mêlant au son grave et sourdement prolongé des nakirs, sorte de tymballe, donnait à connaître à l'ennemi que son défi était accepté. Les acclamations de l'un et de l'autre parti venaient ajouter au tumulte et au vacarme: «Saint Georges pour l'Angleterre!» criaient les assaillans; tandis que les Normands vociféraient de leur coté: «En avant de Bracy! Baucéan! Baucéan! Front-de-Boeuf à la rescousse!» suivant les cris de guerre de leurs différens chefs.

Ce n'était pas cependant par des clameurs que la querelle devait se vider, et les efforts désespérés des assaillans furent repoussés par les efforts non moins vigoureux des assiégés. Les archers, à qui le maniement de l'arc était devenu familier, par l'usage habituel qu'ils en faisaient dans leurs forêts, avaient le coup d'oeil si juste, et décochaient leurs flèches avec tant d'adresse, d'ensemble et de précision, que, quelque part que fût placée la personne à laquelle ils visaient, et quelque petite que fût la partie du corps qui restait à découvert, ils ne manquaient jamais de l'atteindre. Cette volée de flèches obscurcissait les airs comme une grêle épaisse tombant avec la plus grande violence; chaque trait avait sa destination particulière, et l'on pouvait souvent les suivre de l'oeil, dirigés par vingtaines contre chaque embrasure, chaque créneau, chaque ouverture dans les parapets, aussi bien que contre chaque fenêtre où se trouvait, ou même où l'on soupçonnait que pouvait se trouver un défenseur. Cette volée soutenue tua deux ou trois des assiégés et en blessa plusieurs autres. Mais, pleins de confiance dans leurs armures à l'épreuve, et dans l'abri que leur position leur fournissait, les soldats et les alliés de Front-de-Boeuf montrèrent un acharnement à se défendre proportionné à la fureur de leurs assaillans, et répondirent par une vigoureuse décharge d'arbalètes, de flèches, de pierres et d'autres projectiles, au violent orage de leurs traits serrés et continuels. Ils leur causèrent même plus de mal qu'ils n'en reçurent, parce qu'ils étaient plus exposés qu'eux-mêmes. Le bruit occasionné par le sifflement des flèches et autres missiles15, n'était interrompu que par les acclamations de l'un des deux partis qui avait fait éprouver à l'autre quelque perte notable.

«Et il faut que je reste ici étendu comme un moine fainéant qui ne peut quitter son lit, murmura Ivanhoe, pendant que les autres sont occupés à préparer le résultat qui doit décider de ma liberté ou de ma mort! Regarde encore une fois par la fenêtre, bonne fille, mais prends bien garde, évite avec soin de te faire apercevoir des archers qui sont au dessous. Regarde de nouveau, et dis-moi si l'ennemi avance encore pour livrer l'assaut.»

Avec une patience et un courage que la prière mentale qu'elle venait de faire venait de fortifier, Rébecca reprit son poste à la fenêtre, en ayant soin pourtant de se couvrir de manière à ne pas être aperçue de ceux qui étaient en bas.

«Que vois-tu, Rébecca?» demanda de nouveau le chevalier blessé. – «Rien qu'une nuée de flèches, tellement épaisse, qu'elle éblouit mes yeux au point qu'il leur est impossible de distinguer qui les lance,» reprit la juive. – «Cela ne saurait durer, reprit Ivanhoe; si l'on ne se hâte de s'avancer directement contre la place, afin de l'emporter par la force des armes, les archers ne retireront pas un bien grand avantage de leurs traits lancés contre des murailles de pierres. Cherche à découvrir le chevalier du cadenas, ma bonne fille, et vois comment il se conduit; car tel chef, tels soldats.» – «Je ne l'aperçois point,» dit Rébecca. – «Lâche poltron! s'écria Ivanhoe, quitte-t-il ainsi la barre du gouvernail au plus fort de la tempête?»

«Non, non, il ne la quitte point, dit Rébecca, je l'aperçois maintenant, conduisant un corps de troupes exactement au dessous de la barrière extérieure de la barbacane16. Ils arrachent les pieux et les palissades; ils brisent les barrières à coups de hache. Je vois le long panache noir flottant au dessus de toutes les têtes, comme un corbeau qui plane au dessus d'un champ de bataille couvert de morts et de mourans. Ils ont fait une brèche aux barrières. Ils s'y précipitent. Ils sont repoussés. Front-de-Boeuf est à la tête des assiégés; je vois sa taille gigantesque s'élevant au dessus de ceux qui l'entourent. Les voilà qui de nouveau se portent en foule à la brèche. On se dispute le passage corps à corps, homme à homme. Dieu de Jacob! ce sont deux courans impétueux qui se rencontrent, le conflit de deux océans poussés l'un contre l'autre par des vents opposés.» Elle détourna sa tête de la fenêtre, comme incapable de soutenir plus long-temps la vue d'une scène aussi terrible.

«Regarde de nouveau, Rébecca, dit Ivanhoe, se méprenant sur la cause de l'abandon de son poste; les archers doivent avoir cessé de lancer des flèches, puisqu'ils combattent maintenant corps à corps: regarde de nouveau, à présent il n'y a plus autant de danger.» Rébecca se mit derechef à regarder, et presque au même instant s'écria: «Saints prophètes de la loi! Front-de-Boeuf et le chevalier noir combattent corps à corps sur la brèche, au milieu des cris de leurs soldats qui suivent tous leurs mouvemens, et attendent le résultat de cette lutte. Puisse le ciel faire triompher la cause de l'opprimé et du captif!» Bientôt elle poussa un grand cri, en disant: «Il est tombé! il est tombé!»

«Qui est tombé? demande Ivanhoe; pour l'amour de Dieu, dis-moi celui qui est tombé.» – «Le chevalier noir,» répondit Rébecca d'une voix faible; puis tout à coup elle s'écria derechef avec tout le feu de la joie: «Mais non! mais non! Béni soit le Dieu des armées! Il s'est relevé, et le voilà qui lutte comme si son bras tout seul avait la force de vingt guerriers. Son épée s'est rompue; il saisit la hache d'armes d'un soldat; il presse Front-de-Boeuf, à qui il porte coup sur coup; le géant se penche et chancelle comme un chêne sous la cognée du bûcheron. Il tombe! il tombe!» – «Front-de-Boeuf?» demanda Ivanhoe.

«Front-de-Boeuf; oui, lui-même, répondit la juive; ses hommes d'armes se précipitent à son secours, ayant à leur tête le fier templier; la réunion de leurs forces oblige le champion de s'arrêter… Front-de-Boeuf est emporté dans l'intérieur du château.» – «Les assaillans ne sont-ils pas maîtres des barrières?» demanda Ivanhoe. – «Ils le sont, ils le sont, répondit Rébecca, et ils pressent vivement les assiégés sur le mur extérieur. Les uns plantent des échelles; les autres se rassemblent comme un essaim d'abeilles, cherchant à monter sur les épaules les uns des autres. On fait pleuvoir sur leurs têtes des pierres, des poutres, des troncs d'arbres; à peine un blessé a-t-il été emporté, qu'il est remplacé par un autre qui vient partager les fatigues de l'assaut. Grand Dieu! n'as-tu donné à l'homme ta propre image que pour être aussi cruellement défigurée par la main de son frère?» – «Ne pense pas à cela, dit Ivanhoe, ce n'est pas le moment de s'occuper de pareilles idées. Quel est le parti qui cède? Quel est celui qui a l'avantage?» – «Les échelles sont renversées, répondit Rébecca en frissonnant; les soldats sont culbutés, accablés, ensevelis sous elles, comme des reptiles qu'on écrase. Les assiégés ont le dessus.» – «Que saint Georges nous protége! dit le chevalier: est-ce que les assaillans auraient la lâcheté de céder?» – «Non, répondit Rébecca; ils se conduisent comme des braves. Le chevalier noir s'approche de la poterne avec son énorme hache; le bruit des coups qu'il porte, semblable à celui du tonnerre, se ferait entendre au dessus des clameurs, du vacarme et du tumulte des combats. On fait pleuvoir sur lui une grêle de pierres et de pièces de bois; mais il ne s'en émeut pas plus que si c'était du coton de chardon ou des plumes.»

«Par saint Jean-d'Acre! s'écria Ivanhoe en se soulevant sur son lit dans un accès de joie, je croyais qu'il n'y avait qu'un seul homme en Angleterre capable d'un pareil courage.» – «La porte qui ouvre la poterne s'ébranle, continue Rébecca; elle se rompt; elle est brisée en mille éclats par la violence de ses coups; les assiégeans s'y précipitent; les ouvrages extérieurs sont emportés. Ah, grand Dieu! les assiégés sont précipités du haut des murailles; ils sont jetés dans le fossé. Ô hommes! si vous êtes véritablement des hommes, épargnez ceux qui ne peuvent plus résister.» – «Et le pont, le pont qui communique au château, l'ont-ils également emporté?» demanda Ivanhoe. – «Non, répondit Rébecca; le templier a détruit les planches qui avaient servi à le traverser; peu des assiégés ont pu rentrer avec lui, et les cris que vous entendez vous apprennent le sort des autres. Hélas! je vois qu'il est encore plus pénible d'être témoin d'une victoire que d'une bataille.»

«Que se passe-t-il maintenant, bonne fille? demanda Ivanhoe; regarde encore; ce n'est pas le moment de se trouver mal à la vue du sang.» – «Il n'en coule plus pour le moment, dit Rébecca; nos amis se fortifient dans les ouvrages extérieurs dont ils se sont rendus maîtres, et ils y sont si bien à couvert des traits de l'ennemi, que la garnison se contente d'en lancer quelques uns par intervalle, plutôt pour les inquiéter que pour leur faire un mal réel.» – «Nos amis, dit Wilfrid, n'abandonneront sûrement pas une entreprise si glorieusement commencée et si heureusement achevée. Oh! non; je veux mettre ma confiance dans le bon chevalier, dont la hache a brisé les portes de chêne et les barres de fer. C'est bien singulier! se dit-il de nouveau à lui-même, qu'il y ait deux hommes capables de faire preuve d'un aussi fier courage. Un cadenas et un lien de chaînes sur un champ noir! qu'est-ce que cela peut signifier? Ne vois-tu rien autre chose, Rébecca, qui puisse faire distinguer le chevalier noir?» – «Non, rien, répondit la juive; tout sur lui est noir comme l'aile du corbeau, et je n'aperçois rien qui puisse servir à le rendre plus remarquable qu'il ne l'est déjà; mais après l'avoir vu une fois déployer la force de son bras au milieu de la mêlée, je crois que je le reconnaîtrais entre mille combattans. Il s'élance au combat comme il irait s'asseoir à un banquet. Il y a en lui plus que sa propre force; on dirait que l'âme tout entière, l'ardeur du champion se communique à chacun des coups qu'il porte à son ennemi. Que Dieu l'absolve du crime dont se rend coupable celui qui verse le sang. C'est un spectacle bien terrible, mais sublime que de voir comment le bras et le coeur d'un seul homme peuvent de concert triompher d'une armée entière.»

 

«Rébecca, dit Ivanhoe, tu viens de peindre un héros: ses soldats ne prennent probablement un peu de repos que pour réparer leurs forces ou pour se procurer les moyens de franchir le fossé: sous un chef tel que tu as dépeint ce chevalier, il n'y a point de lâches frayeurs, de délais étudiés; il ne se trouve pas un seul individu qui voulût renoncer à une entreprise qui demande une extrême bravoure, parce que ce qui la rend difficile est justement ce qui la rend glorieuse. J'en jure par l'honneur de ma maison; j'en jure par la dame de mes pensées; je consentirais à souffrir dix ans de captivité, pourvu qu'il me fût permis de combattre un seul jour à côté de ce brave chevalier, dans une querelle pareille à celle-ci.» – «Hélas! dit Rébecca en se retirant de la fenêtre, et s'approchant du lit du chevalier blessé, ces désirs impatiens de faire quelque exploit éclatant, cette lutte entre votre courage et votre état de faiblesse, qui ne produit que d'impuissans regrets, tout cela ne fait que retarder votre guérison. Comment peux-tu songer à faire des blessures à d'autres, avant que celle que tu as reçue soit fermée?»

«Rébecca, répliqua-t-il, tu ignores combien il est triste pour quelqu'un qui a été nourri dans les principes de la chevalerie de rester inactif comme un prêtre, ou comme une femme, tandis que tout ce qui l'entoure est engagé dans des actions d'éclat. L'amour des combats est l'aliment de notre vie; la poussière qui s'élève du milieu de la mêlée est l'atmosphère que nous aimons à respirer. Nous ne vivons, nous ne désirons de vivre qu'aussi long-temps que nous sommes victorieux et renommés. Telles sont, jeune fille, les lois de la chevalerie que nous avons juré d'observer, et auxquelles nous sacrifions tout ce que nous avons de plus cher.» – «Hélas! dit la belle juive, qu'est-ce autre chose, vaillant chevalier, qu'est-ce autre chose qu'un sacrifice fait au démon de la vaine gloire, qu'une offrande passée par le feu pour être présentée à Moloch17? Et que vous restera-t-il pour prix de tout le sang que vous aurez répandu, de tous les travaux et de toutes les fatigues que vous aurez endurés, de toutes les larmes que vos triomphes auront fait couler, lorsque la mort viendra briser la lance du fort, et aura dépassé la vitesse de son cheval de bataille?» – «Ce qui restera, jeune fille, s'écria Ivanhoe, la gloire, oui la gloire, qui dore le tombeau qui renferme notre dépouille mortelle, et qui embaume ce qui survit à ces débris, la renommée.» – «La gloire! continua Rébecca; hélas! la cotte de mailles à demi-rongée de rouille, qui est suspendue comme un trophée au dessus du tombeau noirci par le temps et tombant en ruine; l'inscription presque effacée, et que le moine ignorant peut à peine lire au pèlerin dont elle excite la curiosité, regardez-vous tout cela comme une récompense suffisante pour le sacrifice des plus douces affections, pour une vie passée misérablement à rendre les autres misérables? ou bien, trouvez-vous, dans les vers grossiers d'un barde errant, un charme tel qu'il vous faille inconsidérément échanger l'amour de tout ce que la nature a dû vous rendre cher, les sentimens les plus doux, la paix et le bonheur, au plaisir de devenir le héros de ces ballades que des ménestrels vagabonds viennent le soir chanter aux oreilles d'un rustaud à moitié ivre?»

«Par l'âme d'Heruvard18! s'écria le chevalier impatienté, tu parles de choses que tu ne connais point. Tu voudrais éteindre le feu pur de la chevalerie, qui seul distingue le noble du vilain, le chevalier civilisé du paysan grossier, qui nous fait regarder la vie comme d'un prix au dessous, bien au dessous de celui de l'honneur, qui nous fait triompher des fatigues, des travaux, des souffrances, et qui nous apprend à regarder l'infamie comme le seul mal que nous ayons à redouter. Tu n'es pas chrétienne, Rébecca, et tu ne connais pas ces sentimens élevés qui font palpiter le sein d'une noble demoiselle, lorsque son amant a achevé quelque grande entreprise, dont le succès justifie son amour. La chevalerie! sache, jeune fille, que c'est la source, l'aliment, l'entretien de la noble et divine amitié, le soutien de l'opprimé, le vengeur de l'offensé, le frein du tyran; sans elle la noblesse ne serait qu'un vain nom, et c'est dans sa lance et son épée que la liberté trouve sa meilleure protection.»

«Il est vrai, dit Rébecca, que je suis issue d'une race dont le courage s'est distingué dans la défense de son propre pays, mais qui, même lorsqu'elle comptait encore parmi les nations, ne faisait la guerre que par l'ordre de Dieu, ou pour défendre sa patrie contre l'oppresseur. Le son de la trompette n'éveille plus Juda, et ses enfans méprisés ne sont plus que les victimes de l'oppression civile et militaire, auxquelles toute résistance est désormais interdite. Tu as bien eu raison de le dire, sire chevalier; jusqu'à ce que le dieu de Jacob, suscité du milieu de son peuple, choisit un second Gédéon, ou un nouveau Machabée, il convient mal à une jeune juive de parler de guerres et de combats.» Rébecca, dont les sentimens étaient vifs et avaient un caractère d'élévation, termina son discours avec un ton de tristesse qui prouvait qu'elle était profondément affectée de l'état de mépris dans lequel sa nation semblait être jetée; et ce qui ajoutait peut-être à l'amertume de ses sensations était l'idée qu'Ivanhoe la regardait comme n'ayant aucun droit d'émettre son opinion dans une question dont l'honneur faisait le sujet, et comme incapable de manifester dans ses discours des sentimens nobles et généreux. «Combien peu il connaît ce coeur, se dit-elle, s'il s'imagine que la lâcheté et la bassesse y ont fixé leur asile, parce que j'ai fait la censure de la chevalerie romanesque des Nazaréens! Plût à Dieu que mon propre sang versé goutte à goutte pût racheter le peuple de Juda de la captivité! Que dis-je! Plût à ce Dieu qu'il pût servir à délivrer mon père et son bienfaiteur des chaînes de leur cruel tyran! Cet orgueilleux chrétien verrait alors si la fille du peuple choisi de Jéhovah ose affronter la mort avec autant de courage que la Nazaréenne la plus fière, qui se fait gloire de descendre de quelque chef à peine connu d'une des hordes qui habitent les climats glacés du nord.» Elle tourna alors ses regards sur le lit du chevalier blessé.

«Il dort, dit-elle; la nature, épuisée par les souffrances du corps et de l'esprit, par la perte de sang et par l'effet de tant d'accidens fortuits, profite du premier moment de calme qui règne autour de nous, pour lui procurer un peu de sommeil et de repos. Hélas! pourrait-on me faire un crime de le regarder, lorsqu'il est possible que ce soit pour la dernière fois? lorsque, dans quelques instans peut-être, ces beaux traits ne seront plus animés par ce noble feu qui les colore légèrement pendant son sommeil? lorsque les belles proportions de son visage auront changé de forme, que cette bouche sera entr'ouverte, que ces yeux seront éteints et tachés de sang, et lorsque le fier et noble chevalier sera peut-être foulé aux pieds par le plus vil des scélérats qui habitent ce château à jamais maudit, et qui sont assez lâches pour n'oser faire le moindre mouvement sous le talon du tyran qui les écrase… Et mon père… Oh, mon père! quels reproches n'es-tu pas en droit d'adresser à ta fille, lorsqu'elle oublie les cheveux blancs pour ne s'occuper que de la blonde chevelure d'un jeune chevalier nazaréen? Que sais-je si tous ces maux ne sont pas les précurseurs du courroux de Jéhovah contre l'enfant dénaturé qui songe à la captivité d'un étranger plus qu'à celle de son père; qui oublie la désolation de Juda et se plaît à contempler la beauté d'un Gentil et d'un étranger? Mais je veux arracher cette faiblesse de mon coeur, dût chaque fibre saigner à mesure que je la déchire.»

Elle s'enveloppa entièrement de son voile, s'assit à quelque distance du lit du blessé, en lui tournant le dos, fortifiant, s'efforçant du moins de fortifier son esprit, non seulement contre les maux qui la menaçaient du dehors, mais contre les sentimens qui malgré elle venaient assaillir son coeur.

14Cette description est une évidente imitation d'Homère, dans l'Iliade, lorsque Hélène du haut des murailles promène ses regards sur l'armée des assiégeans, parmi lesquels, en rougissant, elle reconnaît à la fin Ménélas son époux.A. M.
15Missiles, ce mot, tiré du latin dont l'équivalent est projectile, nous a semblé utile à conserver.A. M.
16Chaque ville, son château gothique, observe l'auteur, avait au delà des murailles extérieures, une fortification composée de palissades; c'est ce qu'on appelait les barrières: elles étaient souvent le théâtre de violentes escarmouches, car il fallait nécessairement s'en rendre maître avant de pouvoir s'approcher des murailles elles-mêmes. Plusieurs des vaillans faits d'armes qui ornent les pages chevaleresques du chroniqueur Froissard eurent lieu aux barrières des places assiégées.A. M.
17Idole des Ammonites, à laquelle on offrait les enfans nouveau-nés en les faisant passer par le feu allumé dans l'intérieur de la statue. Les prêtres avaient l'astuce de verser du plomb fondu dans les yeux de cette idole, comme si elle eût été sensible aux cris de ses victimes. On sait du reste qu'en hébreu moloch signifie roi. A. M.
18Chevalier errant d'origine saxonne et qui était absent lors de la conquête de l'Angleterre par Guillaume de Normandie.A. M.