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Poèmes de Walt Whitman

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O GARS DES PRAIRIES AU VISAGE TANNÉ

 
O gars des prairies au visage tanné,
Avant que tu n’arrives au camp, bien des présents y furent reçus et bien accueillis,
Des compliments, des cadeaux et de la nourriture fortifiante,—et puis toi, enfin, parmi les recrues,
Tu es venu, taciturne, n’ayant rien à donner,—nous n’avons fait qu’échanger un regard,
Et dans ce regard, oh oui! tu m’as donné plus que tous les présents du monde.
 

RÉCONCILIATION

 
Mot au-dessus de tous les mots, beau comme le firmament!
Il est beau que la guerre et tous ses actes de carnage doivent avec le temps être totalement abolis,
Que les mains des deux sœurs, la Mort et la Nuit, lavent et relavent toujours, incessantes et tendres, ce monde maculé;
Car mon ennemi est mort, un homme divin comme moi-même est mort,
Je regarde l’endroit où il est étendu, immobile et le visage blanc, dans son cercueil—je m’approche,
Je me penche et effleure de mes lèvres le visage blanc dans le cercueil.
 

IL Y AVAIT UNE FOIS UN ENFANT QUI SORTAITCHAQUE JOUR

 
Il y avait une fois un enfant qui sortait chaque jour,
Et au premier objet sur lequel se posaient ses regards, il devenait cet objet,
Et cet objet devenait une part de lui-même pour tout le jour ou une partie du jour,
Ou pour nombre d’années ou d’immenses cycles d’années.
 
 
Les précoces lilas devinrent une part de cet enfant,
Et l’herbe et les volubilis blancs et rouges et le trèfle blanc et rouge, et le chant du moucherolle brun,
Et les agneaux de Mars et les petits rose pâle de la truie et le poulain de la jument et le veau de la vache,
Et la couvée caquetante de la basse-cour ou celle qui s’ébat dans la bourbe au bord de la mare,
Et les poissons qui se suspendent si curieusement sous l’eau et le superbe et curieux liquide,
Et les plantes aquatiques avec leurs gracieuses têtes aplaties, tout cela devint une part de lui-même.
 
 
Les pousses qui pointent dans les champs en Avril et en Mai devinrent une part de lui-même,
Les pousses des grains d’hiver, et celles du maïs jaune clair, et les racines comestibles du jardin,
Et les pommiers couverts de fleurs et de fruits ensuite, et les baies sauvages et les herbes les plus communes le long des routes,
Et le vieil ivrogne qui rentrait chez lui en titubant, du hangar de la taverne où il venait de se relever,
Et la maîtresse d’école qui passait pour se rendre à sa classe,
Et les enfants qui passaient aussi, les uns amicaux, les autres querelleurs,
Et les jouvencelles aux joues fraîches et à la mise soignée, et le négrillon et la négrillonne aux pieds nus,
Et toutes les visions changeantes de la ville et de la campagne, partout où il allait.
 
 
Ses parents, celui qui l’avait engendré et celle qui l’avait conçu en son sein et mis au monde,
Donnèrent à cet enfant davantage d’eux-mêmes que cela,
Chaque jour par la suite ils lui donnèrent, et ils devinrent une part de lui-même.
La mère au logis qui posait calmement les plats sur la table pour le souper,
La mère, avec sa voix douce, son bonnet et sa robe d’une propreté exquise, la saine odeur que répandaient sa personne et ses vêtements quand elle passait près de vous,
Le père vigoureux, étroit, mâle, positif, coléreux, injuste,
Le coup donné, les mots violents et soudains, les conditions rigides posées par le père, les promesses captieuses,
Les usages familiaux, la conversation, la compagnie, les meubles, les aspirations d’un cœur gonflé,
L’affection qui ne veut pas être contredite, le sentiment de ce qui est réel, la pensée que si cela après tout était irréel,
Les doutes des jours et les doutes des nuits, les curiosités touchant le si et le comment,
Si ce qui apparaît d’une certaine façon est bien ainsi, ou si tout cela n’est que lueurs fugitives et simples petites taches?
Les hommes et les femmes qui se pressent dans les rues, que sont-ils, sinon des lueurs fugitives et de simples petites taches?
Les rues elles-mêmes et les façades des maisons et les marchandises aux devantures,
Les voitures, les attelages, les quais aux solides planches, la foule énorme de passagers aux bacs,
Le village sur la hauteur vu de loin au coucher du soleil, la Rivière qui l’en sépare,
Les ombres, l’auréole et la brume, la lumière tombant sur les toits bruns et les pignons blancs à une lieue de là,
La goélette proche qui descend paresseuse en jusant, le petit bateau qu’elle remorque mollement à son arrière,
Les vagues qui se bousculent précipitées, leurs crêtes à l’écroulement subit, leur claquement,
Les strates de nuages colorés, la longue barre de teinte marron qui s’étend solitaire là-bas, la pureté de l’étendue où elle repose immobile,
Le bord de l’horizon, le vol des goélands, l’odeur des marais salants et du limon de la plage,
Tout cela devint une part de cet enfant qui sortait chaque jour, et qui sort à présent et qui sortira à jamais chaque jour.
 

LA MORGUE

 
Aux portes de la morgue en la cité,
Comme je flânais oisif cherchant à m’isoler du tumulte,
Je m’arrête curieux—voyez donc! cette dépouille de paria, une pauvre prostituée morte qu’on apporte,
On dépose là son cadavre que nul n’a réclamé, et il gît sur le pavé de briques humide;
La femme divine, son corps—je vois le corps—je ne regarde que cela,
Cette demeure hier débordante de passion et de beauté, je ne remarque rien autre chose,
Ni le silence si glacial, ni l’eau qui coule du robinet, ni les odeurs cadavériques ne m’impressionnent,
Mais seule la demeure—cette prodigieuse demeure—cette délicate et splendide demeure—cette ruine!
Cette immortelle demeure plus somptueuse que toutes les rangées d’édifices qui furent jamais construits!
Ou que le Capitole au dôme blanc surmonté d’une majestueuse figure, ou que toutes les vieilles cathédrales aux flèches altières,
Cette petite demeure à elle seule est plus que tout cela—pauvre demeure, demeure désespérée!
Belle et terrible épave—logement d’une âme—âme elle-même,
Maison que nul ne réclame, maison abandonnée—accepte un souffle de mes lèvres tremblantes,
Accepte une larme qui tombe pendant que je m’éloigne en pensant à toi,
Demeure d’amour défunte—demeure de folie et de crime, tombée en poussière, broyée,
Demeure de vie, naguère pleine de paroles et de rires—mais, hélas! pauvre demeure, tu étais déjà morte en ce temps-là,
Depuis des mois, des années, tu étais une maison garnie, résonnante—mais morte, morte, morte.
 

CET ENGRAIS

1
 
Quelque chose m’épouvante aux lieux où je me croyais le plus en sûreté,
Je m’écarte des bois silencieux que j’adorais,
Je ne veux plus maintenant m’en aller errer par les pâturages,
Je ne veux plus dépouiller mon corps de ses vêtements pour me rencontrer avec mon amante, la mer,
Je ne veux plus toucher de ma chair la terre, comme une autre chair qui me renouvelle.
 
 
O comment cela peut-il se faire que le sol lui-même ne soit pas écœuré?
Comment pouvez-vous rester vivantes, pousses du printemps?
Comment pouvez-vous donner la santé, sang des herbes, des racines, des vergers et des grains?
Ne dépose-t-on pas en vous sans relâche des corps malsains?
Tous les continents ne sont-ils pas en proie à la fermentation accumulée de ces morts aigris?
 
 
Où t’es-tu débarrassée, ô terre, de ces cadavres?
De ces ivrognes et de ces goinfres de tant de générations?
Où as-tu détourné tout ce liquide et toute cette carne ignobles?
Je n’en vois aucune trace sur toi aujourd’hui, mais peut-être suis-je induit en erreur,
Je creuserai un sillon avec ma charrue, j’enfoncerai ma bêche dans la glèbe et la retournerai sens dessus dessous,
Je suis sûr que je mettrai à découvert quelque quartier de cette viande putride.
 
2
 
Regardez cet engrais! Regardez-le bien!
Chaque petit grain qui le compose a peut-être fait partie naguère d’un individu malade—cependant regardez!
L’herbe du printemps couvre les prairies,
Le haricot soulève et perce sans bruit le terreau du jardin,
La tige délicate de l’oignon pointe en l’air,
Les bourgeons des pommiers se montrent en bouquets sur les branches,
Le blé resurgi dresse un visage pâle hors de ses tombes,
Sur le saule et sur le mûrier les teintes s’éveillent,
Les oiseaux chantent matin et soir autour des femelles blotties sur leur nid,
Les petites volailles se font jour à travers les œufs éclos,
Les jeunes des animaux naissent, le veau sort de la vache, le poulain de la jument,
Hors de sa petite butte lèvent les feuilles vert foncé de la pomme de terre,
Hors de son monticule lève la tige jaune du maïs, les lilas fleurissent au seuil des demeures,
Au-dessus de tous ces entassements de morts décomposés la végétation de l’été se préserve innocente et dédaigneuse.
 
 
O cette chimie!
Cette chimie qui fait que les vents ne sont réellement pas pestilentiels,
Que cela n’est pas une tromperie, ces flots verts et transparents de la mer qui me poursuit si amoureusement,
Que je peux sans danger lui permettre de lécher de ses langues tout mon corps nu,
Qu’elle ne me communiquera pas les fièvres qui se sont déposées en elle,
Que tout est à jamais pur,
Que l’eau froide du puits a si bon goût,
Que les mûres sont si parfumées et si juteuses,
Que les fruits du plant de pommiers et du plant d’orangers, que les melons, les raisins, les pêches, les prunes, que rien de tout cela ne m’empoisonnera,
Que lorsque je m’étends sur l’herbe je n’attrape aucun mal,
Bien que probablement chaque brin d’herbe sorte de ce qui fut naguère une maladie contagieuse.
 
 
A présent ce qui m’épouvante de la Terre, c’est son calme et sa patience,
C’est qu’elle fasse sortir d’une telle corruption tant de choses délectables,
Qu’elle tourne, inoffensive et immaculée, sur son axe, avec de tels amas sans fin de cadavres malsains,
Qu’elle distille, d’une telle puanteur répandue à travers elle, des brises aussi exquises,
Qu’elle renouvelle, avec ces airs de ne pas y penser, ses moissons annuelles, prodigues et somptueuses,
Qu’elle donne aux hommes d’aussi divines substances et qu’elle accepte d’eux de tels détritus à la fin.
 

A UN RÉVOLUTIONNAIRE D’EUROPE VAINCU

 
Courage malgré tout, mon frère ou ma sœur!
Va toujours—la Liberté exige qu’on la serve quoi qu’il arrive;
Cela ne compte pas qui se laisse réduire par un ou deux échecs ou par un nombre indéfini d’échecs,
Ou par l’indifférence ou l’ingratitude du peuple, ou par n’importe quelle déloyauté,
Ou par les crocs montrés du pouvoir, les soldats, les canons, les codes pénals.
 
 
Ce en quoi nous croyons reste en attente invisible et perpétuelle à travers tous les continents,
N’invite personne, ne promet rien, sied dans le calme et la lumière, positif et maître de soi, ne connaît pas le découragement,
Attendant patiemment, attendant son heure.
 
 
(Ce ne sont pas seulement des chants de loyalisme que les miens,
Mais des chants d’insurrection également,
Car je suis le poète juré de tous les rebelles audacieux par le monde entier,
Et celui qui m’accompagne laisse la paix et la routine derrière lui,
Et sa vie est l’enjeu qu’il risque de perdre à tout moment.)
La bataille fait rage, coupée de maintes alarmes retentissantes, de marches en avant et de retraites fréquentes,
Le mécréant triomphe ou s’imagine triompher,
La prison, l’échafaud, le garrot, les menottes, le collier de fer et les boules de plomb font leur œuvre,
Les héros connus ou anonymes passent en d’autres sphères,
Les grands orateurs ou écrivains sont exilés, ils végètent avec leur nostalgie en des terres lointaines,
La cause sommeille, les gorges les plus puissantes sentent leur propre sang qui les étouffe,
Les jeunes hommes inclinent leurs paupières vers le sol quand ils se rencontrent;
Mais malgré tout cela la Liberté n’est pas sortie de la place, ni le mécréant entré en pleine possession de sa victoire.
 
 
Quand la Liberté sort d’une place, elle n’est pas la première à s’en aller, ni la seconde, ni la troisième,
Elle attend pour s’en aller que tous les autres le soient, et sort la dernière.
 
 
Quand nul souvenir ne subsistera plus des héros et des martyrs,
Et quand toute vie et toutes les âmes des hommes et des femmes auront été rayées d’une quelconque partie de la terre,
Alors seulement la liberté ou l’idée de liberté sera rayée de cette partie de la terre,
Et le mécréant entrera en pleine possession de sa victoire.
 
 
Donc courage, révolté, révoltée d’Europe!
Car tu ne dois pas cesser avant que tout n’ait cessé.
 
 
Je ne sais pas quel est ton rôle, (j’ignore pourquoi je suis ici moi-même et pourquoi toute chose y est),
Mais je chercherai attentivement à le découvrir, même vaincu comme tu l’es aujourd’hui,
Dans la défaite, la pauvreté, la mécompréhension, l’emprisonnement—car cela aussi est grand.
 
 
Nous pensions que la victoire était une grande chose?
Elle l’est en effet—mais il me semble à présent, quand on ne peut l’empêcher, que la défaite est grande,
Et que la mort et l’atterrement sont grands.
 

DE DERRIÈRE CE MASQUE
(Pour faire face à un portrait)

1
 
De derrière ce masque incliné aux traits rudes,
Ces lumières et ces ombres, ce drame du tout,
Ce rideau commun du visage, contenu en moi pour moi-même, en vous pour vous-même, en chacun pour lui-même,
(Tragédies, douleurs, rires, larmes—ô cieux!
Les drames passionnés et débordants que cache ce rideau!)
Cette surface lisse et brillante comme le plus pur et le plus serein ciel de Dieu,
Cette pellicule recouvrant un gouffre satanique en ébullition,
Cette carte géographique du cœur, ce continent minuscule et sans bornes, cet insondable océan;
Du fond des circonvolutions de ce globe,
Cet orbe astronomique plus subtil que le soleil ou la lune, que Jupiter, Vénus ou Mars,
Cette condensation de l’univers, (bien plus, c’est ici le seul univers,
C’est ici l’idée, enveloppés tout entiers en cette mystique parcelle de chair);
Du fond de ces yeux burinés,—dardant vers vous son éclair pour passer de là aux temps futurs,
Pour s’élancer et tourner, furtif, à travers les espaces,—jailli de ces yeux-là,
A vous, qui que vous soyez, j’adresse un regard.
 
2
 
Voyageur ayant traversé les pensées et les ans, la paix et la guerre,
La jeunesse, depuis longtemps enfuie, et l’âge mûr qui décline,
(Tel le premier volume, lu et mis de côté, d’un roman, puis le second,
Chants, hypothèses, spéculations, qui tôt s’achèvera),
Tardant un moment ici, je me tourne pour vous faire face,
Comme sur une route ou par l’huis de quelque fissure fortuite ou par une fenêtre ouverte,
Je m’arrête, je m’incline et me découvre, je vous salue, vous particulièrement,
Pour attirer votre âme et la nouer à la mienne inséparablement, cette fois,
Et poursuivre ensuite mon voyage.
 

LA VOIX

1
 
Je chante la voix, la mesure, la concentration, la détermination et le pouvoir divin de prononcer les mots;
Etes-vous parvenu à vous faire des poumons solides et des lèvres souples, après de longs essais? Les avez-vous obtenus tels à la suite d’un exercice vigoureux?
Les tenez-vous de votre constitution?
Parcourez-vous ces larges régions avec autant de largeur en vous-même qu’elles en ont?
Etes-vous bien arrivé à posséder le pouvoir divin de prononcer les mots?
Car ce n’est qu’à la fin, après beaucoup d’années, après avoir connu la chasteté, l’amitié, la procréation, la prudence et la nudité,
Après avoir foulé la terre et affronté fleuves et lacs,
Après avoir débarrassé sa gorge de ses entraves, après avoir absorbé les âges, les tempéraments, les races, après avoir connu le savoir, la liberté, les crimes,
Après avoir acquis une foi complète, après s’être clarifié et exalté, après avoir écarté les obstacles,
Après toutes ces expériences et bien davantage, qu’il est tout au plus possible que vienne à un homme ou à une femme le pouvoir divin de prononcer les mots;
Mais alors vers cet homme ou cette femme tout se précipite à flots—rien ne résiste, tout est là,
Armées, vaisseaux, antiquité, bibliothèques, peintures, machines, villes, haine, désespoir, amitié, douleur, vol, meurtre, aspiration, tout cela se forme en rangs serrés,
Tout cela sort selon que cet homme ou cette femme en a besoin, pour défiler docilement par sa bouche.
 
2
 
Oh qu’y a-t-il donc en moi qui me fait ainsi trembler en entendant des voix?
Celui qui me parle d’une voix juste, je le suivrai sûrement quel qu’il soit,
Comme les flots de la mer suivent la lune, en silence, à pas fluides, n’importe où autour du globe.
Tout est en attente de voix justes;
Où est l’organe exercé et parfait? Où est l’âme développée?
Car je vois que tous les mots qui en sortent ont des sons neufs, plus profonds et plus purs, qui seraient impossibles à de moindres conditions.
 
 
Je vois des cerveaux et des lèvres qui restent fermés, des tympans et des tempes que rien ne frappe,
Jusqu’à ce que s’élève la voix qui a la qualité de frapper et d’ouvrir,
Jusqu’à ce que s’élève la voix qui a la qualité d’accoucher ce qui sommeille, toujours prêt à sortir, dans tous les mots.