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Les quatre cavaliers de l'apocalypse

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Une demi-heure s'écoula sans que l'on trouvât rien. Toujours des noms inconnus, des croix anonymes, des inscriptions qui indiquaient les chiffres d'autres régiments. Les deux vieillards ne tenaient plus debout et commençaient à désespérer de retrouver la tombe de leur fils. Ce fut Chichi qui tout à coup poussa un cri:

– La voilà!

Ils se réunirent devant un monceau de terre qui avait vaguement la forme d'un cercueil et qui commençait à se couvrir d'herbe. Il y avait au chevet une croix sur laquelle un compagnon d'armes avait gravé avec la pointe de son couteau le nom de «Desnoyers», puis, en abrégé, le grade, le régiment et la compagnie.

Luisa et Chichi s'étaient agenouillées sur le sol humide et sanglotaient. Le père regardait fixement, avec une sorte de stupeur, la croix et le monceau de terre. René et le sous-officier se taisaient, la tête basse. Ils avaient tous l'esprit hanté de questions sinistres, en songeant à ce cadavre que la glèbe recouvrait de son mystère. Jules était-il tombé foudroyé? Avait-il rendu l'âme dans la sérénité de l'inconscience? Avait-il au contraire enduré la torture du blessé qui meurt lentement de soif, de faim et de froid, et qui, dans une agonie lucide, sent la mort gagner peu à peu sa tête et son cœur? Le coup fatal avait-il respecté la beauté de ce jeune corps, et la balle meurtrière n'y avait-elle fait qu'un trou presque imperceptible, au front, à la poitrine? Ou le projectile avait-il horriblement ravagé ces chairs saines et mis en lambeaux cet organisme vigoureux? Questions qui resteraient éternellement sans réponse. Jamais ceux qui l'avaient aimé n'auraient la douloureuse consolation de connaître les circonstances de sa mort.

Chichi se releva, s'en alla sans rien dire vers l'automobile, revint avec une couronne et une gerbe de fleurs. Elle suspendit la couronne à la croix, mit un bouquet au chevet de la tombe, sema à la surface du tertre les pétales des roses qu'elle effeuillait gravement, solennellement, comme si elle accomplissait un rite religieux.

Cela fait, Marcel et Luisa, précédés par le sous-officier, s'en retournèrent silencieusement vers l'automobile, tandis que Chichi et René s'attardaient encore quelques minutes près de la tombe.

Les vieux époux, accablés, marchaient au flanc l'un de l'autre; mais leurs pensées muettes suivaient des voies différentes.

Luisa, mue par la bonté naturelle de son cœur et par les mystiques enseignements de la charité chrétienne, se détachait peu à peu de la contemplation de sa propre douleur pour compatir à la douleur d'autrui. Elle s'imaginait voir par delà les lignes ennemies sa sœur Héléna cheminant aussi parmi des tombes, déchiffrant sur l'une d'elles le nom d'un fils chéri, et sanglotant plus désespérément encore à l'idée d'un autre fils dont elle ne connaîtrait jamais la sépulture. Partout, hélas! les douleurs humaines étaient les mêmes, et la cruelle égalité dans la souffrance donnait à tous un droit égal au pardon.

Marcel, au contraire, en homme d'action à qui la vie a enseigné que chacun porte ici-bas la responsabilité de ses fautes, songeait à l'inévitable châtiment des criminels qui avaient ramené dans le monde la Bête apocalyptique et ouvert la carrière aux horribles cavaliers par lesquels Tchernoff se plaisait à symboliser les fléaux de la guerre. Ce châtiment, Marcel était trop âgé peut-être pour avoir la profonde satisfaction d'en être témoin; la mort de son fils avait brusquement fait de lui un vieillard, et il pressentait qu'il n'avait plus que quelques mois à vivre; mais il n'en était pas moins convaincu que tôt ou tard justice serait faite, et faite sans miséricorde. L'indulgence à l'égard de ceux qui ont voulu délibérément le mal est une complicité. Celui qui pardonne à l'assassin trahit la victime. Il est bon que la guerre dévore ses enfants, et, quand on a tiré l'épée, on doit périr par l'épée.

En arrière, pendant que René attachait à la croix le bouquet et la couronne, Chichi était montée sur un tas de terre qui renfermait peut-être des cadavres, et, debout, les sourcils froncés, en comprimant de ses deux mains l'envolée de ses jupes agitées par la bise, elle contemplait la vaste nécropole. Le souvenir de son frère Jules avait passé au second plan dans sa mémoire, et l'aspect de ce champ de mort la faisait surtout penser aux vivants. Ses yeux se fixèrent sur René. Peut-être songeait-elle que son mari n'avait pas été exposé à un moindre péril que son frère, et que c'était pour elle un bonheur quasi miraculeux de l'avoir encore sauf et robuste malgré les cicatrices et les mutilations.

– Et dire, mon pauvre petit, prononça-t-elle enfin à haute voix, qu'en ce moment tu pourrais être sous terre, comme tant d'autres malheureux!

René la regarda, sourit mélancoliquement. Oui, ce qu'elle venait de dire était vrai; mais la destinée s'était montrée clémente pour lui, puisqu'elle l'avait conservé à la tendresse d'une jeune femme généreuse qui était fière du mari mutilé et qui le trouvait plus beau avec ses cicatrices.

– Viens! ajouta Chichi impérieusement. J'ai quelque chose à te dire.

Il monta près d'elle sur le tas de terre. Et alors, comme si, au milieu de ce champ funèbre, elle sentait mieux la joie triomphante de la vie, elle lui jeta les bras autour du cou, l'étreignit contre son sein qui exhalait un chaud parfum d'amour, lui imprima sur la bouche un baiser qui mordait. Et ses jupes, libres au vent, moulèrent la courbe superbe de sa taille où se dessinaient déjà les rondeurs de la maternité.

FIN