Kostenlos

Choix de contes et nouvelles traduits du chinois

Text
Autor:
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

LA LÉGENDE 55
DU ROI DES DRAGONS
HISTOIRE BOUDDHIQUE

La ville de Tchang-Ngan, capitale de l'Empire chinois, située dans le Chen-Sy, est le lieu que les souverains ont choisi pour y établir leur cour, depuis la dynastie des Tcheou, des Tsin et des Han jusqu'aux Tang. Elle possède trois fleuves étincelants déroulés comme des étoffes de soie; huit bras de rivières baignent ses murs en passant; elle compte trente-six allées plantées de saules et de fleurs, et soixante-douze pavillons où retentissent des instruments de musique de toute espèce. Sur les cartes qui figurent la Chine et les contrées barbares, cette capitale apparaît bien comme le point principal de toute la terre; et en vérité c'est un endroit admirable.

Lorsque le grand souverain de la dynastie actuelle des Tang, Wen-Wang-Ti (son titre honorifique fut Taï-Tsong) monta sur le trône; il changea le nom de l'année Long-Sy en celui de Tching-Kwan, qui fut la première de son règne. Au temps dont nous parlons, ce prince régnait depuis treize ans, et on se trouvait dans l'année Y-Sse.

Nous ne parlerons pas des héros qui, avant son règne, avaient pacifié les provinces et affermi l'empire, ni des hommes éminents qui avaient fondé des dynasties et disputé les frontières aux Barbares; nous dirons seulement qu'à cette époque vivaient, hors de la ville, sur le bord du fleuve King-Ho, deux véritables sages. L'un était pêcheur et se nommait Tchang-Sao, l'autre, appelé Ly-Ting, était bûcheron. Bien qu'ils ne fussent ni l'un ni l'autre des docteurs arrivés au premier rang des grades littéraires, ils n'en méritaient pas moins le titre de poètes.

Un jour, ils étaient venus vendre à la capitale, celui-ci le bois apporté sur son épaule, celui-là le poisson dont son panier était rempli. Après le marché, ils entrèrent ensemble dans un cabaret, burent largement, puis, prenant chacun sa cruche à la main, ils s'en retournèrent en suivant les rives du fleuve.

«Mon frère, dit alors le pêcheur Tchang, j'ai toujours pensé que se disputer pour la renommée, c'est se sacrifier dans l'espoir d'un vain nom; s'arracher les emplois lucratifs, c'est se perdre par l'appât de l'intérêt; vivre dans les honneurs, c'est dormir en tenant un tigre entre ses bras; répandre des bienfaits, c'est réchauffer un serpent dans sa manche. Quand j'y songe bien, rien ne me semble valoir la fraîche beauté des eaux et le vert horizon des montagnes: rien n'est doux comme de se laisser aller, joyeux, sans trouble, sans passions ni envie, à la pente de sa destinée.

– »Mon frère a raison, reprit le bûcheron; toutefois l'élégante beauté de ses fleuves ne vaut pas le dôme verdoyant de nos montagnes. – Ah! interrompit le pêcheur, le dôme verdoyant de vos montagnes ne peut se comparer à la beauté de nos flots; il y a un recueil de poésies, intitulé le Papillon amoureux des fleurs, qui le prouve par les vers suivants:»

Au milieu des vagues fumantes sur l'immense étendue, l'esquif est bien petit! Mais errant et solitaire, il vogue tranquille comme la belle Si-Che56 au sein de la musique qui la berce. Le cœur est calme et pur, quand la gloire et l'intérêt en sont absents. Aux heures de loisir, on cueille les tiges épanouies des plantes du rivage et les herbes fleuries. Les oiseaux plongeurs s'ébattent sur les grèves qu'ils couvrent de leurs longues files; parmi les saules de la rive, les joncs des anses profondes, la femme et les enfants du pêcheur viennent chanter et rire: ils reposent en paix, leur ame est un flot calme que le vent n'agite pas; ils reposent sans désir de gloire, sans honte secrète, sans haine importune.

Le bûcheron reprit: «Non, les eaux que vous célébrez ne valent pas le vert horizon des montagnes. Le même livre que vous venez de citer, n'en donne-t-il pas la preuve dans les lignes suivantes?

Au milieu des forêts aux dômes vaporeux, les mélèzes s'élèvent, les fleurs s'épanouissent en foule. Dans le calme du silence, on entend la plainte de la perruche, sa langue a des inflexions pareilles aux sons de la flûte. La teinte sombre de l'hiver s'efface devant la verdure qui s'étend au loin; le printemps va faire sentir sa douce influence; mais voici que l'été arrive d'un pas rapide, et il passe ramenant après lui l'automne qui a bientôt fait éclore d'autres fleurs brillantes et embaumées, l'automne qui a ses plaisirs aussi; puis tout-à-coup l'hiver austère et sérieux reparaît au jour qui lui est assigné. Joyeux et tranquille pendant les quatre saisons, on vit sur la montagne dans une complète indépendance des hommes.

– »Non, répliqua le pêcheur, vos vertes montagnes ne peuvent se comparer à la fraîche élégance des eaux; nous avons pour nous de précieux avantages, célébrés dans le recueil intitulé la Perdrix regarde les cieux. Ecoutez.»

Les eaux où se reflètent les nues, séjour des Immortels, fournissent abondamment aux aises de la vie. La barque qui vogue au gré de l'aviron, c'est là notre demeure: on ouvre le dos écailleux des poissons, on fait rôtir la tortue à la verte carapace, on fait bouillir au milieu des flammes le crabe tacheté et la rouge crevette. La tige encore tendre des bambous, le fruit précieux qui mûrît en flottant sur les lacs, la châtaigne d'eau: voilà des choses qu'on peut vanter. Le gracieux nénuphar, le lotus vénéré, la violette des étangs, la menthe, la lagune des fossés étalent à nos yeux le luxe de leur végétation brillante.

Le bûcheron repartit à son tour: «Non, la fraîche poésie des eaux ne vaut pas l'azur de nos montagnes. Elles ont leurs charmes et leurs avantages, vantés dans les vers du même poète, que voici:

Les sommets des monts, les pics élancés dans la nue touchent les limites du ciel; une cabane d'herbes sèches, un toit de chaume, c'est là notre demeure. La venaison salée, la poule et l'oie l'emportent sur le crabe et la tortue; le daim, le sanglier et le lièvre sont bien supérieurs au poisson et à la crevette. La feuille embaumée du citronnier, celle des phyllodes dont le parfum se communique aux mets qu'elle enveloppe, la première pousse du bambou, le néflier, voilà ce qu'on peut plutôt vanter. La prune violette, la pêche rouge, l'abricot mûri par le soleil, la poire si douce au goût, la jujube dont la saveur est piquante, tels sont les produits délicats de notre végétation.

– »Non, reprit encore le pêcheur, vous ne pouvez mettre en parallèle vos riantes montagnes avec nos eaux si poétiques. Les vers de l'Immortel des cieux l'ont dit:

Petite comme la feuille flottante, la barque est encore la demeure qui nous convient. Au milieu des vagues écumantes amoncelées de toutes parts, le pêcheur n'éprouve ni crainte ni terreur; il tend l'hameçon, il jette ses filets pour prendre de beaux poissons; sans être assaisonnés d'épices, ces mets flattent le goût: le maître de la barque, sa femme et ses enfants se réunissent avec joie après les travaux qui les ont séparés. Si la pêche est abondante, ils la portent au marché de la capitale et l'échangent pour le vin parfumé qui se boit à grands verres. Les habits d'écorce de bambous tiennent lieu de couvertures, et la famille du pêcheur clot ses yeux et dort d'un sommeil profond; sans chagrin, sans trouble, sans s'attacher, comme on le fait parmi les hommes, à la gloire et à la noblesse.

– »Non, répliqua le bûcheron; encore une fois, vos eaux si fraîches ne peuvent lutter avec nos vertes montagnes. Ces mêmes vers ont dit aussi:»

La cabane de paille, soutenue par quelques branches, se cache au pied de la montagne. Les pins, les bambous, les abricotiers, les vanilliers forment un ravissant ombrage. On pénètre dans la forêt, on gravit les collines pour aller chercher le bois sec: personne n'inquiète le bûcheron. Le gain est tantôt minime, tantôt abondant, et suivant les habitudes du siècle, on emploie son argent à acheter du vin. Au gré de ses désirs, les verres, les coupes, les tasses de porcelaine servent aux joyeux festins; après avoir bu largement, on s'endort dans une douce ivresse à l'ombre des pins, libre de toute inquiétude, sans être menacé dans ses intérêts, sans dépendre, comme ceux qui vivent parmi les hommes, du succès ou de la ruine.

Le pêcheur ajouta de nouveau: «La vie que vous menez dans les montagnes n'a point les charmes dont nous jouissons au sein des eaux. Il y a aussi des vers qui en font foi, dans le recueil intitulé la Lune aux bords du fleuve de l'Ouest. Ecoutez:»

Quand les mille fleurs empourprées du rivage reflètent l'éclat de la lune; quand les feuilles dorées des roseaux se froissent et se mêlent, agitées par le vent; quand le ciel d'azur répand au loin sur le fleuve sa clarté diaphane, l'aspect des cieux invite à troubler avec l'aviron l'onde tranquille, les astres nous convient à jeter les filets. Les grands poissons tombent dans le piège, les plus petits mordent à l'hameçon, et cette pêche abondante, bouillie sur les flammes ou rôtie sur les tisons, a une saveur qui charme le palais. Ainsi, joyeux et fiers, nous parcourons en maîtres les lacs que forme le fleuve Kiang en s élargissant.

 

Le bûcheron reprit à son tour: «Mon frère, la vie que vous menez sur les eaux n'a pas les joies et les avantages de la profession qui nous attache aux montagnes; le même recueil le prouve par ces lignes:

Quand les lianes desséchés jonchent les sentiers, quand les tiges des blés sont coupées et que les bambous sèment leurs feuilles à travers la montagne, quand le chèvre-feuille dépouillé de sa verdure, laisse pendre aux troncs des arbres ses rameaux épars, on coupe et on lie en faisceaux tout ce bois mort, puis on l'emporte sur son épaule. Les insectes ont rongé jusqu'au cœur l'orme et le saule, le vent souffle et brise à leur sommet le pin et l'oranger; ce qui a été recueilli à grande peine, on l'entasse pour les besoins de l'hiver, on l'échange pour du vin, pour de l'argent, au gré de sa fantaisie.

» – Malgré tout ce que vous pouvez dire en faveur de vos montagnes, ajouta encore le pêcheur, elles n'offrent ni la paix ni la solitude des eaux bien plus poétiques. Il y a des vers intitulés: L'Immortel s'approche du fleuve Kiang, qui expriment ainsi ma pensée:

Sur les lacs déserts la nacelle sans compagne tourne et se meut en tout sens. Quand la nuit est close on cesse de ramer, et l'on vogue en chantant; on se couvre de ses habits de paille; et quand la lune s'efface derrière les nuages, quelle silencieuse obscurité! La mouette effrayée n'agite plus son aile! Mais quand à l'horizon les nuages roses s'entrouvrent pour laisser paraître le soleil, fatigués des travaux de la veille, on dort parmi les joncs, sur les îles, sans préoccupation; jusqu'à la troisième heure du jour, on prolonge son sommeil. Selon le vœu de son cœur, on accomplit ses projets, on dispose à son gré l'emploi de son temps; tandis que les courtisans, l'œil sur la clepsydre, attendent l'heure de l'audience: est-ce qu'ils ont comme nous la complète indépendance de leur ame?

– «La solitude si poétique de vos eaux, reprit le bûcheron, ne vaut pas la solitude et le silence de nos vertes montagnes; et nous avons dans le recueil que vous citez des vers qui le prouvent; les voici:»

Le printemps est passé; l'automne règne, on prend la hache, on part à la fraîcheur du soir, et l'on emporte sur son épaule la charge du jour. Les fleurs du désert hérissent la montagne, quel aspect plus admirable encore! Les nues s'abaissent à l'horizon, on cherche sa route, on attend que la lune paraisse. Enfin, le bûcheron frappe à la porte de sa cabane: son enfant et sa femme, fille des montagnes, l'accueillent avec des chants et de riantes paroles. Un lit d'herbes, un tronc d'arbre pour oreiller: comme on prolonge son sommeil sur une telle couche! On fait cuire la poire, on mange le millet; on dispose tout à son gré dans sa demeure. Le vin nouveau fermente et bout dans la cruche. En vérité, c'est là une vie qui donne la santé, une existence obscure mais indépendante.

Le pêcheur répondit: «Tels sont en effet les travaux par lesquels nous pouvons, vous et moi, gagner noire vie et pourvoir à nos besoins; mais vous n'avez pas, aux instants de loisir, les agréables ressources qui nous sont données. Il y a des vers qui en font foi, écoutez:

Aux heures du repos, au printemps, le pêcheur voit la cigogne blanche voler sous un ciel d'azur, le bateau est arrêté aux rives débordées des lacs; à l'ombre du treillis qui abrite sa cabane, il se couche parmi les grandes herbes, et apprend à ses enfants à entourer l'hameçon d'un fil de soie. Quand il a cessé de ramer, il s'en va, en compagnie de sa femme, faire sécher ses filets. La nature l'a doué d'un caractère ferme et calme, il est semblable aux flots apaisés. Si, pendant son sommeil, il sent s'élever une brise légère, il déploie selon la saison le pâle manteau d'écorce (qui garantit des pluies d'hiver), ou le verdoyant parasol (qui défend contre les rayons du soleil). Combien ce simple accoutrement l'emporte sur le bonnet de gaze noire et la ceinture à laquelle pend le sceau du mandarin; riches habits qu'il faut suspendre aux murs du palais, au temps de la disgrâce!

– »Non, reprit le bûcheron, ce qui charme vos loisirs ne peut se comparer aux avantages qu'offrent les montagnes; des vers aussi en rendent témoignage, et les voici:

Aux heures de loisir, le bûcheron regarde voler la nue blanche nuancée de mille reflets; il s'assied solitaire devant sa cabane de chaume, à l'abri du treillis de bambous; et là, sans que rien l'inquiète, il apprend à ses enfants à déchiffrer les livres. A l'occasion, il fait avec un hôte la partie d'échecs; puis la joie s'anime, il prend un bâton et parcourt en chantant les sentiers jonchés de fleurs odorantes. Sa verve s'éveille et il fait retentir son luth au pied des vallons. Des souliers de paille, des habits de toile, de grossières couvertures donnent au cœur plus d'indépendance et d'énergie que des vêtements de soie brodés.

– »Mon frère, interrompit le pêcheur Tchang, nous pourrions lutter long-temps encore en échangeant de petites pièces de vers. Il ne faut pas mettre la coupe d'or sur la table de sandal, et laisser sortir la louange de la bouche du poète intéressé; nos chants seraient ainsi dépourvus de sens et manqueraient leur but. Dans des vers liés deux à deux, il faut célébrer alternativement les avantages dont jouissent le bûcheron et le pêcheur.

– »Mon frère a parfaitement raison, repartit le bûcheron Ly, et je le prie de commencer.»

Le pêcheur Tchang prit donc la parole:

La barque flotte sur les eaux verdoyantes et sur les flots écumeux; la cabane s'élève dans les profondeurs de la montagne, au sein d'une campagne déserte. Que j'aime à voir au printemps les ponts jetés sur les torrents submergés par les eaux débordées! Quel beau spectacle aussi quand les brouillards du matin voilent et baignent les pics et les flancs caverneux des montagnes. C'est l'époque où la carpe brillante prête à se changer en dragon est rôtie sur la flamme; c'est le temps où le bois sec rongé par les vers pétille dans l'âtre. L'hameçon et le filet variés à l'infini suffisent aux besoins du pêcheur: savoir lier le bois en faisceau et l'emporter sur l'épaule sont deux choses qui soutiennent le bûcheron pendant toute sa vie.

Couché dans sa nacelle, le pêcheur suit des yeux le vol de l'oie sauvage; parmi les sentiers qui serpentent sur la montagne, le bûcheron écoute la voix du cormoran. Ce qui fait l'objet des discours des hommes nous est étranger; le blâme et la louange ne nous atteignent point sur les mers. Sur le bord des eaux répandues dans la vallée, on suspend et on fait sécher les filets pareils à des écharpes; la hache bien aiguisée sur la pierre étincelle comme l'acier du glaive. Au mois d'automne, quand la lune se reflète sur les fleuves, l'hameçon solitaire demeure plongé sous les flots; sur les montagnes, au printemps, aucun homme ne trouble le bruit des pas.

Le poisson qui charge la barque est échangé contre du vin que le pêcheur savoure avec sa femme: à l'aide du bois coupé sur les monts, on emplit sa coupe qui circule à la ronde. On s'égaie, on puise le vin au gré de son caprice; on chante, on rit long-temps, on s'abandonne à sa folie! On appelle du nom de frères tous les compagnons de pêche; on regarde comme amis, on soutient comme camarades tous les hôtes de son désert. Chemin faisant, on a soin que les rameurs fassent circuler la bouteille; on efface de sa devise le mot raison, et les verres bien remplis passent de main en main. Le crabe rôti, la crevette bouillie sont chaque matin le repas joyeux du pêcheur; le canard et la poule soigneusement préparés chargent chaque jour la table du bûcheron.

L'épouse de l'habitant des lacs fait bouillir l'eau du thé; tout son extérieur est comme sa pensée, sans apprêt et sans coquetterie; la femme de l'habitant des montagnes fait préparer le riz; elle est soumise et gracieuse. Dès l'aurore, on lève la gaffe et l'on vogue lestement sur la vague; à peine le jour paraît, et, muni d'une ample provision de bois, on chemine par la grande route; lorsqu'il a plu, on jette sur son épaule le manteau d'écorce, et l'on part pour prendre la carpe vive; avant que le vent ne souffle, on saisit la hache pour abattre les pins desséchés. Dans les sentiers solitaires, on fuit le siècle, on se met à l'abri des folies du monde; grâce à l'obscurité de son nom, que rien ne trahit, on vit dans les montagnes sans faire parler de soi et sans entendre parler des autres.

Le bûcheron Ting reprit: «Puisque mon frère a parlé le premier, qu'il me permette d'ajouter quelques lignes à celles qu'il a récitées:»

Sous l'influence des vents et de la lune, l'habitant du désert est rude et sauvage; le pêcheur est fier de sa liberté, en face des fleuves et des lacs. Aux heures d'un pur loisir, on se livre au plaisir de boire; les propos fâcheux ne se font point entendre au milieu de la paix d'une vie libre et joyeuse. Quand la lune brille, le bûcheron dort sous son toit de chaume avec tranquillité; quand le ciel devient sombre, le pêcheur couvert de son manteau d écorce, repose sans préoccupation. Quelle inquiétude y aurait-il pour celui dont le mélèze et le prunier des montagnes sont les plus intimes amis; il y a bien de la joie pour le pêcheur qui a juré affection au cormoran et au héron! La gloire et l'intérêt n'agitent point de leurs vains projets la tête et le cœur de celui-ci, et celui-là n'entend point bruire à ses oreilles les voix querelleuses de la contradiction. Selon la saison, on boit une coupe de vin parfumé; chaque jour, aux trois repas, on sert la chair du mouton cuite avec les herbes du jardin.

Deux fagots de bois suffisent, par le produit de leur vente, à la vie de chaque jour; un hameçon avec sa proie, un filet chargé suffisent pour assurer l'existence. Aux heures du repos, on dit à ses fils d'aiguiser sa hache; aux instants de loisir, on dit à ses fils de réparer les vieux filets. Au printemps, que la verte tige des osiers est charmante à voir! quand souille une brise attiédie, quelle joie d'aller admirer les roseaux couleur d'argent! Pendant l'été, on fuit l'ardeur du soleil parmi les jeunes bambous; au sixième mois, on profite de la fraîcheur du soir pour aller cueillir la châtaigne d'eau encore tendre. Quand tombe la gelée d'automne (au dixième mois), a chaque repas on sert l'oie engraissée; au neuvième jour de la neuvième lune, les larges crustacés deviennent le régal de la saison.

L'hiver arrive-t-il, on prolonge long-temps après l'aurore son profond sommeil; quelques jours encore et le froid est banni des cieux. Pendant les huit divisions de l'année, on vit sur les montagnes selon ses goûts; dans les quatre saisons, sur les lacs on façonne son existence au gré de ses caprices. Celui qui cueille le bois dans les vallons s'élève au rang des immortels; celui qui tend la ligne dans les flots ne ressemble plus au mortel vulgaire. A la porte de la cabane, les fleurs sauvages exhalent un parfum abondant; à la proue de la barque se déroulent les flots verdoyants, calmes et immenses! Au sein d'un tel repos, ne parlez pas des trois grandes dignités de l'empire: le sage affermi dans la paix ressemble à une ville fortifiée. Sur les murs de cette ville un chef veille à sa défense, tandis que ces trois grands dignitaires prêtent aux voix de la foule une oreille inquiète. La joie, partage de l'habitant des montagnes, la joie, partage de l'habitant des eaux, est une rare faveur! Grâces en soient rendues au ciel, grâces en soient rendues à la terre, grâces en soient rendues aux Esprits!

Après avoir récité d'abord les pièces de vers célébrant les avantages de chacun, puis ces deux morceaux où la demande et la réponse marchaient enchaînées, les deux poètes, arrivés à l'endroit où la route se partage, allaient se saluer et se dire adieu, lorsque le pêcheur Tchang-Sao parla ainsi: «Frère, veillez à vous préserver des dangers qui vous menacent sur la route; quand vous gravirez la montagne, si vous alliez rencontrer un tigre? un tel péril de mort se présentant, il se pourrait que demain au marché il me manquât un ami! – Homme stupide et sans cœur, s'écria le bûcheron Ly fort irrité par les paroles du pêcheur, quand deux amis dévoués devraient donner leur vie l'un pour l'autre, comment me maudissez-vous ainsi par ces expressions de mauvais augure! Eh bien! si je rencontre un tigre, si je suis menacé d'un tel danger, le péril qui vous attend viendra des flots, et vous serez renversé dans les eaux du fleuve. – De toute ma vie, répondit le pêcheur, je ne puis tomber dans les flots.

 

– »Cependant, reprit le bûcheron, le ciel recèle des vents et des orages qu'on ne peut deviner. L'homme est sujet à de rapides alternatives d'heur et de malheur: comment donc auriez-vous des assurances contre ce péril?

– »Frère, répondit le pêcheur, malgré tout ce que vous avez dit en faveur de votre profession, vous n'avez pas les mêmes recours que nous contre le danger; non, vous n'ayez pas comme nous un appui assuré qui vous mette à l'abri des malheurs auxquels vous faisiez allusion.

– »Mais enfin, ajouta le bûcheron, en passant votre vie sur les flots, vous êtes exposé à mille périls, à mille accidents sérieux, impossibles à prévoir, à éviter; quelle garantie avez-vous donc?

– »Ecoutez, dit alors le pêcheur Tchang, il y a quelque chose que vous ne savez pas. A la capitale même, dans la rue de la porte de l'Ouest, demeure un vieux devin: chaque jour je lui apporte une petite carpe couleur d'or, et en récompense, il me prédit l'avenir au moyen de sa table divinatoire. S'il interroge cent fois le sort, cent fois il réussit; aujourd'hui je suis allé chez lui pour cela même, et il m'a dit que si je jette mes filets à l'entrée d'une anse du fleuve King-Ko, du côté de l'orient, et si je tends l'hameçon sur la rive occidentale, je suis sûr de prendre des poissons et des crevettes de quoi charger un chariot. Demain, quand je revendrai à Tchang-Ngan vendre ma pêche et acheter du vin, je retournerai saluer le docteur.»

Là-dessus les deux amis se séparèrent: or, comme ils conversaient ainsi chemin faisant, il y avait quelqu'un caché dans les herbes; et c'était précisément un des satellites du roi des Dragons, dont le palais se trouve sous les eaux du fleuve King-Ko, et celui même qui inspectait les domaines de son maître. Quand il entendit ces paroles: «Si le sorcier interroge cent fois le jour le sort, cent fois il réussit,» le petit génie retourna en toute hâte au palais du dieu, et s'élançant vers lui, il s'écria: «Malheur! malheur!

– »Et quel malheur nous menace, demanda le roi des Dragons? – Seigneur, répondit le petit génie, votre sujet, en faisant son inspection, est allé sur les bords du fleuve, et là il a entendu un bûcheron et un pêcheur qui causaient ensemble; et les dernières paroles prononcées par eux au moment où ils se disaient adieu, renferment un sens funeste et terrible. Le pêcheur a parlé d'un devin dont il a indiqué la demeure, devin fort habile à connaître l'avenir au moyen des nombres, et qui, pour prix d'une petite carpe d'or apportée chaque jour, lui dévoile les choses futures; et cela, sans jamais se tromper une fois sur cent. Puisque telle est la puissance de ce sorcier, si, dans le plus grand intérêt des habitants des eaux, on ne cherche pas à le détruire, à quoi servira de veiller avec zèle sur l'empire des mers, à quoi servira de galoper sur les vagues et de voltiger sur les flots, pour assurer la conservation de la puissance imposante que possède votre Majesté.»

A ces mots le roi des Dragons transporté de colère, saisit son glaive à deux tranchants: il voulait s'élancer vers la capitale des Tang pour anéantir l'audacieux sorcier, mais tout autour de lui s'agitèrent les princes ses fils et ses petits-fils, la crevette grand mandarin, le crabe conseiller d'état, l'esturgeon chef des armées, le turbot maître des requêtes, la carpe chef du conseil, et d'une voix respectueuse et unanime ils firent au souverain cette observation: «Grand roi, modérez voire indignation? Le proverbe dit: si une parole traverse votre oreille, n'y ajoutez pas foi. D'ailleurs, grand prince, dans cette circonstance, n'avez-vous pas les nuées pour vous obéir, les pluies pour vous seconder? Si vous jetez l'épouvante parmi le peuple de Tchang-Ngan, le ciel s'irritera; vos ressources de toute espèce sont incalculables, vos métamorphoses illimitées; ainsi changez-vous en jeune lettré, par exemple, et allez dans la capitale vous informer si ce devin existe réellement, auquel cas il vous sera très facile de l'exterminer sur l'heure; si ce sorcier était une vaine chimère, alors il ne faudrait faire de mal à personne.»

Cédant à ces observations, le roi des Dragons abandonna immédiatement son glaive précieux, et sans amonceler ni nuées ni pluies, il monta sur la rive du fleuve et se changea en un étudiant dont les habits ne portaient les insignes d'aucun grade littéraire.

Son visage rond et gracieux décèle un merveilleux talent; il monte sur le rivage, pareil au soleil s'élevant vers le zénith; sa marche est droite et élégante, son pas régulier et mesuré; ses expressions sont conformes aux doctrines de Kong-Fou-Tse et de Meng-Tse; son allure est pleine de dignité; une grâce admirable se trahit dans toute sa personne. Il est couvert d'une tunique de soie de couleur verte, et sur le bonnet qui orne son front, on lit: joie et bonheur!

D'un pas rapide il s'avance sur la route comme s'il eût fendu la nue, et arrive à la capitale, à la grande rue de la porte de l'Ouest. Là, le roi des Dragons aperçoit un groupe nombreux et serré, tumultueux et bruyant, au milieu duquel un respectable docteur enseignait et parlait de la manière suivante: «La famille entière des Dragons a reçu du ciel une existence spéciale, celle des tigres est en guerre continuelle; bien que les quatre instants du jour yn, chin, sse et hay se suivent dans un ordre rigoureux, cependant on peut craindre aujourd' hui une révolte contre le dieu qui préside aux années57

A ces mots, le roi des Dragons reconnaît qu'il est dans la demeure du sorcier; il s'avance vers lui en fendant la foule, il regarde et à ses yeux s'offrent:

Quatre murailles enrichies de diamants, des broderies de soie tendues par toute la salle. Dans de précieuses cassolettes brûlent incessamment d'odorants parfums; là sont rangés des vases de porcelaine pleins d'une eau pure, et sur la tapisserie, au milieu de portraits placés des deux côtés, on voit celui de Wang-Oey58, au-dessus de son siège est suspendue l'image de Kwei-Ko59. L'encrier du devin est une pierre de la rivière Twan-Ky60: son bâton d'encre est doré; près de lui sont de grands pinceaux d'un poil éclatant comme la gelée, et des boules de cristal rangées en files. A ses côtés on voyait un exemplaire nouveau du livre Kouo-Po, souvent interrogé par les astrologues; le sorcier sait à fond les six figures employées dans les divinations, et possède aussi parfaitement les huit Kwas61; il excelle à connaître les lois qui régissent le ciel et la terre, et pénètre par son savoir l'esprit des génies et des immortels. Son plateau magique est exposé au midi, il y peut lire clairement l'ordre et la marche des étoiles et des planètes à travers les cieux. L'avenir et le passé s'y reflètent à ses yeux aussi nettement que le disque de la lune; les familles qui prospèrent et celles qui s'écroulent ruinées, il les voit comme un esprit les verrait. Il a la prescience du malheur, il décide de la mort et dicte la vie. A sa voix les vents et les pluies se hâtent d'obéir, les génies et les esprits tremblent quand il abaisse son pinceau. Son nom est écrit sur une enseigne devant sa porte et on y lit: Demeure du devin Youeu-Cheou-Ting.

Or, cet homme c'était donc Youen, le principal astronome de la cour, Youen-Cheou-Ting, l'oncle du génie qui préside à la grande ourse. Doué d'une physionomie distinguée, remarquable, gracieuse et pleine de majesté, il avait vu sa réputation s'accroître dans le céleste empire; on le regardait comme le chef des devins de la capitale.

Arrivé à la porte de l'astronome, le roi des Dragons salua poliment; après les cérémonies d'usage, Youen-Cheou prie l'étranger de s'asseoir, fait apporter une tasse de thé, et demande à son hôte quelle affaire l'amène prés de lui.

»Je désire, répondit le faux étudiant, apprendre par le secours de votre art surnaturel ce qui se passera demain dans l'atmosphère.»

Le docteur eut recours à ses procédés divinatoires, et répondit avec assurance:

Les nues obscurcissent le sommet des monts, la brume enveloppe lentement les bois comme un réseau: la divination déclare que demain matin il doit tomber une pluie bienfaisante.

«Et cette pluie, demanda le roi des Dragons, tombera-t-elle pendant long-temps? à combien de pieds, de pouces, de lignes s'élèvera-t-elle?

Le devin répondit: «Demain, de 7 à 9 heures, les nuages s'étendront; de 9 à 11, le tonnerre grondera; la pluie commencera à tomber à midi, et à 3 heures elle aura fini sa tâche; l'eau s'élèvera à 3 pieds 3 pouces 8 lignes62.

– »Prenez garde, interrompit le roi des Dragons avec un sourire, parlez sérieusement! Si tout se passe demain exactement comme vous l'annoncez avec tant d'assurance, je viendrai vous offrir 50 leangs d'or pour prix de votre opération magique; mais s'il ne pleut pas, ou si la pluie ne tombe pas à l'heure et dans la proportion indiquées, je vous jure que je ruinerai votre école, je mettrai en morceaux l'enseigne qui est à votre porte, et je vous ferai sortir au plus vite de la capitale, afin que vous n'abusiez plus ainsi de la crédulité du peuple.»

55Cette légende, tirée du roman bouddhique Sy-Yeou-Ki cité plus haut, remplace dans l'édition in. -8.° de la bibliothèque de l'Arsenal celle du Bonze sauvé des eaux, insérée dans l'in-18. Au reste, le premier alinéa est le seul point de ressemblance qui existe entre ces deux histoires.
56Si-Che, femme plus célèbre par sa beauté que par sa vertu, souvent citée par les poètes et les romanciers.
57Ce langage cabalistique n'est pas plus intelligible en chinois qu'en français, cependant on y retrouve une allusion à ce qui va suivre.
58Wang-Oey est un écrivain distingué qui vivait sous la dynastie des Tang.
59Kwei-Ko, célèbre devin du temps de la dynastie des Tsin; il vivait retiré du monde, et allait souvent sur le mont Yun-Mong-Chan cueillir des herbes médicinales: il forma plusieurs disciples et devint immortel.
60Rivière du Tse-Tcheou dans le Chen-Sy: on sait que les Chinois délaient leurs bâtons d'encre sur une pierre plate.
61Les huit Kwas ou diagrammes inventés par Fô-Hi, ou plutôt vus par lui sur le dos du Dragon dans les temps fabuleux (3468 avant J. – C.); ils représentent le ciel, la terre, la foudre, les montagnes, le feu, les nuées, les eaux, le vent. Ce sont les combinaisons d'une ligne horizontale entière ou coupée, modifiée de huit façons, et dont la multiplication donne 64.
62Ces expressions ne représentent pas exactement les mesures chinoises, mais elles ont l'avantage d'exprimer des valeurs connues.