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Choix de contes et nouvelles traduits du chinois

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II

Nous laisserons donc Wang-Tchin continuer sa route, et nous reviendrons à sa mère et à son épouse qui étaient restées dans leur demeure de Fan-Tchouen. La nouvelle de la révolte de Chy-Sse-Ming était arrivée aux oreilles des deux dames, et elles passèrent les jours et les nuits dans l'inquiétude et la tristesse, en songeant à leur fils et à leur époux; elles se repentaient cruellement de l'avoir laissé partir. Deux ou trois mois s'étaient écoulés, lorsqu'un jour un des serviteurs vint annoncer que Ouang-Fo, le domestique affidé du maître absent, arrivait de la capitale et avait une lettre à présenter. A ces mots, les deux dames donnent l'ordre de faire entrer ce Ouang-Fo; et celui-ci, frappant la terre de son front, remit la missive dont il était porteur. On remarqua que ce Ouang-Fo avait l'œil droit entièrement perdu; mais sans prendre le temps de le questionner à ce sujet, les dames ouvrirent la lettre et y lurent ce qui suit:

Depuis que je me suis éloigné d'auprès de vous, grâce à la protection que le ciel vous accorde, j'ai toujours joui d'une excellente santé. Arrivé à la capitale, j'ai fait une inspection détaillée de nos propriétés: par bonheur, rien n'a souffert, et tout a continué d'être comme par le passé, dans un état satisfaisant. Enfin, pour surcroît de bonheur, j'ai fait rencontre de mon ami Hou-Pa, le juge, qui m'a introduit chez le premier ministre, et je lui dois bien de la reconnaissance pour sa bienveillante attention, car il m'a nommé à une magistrature dans le Yeou-Sou. J'ai déjà reçu ma nomination officielle, et comme l'époque à laquelle je dois entrer en fonction est assez rapprochée, je vous envoie tout exprès Ouang-Fo qui doit vous remettre cette lettre à toutes les deux. Dès que vous l'aurez reçue, hâte-vous de vendre les propriétés que nous avons achetées dans le Kiang-Nan, et accourez à la capitale avec la rapidité de la foudre, ne vous arrêtez pas à de frivoles détails; le temps où je dois partir pour le Yeou-Sou approche; comme nous allons bientôt être réunis, cette lettre ne contient que ce qu'il est strictement utile de vous annoncer.

Tchin vous salue mille fois.

Quand les deux dames eurent pris connaissance de cette lettre, elles ne purent contenir leur joie, et demandèrent alors à Ouang-Fo ce qui lui avait mis l'œil dans un si triste état. «Ce n'est guère la peine d'en parler, répondit le domestique: comme je m'étais endormi de fatigue sur mon cheval, j'ai fait une chute par hasard, et voilà ce qui m'a blessé.» On l'interrogea aussi sur l'aspect qu'offrait la capitale dans ces derniers temps: tout y était-il comme autrefois, les parents étaient-ils tous vivants dans Tchang-Ngan? A ces questions, l'envoyé répondit: «Toute la ville est au moins à moitié ruinée, il s'en faut bien qu'elle ressemble à ce qu'elle était auparavant. Parmi vos parents, il y en a de morts, il y en a qui sont prisonniers, d'autres encore ont pris la fuite, et il y a peu de maisons qui soient restées intactes; de plus, on a pillé et volé les meubles et les objets précieux, incendié et détruit des habitations, confisqué les biens de la campagne: vos propriétés, terres, jardins et maisons, sont les seules qui n'aient eu absolument rien à souffrir.»

Ces nouveaux détails augmentèrent beaucoup la joie et la satisfaction des deux dames.

«Quoi! s'écrièrent-elles, nos biens n'ont pas été touchés, et encore Wang-Tchin a été nommé à une magistrature! Tant de bonheur est dû à la protection du maître suprême du ciel et de la terre: nous ne pouvons assez lui en témoigner notre reconnaissance. Quand le moment sera venu, il faudra la lui prouver en faisant de bonnes œuvres, et renouveler nos prières à l'occasion de cet événement, afin que dans l'avenir, les magistratures devenant plus importantes encore, la prospérité et les appointements aillent toujours croissant.» – Puis elles ajoutèrent en s'adressant à Ouang-Fo: «Ce Hou-Pa, ce juge dont il est question dans la lettre, qu'est-ce? – C'est un ami de mon maître, répondit le domestique. Jusqu'ici, repartit la mère de Wang-Tchin, je n'avais jamais entendu dire qu'il y eût un magistrat de ce nom, ami de mon fils. – C'est peut-être, ajouta la bru, une nouvelle connaissance de mon mari, avec lequel nous n'avons point eu de relations.»

Ouang-Fo, prenant part à la conversation, assura à ces dames que l'individu en question était effectivement une nouvelle connaissance de son maître, et il demanda qu'on le chargeât bien vite d'une réponse. La mère de Wang-Tchin objecta au domestique qu'après un voyage aussi fatiguant, il devait manger pour se refaire et prendre un peu de repos, au moins jusqu'au lendemain. «Madame, reprit à son tour Ouang-Fo, les dispositions qu'il vous faut faire pour le départ, demanderont bien quelques jours; mon maître est seul dans la capitale, il n'a personne pour le servir; il est impatient de voir arriver en avant un serviteur, afin de tout préparer pour le départ; et si j'attends que madame se mette en marche, comment mon maître pourra-t-il arriver à l'époque voulue au lieu de sa charge?»

Cette observation parut très juste à la mère de Wang-Tchin; elle écrivit donc la réponse demandée, donna au domestique l'argent dont il avait besoin pour la route, et l'expédia en avant. Aussitôt après le départ de ce Ouang-Fo, la vieille dame vendit complètement tout ce qu'ils possédaient dans le Fan-Tchouen, terres, maison, meubles et ustensiles, et ne garda que quelques bagatelles; puis, dans la crainte de faire manquer par ses lenteurs l'époque fixée pour l'entrée en fonction, elle ne s'arrêta point à trouver un bon prix de ces divers articles. Elle donna en offrandes la moitié de la valeur et chargea un bonze d'employer cet argent en bonnes œuvres. Enfin, elle loua un bateau de mandarin et choisit un jour heureux pour se mettre en marche. Pendant les derniers instants de leur séjour, la maison fut pleine du matin au soir de jeunes dames du voisinage, qui venaient faire des visites d'adieu; toutes allèrent conduire à leur bateau la mère et l'épouse de Wang-Tchin, qui s'embarquèrent et partirent.

S'éloignant donc du Fan-Tchouen, elles traversèrent joyeusement le Hô-Fou et le Tang-Kouey-Tcheou; après avoir débouché dans le Tai-Kiang, le bateau fit route droit devant lui dans la direction de la capitale. Les servantes des deux dames, pour célébrer la nomination de leur maître à une charge importante, exécutaient des danses sur le pont; et cependant ce n'était pas le cas de s'exalter ainsi!

 
Quand il fuit vers le sud pour échapper aux désastres, il
a lieu de s'affliger!
Qui peut savoir quand les honneurs et les richesses viennent
au-devant de nous?
Les serviteurs de cette famille triomphante célèbrent leur
joie par des chants et des danses:
Au jour fixé, des nuages se dérouleront encore sur le ciel
de la capitale.
 

Mais revenons à Wang-Tchin que nous avons laissé tournant les talons à la capitale, et marchant vers le Fan-Tchouen: il lui avait fallu moins d'un jour pour arriver au lieu d'embarquement dans le Yang-Tcheou. Là, il fit déposer ses bagages dans une hôtellerie, congédia ses bêtes de somme, et après son repas, il envoya Ouang-Fo, son valet, au bord du fleuve, pour retenir un bateau. Lui-même, il était assis à la porte de l'hôtellerie, occupé à veiller des yeux sur son bagage, lorsqu'il voit au milieu du fleuve un bateau qui s'avance. – Il regarde … c'est un bateau de mandarin qui remonte le courant; à la proue sont quatre ou cinq domestiques qui font éclater leur joie par des cris et des chants; ils sont au comble de l'allégresse! – Le bateau marche toujours, il approche. Wang-Tchin regarde encore!.. Ce ne sont point des étrangers, mais tout simplement les gens de sa maison. Cette vue le laisse stupéfait. «Comment se fait-il que les serviteurs de chez moi se trouvent sur un bateau de mandarin? Probablement, à la mort de ma mère, ils auront passé au service d'une autre personne.» Et comme il était en proie à cette incertitude, voici que devant le treillage qui ferme la porte de la cabine une jeune fille s'avance, met sa tête hors du balcon et regarde. – Wang-Tchin fixe sur elle des yeux attentifs et scrutateurs; c'est la servante de l'appartement de sa femme!

«En vérité, c'est miraculeux,» songea Wang-Tchin. D'un pas rapide il s'élance pour avoir l'explication de ce mystère, et au même instant tous les gens qui étaient sur le pont du bateau s'écrièrent d'une seule voix en l'apercevant: «Quoi, notre maître est ici! comment cela se fait-il? et que signifient les habits de deuil dont il est revêtu?» – Aussitôt ils dirent au patron de conduire le bateau vers le rivage, et courent dans leur étonnement à la cabine de l'arrière, avertir les deux dames, qui lèvent le treillis de bambou et regardent de leurs propres yeux.

Or, Wang-Tchin qui dirigeait son attention de ce côté aperçut sa mère vivante devant lui! – A cette vue, il arrache en toute hâte ses vêtements de toile, et tire de son paquet, resté près de lui, d'autres habits plus convenables ainsi qu'un bonnet; et tous les gens de sa maison, qui étaient déjà sautés à terre, se pressent à sa rencontre. Wang-Tchin fait porter ses bagages dans le bateau, et lui-même passe à bord pour aller voir sa mère. D'un regard il découvre sur le devant du pont Ouang-Lieou, le domestique porteur de la lettre fatale, et sans plus de questions, il l'arrête au collet et va le frapper. – La mère de Wang-Tchin s'élance pour retenir son fils: «Le domestique n'a commis aucune faute, pourquoi se jeter sur lui et le menacer?»

Dès qu'il avait vu sa mère sortir de la cabine, Wang avait lâché son serviteur et saluait respectueusement la vieille dame. «N'est-ce pas ce scélérat, lui dit-il, qui est venu m'apporter à la capitale une lettre de vous, ma mère, une lettre qui m'annonçait votre mort prochaine? N'a-t-il pas été cause que j'ai manqué de piété filiale en me présentant devant vous en habit de deuil? – Quoi! reprit la vieille dame, il est resté constamment à la maison, comment aurait-il pu vous porter une lettre à la capitale? – Mais enfin, il y a un mois, ce Ouang-Lieou m'a remis une lettre de ma mère, une lettre qui contenait telle et telle chose, donnait tel et tel avertissement! il est resté deux jours près de moi, puis je l'ai expédié en avant pour aller rassurer et consoler ceux qui vivaient encore! Après cela, j'ai vendu mes biens, et partant en pleine nuit, à la lueur des étoiles, je suis accouru: comment dites-vous qu'il n'est pas venu à Tchang-Ngan!»

 

Tout le monde resta stupéfait à ces paroles: c'est vraiment une merveilleuse aventure! Y a-t-il donc un autre Ouang-Lieou parfaitement semblable à celui-ci?

Ouang-Lieou lui-même éleva la voix d'un air moqueur: «Maître, dit-il, ne prétendez pas que votre serviteur soit allé à la capitale, c'est un Ouang-Lieou rêvé que vous avez vu, et non un être réel! – Et bien! interrompit la mère de Wang-Tchin, voyons, montrez cette lettre, que je voie si l'écriture est de moi, – Eh! si ce n'eût été l'écriture de ma mère, reprit Wang-Tchin, aurais-je pu ajouter foi à cette lettre?» Là-dessus il déploie ses bagages, en tire la lettre, la regarde… C'était bien une feuille de papier, mais y restait-il quoique trace de caractère? – Voyant l'air stupéfait de Wang-Tchin, debout, les yeux ouverts et la bouche béante, occupé à tourner en tous les sens et à parcourir du haut en bas la feuille mystérieuse, sa mère lui dit: «Où donc est-elle, cette lettre, montrez-la-moi que je la regarde.» – Hélas! répondit Wang, ne vous fâchez pas, mais ce papier qui contenait tant de paroles, comment se fait-il qu'il se soit transformé en une feuille toute blanche? – Je vous le disais bien, reprit la vieille dame toujours incrédule, depuis votre départ il n'a pas été échangé entre nous une seule lettre, si ce n'est ces jours derniers que vous m'avez envoyé votre domestique Ouang-Fo; je lui ai remis une réponse à la missive qu'il m'apportait, et l'ai dépêché en avant. Assurément il y a eu un faux Ouang-Lieou, porteur d'une fausse lettre, dont vous avez été dupe, et maintenant vous dites que les caractères ont disparu de dessus le papier: quel était donc l'habile fripon de qui venaient ces paroles diaboliques?

Quand Wang-Tchin entendit parler d'un prétendu Ouang-Fo qui était allé de sa part dans le Fan-Tchouen, son étonnement et son effroi furent au comble. «Mais Ouang-Fo, mon domestique, est toujours resté à Tchang-Ngan, s'écria-t-il; il est venu avec moi jusqu'ici. Quand est-ce qu'il a été envoyé porter de ma part une lettre à ma mère?» Les deux dames à leur tour poussèrent un cri de surprise. «En vérité, voilà qui est plus extravagant encore! répondirent-elles. Le mois dernier, Ouang-Fo nous a remis un message portant que nos biens étaient restés intacts au milieu de la capitale et qu'un certain juge appelé Hou-Pa, rencontré par hasard, vous avait introduit près du premier ministre lequel vous avait nommé à une magistrature; enfin vous nous avez enjoint de vendre tout ce que nous possédions dans le Kiang-Nan, et d'arriver dans la capitale avec la rapidité de la foudre, étant vous-même sur le point de partir pour entrer en fonction. Ainsi après nous être débarrassées des propriétés, nous avons loué un bateau pour faire notre entrée dans Tchang-Ngan. – Et vous dites encore que votre domestique n'est pas venu faire un voyage vers nous!»

Wang-Tchin était confondu. «C'est là une diabolique affaire, s'écria-t-il; a-t-il jamais existé un juge Hou-Pa, qui m'ait conduit chez le premier ministre? est-ce que j'ai été nommé à un emploi? est-ce que je vous ai jamais envoyé une lettre? – Mais enfin, reprit sa mère, est-ce que par hasard il y aurait un faux Ouang-Fo: appelez-le vite, je veux l'interroger! – Il est allé louer des bateaux, répondit Wang-Tchin, mais il ne tardera pas à rentrer.»

Tous les domestiques s'assemblent à la proue et dirigeant leurs regards vers la rive, ils voient Ouang-Fo qui revenait en courant, vêtu de la tête aux pieds d'habits de deuil: ils l'appellent par leurs gestes, lui font des signes, et le pauvre domestique qui reconnaît ses compagnons se demande avec étonnement par quel hasard il les trouve en cet endroit. Il s'approche d'avantage, et quand il arrive près du bateau, les domestiques, en le considérant de plus près, constatent qu'il existe une différence entre ce Ouang-Fo et celui des jours précédents; et c'est que l'œil droit du prétendu envoyé était dans le plus déplorable état, tandis que ce vrai Ouang-Fo ouvre une paire d'yeux larges, vifs, clairs et brillants comme une clochette de cuivre. «Ouang-Fo, s'écrièrent-ils tous à la fois, du haut du bord, ces jours derniers tu avais l'œil droit bien malade, comment se fait-il que tu sois si bien rétabli aujourd'hui? – C'est-à-dire, répondit Ouang-Fo, avec un air et un ton ironique, c'est-à-dire que vous-même vous avez perdu la vue. Est-ce que j'ai fait un voyage à la maison? Parlez-vous donc ainsi pour me donner une malédiction et me causer la perte d'un œil? – Définitivement, se dirent en souriant les autres domestiques, il y a de la diablerie dans cette affaire! La mère de notre maître est là qui t'appelle dans la cabine. Ote donc vite les habits de deuil et cours te présenter devant elle.»

A ces paroles le serviteur resta confondu. «Quoi! la mère de notre maître vit encore! elle est ici! – Mais, répondirent les domestiques, où serait-elle donc partie pour n'être pas ici?» – Ouang-Fo, n'en croyait rien, et s'obstinait à ne pas quitter ses habits de deuil; il s'en va se présenter brusquement à la porte de la cabine, et là son maître l'arrête d'une voix sévère: «Misérable! ma mère est vivante, elle est ici, et tu ne te dépouilles pas de ces vêtements de tristesse, pour paraître devant elle!» Le pauvre domestique sortit donc précipitamment pour aller changer d'habits, et revint, sous un costume plus convenable, se prosterner devant la mère de son maître.

Or, la vieille dame frottait et essuyait ses vieux yeux; elle regarde attentivement le domestique et crie: «ô miracle! le Ouang-Fo qui est venu ces jours derniers avait à l'œil droit une blessure grave, et celui-ci a la vue parfaitement saine! Définitivement l'homme de l'autre fois, ce n'était pas lui! – Aussitôt elle s'empresse d'atteindre la lettre, l'ouvre, jette un regard, … – ce n'était ni plus ni moins qu'un papier blanc, sur lequel on ne voyait aucune trace d'écriture!

Tout le monde fut saisi de trouble et de surprise; on ne pouvait s'expliquer ni ces transformations, ni la cause de ces mauvais tours. Mais par suite de cette double déception, la famille Wang avait des deux côtés à la fois porté un coup mortel à sa fortune, et on pouvait craindre pour l'avenir de nouveaux pièges du même genre. Aussi, on était effrayé, inquiet, on ne savait sur quoi compter! Wang-Tchin lui-même, fort agité, demeura la moitié du jour absorbé dans de sérieuses pensées; puis, il lui vint une idée à propos de ce prétendu Ouang-Fo blessé à l'œil gauche, et, quoique vaguement éclairé sur ce mystère, il devina juste, et s'écria: «C'est cela, j'y suis!.. Ce doit être cette bête endiablée qui s'est transformée ainsi pour se jouer de moi! – Et qu'est-ce que vous voulez dire par-là? demanda sa mère.» Wang-Tchin raconta l'aventure de la forêt, l'arrivée du Renard blessé dans l'hôtellerie, ses instances pendant la nuit, ses plaintes dans la cour de l'auberge, et il ajouta: «A cette époque, je pensais bien que cet animal enragé s'était métamorphosé en homme pour venir reprendre son livre, mais, ne pouvant prévoir qu'il pousserait si loin ses intelligentes diableries, je n'étais point en mesure de les repousser.»

A ces paroles, tous les gens de la maison secouèrent la tête en se mordant la langue. «Ces Renards, dirent-ils, ont de diaboliques moyens de nuire: malgré la distance, ils ont pu employer la ressemblance dans l'écriture et la physionomie des personnes, pour tromper cette famille séparée, et s'en faire un jouet. Plût à Dieu que notre maître eût pu deviner ce qui le menaçait; il eût rendu le livre, et tout était fini!

– Non, repartit Wang-Tchin, puisque j'ai eu à souffrir les insolences de ces méchantes bêles, c'est une raison de plus pour garder près de moi ce livre mystérieux; si de nouveaux malheurs m'enveloppent encore, je jette dans les flammes ce misérable objet, source de tant d'infortunes! – Hélas! interrompit son épouse, les choses en sont à tel point qu'il ne faut pas tenir de vains discours, mais prendre un parti sérieux et raisonnable; où demeurer maintenant? je n'en sais rien! et encore, quel moyen de subsistance nous reste-t-il? – Nos biens de la capitale sont vendus, reprit Wang-Tchin, je ne sais plus que faire! et d'ailleurs il y a bien loin pour y retourner, le mieux est encore d'aller au Kiang-Tong.

– Mais, s'écria à son tour la mère de Wang-Tchin, les propriétés de Kiang-Nan n'existent plus; tout est entièrement vendu, où habiter maintenant? – Puisque les circonstances nous y forcent, répondit Wang, nous y prendrons une maison à loyer et nous nous y installeront de nouveau.» Là-dessus, ils orientent en sens contraire la proue du bateau, et se dirigent sur le Kiang-Tong. Les domestiques, partis naguère dans un accès de de joie et d'enthousiasme, s'en retournaient dans un morne abattement: pareils à une poupée dont les fils sont brisés, leurs pieds et leurs mains retombaient sans mouvement; aucune parole ne sortait de leur bouche; eux qui étaient venus dans l'exaltation du triomphe, ils s'en allaient dans l'humiliation de la défaite.

Arrivés dans le Fan-Tchouen, Wang-Tchin débarqua le premier avec les gens de sa suite. A une petite distance de l'ancienne demeure, il loua une habitation; et après avoir employé quelques jours à meubler cette maison, quand tout fut prêt pour recevoir sa mère et sa femme, il fit apporter les bagages et installa les deux dames. Puis quand ces interminables préliminaires furent achevés, accablé par le chagrin, dominé par la colère, il ne voulut plus sortir, et couva sa tristesse dans son intérieur.

Cependant les voisins, surpris de voir revenir les deux dames dont ils avaient reçu les adieux, vinrent en masse pour savoir la cause de ce retour, et Wang-Tchin satisfit à toutes leurs questions. L'aventure fut tenue pour merveilleuse par tout le monde; elle passa de bouche en bouche, et fit bientôt le tour de la ville principale du Fan-Tchouen.

Un jour que Wang-Tchin était assis dans la grande salle, occupé à surveiller les travaux des gens de sa maison, il vit entrer un individu qui arrivait rapidement du dehors. Son extérieur était grave et majestueux, ses vêtements pleins d'élégance et bien arrangés; or ce qu'il aperçut c'était:

Un homme ayant sur la tête un bonnet de gaze noire, tel qu'on en portait au temps des Tang; le vêtement qui couvre tout son corps est une robe de soie verte comme celles des Tao-Sse. Des pierres d'une couleur azurée et des morceaux de jade étincellent autour de son bonnet; de longs fils de soie de nuances diverses descendent de sa large ceinture au bas de son ample tunique. Ses chaussettes de soie semblent deux nues blanches comme la neige, et la semelle en est brillante comme deux nues empourprées. Son aspect est imposant; toute sa personne respire une élégance qui n'a rien de terrestre; les colliers qui flottent doucement sur sa poitrine feraient rougir de colère la brume glacée. – Si ce n'est un génie immortel habitant des cieux, c'est au moins un monarque parmi les hommes!

L'étranger entra donc tout droit dans la grande salle, et tandis qu'il le regarde avec attention, Wang-Tchin reconnaît son jeune frère Wang-Tsay: celui-ci le salue affectueusement, et demande comment il s'est porté depuis leur séparation. – «Mon sage frère, dit Wang-Tchin en répondant à ses politesses, je me félicite de ce que vous soyez venu me chercher ici. – Quand j'arrivai à la capitale, reprit Wang-Tsay, pour rentrer dans notre ancienne demeure, j'ai vu que nos propriétés s'étaient changées en un désert, et je m'écriai: s'il avait été enveloppé dans les désastres de la guerre civile, quel malheur! Je pris donc des informations auprès de nos parents et de nos amis, et ils m'apprirent que vous étiez allé dans le Kiang-Tong chercher un abri contre les troubles: on me dit aussi qu'arrivé vous-même, il y avait peu de jours, dans la capitale, vous étiez occupé à rétablir nos propriétés, lorsque la nouvelle de l'état désespéré de notre mère vous avait déterminé à quitter de nouveau Tchang-Ngan, en marchant précipitamment la nuit, à la clarté des étoiles. A mon arrivée ici, j'ai d'abord été frapper à la porte de notre précédente demeure, mais les voisins ont répondu que, depuis peu de temps, vous aviez transporté votre habitation en ce lieu. Cependant notre mère est en bonne santé, aussi je suis allé dans mon bateau changer mes vêtements de deuil; mais enfin, puisque celle que nous avons cru morte est vivante, pourquoi donc êtes-vous venu vous fixer dans cette maison qui ne paraît pas encore habitable?

 

– Tout cela ne peut être raconté d'un seul mot, répondit Wang-Tchin; en attendant, venez voir notre mère, et vous apprendrez ces aventures en causant avec elle.» Là-dessus il introduisit son frère dans l'appartement du fond, près de la vieille dame, que les domestiques avaient déjà informée de l'arrivée de Wang-Tsay. Or, dès qu'elle sut que son jeune fils était de retour, la mère de Wang-Tsay fut au comble de la joie, elle s'élança au-devant de lui pour le voir; lui-même il se jeta aux pieds de celle qu'il avait quittée depuis si long-temps, et lorsqu'il se releva, elle lui dit: «Mon fils, jour et nuit je songeais à vous: comment vous êtes-vous porté pendant cette longue absence?» – Et Wang-Tsay remerciait affectueusement sa mère de son bon souvenir; puis en attendant qu'il pût voir sa belle-sœur, il désira apprendre de la bouche de la vieille dame les détails des vicissitudes passées.

Leur conversation fut interrompue par l'arrivée de l'épouse de Wang-Tchin, qui vint voir son beau-frère, accompagnée des femmes de sa maison: les deux frères sortirent de l'appartement de leur mère, et la jeune dame les ayant suivis, tous les trois s'assirent dans la grande salle. Là, le nouvel arrivé demanda le récit des malheurs dont ils avaient tous été victimes, et Wang-Tchin satisfit à ses questions, en lui racontant l'aventure des Renards et les événements qui en étaient résultés.

«Croyez-moi, dit alors Wang-Tsay, tout cela était dès les temps anciens décrété par le destin, voilà pourquoi ces calamités vous ont assaillis: ne vous en prenez donc qu'à vous-même et non à ces pauvres animaux! Ces deux Renards lisaient tranquillement dans la forêt, et vous, vous passiez sur la grande route, ainsi ils ne vous gênaient en rien du tout: pourquoi donc les maltraiter? pourquoi voler leur livre? Plus tard, dans l'hôtellerie, ils sont venus vous témoigner leur douleur, leurs regrets de la perte de cet objet, ils sont venus pour vous le reprendre; malgré tout, leur désir n'a pu être réalisé? et vous vous êtes obstiné à ne pas rendre le livre. – Bien … mais pourquoi cette mauvaise pensée de vous jeter sur votre épée pour les égorger à l'instant? Plus tard encore, quand ils sont revenus avec des observations sévères, mais honnêtes, vous réitérer instamment leur prière, vous avez refusé avec entêtement d'acquiescer à leur demande. Et puis, remarquez: vous ne pouvez déchiffrer un mot de ce livre, jamais de votre vie vous n'en pourrez faire usage; à quoi bon le garder? Maintenant, vous voyez, grâce à leurs mauvais tours, vos affaires dans un déplorable état; assurément vous ne devez en accuser que vous seul. – C'est précisément ce que je dis à mon mari, interrompit l'épouse de Wang-Tchin; enfin, à quoi peut lui servir ce livre?.. Et voilà dans quel dédale de maux il nous a jetés!»

Aux réprimandes que son jeune frère lui adressait, Wang-Tchin ne répondit rien du tout, mais au fond de son cœur, il était froissé. «Et ce livre, reprit Wang-Tsay, est-il volumineux? en quels caractères est-il écrit? – Il est assez grand, répondit le frère aîné, mais qu'est-ce qu'il y a dessus?.. Je n'en sais rien, il n'y a pas un caractère que je connaisse! – Voyons, montrez-le-moi un peu, demanda Wang-Tsay. – En effet, interrompit la belle-sœur, en insistant sur cette idée, allez donc le chercher pour que votre frère l'examine, peut-être il sera plus habile, qui sait!.. – Je crois bien, reprit Wang-Tsay, que ce doit être une écriture fort difficile à déchiffrer, seulement, je serais curieux de regarder ces pages comme une chose rare et étrange; voilà tout.»

Wang-Tchin était allé chercher le livre, et il le remit aux mains de son frère: celui-ci le prend, le tourne, le retourne, l'examine du haut en bas. «Oui, s'écria-t-il, ce sont en vérité des caractères comme on en voit peu!..» Puis il se leva, traversa la salle, et vint dire à la face de Wang-Tchin: «Le Ouang-Lieou de ces jours derniers, c'était moi-même: aujourd'hui que je tiens de nouveau entre mes mains ce livre divin, je ne viendrai plus vous tourmenter… Adieu… Rassurez-vous!» Puis à ces mots il sortit, et courut en fuyant.

Dans l'excès de sa colère, Wang-Tchin s'élança à la poursuite de l'être surnaturel, il criait de toute sa force: «Audacieuse bête, où vas-tu!» – Et d'une main il le saisit par ses vêtements: le fuyard se débattait avec effort, et l'agresseur le tenait d'une main vigoureuse. – Puis on entendit marmoler quelques paroles inarticulées. Wang arrachait les vêtements de l'animal-fée qui, s'étant secoué vivement, se dépouilla des habits dont il était couvert, reprit sa première forme et se mit à fuir dehors à toutes jambes; il disparut comme un tourbillon. Wang accompagné de tous les gens de sa maison courut pour le poursuivre jusque dans la rue; il promena ses regards de tous côtés, mais sans en découvrir la moindre trace.

Ruiné d'abord, puis maltraité en paroles par ce Renard, Wang-Tchin était furieux de la perte du livre enlevé dans cette troisième rencontre; grinçant des dents, il regardait avidement d'un côté et de l'autre pour tâcher de voir son ennemi. Il ne vit rien, rien qu'un vieux Tao-Sse borgne assis à la porte sous la partie saillante du toit; et quand il lui demanda de quel côté fuyait le Renard qu'il avait dû voir passer le vieillard lui fit signe en dirigeant son bras du côté de l'est. Wang-Tchin et les siens se précipitèrent donc vers la partie de l'horizon désignée par le Tao-Sse, et ils n'avaient pas couru la longueur de cinq ou six maisons, que le vieillard borgne s'écria: «Wang-Tchin, le Ouang-Fo de ces jours derniers, c'était moi! Votre jeune frère est ici.»

En entendant ces paroles, toute la bande revint en grande hâte sur ses pas: les deux Renards tenaient le livre recouvré, et gambadaient devant leurs ennemis pour les narguer. Wang-Tchin avait de vigoureux domestiques qui se mirent à la poursuite des animaux; mais les deux Renards jouèrent des pattes et s'enfuirent comme s'ils avaient eu des ailes.

Wang-Tchin était arrivé jusqu'à la porte en continuant la chasse, mais sa mère lui cria: «Il est parti ce livre qui a causé la ruine de nos biens et les malheurs de nous tous! Laissez-les, restez donc tranquille, quand vous les poursuivriez, ils sont loin, et ils ne vous rendront pas ce qu'ils vous ont pris!» Ainsi Wang, malgré la colère qui l'étouffait, fut obligé d'obéir aux paroles de sa mère, et il rentra avec tous les domestiques dont il était accompagné dans sa poursuite. Son premier soin fut de prendre les vêtements laissés par le Renard pour les examiner, mais à peine les eut-il touchés qu'ils se métamorphosèrent. Si vous voulez savoir ce qui resta, lecteur, le voici:

C'était une feuille de bananier brisée qui avait pris l'apparence d'une robe de soie; de vieilles tiges de nénuphar composaient ce bonnet de gaze; ces morceaux de jade, ces pierres d'azur, c'étaient de petits ronds de bois taillés dans une branche de saule pourrie; la plante rampante, dont on tisse les manteaux contre la pluie, représentait les longs fils de soie violette suspendus à la ceinture; les chaussettes de soie n'étaient rien que du papier blanc, et la semelle si étincelante des sandales, deux vieilles écorces de sapin.

Cette vue jeta de nouveau la stupeur parmi ceux qui se trouvaient présents. On cria: «O miracle! ces Renards possédaient en vérité un esprit surnaturel, puisqu'ils sont doués d'un tel pouvoir! Et encore, qui sait où est notre jeune maître, car enfin, celui qui s'est montré n'était qu'une apparition revêtue de sa forme!» – Ainsi disaient les domestiques; et Wang-Tchin au fond de son cœur retournait ses pensées et dévorait sa douleur. Cette colère lui donna un violent accès de fièvre, il se mit au lit et ne put se lever. Sa mère fit appeler un médecin pour le soigner; nous le laisserons entre leurs mains.