Kostenlos

Discours par Maximilien Robespierre — 5 Fevrier 1791-11 Janvier 1792

Text
0
Kritiken
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

Discours sur l'inviolabilité royale prononcé par Robespierre à l'Assemblée constituante le 14 juillet 1791 (14 juillet 1791)

Messieurs, je ne veux pas répondre à certain reproche de républicanisme qu'on voudrait attacher à la cause de la justice et de la vérité: je ne veux pas non plus provoquer une décision sévère contre un individu; mais je viens combattre des opinions dures et cruelles, pour y substituer des mesures douces et salutaires à la cause publique: je viens surtout défendre les principes sacrés de la liberté, non pas contre de vaines calomnies qui sont des hommages, mais contre une doctrine machiavélique dont les progrès semblent la menacer d'une entière subversion. Je n'examinerai donc pas s'il est vrai que la fuite de Louis XVI soit le crime de M. Bouille, de quelques aides de camp, de quelques gardes du corps et de la gouvernante du fils du roi; je n'examinerai pas si le roi a fui volontairement de lui-même, ou si de l'extrémité des frontières un citoyen l'a enlevé par la force de ses conseils; je n'examinerai pas si les peuples en sont encore aujourd'hui au point de croire qu'on enlève les rois comme les femmes; je n'examinerai pas non plus si, comme l'a pensé M. le rapporteur, le départ du roi n'était qu'un voyage sans sujet, une absence indifférente, ou s'il faut le lier à tous les événements qui ont précédé; s'il était la suite ou le complément des conspirations impunies, et par conséquent toujours renaissantes, contre la liberté publique; je n'examinerai pas même si la déclaration signée de la main du roi en explique le motif, ou si cet acte est la preuve de cet attachement sincère à la révolution que Louis XVI avait professé plusieurs fois d'une manière si énergique: je veux examiner la conduite du roi, et parler de lui comme je parlerais d'un roi de la Chine. Je veux examiner, avant tout, quelles sont les bornes du principe de l'inviolabilité.

Le crime légalement impuni est en soi une monstruosité révoltante dans l'ordre social, ou plutôt il est le renversement absolu de l'ordre social: si le crime est commis par le premier fonctionnaire public, par le magistrat suprême, je ne vois là que deux raisons de plus de sévir: la première, que le coupable était lié à la patrie par un devoir plus saint; la seconde, que, comme il est armé d'un grand pouvoir, il est bien plus dangereux de ne pas réprimer ses attentats.

Le roi est inviolable, dites-vous; il ne peut pas être puni: telle est la loi... Vous vous calomniez vous-mêmes! Non, jamais vous n'avez décrété qu'il y eût un homme au-dessus des lois; un homme qui pourrait impunément attenter à la liberté, à l'existence de la nation, et insulter paisiblement, dans l'opulence et dans la gloire, au désespoir d'un peuple malheureux et dégradé! Non, vous ne l'avez pas fait: si vous aviez osé porter une pareille loi, le peuple français n'y aurait pas cru, ou un cri d'indignation universelle vous eût appris que le souverain reprenait ses droits!

Vous avez décrété l'inviolabilité; mais aussi, messieurs, avez-vous jamais eu quelque doute sur l'intention qui vous avait dicté ce décret? Avez-vous jamais pu vous dissimuler à vous-mêmes que l'inviolabilité du roi était intimement liée à la responsabilité des ministres; que vous aviez décrété l'une et l'autre, parce que, dans le fait, vous aviez transféré du roi aux ministres l'exercice réel de la puissance exécutive, et que, les ministres étant les véritables coupables, c'était sur eux que devaient porter les prévarications que le pouvoir exécutif pourrait faire? De ce système, il résulte que le roi ne peut commettre aucun mal en administration; puisque aucun acte du gouvernement ne peut émaner de lui, et que ceux qu'il pourrait faire sont nuls et sans effet; que, d'un autre côté, la loi conserve toute sa puissance contre lui. Mais, messieurs, s'agit-il d'un acte personnel à un individu revêtu du titre de roi? S'agit-il, par exemple, d'un assassinat commis par cet individu? Cet acte est-il nul et sans effet, ou bien y a-t-il là un ministre qui signe et qui réponde?

Mais, nous a-t-on dit, si le roi commettait un crime, il faudrait que la loi cherchât la main qui a fait mouvoir son bras... Mais, si le roi, en sa qualité d'homme, et ayant reçu de la nature la faculté du mouvement spontané, avait remué son bras sans agent étranger, quelle serait donc la personne responsable?

Mais, a-t-on dit encore, si le roi poussait les choses à certains excès, on lui nommerait un régent... Mais, si on lui nommait un régent, il serait encore roi; il serait donc encore investi du privilège de l'inviolabilité: que les Comités s'expliquent donc clairement, et qu'ils nous disent si, dans ce cas, le roi serait encore inviolable?

La meilleure preuve qu'un système est absurde, c'est lorsque ceux qui le professent n'oseraient avouer les conséquences qui en résultent. Or, c'est à vous que je le demande, vous qui soutenez ce système avec tant d'énergie, si un roi dépouille par la force la veuve et l'orphelin, s'il engloutit dans ses vastes domaines la vigne du pauvre et le champ du père de famille, s'il achète les juges pour conduire le poignard des lois dans le sein de l'innocent, la loi lui dira-t-elle: Sire, vous l'avez fait sans crime; ou bien: Vous avez le droit de commettre impunément tous les crimes qui paraîtront agréables à votre Majesté!..

Législateurs, répondez vous-mêmes sur vous-mêmes. Si un roi égorgeait votre fils sous vos yeux, s'il outrageait votre femme et votre fille, lui diriez-vous: Sire, vous usez de votre droit; nous vous avons tout permis!.. Permettriez-vous au citoyen de se venger? Alors vous substituez la violence particulière, la justice privée de chaque individu, à la justice calme et salutaire de la loi; et vous appelez cela établir l'ordre public, et vous osez dire que l'inviolabilité absolue est le soutien, la base immuable de l'ordre social!

Mais, messieurs, qu'est-ce que toutes ces hypothèses particulières, qu'est-ce que tous ces forfaits, auprès de ceux qui menacent le salut et le bonheur du peuple? Si un roi appelait sur sa patrie toutes les horreurs de la guerre civile et étrangère; si, à la tête d'une armée de rebelles et d'étrangers, il venait ravager son propre pays, et ensevelir sous les ruines la liberté et le bonheur du monde entier, serait-il inviolable?

Le roi est inviolable! Mais vous l'êtes aussi, vous! Mais avez-vous étendu cette inviolabilité jusqu'à la faculté de commettre le crime? Et oserez-vous dire que les représentants du souverain ont des droits moins étendus pour leur sûreté individuelle que celui dont ils sont venus restreindre le pouvoir, celui à qui ils ont délégué, au nom de la nation, le pouvoir dont il est revêtu? Le roi est inviolable! Mais les peuples ne le sont-ils pas aussi? Le roi est inviolable par une fiction; les peuples le sont par le droit sacré de la nature; et que faites-vous en couvrant le roi de l'égide de l'inviolabilité, si vous n'immolez l'inviolabilité des peuples à celle des rois? Il faut en convenir, on ne raisonne de cette manière que dans la cause des rois... Et que fait-on en leur faveur? Rien; mais on fait tout contre eux; car d'abord, en élevant un homme au-dessus des lois, en lui assurant le pouvoir d'être criminel impunément, on le pousse, par une pente irrésistible, dans tous les vices et dans tous les excès; on le rend le plus vil, et, par conséquent, le plus malheureux des hommes; on le désigne comme un objet de vengeance personnelle à tous les innocents qu'il a outragés, à tous les citoyens qu'il a persécutés; car la loi de la nature, antérieure aux lois de la société, crie à tous les hommes que, lorsque la loi ne les venge point, ils recouvrent le droit de se venger eux-mêmes; et c'est ainsi que les prétendus apôtres de l'ordre public renversent tout, jusqu'aux principes du bon sens et de l'ordre social! On invoque les lois pour qu'un homme paisse impunément violer les lois! Ou invoque les lois pour qu'il puisse les enfreindre!

O vous, qui pouvez croire qu'une telle supposition est problématique, avez-vous réfléchi sur la supposition bizarre et désastreuse d'une nation qui serait régie par un roi criminel de lèse-nation? Combien ne paraîtrait-elle pas vile et lâche aux nations étrangères, celle qui leur donnerait le spectacle scandaleux d'un homme assis sur le trône pour opprimer la liberté, pour opprimer la vertu! Que deviendraient toutes ces fastueuses déclamations avec lesquelles on vient vanter sa gloire et sa liberté? Mais au dedans, quelle source éternelle et horrible de divisions, où le magistrat suprême est suspect aux citoyens! Comment les rappellera-t-il à l'obéissance aux lois contre lesquelles il s'est lui-même déclaré? Comment les juges pourront-ils rendre la justice en son nom? Comment les magistrats ne seront-ils pas tentés de se couvrir le visage par pudeur, lorsqu'ils condamneront la fraude et la mauvaise foi au nom d'un homme qui n'aurait pas respecté sa foi? Quel coupable sur l'échafaud ne pourra pas accuser cette étrange et cruelle partialité des lois qui met une telle distance entre le crime et le crime, entre un homme et un homme, entre un coupable et un homme bien plus coupable encore!

Messieurs, une réflexion bien simple, si l'on ne s'obstinait à l'écarter, terminerait cette discussion. On ne peut envisager que deux hypothèses en prenant une résolution semblable à celle que je combats; ou bien le roi que je supposerais coupable envers une nation conserverait encore toute l'énergie de l'autorité dont il était d'abord revêtu, ou bien les ressorts du gouvernement se relâcheraient dans ses mains. Dans le premier cas, le rétablir dans toute sa puissance, n'est-ce pas évidemment exposer la liberté publique à un danger perpétuel? Et à quoi voulez-vous qu'il emploie le pouvoir immense dont vous le revêtez, si ce n'est à faire triompher ses passions personnelles, si ce n'est à attaquer la liberté et les lois, à se venger de ceux qui auront constamment défendu contre lui la cause publique? Au contraire, les ressorts du gouvernement se relâchent-ils dans ses mains, alors les rênes du gouvernement flottent nécessairement entre les mains de quelques factieux qui le serviront, le trahiront, le caresseront, l'intimideront tour à tour, pour régner sous son nom. Messieurs, rien ne convient aux factieux et aux intrigants comme un gouvernement faible: c'est seulement sous ce point de vue qu'il faut envisager la question actuelle; qu'on me garantisse contre ce danger, qu'on garantisse la nation de ce gouvernement où pourraient dominer les factieux, et je souscris à tout ce que vos Comités pourront vous proposer.

 

Qu'on m'accuse, si l'on veut, de républicanisme; je déclare que j'abhorre toute espèce de gouvernement où les factieux règnent. Il ne suffit pas de secouer le joug d'un despote, si l'on doit retomber sous le joug d'un autre despotisme: l'Angleterre ne s'affranchit du joug de l'un de ses rois que pour retomber sous le joug plus avilissant encore d'un petit nombre de ses concitoyens. Je ne vois point parmi nous, je l'avoue, le génie puissant qui pourrait jouer le rôle de Cromwell: je ne vois pas non plus personne disposé à le souffrir; mais je vois des coalitions plus actives et plus puissantes qu'il ne convient à un peuple libre; mais je vois des citoyens qui réunissent entre leurs mains des moyens trop variés et trop puissants d'influencer l'opinion; mais la perpétuité d'un tel pouvoir dans les mêmes mains pourrait alarmer la liberté publique. Il faut rassurer la nation contre la trop longue durée d'un gouvernement oligarchique. Cela est-il impossible, messieurs, et les factions qui pourraient s'élever, se fortifier, se coaliser, ne seraient-elles pas un peu ralenties, si l'on voyait dans une perspective plus prochaine la fin du pouvoir immense dont nous sommes revêtus, si elles n'étaient plus favorisées en quelque sorte par la suspension indéfinie de la nomination des nouveaux représentants de la nation, dans un temps où il faudrait profiter peut-être du calme qui nous reste, dans un temps où l'esprit public, éveillé par les dangers de la patrie, semble nous promettre les choix les plus heureux? La nation ne verra-t-elle pas avec quelque inquiétude la prolongation indéfinie de ces détails éternels qui peuvent favoriser la corruption et l'intrigue? Je soupçonne qu'elle le voit ainsi, et du moins, pour mon compte personnel, je crains les factions, je crains les dangers.

Messieurs, aux mesures que vous ont proposées les Comités, il faut substituer des mesures générales, évidemment puisées dans l'intérêt de la paix et de la liberté. Ces mesures proposées, il faut vous en dire un mot: elles ne peuvent que vous déshonorer, et, si j'étais réduit à voir sacrifier aujourd'hui les premiers principes de la liberté, je demanderais au moins la permission de me déclarer l'avocat de tous les accusés; je voudrais être le défenseur des trois gardes du corps, de la gouvernante du Dauphin, de M. Bouillé lui-même. Dans les principes de vos Comités, le roi n'est pas coupable; il n'y a point de délit!.. Mais partout où il n'y a pas de délit, il n'y a pas de complices. Messieurs, si épargner un coupable est une faiblesse, immoler un coupable plus faible au coupable puissant, c'est une injustice. Vous ne pensez pas que le peuple français soit assez vil pour se repaître du spectacle du supplice de quelques victimes subalternes; ne pensez pas qu'il voie sans douleurs ses représentants suivre encore la marche ordinaire des esclaves, qui cherchent toujours à sacrifier le faible au fort, et ne cherchent qu'à tromper et à abuser le peuple pour prolonger impunément l'injustice et la tyrannie! Non, Messieurs, il faut ou prononcer sur tous les coupables, ou prononcer l'absolution générale de tous les coupables. Voici, en dernier mot, l'avis que je propose.

Je propose que l'Assemblée décrète qu'elle consultera le voeu de la nation pour statuer sur le sort du roi; en second lieu, que l'Assemblée nationale lève le décret qui suspend la nomination des représentants ses successeurs; 3° qu'elle admette la question préalable sur l'avis des Comités.

Et si les principes que j'ai réclamés pouvaient être méconnus, je demande au moins que l'Assemblée nationale ne se souille pas par une marque de partialité contre les complices prétendus d'un délit sur lequel on veut jeter un voile.

Discours par Maximilien Robespierre à l'Assemblée nationale sur la nécessité de révoquer les décrets qui attachent l'exercice des droits du citoyen à la contribution du marc d'argent, ou d'un nombre déterminé de journées d'ouvriers (11 août 1791)

Messieurs,

J'ai douté un moment si je devais vous proposer mes idées sur des dispositions que vous paraissiez avoir adoptées. Mais j'ai vu qu'il s'agissait de défendre la cause de la nation et de la liberté, ou de la trahir par mon silence; et je n'ai plus balancé. J'ai même entrepris cette tâche avec une confiance d'autant plus ferme que la passion impérieuse de la justice et du bien public qui me l'imposait m'était commune avec vous, et que ce sont vos propres principes et votre propre autorité que j'invoque en leur faveur.

Pourquoi sommes-nous rassemblés dans ce temple des lois? Sans doute pour rendre à la nation française l'exercice des droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les hommes. Tel est l'objet de toute constitution politique. Elle est juste, elle est libre, si elle le remplit; elle n'est qu'un attentat contre l'humanité, si elle le contrarie.

Vous avez vous-mêmes reconnu cette vérité d'une manière frappante, lorsque, avant de commencer votre grand ouvrage, vous avez décidé qu'il fallait déclarer solennellement ces droits sacrés, qui sont comme les bases éternelles sur lesquelles il doit reposer.

"Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

"La souveraineté réside essentiellement dans la nation.

"La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir à sa formation, soit par eux-mêmes, soit par leurs représentants librement élus.

"Tous les citoyens sont admissibles à tous les emplois publics, sans aucune autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents."

Voilà les principes que vous avez consacrés: il sera facile maintenant d'apprécier les dispositions que je me propose de combattre; il suffira de les rapprocher de ces règles invariables de la société humaine.

Or, 1° La loi est-elle l'expression de la volonté générale, lorsque le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peuvent concourir en aucune manière à sa formation? Non. Cependant, interdire à tous ceux qui ne paient pas une contribution égale à trois journées d'ouvrier le droit même de choisir les électeurs destinés à nommer les membres de l'Assemblée législative, qu'est-ce autre chose que rendre la majeure partie des Français absolument étrangère à la formation de la loi? Cette disposition est donc essentiellement anticonstitutionnelle et antisociale.

2° Les hommes sont-ils égaux en droit, lorsque, les uns jouissant exclusivement de la faculté de pouvoir être élus membres du Corps législatif ou des autres établissements publics, les autres de celle de les nommer seulement, les autres restent privés en même temps de tous ces droits? Non. Telles sont cependant les monstrueuses différences qu'établissent entre eux les décrets qui rendent un citoyen actif ou passif, moitié actif, et moitié passif, suivant les divers degrés de fortune qui lui permettent de payer trois journées, dix journées d'imposition directe, ou un marc d'argent. Toutes ces dispositions sont donc essentiellement anticonstitutionnelles et antisociales.

3° Les hommes sont-ils admissibles à tous les emplois publics, sans autre distinction que celle des vertus et des talents, lorsque l'impuissance d'acquitter la contribution exigée les écarte de tous les emplois publics, quels que soient leurs vertus et leurs talents? Non. Toutes ces dispositions sont donc essentiellement anticonstitutionnelles et antisociales.

4° Enfin la nation est-elle souveraine, quand le plus grand nombre des individus qui la composent est dépouillé des droits politiques qui constituent la souveraineté? Non. Et cependant vous venez de voir que ces mêmes décrets les ravissent à la plus grande partie des Français. Que serait donc votre déclaration des droits, si ces décrets pouvaient subsister? Une vaine formule. Que serait La nation? Esclave; car la liberté consiste à obéir aux lois qu'on s'est données, et la servitude à être contraint de se soumettre à une volonté étrangère. Que serait votre Constitution? Une véritable aristocratie; car l'aristocratie est l'état où une portion des citoyens est souveraine et le reste sujette. Et quelle aristocratie! la plus insupportable de tontes, celle des riches.

Tous les hommes nés et domiciliés en France sont membres de la société politique qu'on appelle la nation française, c'est-à-dire citoyens français. Ils le sont par la nature des choses et par les premiers principes du droit des gens. Les droits attachés à ce titre ne dépendent ni de la fortune que chacun d'eux possède, ni de la quotité de l'imposition à laquelle il est soumis, parce que ce n'est point l'impôt qui nous fait citoyens; la qualité de citoyen oblige seulement à contribuer à la dépense commune de l'Etat, suivant ses facultés. Or, vous pouvez donner des lois aux citoyens, mais vous ne pouvez pas les anéantir.

Les partisans du système que j'attaque ont eux-mêmes senti cette vérité, puisque, n'osant contester la qualité de citoyen à ceux qu'ils condamnaient à l'exhérédation politique, ils se sont bornés à éluder le principe de l'égalité qu'elle suppose nécessairement, par la distinction de citoyens actifs et de citoyens inactifs. Comptant sur la facilité avec laquelle on gouverne les hommes par les mots, ils ont essayé de nous donner le change en publiant, par cette expression nouvelle, la violation la plus manifeste des droits de l'homme.

Mais qui peut être assez stupide pour ne pas apercevoir que ce mot ne peut ni changer les principes, ni résoudre la difficulté; puisque déclarer que tels citoyens ne seront point actifs, ou dire qu'ils n'exerceront plus les droits politiques attachés au titre de citoyen, c'est exactement la même chose dans l'idiome de ces subtils politiques. Or, je leur demanderai toujours de quel droit ils peuvent ainsi frapper d'inactivité et de paralysie leurs concitoyens et leurs commettants; je ne cesserai de réclamer contre cette locution insidieuse et barbare, qui souillera à la fois et notre code et notre langue, si nous ne nous hâtons de l'effacer de l'une et de l'autre, afin que le mot de liberté ne soit pas lui-même insignifiant et dérisoire.

Qu'ajouterai-je à des vérités si évidentes? Rien pour les représentants de la nation dont l'opinion et le voeu ont déjà prévenu ma demande; il ne me reste qu'à répondre aux déplorables sophismes sur lesquels les préjugés et l'ambition d'une certaine classe d'hommes s'efforcent d'étayer la doctrine désastreuse que je combats; c'est à ceux-là seulement que je vais parler.

Le peuple! des gens qui n'ont rien! les dangers de la corruption! l'exemple de l'Angleterre, celui des peuples que l'on suppose libres. Voilà les arguments que l'on oppose à la justice et à la raison.

Je ne devrais répondre que ce seul mot: Le peuple, cette multitude d'hommes dont je défends la cause, ont des droits qui ont la même origine que les vôtres. Qui vous a donné le pouvoir de les leur ôter?

L'utilité générale, dites-vous! Mais est-il rien d'utile que ce qui est juste et honnête? Et cette maxime éternelle ne s'applique-t-elle pas surtout à l'organisation sociale? Et si le but de la société est le bonheur de tous, la conservation des droits de l'homme, que faut-il penser de ceux qui veulent l'établir sur la puissance de quelques individus, et sur l'avilissement et la nullité du reste du genre humain? Quels sont donc ces sublimes politiques qui applaudissent eux-mêmes à leur propre génie, lorsque, à force de laborieuses subtilités, ils sont enfin parvenus à substituer leurs vaines fantaisies aux principes immuables que l'éternel législateur a lui-même gravés dans le coeur de tous les hommes?

L'Angleterre! Eh! que vous importe l'Angleterre et sa vicieuse Constitution, qui a pu vous paraître libre lorsque vous étiez descendus au dernier degré de la servitude, mais qu'il faut cesser enfin de vanter par ignorance ou par habitude? Les peuples libres! où sont-ils? Que vous présente l'histoire de ceux que vous honorez de ce nom, si ce n'est des agrégations d'hommes plus ou moins éloignées des routes de la raison et de la nature, plus ou moins asservies, sous des gouvernements que le hasard, l'ambition ou la force avaient établis? Est-ce donc pour copier servilement les erreurs ou les injustices qui ont si longtemps dégradé et opprimé l'espèce humaine, que l'éternelle providence vous a appelés, seuls depuis l'origine du monde, à rétablir sur la terre l'empire de la justice et de la liberté, au sein des plus vives lumières qui aient jamais éclairé la raison publique, au milieu des circonstances presque miraculeuses qu'elle s'est plu à rassembler pour vous assurer le pouvoir de rendre à l'homme son bonheur, ses vertus et sa dignité première?

 

Sentent-ils bien tout le poids de cette sainte mission, ceux qui, pour toute réponse à nos justes plaintes, se contentent de nous dire froidement: "Avec tous ses vices, notre Constitution est encore la meilleure qui ait existé"? Est-ce donc pour que vous laissiez nonchalamment, dans cette Constitution, des vices essentiels, qui détruisent les premières bases de l'ordre social, que 26 millions d'hommes ont mis entre vos mains le redoutable dépôt de leurs destinées? Ne dirait-on pas que la réforme d'un grand nombre d'abus et plusieurs lois utiles soient autant de grâces accordées au peuple, qui dispensent de faire davantage en sa faveur? Non, tout le bien que vous avez fait était un devoir rigoureux. L'omission de celui que vous pouvez faire serait une prévarication, le mal que vous pouvez, un crime de lèse-nation et de lèse-humanité. Il y a plus: si vous ne faites tout pour la liberté, vous n'avez rien fait. Il n'y a pas deux manières d'être libre: il faut l'être entièrement, ou redevenir esclave. La moindre ressource laissée au despotisme rétablira bientôt sa puissance. Que dis-je? Déjà il vous environne de ses séductions et de son influence; bientôt il vous accablerait de sa force. O vous qui, contents d'avoir attaché vos noms à un grand changement, ne vous inquiétez pas s'il suffit pour assurer le bonheur des hommes, ne vous y trompez pas; le bruit des éloges que l'étonnement et la légèreté font retentir autour de vous s'évanouira bientôt; la postérité, comparant la grandeur de vos devoirs et l'immensité de vos ressources avec les vices essentiels de votre ouvrage, dira de vous avec indignation: "Ils pouvaient rendre les hommes heureux et libres, mais ils ne l'ont pas voulu; ils n'en étaient pas dignes."

Mais, dites-vous, le peuple! des gens qui n'ont rien à perdre! pourront donc, comme nous, exercer tous les droits de citoyens?

Des gens qui n'ont rien à perdre! Que ce langage de l'orgueil en délire est injuste et faux aux yeux de la vérité!

Ces gens dont vous parlez sont apparemment des hommes qui vivent, qui subsistent, au sein de la société, sans aucun moyen de vivre et de subsister. Car s'ils sont pourvus de ces moyens-là, ils ont, ce me semble, quelque chose à perdre ou à conserver. Oui, les grossiers habits qui me couvrent, l'humble réduit où j'achète le droit de me retirer et de vivre en paix; le modique salaire avec lequel je nourris ma femme, mes enfants; tout cela, je l'avoue, ce ne sont point des terres, des châteaux, des équipages; tout cela s'appelle rien, peut-être, pour le luxe et pour l'opulence; mais c'est quelque chose pour l'humanité; c'est une propriété sacrée, aussi sacrée sans doute que les brillants domaines de la richesse.

Que dis-je! ma liberté, ma vie, le droit d'obtenir sûreté ou vengeance pour moi et pour ceux qui me sont chers, le droit de repousser l'oppression, celui d'exercer librement toutes les facultés de mon esprit et de mon coeur; tous ces biens si doux, les premiers de ceux que la nature a départis à l'homme, ne sont-ils pas confiés, comme les vôtres, à la garde des lois? Et vous dites que je n'ai point d'intérêt à ces lois; et vous voulez me dépouiller de la part que je dois avoir, comme vous, dans l'administration de la chose publique, et cela par la seule raison que vous êtes plus riches que moi! Ah! si la balance cessait d'être égale, n'est-ce pas en faveur des citoyens les moins aisés qu'elle devrait pencher? Les lois, l'autorité publique n'est-elle pas établie pour protéger la faiblesse contre l'injustice et l'oppression? C'est donc blesser tous les principes sociaux que de la placer tout entière entre les mains des riches.

Mais les riches, les hommes puissants ont raisonné autrement. Par un étrange abus des mots, ils ont restreint à certains objets l'idée générale de propriété; ils se sont appelés seuls propriétaires; ils ont prétendu que les propriétaires seuls étaient dignes du nom de citoyen; ils ont nommé leur intérêt particulier l'intérêt général, et, pour assurer le succès de cette prétention, ils se sont emparés de toute la puissance sociale. Et nous, ô faiblesse des hommes! nous qui prétendons les ramener aux principes de l'égalité et de la justice, c'est encore sur ces absurdes et cruels préjugés que nous cherchons, sans nous en apercevoir, à élever notre Constitution!

Mais quel est donc, après tout, ce rare mérite, de payer un marc d'argent ou telle autre imposition à laquelle vous attachez de si hautes prérogatives? Si vous portez au trésor public une contribution plus considérable que la mienne, n'est-ce pas par la raison que la société vous a procuré de plus grands avantages pécuniaires? Et, si nous voulons presser cette idée, quelle est la source de cette extrême inégalité des fortunes qui rassemble toutes les richesses en un petit nombre de mains? Ne sont-ce pas les mauvaises lois, les mauvais gouvernements, enfin tous les vices des sociétés corrompues? Or, pourquoi faut-il que ceux qui sont les victimes de ces abus soient encore punis de leur malheur par la perte de la dignité de citoyens? Je ne vous envie point le partage avantageux que vous avez reçu, puisque cette inégalité est un mal nécessaire ou incurable: mais ne m'enlevez pas du moins les biens imprescriptibles qu'aucune loi humaine ne peut me ravir. Permettez même que je puisse être fier quelquefois d'une honorable pauvreté, et ne cherchez point à m'humilier par l'orgueilleuse prétention de vous réserver la qualité de souverain, pour ne me laisser que celle de sujet.

Mais le peuple!.. mais la corruption!

Ah! cessez, cessez de profaner ce nom touchant et sacré du peuple, en le liant à l'idée de la corruption. Quel est celui qui, parmi des hommes égaux en droits, ose déclarer ses semblables indignes d'exercer les leurs pour les en dépouiller à son profit? Et certes, si vous vous permettez de fonder une pareille condamnation sur des présomptions de corruptibilité, quel terrible pouvoir vous vous arrogez sur l'humanité! Où sera le terme de vos proscriptions?

Mais est-ce bien sur ceux qui ne paient point le marc d'argent qu'elles doivent tomber, ou sur ceux qui paient beaucoup au delà? Oui, en dépit de toute prévention en faveur des vertus que donne la richesse, j'ose croire que vous en trouverez autant dans la classe des citoyens les moins aisés que dans celle des plus opulents. Croyez-vous de bonne foi qu'une vie dure et laborieuse enfante plus de vices que la mollesse, le luxe et l'ambition, et avez-vous moins de confiance dans la probité de nos artisans et de nos laboureurs, qui, suivant votre tarif, ne seront presque jamais citoyens actifs, que dans celle des traitants, des courtisans, de ceux que vous appeliez grands seigneurs, qui, d'après le même tarif, le seraient six cents fois? Je veux venger une fois ceux que vous nommez le peuple de ces calomnies sacrilèges.