Rencontres décisives

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12 . « C’est la manière dont Jésus manifeste sa dépendance absolue à l’égard de son Père » (J. D. Robert, « Jeûne » dans Vocabulaire Biblique, éditeurs J.-J. von Allmen et al., Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1964, p. 145). Sur le sens biblique du jeûne, voir Ésaïe 58.5-12.

13 . Philippiens 2.5-8.

14 . « Tiens, un portefeuille est tombé sous le siège du métro ! Et avec pas mal de billets. Ah, les gens riches ont bien trop d’argent et toi, pauvre malheureux, qui te tues au service de ces exploiteurs pour un salaire de misère ! Personne ne te voit… Prends l’argent qu’il contient ; il ne représente peut-être pas grand-chose pour son propriétaire. En plus, c’est un négligent : voilà qui est bien fait pour lui ! L’argent te fait tellement défaut en ce moment… Qui sait si ce n’est pas Dieu lui-même qui a placé là ce portefeuille, juste à ta portée, en réponse à tes prières ? »

15 . Matthieu 4.4, repris à Deutéronome 8.3. En grec, la forme verbale gegraptai au parfait dénote quelque chose qui « a été écrit et continue à être en vigueur. » Jésus alimente son contact avec Dieu à travers les Saintes Écritures. La clé de sa victoire, sa « formule magique » est gegraptai : « Il est écrit » ou « Dieu enseigne » (dans la Bible).

16 . Psaume 91.11-12.

17 . Aggée 2.7-8. Dans la Bible, la gloire divine est toujours associée à la présence des anges.

18 . « Idiote, nous sommes seuls. Ne sois pas étroite d’esprit. Personne ne s’en rendra compte. Ma femme est en voyage. Tous deux en avons envie. Pourquoi devrions-nous dépendre de ce que disent quelques papiers pour partager ce que nos corps désirent ? Qu’importe que ton mari te croie à lui seul si ce qui compte vraiment dans la vie est le plaisir du moment ? »

19 . À noter que le tentateur progresse dans ces tentations par touches subtiles de sorte à se présenter chaque fois de manière plus personnelle et plus directe. La première attaque apparaît comme une simple insinuation protectrice de la part du peiradson, le tentateur (Matthieu 4.3). La seconde se déroule comme une claire embûche du diabolos, l’infiltré, « celui qui se met au milieu », d’après le sens du terme utilisé dans l’original grec (Matthieu 4.5). Le troisième assaut le démasque comme Satan, nom que la Bible donne à l’ennemi de Dieu par excellence (Matthieu 4.10).

20 . « Le Seigneur (…) est patient envers vous : il ne souhaite pas que quelqu’un se perde, mais que tous accèdent à la repentance » (2 Pierre 3.9 ; voir aussi Jean 3. 16-17).

21 . L’essence des tentations du désert n’est pas de transformer les pierres en pain, de se jeter du haut d’une tour ni de s’agenouiller devant le diable, mais de s’écarter du projet de Dieu, d’imposer quelque chose aux autres par la force ou en se pliant aux méthodes corrompues des despotes. C’est davantage un problème de moyens que de fins car, comme le disait Gandhi, « les fins sont inévitablement conditionnées par les moyens ».

22 . « La place de direction restée libre dans l’entreprise m’attire plus que tout au monde. Je sais très bien ce que je dois faire pour que mon chef me la donne. Si quelqu’un s’en aperçoit, peut-être me considérera-t-il comme une vile sangsue qui frotte la manche à ses supérieurs afin d’avancer professionnellement. Mais c’est mon futur qui est en jeu. C’est l’occasion de ma vie et je ne vais pas la laisser passer ».

23 . De toutes les tentations auxquelles Jésus fut confronté, on ne connaît que ces trois-ci qu’il rapporta à ses disciples. Nous ne pouvons donc qu’imaginer les autres. « La dernière tentation de Jésus » ne fut pas celle qu’on lui attribue dans certains films ou certains romans, celle de la chair, bien qu’il ait aussi été tenté dans ce domaine. Jésus était jeune et il ne manquait certainement pas d’attrait.

24 . L’apôtre Jacques (1.13-15) explique que le péché naît à la fin d’un processus qui commence par l’attrait de la tentation et qui se matérialise par la consommation de faits. Étant donné notre nature pécheresse, plus nous avançons vers ce dénouement, plus nous sommes prêts à commettre l’irréparable.

25 . 1 Jean 2.16 appelle ces éléments séducteurs « les désirs de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie ». D’innombrables formes de séductions nous guettent, nous incitent à commettre des erreurs qui nous distraient de ce qui est réellement important et nous éloignent de Dieu.

26 . « Soyez sobres et veillez ; car votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant cherchant qui il va dévorer » (1 Pierre 5.8). Certaines personnes abusées prétendent que le diable n’existe pas, et celui-ci s’empare d’elles et en fait ses meilleurs instruments » (E. G. White, Témoignages pour l’Église, t. 1, Dammarie-les-Lys : Vie et santé, 2005, p. 131).

27 . La Bible dit que Jésus fut tenté comme nous en tout mais qu’il n’a jamais péché (Hébreux 4.15). Il s’agit donc de ne pas confondre tentation et péché.

28 . « Bien des personnes n’aperçoivent pas les conséquences qui découlent pour elles du conflit entre Christ et Satan; et par conséquent elles s’y intéressent peu. Pourtant ce conflit se reproduit dans chaque cœur humain. […] Les séductions auxquelles le Christ eut à résister, sont celles contre lesquelles nous luttons avec tant de peine : […] l’épreuve de la convoitise, de l’amour du monde, et du désir de paraître qui fait tomber dans la présomption. Ces mêmes tentations avaient vaincu Adam et Éve, et elles ont raison de nous trop facilement » (E. G. White, Jésus-Christ, p. 97).

29 . Puisque nous sommes des êtres déchus, notre victoire consiste à nous relever chaque fois que nous tombons, et mieux encore, à ne plus retomber. L’unique manière de vaincre la tentation est d’adopter la tactique de Jésus : recourir au secours divin. « Car, puisqu’il a souffert lui-même l’épreuve, il est en mesure de porter secours à ceux qui sont éprouvés » (Hébreux 2.18, TOB).

30 . Le Christ n’a pas succombé à la tentation, parce que « son obéissance consiste à se laisser conduire […] Celui qui met sa confiance en Dieu, en sa puissance et en sa parole, y trouve la vie » (H. Gollwitzer, La joie de Dieu. Commentaire de l’Évangile de Luc, Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1958, p. 47 et 49).

31 . Luc 4.13 (BFC et la Colombe) affirme que le diable l’a laissé tranquille « jusqu’à une autre occasion ».

32 . « Moins explicitement que Luc (4.13), Matthieu fait entendre que Satan ne laisse Jésus que provisoirement. En effet, la pensée de Matthieu est probablement la suivante : Jésus a repoussé au seuil de son ministère une tentation qui fut celle de toute sa vie […] : il a renoncé à la volonté de puissance, pour servir et mourir avec la seule autorité qu’il tenait de son Père » (P. Bonnard, L’évangile selon Saint Matthieu, Neuchâtel : Delachaux et Niestlé, 1963, p. 46).

1

Le rendez-vous

La paix du soir descend peu à peu dans la vallée. Les ombres enlacent d’abord le gué puis se lovent paresseusement le long des versants abrupts vers les cimes. Montant des mares, le croassement des grenouilles s’impose à peine au chant des grillons.

Les bêlements des troupeaux en route vers leurs bergeries s’éloignent en tremblant. Des ronces et des myrtes sourdent des bourdonnements d’abeilles plongées dans les restes douçâtres des dernières baies. En bas, au-delà des lauriers roses en fleurs et derrière des bourbiers hérissés de joncs et de papyrus, serpente le Jourdain, vert et limoneux.

À la croisée du chemin, dans la fragile fraîcheur des saules, deux jeunes gens attendent, impatients.

Ils sont arrivés dans cet endroit mystique en suivant d’autres chercheurs de Dieu. Au fond de cette profonde dépression marquée par l’histoire, dans le vide laissé par les villes foudroyées du feu divin,1 l’éloignement du ciel semble plus douloureux et la nostalgie de s’en approcher étreint plus intensément.

De leur précaire observatoire les voyageurs aperçoivent, accroché à la dernière falaise du désert, le monastère que les Esséniens édifièrent là, face à la mer Morte, pour conserver à jamais les maudits effets du péché sous les yeux des moines et les en éloigner par leurs rites ascétiques.

Si André et son ami se décidaient à céder à de tentantes invitations, ils pourraient frapper à sa porte ce soir même et solliciter leur entrée dans la communauté. Un novice de leur âge au front sévère, au regard ardent, fièrement drapé dans sa tunique blanche, leur a récemment vanté les vertus purificatrices de la spiritualité monacale :

« La libération du mal passe par le retrait du monde. Il n’y a pas de salut possible en Israël. N’écoutez pas son clergé apostat : il vous trompe ! Nous les reclus sommes le reste fidèle, ceux qui vivent la sainteté qu’exige le jugement divin. Vos docteurs corrompus ne détiennent pas la vérité. Seul le Maître de Justice l’enseigne. Garder ses préceptes est l’unique chemin menant au royaume de Dieu.2

 

Le garçon paraissait très convaincu. Mais accède-t-on au royaume de Dieu rien qu’en renonçant au monde ? Fuir le danger n’est-il pas de la lâcheté ? Leurs amis zélotes avec lesquels ils se réunissaient parfois clandestinement leur affirmaient presque le contraire :

« Nous devons imposer et construire nous-mêmes le royaume de Dieu, si nécessaire en rompant le joug de l’oppresseur idolâtre. Nous devons lutter de toutes nos forces et de nos propres mains contre les ennemis de l’Éternel des armées, même jusqu’au sang si nous voulons que le Messie vienne nous libérer de Rome et de tous nos maux. »

Leurs amis zélotes étaient eux aussi très sincères, fanatiques et courageux jusqu’au sacrifice. L’un d’eux était récemment mort martyr, crucifié comme terroriste.

Qui suivre ? Quel est le chemin du salut ? Lutter à mort contre les adversaires de Dieu ou s’isoler du monde ? Voilà ce qui tourmentait l’esprit idéaliste des jeunes voyageurs.

« Sot dilemme ! Le ciel n’appartient qu’à Dieu. Pour les mortels, il n’y a de royaume que celui qu’ils se procurent. Le Tout-Puissant distribue bénédictions et châtiments dans cette vie parce qu’il n’y en a pas d’autre. Il récompense ou sanctionne sans que nous connaissions le pourquoi de ses décisions » répondaient avec morgue les Sadducéens.

Ce à quoi les pharisiens alléguaient :

« Grave hérésie ! La Torah indique très clairement la route à suivre : Dieu sauve celui qui observe sa loi. Au jugement dernier la justice divine se révélera inexorable à propos du comportement dans cette vie. Nos œuvres nous sauvent ou nous condamnent. Le Juge suprême décide si nos bonnes actions, nos prières, nos jeûnes et nos aumônes pèsent plus lourd dans la balance que nos péchés. »

Perplexes, les jeunes gens ne savent dans quelle direction s’engager. Voilà pourquoi ils sont venus de si loin jusqu’ici, au gué de Bethabara, poussés par leur confusion et leur soif d’absolu pour écouter en personne le nouveau prophète. Interpellés par son message, ils ont aussitôt répondu à son appel :

« Repentez-vous car le royaume des cieux s’approche. Que vos fruits prouvent la conversion de vos cœurs ! Laissez Dieu vous laver de votre passé par le baptême et renaissez à une nouvelle vie ! Seul Dieu peut nous sauver de nous-mêmes, nous transformer par sa puissance. Je vous baptise d’eau pour marquer la rupture avec votre passé. Or celui qui vient après moi vous immergera dans l’Esprit. »

Ils ont entendu ses propos de leurs propres oreilles : pour étancher leur soif spirituelle, les voyageurs doivent s’orienter vers un nouveau guide qui n’est pas le Baptiste.

« N’est-ce pas toi le Messie attendu ? avaient insisté ses opposants.3

- Non, je ne le suis pas. Je ne suis qu’une voix qui crie dans le désert pour lui préparer le chemin. Le maître qui vient sera votre guide. L’Agneau de Dieu annoncé, c’est lui ! Lui seul est capable de sauver le monde de ses péchés. »

La piste semble peu claire. Mais les voyageurs savent maintenant que la clé de ce qu’ils cherchent ne se trouve pas dans la plaine du Jourdain. Pas non plus dans les cellules de Qumram. Ni dans le temple de Jérusalem, ni dans les salles de classe des docteurs de la loi, ni dans les cercles des sicaires. Le sauveur promis indiquera la direction à suivre.

Soudain leur curiosité s’enflamme. Le prophète leur signale d’une main chétive un marcheur qui descend au loin le flanc de la montagne :

« Enfin, le voilà ! C’est lui ! Suivez-le où qu’il vous conduise. »

Un homme au visage anguleux brûlé par le soleil s’approche en sifflotant. C’est le maître à suivre. L’émotion exalte les jeunes gens qui s’élancent à sa rencontre.

Comme le pèlerin ne se sait pas attendu, il continue sa route.

Bien que son pas soit ferme, il ne semble pas pressé et les jeunes gens n’ont aucune peine à le rejoindre. Intimidés à son approche, ils n’osent lui adresser la parole. Ils lui emboitent le pas. Dès que le voyageur les remarque, il s’arrête en souriant et leur demande d’une voix grave mais accueillante :

« Que cherchez-vous ? »4

Surpris, incapables de formuler ce qu’ils cherchent, les jeunes hommes restent cois. Ils se sentent désorientés, inquiets, insatisfaits. Ils désirent trouver une voie qui donne sens à leur vie, qui les rende heureux. Ah ! S’ils pouvaient mettre des mots sur l’objet de leur quête !

Le Baptiste a donné au maître itinérant le titre « d’Agneau de Dieu ».5 Curieux… Serait-ce une clé ou un code secret destinés à éclairer un mystère ? Ils ne disposent pour le moment que de trop peu de données permettant de résoudre l’énigme. Un agneau de Dieu, si loin du temple, en marge des autels, étranger au cercle des prêtres et de leurs sacrifices ?

L’étrange voyageur, qui ne sent ni l’encens ni la fumée mais qui exhale les senteurs sauvages du thym et du romarin, répète sa question. Oh ! Rien à voir avec les rites, le clergé ou la théologie ! Elle les concerne, eux, leur vie, leur ici et leur maintenant :

« Que cherchez-vous ? »

Leur quête ne diffère pas fondamentalement de ce que d’autres jeunes gens sérieux cherchent à un moment donné de leur vie. En dehors de toute urgence immédiate, ils voudraient trouver ce qui leur manque réellement pour orienter leur existence insatisfaite : un guide fiable, une amitié durable, quelqu’un avec qui partager la vie, une vocation gratifiante, une foi, un projet qui fasse rêver.

« Que cherchez-vous ? » insiste le voyageur.

Puisqu’ils n’arrivent pas à visualiser ce qu’ils cherchent, ils s’en sortent par une autre question :

« Maître, où demeures-tu ? »

Maintenant qu’ils l’ont trouvé, il ne faut pas le perdre ! Ils doivent pouvoir le rencontrer quand ils en ont besoin. Leur question équivaut indirectement, peut-être même inconsciemment, à la réponse : « C’est peut-être toi que nous cherchons. » Parce que nous cherchons souvent quelque chose sans le savoir alors qu’en réalité nous avons besoin de Quelqu’un.

Les deux amis voudraient savoir où ils peuvent écouter les enseignements du nouveau rabbi recommandé par le Baptiste. Pour l’instant ils n’attendent rien, ne demandent rien de spécial. Ils ne se sentent pas dignes de l’attention personnelle de quelqu’un comme lui. Ils désirent juste se joindre au groupe de ses éventuels disciples. Ils aspirent à ce qu’il leur donne accès au privilège dont profitent les disciples des rares maîtres qu’ils connaissent dans leur entourage : pouvoir après les occupations quotidiennes s’abreuver à la source de son savoir. Ils ont tant d’inquiétudes qu’une brève entrevue au bord du chemin ne suffirait à les combler. Ils désirent être seuls à seul avec lui, s’asseoir à ses pieds et recevoir ses enseignements.6

Leur timide et respectueuse requête dévoile qu’ils sont plus jeunes que celui qu’ils appellent déjà « Maître ».7

Jésus comprend bien leur demande. Lui aussi sait que « demeurer » représente plus que s’arrêter un moment. Demeurer c’est habiter, vivre, rester. Or il n’a pas l’intention de rester là à côté du désert. Voilà pourquoi il ne leur indique pas un lieu mais une présence :

« Venez et voyez. »

C’est-à-dire : « Suivez-moi ».

À la surprise des voyageurs, le nouveau maître ne se confine en aucun domicile fixe. Il habite dans le « venir » et le « voir » de ceux qui le suivent. On le rencontre en allant et venant : en sortant d’où nous sommes et en découvrant ce qui nous ne voyions pas. En nous approchant de lui et en l’observant attentivement.

Pour que ses compagnons de route trouvent ce qu’ils cherchent, il leur suffit de l’accompagner et d’ouvrir les yeux du cœur.8 Tout simplement. L’essence de leur recherche est tout entière contenue dans ces deux verbes d’action, qu’il conjugue comme deux invitations : « Approchez-vous de moi et gardez grands ouverts les yeux de votre âme ».

Car Celui qu’ils cherchent se rencontre partout. Dans les lieux sacralisés à cet effet – temples, chapelles, basiliques ou monastères - auxquels d’aucuns voudraient limiter les privilèges de la rencontre pour les garder jalousement sous leur propre tutelle, mais aussi dans les endroits les plus inattendus.

Jean et André découvrent par contre que pour trouver Dieu, il suffit de suivre Jésus.

Ce chaleureux accueil, cet intrigant message et ce charme attachant de la voix de Jésus déconcertent ceux qui sont habitués à être guidés à coups d’ordres et de prohibitions. Ils en sont d’autant plus décontenancés que Jean le Baptiste lui-même les a incités à la conversion en brandissant des menaces de haches et de feux.9 Jésus leur propose la même transformation radicale mais en empruntant une autre voie. Même s’il recourt parfois aussi à des images fortes. Le moment est venu d’inaugurer une nouvelle période dans l’expérience spirituelle de ces jeunes gens. Le discours du Baptiste a servi en son temps pour susciter en eux la crainte du jugement divin. Or le nouveau maître estime que ces jeunes n’ont désormais plus besoin de trembler de peur. Ils doivent frémir d’enthousiasme !10

Il connaît la nature de leur soif. Il sait ce qui peut transformer leur vie. Voilà pourquoi il les invite à le suivre sans ordres ni exigences, sans recourir ni de loin ni de près à la menace du châtiment. Sa pédagogie ? Une simple et cordiale bienvenue. Celle-ci suscite immédiatement en eux des désirs profonds et positifs : découvrir, progresser, avancer, croître.

Le jeune rabbi vient de rencontrer ses deux premiers disciples.11

Il a renoncé à la routine facile de sa profession d’artisan pour suivre la difficile vocation d’éducateur. Il a cessé de construire et de meubler des maisons pour se mettre à construire et à meubler des esprits. Quel défi ! Cet appel s’impose pourtant à lui avec toute la force du ciel.

Son entourage a insisté sur le fait qu’il commettait une grave erreur en fermant son atelier de charpenterie. Il était un excellent artisan au talent exceptionnel. Abandonner la modeste sécurité de sa clientèle équivalait à mettre en péril son futur. Quelle folie ! Il en va souvent ainsi. Si les pires résistances à faire quelque chose de grand viennent habituellement de nous-mêmes, l’opposition la plus farouche à assumer de nouveaux risques peut surgir de ceux qui nous aiment le plus.

Mais Jésus ne cherche pas une vie facile à l’abri de sa nombreuse parenté.12 Il veut une vie utile même si personne ne l’appuie. Son idéal ne relève pas de ce monde. C’est pourquoi il n’est pas comme tout le monde. Il a un rêve, un grand projet. Il veut construire un monde meilleur en changeant la vie des gens.13 Il n’a ni expérience ni diplômes ni moyens ni influence. Mais il a Dieu de son côté. Cela lui suffit pour se sentir optimiste, courageux et fort.

Et puis ses deux premiers disciples attendent déjà leur première leçon.

Cette leçon initiale est la plus importante de toutes. Elle détermine toutes les autres, de la première à la dernière.14 Elle consiste simplement à découvrir la puissance que transmet la présence divine dans la vie de celui qui la cherche. Car là où est Jésus, là est Dieu. Il se plaît à accompagner ceux qui le cherchent sincèrement, si jeunes, si désorientés soient-ils.

Aucun endroit du chemin qui relie la mer Morte à Jéricho n’est habité. Pourtant le maître conduit sans hésiter ses nouveaux amis au lieu où il dit résider en ce moment. Probablement là où il a logé durant sa visite au Baptiste, environ quarante jours auparavant. L’une des grottes si nombreuses dans la zone ? Un appentis de joncs au bord de la route où s’abritent l’un après l’autre les gens de passage ? Ou encore l’endroit qu’il a choisi pour planter la tente de voyage amarrée à son sac à dos qu’emportent tant de marcheurs ?15 Les vieux textes restent muets à ce sujet. Par contre ils précisent que les jeunes gens accompagnèrent le rabbi itinérant, virent où il habitait et qu’il partagea avec eux son logement de fortune jusqu’au jour suivant.

Bientôt ils décideraient de rester avec lui pour toujours.16

Ils n’oublieront jamais l’heure exacte de ce moment décisif : la dixième heure de la journée, la dernière heure de l’après-midi.17

Le jour décline. Tandis que les trois jeunes marcheurs baignent dans les derniers rayons dorés du couchant, un sentiment tout nouveau pointe dans leur cœur.

 

Rencontre magique, cruciale. Pour les disciples novices. Pour le nouveau maître.

De quoi parlent-ils durant cette inoubliable veillée sous les étoiles ? Les écrits des protagonistes ne le rapportent pas.18 Sauf un détail : le moment où ces jeunes gens rencontrent Jésus et décident de rester avec lui devient un marqueur dans leur histoire. Parce qu’ils ont trouvé en lui ce qu’ils cherchaient, beaucoup de choses qu’ils ne cherchaient pas, d’autres qu’ils cherchaient sans le savoir et quelque chose de meilleur que ce qu’ils étaient en train de chercher.

La leçon que le nouveau maître commence à leur enseigner concerne un verbe conjugable à toutes les personnes, à tous les temps et à tous les modes : aimer.19

Verbe irrégulier et imprévisible. Parce qu’il n’aime pas les impératifs, qu’il lui manque les temps parfaits, que son présent est généralement imparfait et son futur conditionnel. Un verbe qui exige d’être expérimenté sous toutes ses formes et accompagné de tous ses synonymes : désirer, apprécier, accueillir, soutenir, valoriser, respecter, partager. Mais comme la conjugaison de ce verbe étouffe dans les livres, ces premiers disciples doivent l’apprendre dans l’action.

Quel étonnement lorsqu’ils constatent que le verbe aimer personnifié est venu à leur rencontre ! Qu’il les a trouvés là dans ce trou perdu, dans ce bivouac imprévu.20 Si aimer vraiment est chercher le bien de l’autre, est vouloir son bonheur, alors oui, ces deux disciples découvrent en Jésus l’amour incarné, solidaire, inconditionnel. Non un sentiment éphémère mais un moteur en action, le principe vital qui leur fait reconnaître en leur maître quelqu’un qui vient de Dieu.21

Jean, probablement le disciple le plus jeune, fait plus tard allusion à ce sentiment aussi indéfinissable que nouveau qu’il commença à éprouver ce jour-là face à l’étonnante capacité d’empathie du Maître : le sentiment de se sentir accepté et compris sans avoir à exprimer de la gratitude pour tant d’affection. Et à partir de ce moment-là, il s’arroge avec audace le titre honorifique que personne n’aurait jamais osé afficher : « le disciple que Jésus aimait ».22

Apprendre à conjuguer le verbe aimer…. Première leçon si simple mais ô combien difficile et vaste du nouveau maître à ses premiers disciples et à tous ceux qui les suivront ! Leçon à entamer sur-le-champ, à poursuivre chez eux, dans leur quartier, dans leur village, dans l’atelier où ils travaillent, là où ils se détendent et, bien sûr, dans le sanctuaire où ils adorent. Si le verbe divin s’est approché d’eux par amour, mettre en pratique le verbe aimer dès maintenant sera aussi le moyen de s’approcher de l’autre et de s’élever vers le ciel.

L’amitié de Jésus fait découvrir aux jeunes gens tout ce qu’il leur faut pour donner un sens à leur vie. Que se recueillir dans la solennité d’un temple n’est pas nécessaire pour sentir la présence de Dieu mais que celle-ci se trouve aussi dans la fraîche embrassade de l’eau lors d’une baignade nocturne. Que pour entrer en communion avec le sustentateur de toutes choses, il ne faut pas nécessairement participer au rituel d’un sacrifice ; l’on peut communier avec lui en partageant avec gratitude quelques grenades et une poignée figues ou de dattes. Qu’il n’est pas besoin d’initiation mystique pour s’approcher du Créateur de l’univers ; il suffit de se laisser porter par l’émotion en contemplant les étoiles.

Les voyageurs ont rencontré le maître qu’ils cherchaient. Mais celui-ci les déconcerte. Il rompt tous leurs schémas. Ils ne savent comment le définir : conseiller admirable, maître, ami, chemin à prendre, guide de leur route…

Lorsqu’il leur parle de buts à atteindre, d’amour incarné, de joie sereine, de vérité, de vie et de bien d’autres sujets fondamentaux, ses paroles sont à la fois si simples et si profondes que chacune de ses réflexions semble inépuisable. De sorte qu’ils n’arrivent jamais au fond de ses pensées.

Il les déroute. Car le maître caresse avec un saisissant réalisme le rêve impossible des prophètes et des réformateurs les plus ambitieux : changer le monde !

Et eux veulent faire partie de ce rêve.

Mais seront-ils capables de suivre le maître dans cet impensable projet ?

1 . La plaine fertile de Sodome et Gomorrhe se situe dans la dépression de la mer Morte. Selon la tradition, ces villes furent consumées par le feu tombé du ciel (Genèse 19.1-28).

2 . Sur la communauté essénienne de Qumram, voir Flavius Josèphe, Guerre des Juifs contre les Romains, livre II, 12, trad. A. D’Andilly, Paris : LIDIS, 1968-1973, p. 707-713.

3 . Jean 1.19-28.

4 . Ce sont les premières paroles de Jésus enregistrées dans les évangiles (Jean 1.35-39).

5 . Jean 1.35-37.

6 . E. G. White, Jésus-Christ, p. 120-121.

7 . Mes études des Évangiles m’ont conduit à la conclusion que ces premiers disciples de Jésus avaient moins de trente ans. La première et principale raison est qu’ils l’appellent “rabbi” (maître). Quant à Jésus, il avait alors environ trente ans (Luc 3.23) et n’avait encore jamais enseigné, parce qu’il était charpentier. Dans cette société patriarcale traditionnellement gérontocratique, il était inconcevable qu’un maître soit plus jeune que ses disciples. Encore moins qu’il se risque à exercer avant les quarante ou cinquante ans. Si ces jeunes gens s’adressent à Jésus en l’appelant “rabbi”, c’est parce qu’ils étaient nettement plus jeunes que lui. Jusqu’à la fin de son ministère, Jésus continue à les appeler paidia (Jean 21.5), terme grec qui signifie “enfants” ou “petits enfants”. Les désigner ainsi serait impensable dans cette culture s’ils avaient été plus âgés que lui. Le plus probable est qu’ils devaient avoir alors une vingtaine d’années. Leur jeunesse expliquerait leur énorme disponibilité qui leur permit de suivre Jésus à plein temps pendant plus de trois ans, ce qui aurait été très difficile s’ils avaient eu des familles à entretenir (Luc 18.28-31).

8 . « Jésus-Christ qui ordonne qu’on le suive est le seul à savoir où conduit cette voie. Quant à nous, nous savons en toute certitude que ce sera une voie d’une infinie miséricorde. Vivre en disciple c’est la joie » (D. Bonhoeffer, Vivre en disciple : Le prix de la grâce, Genève: Labor et Fides, 2009, p. 20).

9 . Voir Matthieu 3.7-10 et ses parallèles.

10 . Jésus menaçait seulement ceux qui se délectaient à menacer les plus faibles qu’eux, c’est-à-dire les scribes et les pharisiens qui pensaient que la peur permet d’obtenir les changements désirés. Mais des menaces ne résultent que changements extérieurs et passagers. La véritable transformation naît à à la fois de l’intérieur et d’en-haut.

11 . Le terme « disciple » désigne celui qui suit un maître auprès duquel il se forme.

12 . Les Évangiles disent que Jésus avait quatre frères appelés Jacques, Joseph, Simon et Judas, ainsi que plusieurs sœurs (Matthieu 13.55).

13 . « Il est préférable de percevoir la vie de Jésus en termes de changement plutôt qu’en termes de conservation. Il fut le Réformateur des réformateurs, et son levier de réforme fut la révélation du plan divin pour l’humanité » (G. Knight, Philosophie et éducation, Introduction et approche chrétienne, Collonges-sous-Salève : Faculté adventiste de Théologie, 2004, p. 265).

14 . Selon Matthieu 28.20, les dernières paroles de Jésus seront : « Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde ».

15 . Paul de Tarse, le grand disciple de Jésus, gagnait sa vie en fabriquant cette sorte de tentes (Actes 18.1-3).

16 . Cette disponibilité confirme que ces disciples étaient jeunes. Quelques-unes de leurs réflexions, comme celle que rapporte Matthieu 19.10 - “S’il en est ainsi, mieux vaut ne pas se marier” – donnerait à entendre par l’usage du temps aoriste, qu’ils étaient encore célibataires. Le fait que l’on trouve un peu plus tard le disciple Pierre déjà marié ne signifie par pour autant qu’il ait été un homme d’âge mûr. En effet, l’âge idéal recommandé par les rabbins pour se marier fluctuait entre seize et vingt-quatre ans. Il est d’ailleurs bien plus facile de comprendre l’impulsion de Pierre à vouloir marcher sur l’eau (aujourd’hui, on dirait “surfer sans planche”) si on l’attribue à un emportement juvénile que le maître ne se soucie guère de satisfaire, plutôt qu’à une décision d’un adulte mûr qui ne se serait normalement pas risqué à pareil jeu (Matthieu 14.28-33). Quelque trois ans plus tard, Pierre et Jean courent à qui mieux mieux vers le sépulcre. Bien que bouleversé, Jean exprime naïvement sa satisfaction d’être arrivé le premier (Jean 20.3-8). Si l’on ajoute à cela qu’il était mal vu dans cette société que les adultes courent en public, cet incident apparaît clairement comme une affaire de jeunes gens.