L'Épice

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Le docteur fut abasourdi par les résultats. Cake possédait au moins un tiers de gènes récepteurs olfactifs en plus que les autres êtres humains, et davantage que la plupart des autres mammifères.

Le docteur avait mené des recherches sur des individus et c’est chez un sommelier italien qu’il en avait trouvé le plus, avec 980 gènes récepteurs, légèrement plus que la moyenne chez les êtres humains moyens, qui était inférieure à 900. Cake en possédait plus de 1400, légèrement moins que la souris, qui détient un record de 1500 gènes olfactifs.

Le médecin avait l’air excité lorsqu’il demanda à étudier Cake et faire des recherches sur sa mutation, mais parut déçu lorsque Cake déclina, au motif que le médecin lui donnait l’impression d’être X-Man. Il était simplement un gars normal doté de perceptions élevées et maintenant qu’il en avait trouvé la raison, c’était tout ce qu’il avait besoin de savoir.

Cake resta au Savoy pendant plusieurs années, son nom devint synonyme de grande confiserie. Sa réputation se répandit grâce à des articles sur son travail dans les journaux et magazines de cuisine qui le présentaient comme le « Le Pâtissier phénomène ». Le Prince Charles se faisait régulièrement livrer de la confiserie de Cake à Clarence House.

Cake eut plusieurs rendez-vous avec des femmes cheffes, qu’il trouvait d’habitude ennuyeuses et qui sentaient la graisse de cuisine.

* * *

Quelques années plus tard, le Savoy changea de mains. Les nouveaux propriétaires étaient une entreprise. Leur seule préoccupation était l’argent, le profit, les objectifs et les budgets. Cake passait plus de temps dans les papiers qu’à faire ce qu’il aimait, aussi il se découragea. Il avait reçu de nombreuses offres et après avoir pris conseil auprès de Jimmy, il accepta l’offre d’un nouvel hôtel à Richmond, dans le Grand Londres, l’Avalon. Il gagnerait la même chose qu’au Savoy avec des bonus et dirigerait la pâtisserie, certes, mais sans toute la paperasse qui serait gérée par un administrateur. Le Savoy proposa à Cake une augmentation de salaire substantielle et un bonus important pour l’inciter à rester, mais il refusa et quitta son employeur.

Cake appréciait le travail chez Avalon. Du haut de ses trente-trois ans, il se sentait à l’aise, goûtant les joies de la liberté et de la responsabilité.

Il avait gagné sa qualification pour la ceinture noire de kickboxing avant de quitter le Savoy. Après ses débuts à Avalon, il s’était rendu au Tojo Kickboxing Club, qui officiait dans le gymnase du Centre de loisirs Kings à proximité.

Là, pendant que quelques kickboxeurs s’entraînaient, il avait posé sa besace et faisait un tour dans le gymnase en attendant que quelqu’un remarque sa présence.

Une femme attirante vint et lui sourit.

Cake rendit le sourire, pensant en lui-même, un brin sarcastique : « Oh, elle est trop jolie pour être une kickboxeuse. Probablement une supporter ».

« Que voulez-vous ? », demanda la jeune femme avec un accent cockney prononcé.

« Je veux m’inscrire au club de kickboxing », répondit Cake.

« Pourquoi ? », répondit son interlocutrice, « vous croyez que vous êtes un dur ? ».

Les autres tout autour regardaient la scène, amusés.

« Assez dur », dit Cake, interloqué par la brusquerie de cette femme, « Je suis un… ».

Sa phrase fut arrêtée nette lorsqu’elle lui asséna un coup sur le nez.

Cake eut l’air choqué comme elle se préparait à le frapper à nouveau. Il bloqua son coup, aussi elle frappa sa jambe et recula dans une posture d’attaque.

« La première leçon, dit la femme, être toujours prêt ». Elle lança ensuite un assaut vicieux, frappant Cake de ses poings et de ses pieds. Il fut frappé à nouveau, bien qu’il ait bloqué la plupart des coups. En colère maintenant, il répliqua, en cognant son adversaire qui bloqua chacun de ses coups et le frappa à nouveau sur le nez. Cake devenait furieux. La jeune femme, remarquant cela, recula et sourit.

« D’accord, tu peux t’inscrire. Mais tu dois travailler sur ta défense et ton karma ; c’était trop facile de t’agacer pour te pousser à la faute ».

Cake fixait cette adversaire redoutable et s’aperçut que les autres kickboxeurs ricanaient, ne perdant pas une miette du spectacle.

« Mon nom est Jade », dit la femme en tendant la main. « Je suis l’instructrice en chef ».

Cake la regardait, perturbé. « Donc vous attaquez tout le monde ? Que serait-il arrivé si je n’avais pas pu me défendre ? Vous avez de la chance que je sois un kickboxeur ».

Jade ricana et répondit : « Je n’attaque pas tout le monde, seulement les présomptueux ». Elle indiqua le sac de Cake et le badge en coton brodé bien en évidence, représentant le logo Zendo de sa ceinture noire enroulée autour de se poignée.

Cake regarda son sac et sourit à la femme.

« Oh ! », balbutia-t-il, embarrassé. « Mon nom est Ben, mais tout le monde m’appelle Cake ».

* * *

Après ce contact initial musclé, Cake et Jade sentirent des atomes crochus. Cake trouvait Jade intrigante, terre à terre, et elle ne sentait pas l’huile de friture. Jade trouvait Cake gentil, humble et plutôt attirant. Tout le monde remarqua par leurs regards prolongés qu’ils étaient attirés, et les paris allèrent bon train sur lequel des deux aurait le courage d’annoncer sa flamme. Malgré leur sentiment profond réciproque, ils étaient tous les deux timides et n’étaient pas sûrs des sentiments de l’autre.

Cake ne pouvait détacher sa pensée de Jade et les séances de kickboxing devenaient l’événement majeur de sa semaine.

Le salon de coiffure où Jade travaillait organisa une réunion dans une boîte de nuit pour la soirée de Noël et Jade invita les kickboxeurs. Cake ne se sentait pas à l’aise dans la grande salle du nightclub. La fête prenait un air familier et des petits groupes se formaient. Jade se rendit compte que Cake semblait mal à l’aise comme un petit chiot perdu. Elle laissa son groupe de collègues coiffeuses et s’approcha de lui. Cake se tenait seul, debout, une bouteille de Bacardi Breezer à la main, regardant le parterre de danse bondé.

« Contente que tu aies pu venir », lui cria Jade pour couvrir la musique tonitruante.

« Merci de m’avoir invité ».

Il y eut ensuite un silence gêné tandis que la musique couvrait tout. Aucun des deux ne savait comment poursuivre et ils se regardèrent pendant un moment, jusqu’à ce que Jade se décide à demander : « Tu sens bon, qu’est-ce que tu t’es mis ? », pensant sûrement à son parfum après-rasage.

Cake sembla réfléchir, ricana et répliqua : « Un parfum pour les durs, mais je ne pensais pas que tu pourrais le sentir », répondit-il en riant.

Jade sembla confuse, puis comprit. Cela brisa la glace, et Jade rigola en disant : « Eh bien, cela serait dommage de le gaspiller ». Elle prit la bouteille de ses mains et la posa sur la table.

« Sortons de là et trouvons un endroit plus calme », dit-elle, suggérant : « Allons chez moi ».

Le couple sortit main dans la main du club, au milieu des acclamations des kickboxeurs.

Jade avait quelques années de plus que Cake, une chevelure châtain ondulée, des yeux marron et des traits malicieux. Elle avait l’air d’une Catherine Zeta-Jones en plus petite et plus musclée. Cake admirait son corps féminin bien dessiné comme ils reposaient enlacés, nus dans les bras l’un de l’autre par un matin de Noël glacé dans le lit à une place de l’appartement de Jade au-dessus du salon de coiffure.

Cake avait la nausée rien qu’en sentant les produits chimiques forts qui émanaient du salon, qu’il pouvait également sentir sur Jade, bien qu’elle ait meilleure odeur que les cuisinières qu’il connaissait.

C’était la première relation sérieuse pour chacun d’entre eux. Cake et Jade devinrent inséparables, passant tout leur temps libre ensemble. Cake informa Jade de ses sens olfactifs exceptionnels, l’assurant qu’il n’était pas un insolent borné lorsqu’il affirmait qu’il ne pouvait pas rester au salon le soir à cause des effluves nauséabonds. L’odeur d’ammoniac en particulier lui donnait des haut-le-cœur.

Bien qu’ils gagnent bien leur vie tous les deux, le prix astronomique des logements à Londres poussa Cake à s’inscrire à des concours de pâtisserie afin de pouvoir acheter un appartement.

Le couple réunit une somme conséquente et, à l’aide d’un prêt complémentaire, jeta son dévolu sur un appartement huppé entre Avalon et le salon de Jade dans le quartier résidentiel de Knightsbridge.

Follement amoureux, ils profitaient de leur vie à deux, prévoyant de se marier dès qu’ils se sentiraient prêts à fonder une famille.

Pour l’instant, ils appréciaient de vivre sous les feux de la rampe du « Pâtissier Phenom », grâce aux concours que Cake remportait les uns après les autres.

Jade surprenait Cake fréquemment. Elle était une coiffeuse-styliste dotée d’un sens tordu de l’humour. Elle affichait un intérêt étrange pour l’horreur, comme Cake le découvrit lorsqu’elle écrivit un roman sur un cocaïnomane qui sniffait les cendres d’un vampire inconnu désintégré qui s’avéra être Keith Richard, qu’elle publia.

En trois ans de travail chez Avalon, Cake s’était bâti une réputation de première classe. Lorsque les propriétaires annoncèrent qu’ils avaient vendu au profit d’une grande entreprise, Cake se rappela son expérience au Savoy et décida qu’il était temps de bouger et donna son préavis peu de temps avant le trophée du Pâtisserie de l’année.

En dépit des offres d’emploi d’autres restaurants très en vue et de l’offre d’une augmentation généreuse de sa rémunération par Avalon, Cake, au sommet de sa profession, voulait impliquer Jade dans une entreprise de pâtisserie.

 

Cake se réjouissait à l’idée qu’il participait pour la dernière fois au « Trophée du Pâtissier de l’année » ou à toute autre cérémonie de récompenses, car seuls les chefs parrainés par de grands hôtels et restaurants pouvaient se présenter. Cake se sentait toujours mal à l’aise et il réalisa qu’il avait l’air affreux dans son costume, son corps trapu se balançant sur des jambes maigres. Les meilleurs tailleurs londoniens lui confectionnaient des tailleurs sur mesure, néanmoins ils pendaient comme si une main maladroite et aveugle les avait faits. Il avait toujours ressenti cela comme une injustice face à ses rivaux car son sens olfactif élevé, son palais parfait et son talent exceptionnel lui donnaient un avantage définitif sur eux. Il voulait maintenant amener ses arômes et délicatesses du Sud et sa clientèle décadente pour les offrir au Nord. Le couple se fréquentait depuis trois ans déjà. Ils trouvèrent des locaux dans le centre-ville de Lincoln et les convertirent en une boulangerie-pâtisserie, ce dont Cake rêvait depuis longtemps.

Jade voulait tenter l’aventure au Nord avec Cake et l’aider dans ses efforts. Bien qu’elle soit satisfaite de sa vie à Londres et sache qu’elle regretterait l’argent et l’adulation londonienne que lui procurait son fiancé superstar de la cuisine, elle avait compris que Cake était malheureux de travailler dans les grands hôtels. Jade avait un travail bien payé et, en ajoutant le salaire de Cake et ses prix de concours, ainsi que ses bonus, malgré leurs remboursements de prêt à Londres, ils réunirent suffisamment d’argent pour financer leur affaire à Lincoln, qui était presque achevée ; Jade se rendait régulièrement à Lincoln pour vérifier la progression du bâtiment. Cake finissait son travail à Avalon dans quelques semaines, et ils déménageraient tous les deux dans la ville du Nord.

* * *

Le grand jour arriva et la « Boulangerie-Pâtisserie CAKE » ouvrit ses portes au public. Pour Cake et Jade, il était maintenant temps de voir si les fruits de leur travail allaient payer. Ils se tenaient dans la pâtisserie comme des parents fiers de montrer leur nouveau-né au monde.

« Cet endroit sent merveilleusement bon », dit Jade en embrassant Cake, qui préparait et était aux fourneaux avec ses deux boulangers depuis cinq heures du matin, propageant des arômes divins dans toute la boutique.

Cake avait l’air nerveux et jetait des coups d’œil au personnel debout devant les vitres des présentoirs remplis de pâtisseries et de gâteaux décoratifs. Il regarda ses deux boulangers à travers la cloison en verre de la boulangerie, puis se tourna vers Jade, soupira en plissant le front et demanda : « Est-ce que tout a l’air OK ? ».

Jade prit sa main et dit : « C’est parfait, ne t’inquiète pas ».

« Je ne vois personne faisant la queue dehors », dit Cake en regardant à travers la vitrine. Il jeta un coup d’œil à la pendule. « Il est sept heures quarante-cinq », lança Cake, bougeant nerveusement.

Deux hommes frappèrent alors à la porte.

« Il était temps qu’ils arrivent », dit Jade, qui déverrouilla la porte, laissa entrer les hommes, et reverrouilla la porte.

« Désolé, nous sommes en retard », dit Kris Pinyoun, gardien de but du Lincoln city FC, qui arrivait avec un photographe de la gazette de Lincoln pour couvrir l’ouverture de l’établissement.

Jade regarda dehors, soupira, et verrouilla la porte.

Cake, Jade, les serveuses et Kris se dirigèrent vers le centre de la boutique et se tinrent autour d’un gâteau composé Louis Vuitton en exposition. Le photographe prit des clichés de Jade en train de couper le gâteau et de tendre un morceau à Kris, qui coupa un morceau avec sa fourchette sur l’assiette. Le photographe prit un instantané au moment où Kris plaçait le petit morceau dans sa bouche. Son expression changea tandis que le gâteau délicat se dissolvait dans sa bouche et qu’il savourait les parfums.

« Belle posture », pensa le photographe qui continua à mitrailler le footballeur ravi.

« Il est maintenant huit heures », dit Cake d’une voix anxieuse, regardant à nouveau la pendule murale.

Jade sourit et ordonna l’ouverture des portes.

Sarah ouvrit la porte de devant et le personnel se plaça derrière les comptoirs à leur poste prévu.

Cake et Jade se tenaient enlacés à côté de Kris Pinyoun, qui se resservit d’une tranche de gâteau tandis que quelques personnes entrèrent. Le photographe prit des photos des premiers clients, alors que Jade leur donnait une tranche de gâteau Louis Vuitton.

Kris se servit une autre tranche du gâteau qui diminuait à vue d’œil, puis dit « Je crois que nous allons vous laisser ».

Cake tendit à Kris son pourboire de 300 £.

« Ce gâteau était délicieux », dit Kris, léchant les miettes sur le napperon en papier vert. « Bonne chance pour votre boutique ». Il jeta un dernier regard au reste du gâteau Louis Vuitton, mais constatant le regard sévère de Jade, il réalisa qu’il allait s’incruster et s’en alla.

Quelques clients se présentèrent au compte-gouttes dans l’heure qui suivit.

« Je pensais que cela serait plus remuant », dit Cake désappointé.

« Cela va aller », dit Jade, en le rassurant, « Le premier jour est toujours aléatoire, donc ne t’inquiète pas ». Et puis, il n’est que neuf heures et demie.

« Je pense qu’il manque un ingrédient », dit Cake en reniflant les arômes.

« Tu penses toujours qu’il manque un ingrédient, la mystérieuse épice manquante. Je vais demander à Grand Dave de péter. D’habitude, ça remet tes sens d’aplomb », ricana Jade.

« Crois-tu que nous nous sommes trompés ? Cela nous a coûté plus d’argent que nous aurions pensé », dit Cake.

« Je suis sûre que nous avons bien fait », répliqua Jade, en l’embrassant sur la joue. « Maintenant, fonce dans ta pâtisserie et utilise toute ta magie sur un Alaska ».

Cake rentra dans le fournil et regarda à travers la cloison de verre pendant que les clients rentraient un à un dans la pâtisserie et que Jade et les filles servaient. Il savait que sa famille leur rendrait visite dans la journée et était sûr qu’elle serait fière de lui.

Les choses ne s’étaient pas passées comme prévu pour le couple. Du fait de dépenses imprévues, ils avaient dépassé de loin leur budget à cause de la réglementation sur la construction et d’entrepreneurs négligents, ce qui avait retardé l’ouverture de la boutique et fait un trou dans leurs économies.

La pâtisserie-boulangerie était superbe. Situé dans le centre de la zone commerciale de Monks Road, le bâtiment à deux étages comportait un grand espace ouvert au rez-de-chaussée, que Jade et Cake avaient converti en une installation somptueuse. La devanture de la boutique se distinguait parmi la rangée de boutiques voisines, avec son grand panneau vert et un logo à feuille d’or.

L’intérieur de la pâtisserie ressemblait à un restaurant londonien décadent de 1920 avec de petites imitations de réverbères et d’autres luminaires et fixations Art Deco, ainsi que des colonnes en marbre vert citron à chaque coin. La couleur dominante était le vert jade subtil, et tout était assorti, la vaisselle, la garniture, les sacs en papier et les napperons.

La section pâtisserie comportait de grands présentoirs en verre le long des murs et était séparée de la section boulangerie par une cloison en verre pour permettre aux clients de voir les boulangers au travail. Bien que servant principalement des produits à emporter, l’établissement offrait plusieurs tables rondes et chaises en fer forgé de Stamford pour permettre aux clients de s’asseoir et apprécier l’ambiance pendant qu’ils mangeaient. Ils employaient trois serveurs et deux boulangers. Les boulangers expérimentés, choisis parmi les nombreux candidats qui s’étaient présentés pour le travail, espéraient apprendre de ce Cake légendaire.

Dave Smith et Dave Jennings étaient les deux boulangers embauchés par Cake. Pour éviter la confusion, Cake appela Dave Smith « Grand Dave » car il était grand, tandis que Dave Jennings devint « Petit Dave » du fait de sa petite taille ; Sarah, Tracy et Jackie étaient les serveuses.

Le contenu des meubles de présentation avait été organisé de façon à disposer chaque produit symétriquement.

Une section des coffres à température régulée contenait les pains, les sandwichs et les petits pains, comme ceux au levain, au roquefort et aux amandes, les pains de bûcheron, les sandwichs gourmets, les petits pains sous-marins au parmesan et à l’origan avec des garnitures végétariennes. Une autre section exposait des pâtisseries, notamment des spécialités gourmandes à la pâte feuilletée et autres pâtes brisées. La dernière section du boîtier réfrigéré en verre contenait des gâteaux et desserts tels que la « crème de la crème », qui aurait fait rêver tout établissement de restauration fine dans le monde, d’autant plus une pâtisserie dans Lincoln. Cake et sa petite équipe créaient des spécialités délicieuses, telles que des truffes au chocolat blanc et amaretto, des fraises Arnaud et des macarons haute couture. La pièce de résistance pour l’ouverture était l’interprétation par Cake du gâteau composé Louis Vuitton.

Les têtes des Dave n’avaient pas arrêté de tourner depuis qu’ils avaient commencé à travailler avec Cake. Il était un véritable maître, bien qu’ils le trouvent un peu excentrique. Chaque fois qu’il achevait un mets, il le sentait plusieurs fois, fronçait les sourcils et annonçait qu’il manquait quelque chose. Ils ne pouvaient comprendre pourquoi, parce que chaque création de Cake était délicieuse et semblait spectaculaire.

Le fournil comportait de nouveaux équipements, des fours en acier inoxydable, des pétrisseuses, des diviseurs mécaniques et d’autres équipements spécialisés. Le tout étincelait avec des plaques d’acier inoxydable sur les murs, les éviers et des sections du sol, l’air conditionné et d’autres systèmes de régulation de la température dans les compartiments de stockage réservés à des produits spécifiques, et la boulangerie ultramoderne du 21ème siècle ressemblait à une pâtisserie française du 19è siècle.

3
Un asile sûr

Ravuth se protégea les yeux du faisceau de lumière crue qui l’aveuglait. L’homme qui brandissait la torche parla, mais Ravuth ne pouvait le comprendre. L’homme abaissa la torche et Ravuth distingua une silhouette large tandis que deux soldats se précipitaient et braquaient leurs torches sur lui.

Un homme en uniforme s’adressa à Ravuth en khmer : « Qui es-tu et d’où viens-tu ? ».

Ravuth répondit d’une voix tremblante : « Mon nom est Ravuth. Je cherche ma famille et je viens de la jungle ».

Quelqu’un à l’arrière parla aux soldats, qui ordonnèrent à Ravuth de venir avec eux. Terrifié, il obtempéra et ils arrivèrent dans une tente bien éclairée où un soldat dit à Ravuth de s’asseoir.

Il pouvait voir maintenant l’homme qui était un étranger corpulent avec une barbe grise. Il portait une blouse noire avec un col circulaire et son visage âgé souriait, ce qui mit Ravuth à l’aise.

L’homme dit quelques mots à un soldat et sortit de la tente. Le soldat thaï dit à Ravuth qu’il était dans un camp de réfugiés près de Chantaburi en Thaïlande, qui hébergeait des Cambodgiens fuyant les Khmers rouges de la province du Sud. Il l’informa que l’homme qui venait de quitter la tente était le Père Donald Eggleton, un prêtre anglais qui dirigeait le camp.

Donald retourna à la tente avec un bol de nouilles chaudes. Il le posa sur la table, invitant Ravuth à le consommer.

Ravuth mangea, pendant que les soldats et le prêtre parlaient entre eux.

Lorsqu’il eut fini, le soldat thaïlandais qui parlait khmer lui dit : « Tu es en sécurité et tu peux rester ici ». Le soldat remarqua alors quelque chose.

« Qu’est-ce que c’est ? », demanda-t-il, en montrant la boîte en feuilles de banane fourrée dans la chemise de Ravuth.

Ravuth sortit la boîte, prit les photographies et les tendit au soldat.

« C’est ma famille », précisa-t-il.

Le soldat thaïlandais regarda les photographies et les montra au prêtre ; celui-ci les examina et les rendit à Ravuth en parlant au soldat, qui acquiesça et dit : « Garde-les en sécurité Ravuth. Nous ne recevons plus beaucoup de monde maintenant. Le camp n’est qu’un arrêt de passage. C’est la première halte et de là, nous emmenons les gens vers des camps permanents en Thaïlande, ou bien nous les envoyons à l’étranger s’ils sont éligibles ». Il regarda l’adolescent en loques, puis dit d’un ton bienveillant : « J’espère que tu retrouveras ta famille, Ravuth ».

 

Le prêtre s’adressa à nouveau au soldat qui traduisit : « Nous allons t’emmener quelque part pour dormir et nous viendrons te voir demain matin ».

Ils amenèrent Ravuth dans un petit bivouac et le laissèrent. Confus mais rassuré, Ravuth s’allongea sur un fin matelas d’herbe, sous un auvent de toile bas. Il s’accrocha à sa boîte, qu’il plaça sur son ventre et s’endormit.

Le lendemain matin, Ravuth se réveilla à l’aube et se promena dans le camp. Les réfugiés cambodgiens commençaient la journée, et les marmites de riz et d’eau bouillonnaient sur des feux en plein air. Ravuth regardait ses compatriotes qui, bien que soulagés d’être en sécurité, avaient un air que Ravuth décrivit plus tard comme de la peur et du désespoir.

Une famille invita Ravuth à se joindre à eux et partagea ce repas. Ils lui dirent comment ils avaient échappé aux Khmers rouges lorsqu’ils ont pris Phnom Penh. Le père raconta à Ravuth leur horrible voyage vers la frontière thaï dans leur voiture, puis à pied. Ravuth pouvait voir la peur dans les yeux des parents et des enfants quand ils lui décrivirent les atrocités dont ils avaient été témoins, leur fuite inespérée, et le compte-rendu glaçant de ce qui était arrivé aux autres membres de leur groupe qui n’avaient pas atteint le camp. Il écouta, et après avoir entendu des récits semblables des autres réfugiés, Ravuth avait des appréhensions pour la sécurité de sa famille et s’endormait tous les soirs en pleurant pendant les premiers mois.

Ravuth passa plusieurs années dans le camp de transit. Il apprit que l’Église d’Angleterre avait encore quelques missionnaires et religieux au Cambodge qui avaient probablement été massacrés. Avec les quelques arrivants cambodgiens qui avaient échappé aux Khmers rouges, les nouvelles se répandaient dans le camp concernant le génocide et les atrocités commises au Cambodge.

Après avoir montré ses photographies aux Cambodgiens qui arrivaient, et constatant que personne ne reconnaissait sa famille, il se découragea, craignant de ne plus jamais les revoir.

Ravuth glissa dans une vie esseulée et ingrate. Le Père Eggleton et les missionnaires en visite occasionnelle lui apprirent l’anglais, tandis que les soldats lui apprirent la langue thaïe. Maintenant armé de trois langues, Ravuth se rendait utile dans le camp, en tant que cuisinier et traducteur ; une précieuse ressource pour s’occuper des nouveaux réfugiés. Il mettait les individus terrifiés à l’aise, en leur cuisinant des repas cambodgiens, même s’il remarqua que les nouveaux arrivants étaient si mal nourris qu’ils ne pouvaient avaler que de l’eau, et que beaucoup mourraient peu de temps après leur arrivée. Le Père Eggleton et Ravuth devinrent proches. Donald avait passé toute sa vie dans le clergé, il ne s’était jamais marié et n’avait pas d’enfant, aussi il prenait soin de lui comme son propre fils. Ravuth ne connaissait pas sa date de naissance, car la coutume de fêter les anniversaires était inconnue dans les villages ruraux cambodgiens. Le Père Eggleton savait que cela pourrait poser problème pour Ravuth. Grâce à un certificat de naissance thaïlandais pour le rapatriement de réfugiés cambodgiens, le prêtre fit une demande de passeport. Il donna à Ravuth le même mois et jour que lui-même, en devinant qu’il avait un peu moins de vingt ans. Quelques semaines plus tard, Donald tendit à Ravuth un petit paquet enveloppé dans un papier marron, sourit en disant : « Joyeux anniversaire pour tes dix-huit ans, Ravuth ».

Ravuth écarquilla les yeux en ouvrant le cadeau et il feuilleta la petite bible, qu’il rangea plus tard dans sa boîte au trésor.

On était en 1978. Proche de la soixantaine, le Père Eggleton souffrait d’une santé détériorée à cause du climat, de l’hygiène déficiente et du régime, ainsi que des maladies tropicales qui sévissaient dans le camp sale. Le conseil de l’Église d’Angleterre décida que Donald s’était suffisamment consacré à aider les démunis et nécessiteux. Il était maintenant temps de le remplacer par un prêtre plus jeune. Ils voulaient qu’il rentre en Angleterre pour passer le restant de sa vie dans une paroisse rurale tranquille. Donald fut d’accord, mais insista sur une clause.

* * *

Le jeune Cambodgien n’avait jamais vu ni entendu un avion auparavant, et il n’était bien sûr jamais monté à bord d’un tel engin. Ravuth s’assit dans un avion DC-10 thaïlandais international, à destination de l’aéroport londonien de Heathrow. Il s’accrocha à la main du Père Eggleton quand l’avion décolla, mais une fois qu’ils furent au milieu des nuages, Ravuth se sentit excité et nerveux à la fois. Son regard était fixé sur le hublot de l’avion, époustouflé par ce monde étrange qui le menait à une nouvelle vie.

Ravuth but un coca-cola et il savoura la sensation pétillante et le goût de la première boisson fraîche qu’il ait jamais consommée.

Le vol fut long, trente heures fastidieuses entrecoupées de plusieurs arrêts pour refaire le plein, ce qui donna à Ravuth du temps pour se promener dans différents aéroports et découvrir d’autres races. C’était un voyage rempli d’émerveillements pour le garçon Cambodgien.

« Quand je raconterai cela à Oun », pensa-t-il, et bien que triste à la pensée de sa famille, il sourit.

Le Père Eggleton, avec l’aide du service juridique de l’Église, vint à bout des formalités administratives en Thaïlande et trouva un hébergement temporaire pour Ravuth. Une fois en Angleterre, ils se rendirent dans la paroisse de St Wulfram à Rutland, près de Grantham, et ils s’établirent au presbytère.

Ravuth adorait sa nouvelle maison, qui lui sembla étrange à première vue.

Le Père Eggleton rigola en lui montrant l’interrupteur d’éclairage et Ravuth regardait, les yeux écarquillés, la lampe s’allumer et s’éteindre.

« Qu’est-ce que c’est ? », demanda-t-il en montrant un poste de radio.

Le Père Eggleton essaya d’expliquer et Ravuth demanda : « Et ça, c’est quoi ? ».

Pendant les quelques premiers jours, Ravuth posait des questions sur tout. Au début, il avait du mal à dormir sur un matelas, préférant le sol dur, mais il s’habitua vite au matelas car le sol en pierre était froid.

Le père Eggleton récupéra ses forces et prit le poste de vicaire de la paroisse.

Au début, à cause de son manque de confiance dans la langue anglaise, Ravuth était timide et retiré, mais la petite communauté anglaise adopta vite le « petit garçon du Cambodge ». Les habitants du village n’étaient pas informés sur Pol Pot et le calvaire du Cambodge. C’étaient des ruraux anglais, peu intéressés par les événements qui se produisaient à 10 000 kilomètres de là. Ils avaient leurs préoccupations locales et essayaient de propulser leur héroïne locale, Margaret Thatcher, au poste de Premier ministre.

Ravuth logeait dans une petite chambre au presbytère et aidait le Père Eggleton dans ses tâches ecclésiastiques. Le prêtre était un homme bon, mais l’Église le rémunérait chichement, aussi la congrégation se cotisa pour vêtir Ravuth, qui passait ses journées à nettoyer l’Église et à se rendre utile dans les manifestations. Il était trop âgé pour aller à l’école, aussi le Père Eggleton profitait des après-midis pour lui enseigner l’histoire d’Angleterre, les actualités et affaires en cours et les mathématiques, toutes disciplines que Ravuth apprenait avidement. Sa maîtrise de la langue progressa et il prit confiance, se mélangeant davantage à la communauté.

L’une de ses attributions consistait à se rendre à la boulangerie locale afin de récupérer des sandwichs et des gâteaux pour les réunions paroissiales hebdomadaires. Il adorait l’odeur de la boulangerie, et l’arôme de pain frais lui donnait l’eau à la bouche. La femme qui possédait la boutique lisait régulièrement la délectation sur le visage de Ravuth quand il venait prendre sa commande et un jour, elle lui demanda : « Le boulanger prépare une fournée fraîche. Veux-tu voir comment on fait le pain ? ».