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Le chat de misère

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LA FORCE DU NOMBRE

Je crois que l'on gémit outre mesure sur la faible natalité française. Cela ne sert à rien qu'à diminuer la confiance qu'un peuple doit avoir en lui-même, et cela fortifie d'autant celle de nos ennemis. Pourtant, l'histoire semble montrer que la force du nombre est loin d'être prépondérante dans les conflits entre nations. Le premier exemple et le plus frappant qui vient à l'esprit est la lutte de Xerxès et de la Grèce. On a dit qu'il avait un million de soldats, mais il faut tenir compte des exagérations de la vanité grecque. Mettons qu'il avait des combattants beaucoup plus nombreux, du double ou du triple que les Grecs. Qu'en resta-t-il après Marathon? Et quand les Grecs prirent leur revanche sur les Perses, croit-on que ce fut avec des multitudes? Où Alexandre et la Macédoine auraient-ils pris des multitudes de combattants? C'est avec une petite armée bien disciplinée et bien organisée qu'Alexandre conquit l'Asie. Et Guillaume le Conquérant, croit-on aussi qu'il avait pu réunir dans le petit port de Dives des foules hors de proportion avec le nombre des Anglais? Pourtant, c'est lui qui vainquit à Hastings. Les premières victoires de Bonaparte en Italie ne sont pas des victoires du nombre, mais des victoires du génie et du courage. Dans la seule histoire de France, il y a de nombreux exemples de ce que peut un nombre relativement faible d'hommes résolus et bien commandés. Est-ce que, dans les futures guerres européennes, cent mille hommes de plus ou de moins assureront la victoire ou la défaite d'une grande nation? Ne se pourrait-il pas que le nombre excessif des combattants devient, en telle circonstance, une cause de faiblesse? Même si on a une très grande confiance dans le nombre, il faut convenir qu'il n'est pas tout.

LES CIGARETTES

Il paraît que la consommation du tabac, notamment des cigarettes, augmente sensiblement. Cela ne m'étonne pas pour le tabac, qui est très bon, mais me surprend des cigarettes qui sont si mal faites qu'elles sont quasi infumables, et cela sans distinction de catégorie. Cela ne tient pas, en effet, à la qualité du tabac. C'est le même que celui vendu en paquet. Les cigarettes des Manufactures de l'Etat ne sont très mauvaises que parce qu'elles sont très mal faites. Comment arrive-t-on à ce résultat en employant un Maryland, qui est un des premiers tabacs du monde, ayant la douceur du tabac d'Orient et je ne sais quel accent que n'ont pas les produits turcs et égyptiens, à la fois fades et trop parfumés? C'est une question de manutention. Il faut que l'ouvrière fabrique vingt cigarettes, ni plus ni moins, avec une quantité déterminée de tabac. Il arrive donc qu'elle fasse les premières trop faibles et les dernières trop fortes. Elles sont d'ailleurs presque toujours trop fortes. Dans un paquet de cigarettes maryland dites élégantes, il y en a généralement la moitié qui ont la densité et la rigidité du bois. De telles cigarettes sont détestables, sans aucune saveur. Souvent même elles sont serrées à tel point qu'elles ne laissent point passer la fumée. Le prix n'y fait rien naturellement, ni le nom, ni la forme de l'empaquetage, ni la dorure, ni le liégeage. Au contraire. Il y a même chance d'en utiliser quelques-unes dans un paquet d'élégantes, ce qui n'arrive pas toujours dans une boîte d'Amazones. Ce n'était pas la peine de vulgariser ce beau nom pour lui faire servir d'étiquette à une marchandise illusoire. Il y a là toute une machinerie à changer, tout un personnel à surveiller. Heureusement qu'il nous reste les cigarettes étrangères. Elles sont moins bonnes, sans doute, mais elles se fument facilement. Et on avouera que, pour une cigarette, c'est quelque chose.

APRÈS LA PLUIE

Après la pluie, au Luxembourg, tout était si frais et si fondant! Comme dans les vrais jardins de campagne, il y avait de la boue où on enfonçait un peu et qui nous donnait l'idée de la terre, qu'on ne voit guère dans les parterres trop civilisés. L'herbe était d'un vert profond, doux et triste, et les arbres pleuraient des larmes claires qui les embellissaient, ce qui n'arrive pas aux visages de femmes, à moins qu'elles ne pleurent pour vous, amants cruels! Il n'y manquait que les oiseaux qui font des taches mouvantes dans le gazon, les palombes qui tombent soudain d'entre les branches, comme de gros fruits mûrs. Mais les oiseaux n'aiment pas la mélancolie humide des jardins après la pluie. Où sont-ils cachés pendant ces temps-là? Quelle est leur ruche, d'où ils vont sortir dans un moment, comme des cris et des rires qui se rendraient visibles? Il faut des oiseaux dans les arbres et des insectes volants et bourdonnants dans les corbeilles, pour faire parler les feuilles et les fleurs. Ce sont les seules voix et les seuls murmures qui soient en harmonie avec la discrétion de toutes ces choses vertes et de toutes ces choses fleuries. L'homme ne devrait y prononcer que des pensées amènes, n'y venir que pour y prendre des leçons de silence. Hier, comme rien n'y encourageait au bruit, ni les musiques, ni les enfants, les rares gens venus là modéraient leurs paroles, proférées tout bas, cependant que par les grilles, vers le Panthéon, nous apercevions un décor forain, reste de la fête de Jean-Jacques. Ce n'est pas en son honneur que je cueillis à un arbuste mouillé, qui éclata en pluie, une petite feuille ronde comme en ont des plantes qui vont sur l'eau, mais ce geste était peut-être plus rousseauiste que ceux qu'on avait faits le matin, de l'autre côté des barreaux. Il est vrai que je ne pensais pas à lui, mais pas du tout.

LA SUICIDÉE

On a lu l'histoire de cette jeune fille qui s'est tuée parce qu'elle avait échoué à ses examens. Pauvres petites femmes! Vraiment, elles ne sont pas de force. Elles prennent tout au sérieux, même un examen. Que veut-on qu'elles fassent dans la vie, qu'elles songent à quitter à la première déception? Il fallait au moins attendre le premier chagrin d'amour, mais se tuer parce qu'une vieille bête de professeur vous a posé en géographie ou en littérature une colle stupide! Il ne faut pas donner aux autres un tel empire sur soi. Une fille jeune et jolie est au-dessus d'un examen, lequel n'a, ou devrait n'avoir, aucune sorte d'importance. Une femme a-t-elle plus ou moins de valeur, parce qu'elle fait ou ne fait pas de fautes d'orthographe. Ah; maudits soient les imbéciles qui ont ainsi travesti les instincts de la femme, perverti leur sensibilité, inventé pour leur faiblesse je ne sais quel romantisme scolaire. On leur enseigne et elles croient sincèrement que l'arithmétique est une sorte de bible dont il faut pénétrer les mystères pour avoir droit à la vie, et que, lorsqu'on les a méconnus, il ne reste plus que le désespoir ou la mort. Et autant de connaissances diverses, autant de bibles nouvelles à vénérer! On perdrait la tête à moins. La jeune Slave est donc allée à Notre-Dame, et là, s'étant agenouillée et ayant prié dans son innocence et sa fièvre, elle s'est tiré un coup de revolver dans la bouche. Quelle pitié, et quel désarroi dans les cervelles! Je n'ose pas dire: quelle bêtise! parce que la mort violente d'une jeune fille, cela a toujours quelque chose d'émouvant, mais quelle mauvaise éducation, quelle dilapidation des vraies valeurs féminines!

JEUX D'ENFANTS

On a observé que les enfants, ce printemps, jouent aux bandits, dont la popularité a remplacé chez eux celle des aviateurs, et on gémit! Vraiment, il n'y a pas de quoi. Pour varier les jeux traditionnels, que rien ne peut détrôner, l'enfant joue à reproduire, à imiter les faits dont on parle, dont on s'entretient autour de lui. Cela a toujours eu lieu. S'il joue aux bandits, il faut s'en prendre aux journaux et aux parents qui s'intéressent plus que de raison à ces vilaines histoires. Est-ce qu'on exigerait, par exemple, plus de bon sens de la part des enfants que de celle de leurs auteurs? Vous avez des enfants tout juste dignes de votre bassesse d'esprit. De quoi vous plaignez-vous? D'ailleurs le banditisme innocent ne règne pas tout seul sur la jeunesse des écoles primaires. J'en vis, l'autre jour, qui jouaient aux Colonies; même qu'ils voulurent bien, comme je les regardais faire, me prendre pour arbitre dans un cas épineux. Voici. On dessine un grand rectangle aux deux bouts duquel on marque deux pays, comme la France et la Chine. Il faut aller de l'un à l'autre, à cloche-pied, en poussant un palet, sans broncher. Alors on a gagné une colonie et, dans l'épreuve suivante, on a le droit de se reposer un instant dans cette colonie que l'on a située vers le milieu du rectangle. Ce jeu est assez répandu. Je l'ai retrouvé, sans le chercher, en plusieurs endroits, ainsi qu'un autre jeu géographique, qui m'est resté obscur. A cet âge heureux, en 1870, au lycée où je venais d'entrer, on jouait à la Guerre: on livrait des batailles, on assiégeait des forteresses. Même que je fus blessé à l'un de ces assauts, qui ne manquait pas de frénésie. Un mois ou deux d'infirmerie, le temps d'être évacué sur la campagne et de laisser la place aux blessés de la vraie guerre. Le monde des enfants est le monde de l'imitation.

LE JARDIN IMPRESSIONNISTE

L'art de choisir et de grouper les fleurs a suivi assez exactement l'évolution de la peinture. Aux vieilles plates-bandes du jardin classique a succédé la corbeille romantique déjà moins rigide, plus variée de ton et de forme, et voici qu'on en est arrivé, comme l'impressionnisme, comme Claude Monet, ce jardinier merveilleux, à l'imitation directe de la nature même, dans son inattendu et dans sa magnifique extravagance. C'est ce que j'ai appris à l'exposition d'horticulture. Un vallon en miniature, dont les parois s'étagent, dont le fond se creuse pour le ruisseau qui devrait y passer, et partout un féerique fouillis des fleurs les plus simples, mais les plus jolies, qui semblent nées au hasard, tant elles sont groupées avec habileté. Nul art apparent, ce qui est le comble de l'art. C'est très difficile à expliquer, mais nous eûmes un cri d'admiration. Se promener là-dedans! Se rouler là-dedans! Etre tout petit pour se cacher derrière une mauve, se faufiler à travers ces liserons, grimper vers les cloches de ces digitales. Un autre coin de terrain, pareillement disposé, est parsemé de cailloux, qui figurent des rochers. On a voulu représenter un sol plus aride à côté de l'exubérant vallon, et les fleurs plus pâles y sont moins abondantes. C'est également très agréable. J'ai vu, si je me souviens bien, quelque chose d'analogue à Jersey, dans un jardin qui fut célèbre pour son ingéniosité. Il me semble que l'on comprend enfin que l'on ne peut mieux faire que d'imiter et de fixer les heureux hasards de la nature, car elle nous donne tous les exemples de la beauté. En somme, ce que l'on essaie maintenant, c'est, avec beaucoup de soins, de créer des jardins qui semblent avoir poussé tout seuls. Le jardinier s'efface. Il ne montre que son œuvre. C'est le précepte même de Flaubert.

 

LE SORT DES LIVRES

Ce n'est pas de leur sort matériel et extérieur que je veux parler, mais de celui que leur font le soin ou la négligence des éditeurs. La négligence est ce qui les attend le plus souvent. Dès que l'auteur est mort, il n'y a plus guère à compter sur personne pour assurer la correction d'un texte. Un amateur fervent d'Alfred de Vigny m'écrit pour me signaler les fautes dont est semée la seule édition courante de ses poésies. C'est un mal sans remède. Déjà deux ou trois anthologies en ont copié tranquillement les défectuosités et imprimé, à tel passage, le mot neige pour le mot mer. Cette mauvaise leçon fera peut-être foi pendant des siècles. Pensez que l'on dispute encore sur la correction de tel et tel vers de Virgile. Nous n'avons jamais de textes absolument corrects, l'auteur même ayant souvent été le plus négligent des correcteurs, ayant été son propre bourreau, son propre saboteur. Je viens de relire plusieurs œuvres de Stendhal dans des éditions anciennes. Elles sont pleines de fautes. Je connais une édition de Maupassant, pourtant faite sous ses yeux, qui est d'une incorrection folle. En général, les éditions du xviie siècle, qui se vendent si cher et qui sont presque toujours si laides, sont déshonorées par des fautes grossières, par des incorrections presque invraisemblables. Eh bien, je dirai que cela n'a pas une grande importance, attendu que personne, hormis quelques maniaques, dont je suis, ne s'en aperçoit. Je vois de jeunes auteurs trembler pour la pureté de leurs textes et j'aime à les épouvanter par mon expérience, en leur démontrant que nul n'y prendra garde. Même, je crois qu'une faute d'impression flatte le maniaque qui la découvre, en lui apportant la preuve de sa perspicacité.

«LES DAMNÉS» DE RECHBERG

Une note qu'on put lire ces jours derniers dans divers journaux m'a rappelé que je n'avais point parlé, malgré mon désir, des Damnés de Rechberg, ce beau groupe de marbre que les artistes ont laissé lâchement expulser de la Société nationale par la police. Il est maintenant exposé au Salon de Bruxelles, et le roi Albert en personne est venu féliciter le sculpteur. Les Salons de Berlin, de Londres, de New-York ont réclamé à leur tour l'honneur d'exposer aux yeux de leur public, pourtant bien pudibond, ce groupe qui symbolise une belle et mélancolique pensée et qui traduit littéralement la parole de Francesca de Rimini à Dante:

Questi, che mai da me fia diviso

«Celui-ci, qui ne sera jamais séparé de moi.» Et ils vont unis pour l'éternité, les damnés amoureux, et leur seul châtiment est de ne pouvoir jamais se séparer, d'être unis pour des siècles des siècles, et de sentir que le suprême désir et le suprême bonheur ont pu devenir la cause de leur infélicité éternelle. Par quelle aberration a-t-on pu prendre cela pour une œuvre, comme ils disent, «pornographique»? Cela passe l'entendement. Que M. Rechberg pardonne à la bêtise humaine. Elle est éternelle, comme l'amour et comme le malheur. Elle est nécessaire, elle nous fait mieux goûter l'intelligence et la beauté. Qu'il songe que, grâce à elle, le voici célèbre beaucoup plus tôt sans doute qu'il ne serait advenu selon le cours ordinaire des choses. Pour moi, je viens d'en profiter pour relire le cinquième chant de l'Enfer et je me suis aperçu que je le savais encore par cœur: «O âmes inquiètes, venez nous parler…» Elles ont parlé à M. Rechberg, et je suis sûr qu'elles l'ont remercié comme elles remercièrent Dante de sa compassion, l'appelant: «Etre gracieux et doux»:

O animal grazioso e benigno!