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Le chat de misère

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LE LAURÉAT

Il fut un temps où l'Académie française pouvait conférer sinon la gloire, du moins une notoriété soudaine, en couronnant (vieux style) une œuvre littéraire. Il semble bien que ce ne soit plus en son pouvoir. Elle distribue trop de récompenses, le public s'y perd, ne sait plus discerner, entre tant d'œuvres élues, la véritable. Puis l'Académie est vraiment devenue trop académique et trop amie de la vertu et des convenances.

On ne sait jamais si ce sont des valeurs morales ou des valeurs littéraires qui ont fixé son choix; mais ce que l'on sait bien, c'est que les premières n'ont souvent pour effet que de gâter les secondes. Bref, un prix de l'Académie ne signifie plus rien et le public a tourné son attention vers ceux que décernent une académie à côté et diverses associations littéraires. Qui aura le prix Goncourt? C'est un petit événement. On en parle, au moins, entre écrivains, les éditeurs de romans s'émeuvent, les amis de ces académiciens ultra-libres sont interrogés, parfois sollicités en raison de l'influence qu'on leur suppose. Certes, le montant du prix est pour beaucoup dans l'intérêt que ce prix excite, mais je crois tout de même qu'il possède encore une valeur littéraire. Hélas! on s'en lassera. Un jour viendra probablement où le jugement de l'Académie Goncourt n'aura plus qu'une valeur pécuniaire, et peut-être est-ce déjà celle-là que lui attribuent les lauréats. L'argent finit toujours par être le maître. Le vieux Goncourt a bien vu qu'il renforce singulièrement le poids d'un jugement esthétique.

LES SUICIDES

Un journal donne une rubrique spéciale aux Désespérés, manière poétique d'appeler les suicidés, car tous les suicides n'ont pas pour cause le désespoir et une bonne partie provient des affections cérébrales. Or, l'autre jour, je n'en comptai pas moins de dix, rien que pour Paris. C'est une proportion énorme et, j'espère, exceptionnelle, car elle signalerait un état des plus inquiétants. Je sais bien que le suicide augmente, mais pas tout de même selon ce taux, qui dépasserait quatre fois celui de la Suisse, qui est le pays d'Europe où l'on se suicide le plus. La Suisse étant un pays religieux à un point qu'on ne saurait dire, on voit tout de suite le parti que les ennemis de toute religion pourraient tirer de cette double constatation. Mais ce ne serait pas juste, puisque la France, incrédule ou légère, suit d'assez près la Suisse sur ce terrain où elle dépasse de beaucoup les nations les plus religieuses de l'Europe, telles que l'Irlande ou l'Italie. S'il y a une cause générale aux suicides, on ne la découvre pas. Le climat? Non, puisqu'on quitte la vie presque aussi facilement en France qu'en Prusse. La misère? Non, puisque l'Irlande est le pays d'Europe où l'on se suicide le moins et la France un des trois pays où on se suicide le plus. Les inquiétudes politiques? Non plus, puisque c'est la Suisse qui tient la tête, suivie par la Prusse. Est-ce au contraire l'excès de richesse, de bien-être également répandu dans toutes les classes? On ne le croira pas pour la Prusse, mais hormis cette exception, qui n'est peut-être pas très accentuée, il y a certainement une relation entre la fréquence des suicides et la richesse des Etats. Oui, mais est-ce que l'Angleterre n'est point, malgré la légende, un des pays où l'on se suicide le moins? Sans doute, mais c'est peut-être que les Anglais vont se suicider en Suisse. La statistique n'aime pas les plaisanteries. Avouons n'y rien comprendre. Cela vaudra mieux.

L'AME DU BIBLIOPHILE

Il n'est pas toujours facile de pénétrer dans l'âme d'un bibliophile, de démêler les raisons pour lesquelles il convoite un livre, en dédaigne un autre. Aussi j'ai été bien aise de lire le Manuel de l'amateur d'éditions originales, où Pierre Dauze les dévoile et les analyse. Le bibliophile est un être fort subtil et beaucoup moins fol que le public ne le croit. Fini, le temps où on pouvait encore se le représenter sous les traits dessinés par La Bruyère, enfermé dans sa tannerie et couvant d'un œil jaloux des livres magnifiquement reliés et qu'il n'ouvrait jamais. Fini de se le figurer comme un maniaque n'ayant d'autre motif à préférer une édition que la faute d'impression qui la dépare. Le bibliophile contemporain doit être un homme de goût, avoir des lettres et savoir se décider autant pour des motifs littéraires que pour des motifs matériels ou de pure curiosité. Il doit suivre la mode, nécessairement, mais avec prudence et ne pas craindre de dédaigner ce qu'elle prône sans raisons valables, de rechercher ce qu'elle néglige. Il doit avoir, ce qui a trop manqué à beaucoup de ses prédécesseurs, l'esprit critique, ne pas moins se connaître en littérature qu'en papiers et en parfaits tirages. Son affaire est de conserver intacts des livres dont le texte offre une valeur certaine, de les conserver avec toute la fraîche apparence qu'ils eurent à leur apparition. C'est de là que vient l'extrême importance qu'ils attachent à leur couverture et vraiment il faudrait être un barbare pour se moquer d'un tel souci, car la couverture est une peau et jamais écorché ne fut très séduisant. C'est grâce aux bibliophiles que l'on saura un jour comment étaient faits nos livres et quelle était leur beauté extérieure, car seuls ils exigent des papiers durables et seuls ils savent les vêtir avec soin. Tous les écrivains doivent aimer les bibliophiles.

LE PANTALON INTÉGRAL

Il y a tout un parti féministe aux Etats-Unis qui a pris pour bannière, si j'ose dire, le «pantalon intégral». Elles prétendent s'habiller comme les hommes, non seulement d'un pantalon, mais aussi d'un gilet et d'un veston; mais elles ne parlent que du pantalon, lequel, comme on le sait, est symbolique. Autrefois, c'était la culotte. Mais les mœurs évoluent, et les langues aussi. A cette heure, les femmes ne sauraient donc se contenter à moins du pantalon. En le préconisant, elles font preuve, certainement, à la fois d'esprit et de goût, et même de science, car, ainsi vêtues, on ne pourra plus leur dénier une presque parfaite ressemblance avec les hommes, non moins que beaucoup de charmes et une surabondance de valeur esthétique. Même, il est probable que leurs charmes déborderont et que leur esthétique s'amplifiera jusqu'à l'insolence. Quelques-unes, douées d'un caractère conciliant, avaient proposé qu'on s'en tînt à la jupe-culotte, qui est déjà, comme on le sait et comme on l'a vu, une jolie conquête. Mais elles ont été battues par le pantalonisme intégral. «Nous voulons, disent-elles, qu'on nous prenne pour des hommes. Ainsi, nous pourrons nous démener dans la vie sans qu'on nous remarque. Habillées en hommes, nous n'attirerons plus l'attention des hommes, et nous serons enfin libres de nos mouvements.» Quand j'ai appelé «hoministes» ces féministes qui se nient elles-mêmes, je ne savais pas qu'elles me donneraient si complètement raison, et qu'à leurs autres prétentions elles ajouteraient le «complet veston», qui, d'ailleurs, les complète bien.

LA VERTU

Une fois par an l'Académie récompense la vertu, ou ce qu'on appelle ainsi, car la plupart des actions qu'un long discours nous vanta sur le mode accoutumé semblent moins dictées par la vertu que par la nécessité. Elles n'en sont pas moins fort louables, mais j'ai bien le droit de supposer que la plupart des gens vertueux exaltés sous la coupole préféreraient à la vertu quinze mille livres de rentes. Cela ne les empêcherait pas de continuer à être vertueux, mais ils le seraient d'une autre manière et qui attirerait moins l'attention des personnes charitables. Car c'est en personne charitable, bien plutôt qu'en juge du bien et du mal, que se transforme annuellement l'Académie, et c'est en quoi elle fait bien. Cependant, puisqu'elle ne trouve jamais d'actes de vertu parmi les gens hors du besoin, et qui sont pourtant et de beaucoup les plus nombreux, je voudrais qu'elle cessât de qualifier cette distribution de secours du nom de prix de vertu. Ou bien, faut-il être pauvre pour être vertueux? Je crois que c'est justement le contraire et que le vrai dévouement ne se montre que là où il n'est pas obligatoire, je veux dire nécessité par les circonstances. La solennité de cette cérémonie académique, qui se répercute à l'infini dans les journaux, n'a pas peu contribué à faire croire au monde que, dès qu'on manie quelqu'argent, on devient incapable de vertu, c'est-à-dire, en somme, de maîtrise de soi-même. Et il est assez curieux que ce soit une compagnie élue, dit-on, pour maintenir en droit chemin la langue française, qui détourne ainsi les plus beaux mots de leur sens. Tout cela sent l'emphase incohérente du xviiie siècle.

MŒURS DE PARIS

L'autre jour, deux Américaines étaient arrêtées devant un tableau dont elles voulurent connaître le nom et l'auteur. Elles consultent, non pas le catalogue officiel, qui ne les eût pas trompées, mais leur guide, moins bien tenu à jour ou plus ancien, car il s'est fait des transpositions du Luxembourg au Louvre. «Voilà! Tel numéro, Whistler. Portrait de sa mère.» Et celle qui contemplait de s'écrier soudain: «Quelle horreur! Et nous envoyons nos fils étudier la peinture à Paris!» Elle n'en revenait pas, ni sa compagne non plus. Ainsi, à Paris, un peintre peut faire le portrait de sa mère étendue toute nue sur un lit! Et cela est vanté partout! Elles s'étaient arrêtées devant l'Olympia de Manet. Leurs exclamations indignées émurent des visiteurs qui voulurent bien les détromper, mais je trouve que c'est presque dommage. Elles auraient au moins remporté de Paris une idée extraordinaire et assez conforme d'ailleurs à celle que s'en font communément beaucoup d'Américains. Rassurées sur la moralité de Whistler, qui leur était apparu, un instant, tel qu'atteint du sans-gêne le plus corrompu, si elles ont continué quelque temps leur promenade à travers nos musées et nos vues, elles n'ont pas dû tarder à s'apercevoir que Paris est une ville qui ressemble à toutes les grandes villes et que, peut-être plus élégante, plus vive, plus gaie (et encore!), elle n'a rien d'une Babylone, même moderne. Les gens qu'on rencontre y ont la tenue la plus convenable, il ne s'y passe aucune extravagance, la peinture que recèle ses musées est d'une grande décence, et celle qui n'y est pas encore se permet tout au plus d'être cubiste, ce qui choque l'intelligence, mais non la morale.

 

SAISONS

J'ai toujours entendu dire, depuis mon enfance, qu'elles étaient dérangées. Autrefois, elles étaient régulières. Il y a très longtemps qu'on ne s'en souvient plus, mais c'est une tradition certaine. Nous avons l'esprit d'ordre. Nous avons décidé que l'hiver est froid, l'été chaud, le printemps et l'automne tempérés, et nous sommes très étonnés que la nature n'obéisse pas à nos classifications et qu'elle ne distribue pas la température selon qu'il est établi dans les calendriers, ou plutôt selon un calendrier d'expérience, un calendrier local que nous substituons inconsciemment au calendrier astronomique. Ainsi le mois de décembre devrait être rigoureux d'après un de ces calendriers et, d'après l'autre, tempéré, au moins dans les trois premières semaines de son cours, puisqu'elles appartiennent à l'automne. Il est difficile que la nature obéisse à ces deux règles contradictoires, et cela nous permet d'être toujours mécontents et de la prendre en défaut, de quelque manière qu'elle se comporte. Car les hommes se plaignent également du beau et du mauvais temps, de celui qui amène les sécheresses réduisant les champs en poussière, de celui qui fait déborder les rivières, et il n'a pas tout à fait tort. Puis, dans les temps moyens et qui devraient, semble-t-il, contenter tout le monde, il est rare, si le citadin se réjouit de l'état du ciel, que le campagnard ne se répande pas en lamentations. Le seul résultat vraiment heureux et vraiment pratique des incertitudes de l'atmosphère, c'est qu'elles fournissent aux hommes un sujet inépuisable de conversation, un sujet facile, qui prête aux improvisations, aux commentaires légers, aux anecdotes et où chacun peut à son aise et à peu de frais, surtout, montrer son esprit et son caractère. On peut juger un homme rien qu'à la manière dont il parle du temps qu'il fait. En général, il est recommandé de ne pas y attacher une trop grande importance, et de le prendre comme il vient.

LA FOIRE AUX JOUETS

C'est une erreur de croire, comme on le répète à satiété, qu'il n'y a plus que les jouets mécaniques qui intéressent les enfants. Comme de tout temps, l'enfant joue avec tout ce qu'on lui donne, tout ce qui lui tombe sous la main, tout ce qui roule, tout ce qui fait du bruit. Riche ou pauvre, il serait peu difficile sur la nature ou la qualité de ses jouets, si le snobisme des parents ne venait pas s'en mêler, et ce sont eux qui les achètent, qui font, bien plus que leurs enfants, la vogue des jouets mécaniques, si vite brisés, si vite inutilisables. Cela dépend beaucoup aussi, surtout peut-être, des fabricants, car on ne peut acquérir que ce qui figure sur le marché et le genre d'amusement des enfants, est en somme à leur merci. Ils savent bien qu'il faut plaire d'abord à l'acheteur: de là, ce débordement de mécanique, car la mode est à la mécanique. Je crois que, laissé à lui-même, l'enfant choisirait assez volontiers des choses moins compliquées, plus familières ou plus terribles. Les animaux l'amusent toujours, arrivent souvent à lui inspirer une sorte de tendresse frénétique: j'en ai connu qui voulurent pendant très longtemps dormir avec une famille d'ours en peluche. On trouve à peu près tous les animaux à la foire aux jouets, mais l'ours en peluche est un des plus répandus. On en fait de tout petits et de très grands, qui sont fort en faveur. J'ai vu, à cette foire, des veaux, de simples veaux en peau, qui ne se vendent pas moins de deux cent cinquante francs, c'est-à-dire beaucoup plus cher qu'un veau véritable. Dans les mêmes prix, vous trouverez des lions, des tigres, des dromadaires et ces ménageries ne laissent pas d'être curieuses. C'est un peu intimidant. Les enfants n'en demandent pas tant, ils en demandent même moins et la bête qui leur plaira, c'est celle qu'ils peuvent, comme le chat de la maison, emporter dans leurs bras.