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Le chat de misère

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LA LIGNE ET LA POCHE

M. Ribot, le philosophe, a dit que l'attention était entrée dans le monde par les femmes. Mais il y a si longtemps qu'elles ne s'en souviennent plus. C'est à l'étourderie qu'elles donnent maintenant leurs soins. On a prétendu que les actrices, les femmes de tout genre et de toute vertu, qui oubliaient sur une table, dans une voiture, perdaient dans la rue, un bracelet, une aumônière, un collier de prix, le faisaient à dessein, par manière de réclame et pour que personne ne puisse douter de leur valeur. Semer cent mille francs de perles comme on perd un parapluie, pensez! Mais sont-elles capables de tant d'astuce? Je ne le crois pas. Elles sont étourdies, voilà tout, quoique, probablement, pas beaucoup plus que les hommes. Car, songez qu'elles n'ont pas de poches! Mettons-nous à leur place. Qu'adviendrait-il de ce que nous portons sur nous, si nous étions obligés de le tenir à la main ou dans un petit sac? On ne trouve pas dans les fiacres bien plus d'objets féminins que d'objets masculins. Dès que l'homme s'encombre de quelque chose qui ne peut tenir dans sa poche, il y a beaucoup de chances pour qu'il l'oublie en chemin. La femme qui porte toujours ce quelque chose hors de ses poches doit nécessairement l'oublier encore bien plus souvent que nous. Ne nous moquons donc pas d'elle et plaignons-la plutôt. Son tort n'est pas là. Il est dans cet esclavage de la mode auquel elle se soumet si docilement. Pas de poches, cela gâterait la ligne. La ligne! En vérité, elles se croient des statues, quand elles ne sont que des mannequins. Et puis, les hommes, à qui elles croient plaire davantage, aiment-ils tant que cela la ligne? Je crois qu'ils goûtent surtout ce qui l'excède, ce qui la gonfle, ce qui la courbe.

L'EXPIATION

Voici le châtiment!
V. H.

La voiture s'est arrêtée rue de Rivoli, pas loin de Jeanne d'Arc. Soudain une vieille Anglaise, de mine décente, heurte les vitres et débite d'une voix rapide et rude je ne sais quel boniment implorateur, en brandissant des feuillets de papier. On lui ouvre et le papier, échangé contre quelque monnaie, reste votre propriété. Quelque tract biblique? Quelque appel dissimulé à la charité? Non, la vieille Anglaise fait un petit commerce fort décent. Elle vend aux curieux ou aux pèlerins une Ode à Jeanne d'Arc qui ne s'étend pas sur moins de trois pages et qui respire le plus pur, le plus fulgurant, patriotisme. Voilà le châtiment! Ce n'était vraiment pas la peine de la brûler, messieurs les Anglais, pour être obligés, quelque cinq siècles plus tard, de déléguer à Paris une de vos honorables compatriotes pour vendre, à ses pieds même, une «Ode en son honneur»! Elle est très mauvaise, à la vérité, cette ode, qui d'ailleurs n'est pas une ode, mais une suite de strophes d'une belle platitude, mais pas beaucoup plus, peut-être, que tout ce qu'a inspiré l'illustre guerrière. Le châtiment n'en est que plus éclatant. Il est véridique. La pseudo-ode en question ne se recommandant nullement par sa valeur poétique, l'hommage à Jeanne d'Arc n'en est que plus sincère, étant plus nu. On n'achète pas ces couplets pour l'amour de l'art, mais pour l'amour de Jeanne d'Arc, et c'est une Anglaise qui les vend. Il faut que les cantiques soient médiocres. Les saints comme les dieux en sont mieux honorés. Pindare chantait les héros avec son génie. Aussi n'est-il guère populaire. L'ode de la rue de Rivoli, étant sans génie, sera mieux appréciée de la foule. Puis ce sont les Anglais qui nous l'offrent. Enfin!

LE PIED DE MOUTON

Je ne sais pourquoi, depuis quelque temps, on parle tant dans les journaux de Martainville, de sa féerie, le Pied de Mouton, et même de son tombeau qui est, paraît-il, situé au vieux cimetière de Neuilly. Mais je suis tout aussi bien préparé qu'un autre à faire ma partie dans ce concert inutile et même mieux, peut-être, car je suis un des rares mortels qui aient la patience, le courage, ou la bêtise, de lire ledit Pied de Mouton, je ne dirai pas jusqu'au bout, je n'en sais plus rien et je ne le crois pas, mais d'en avoir lu assez pour savoir quel est le genre de nigauderie dramatique qui amusait les spectateurs de la «Gaieté» en l'année 1806. Elle diffère assurément beaucoup de celle de 1912, sans qu'il soit bien facile de dire laquelle est la plus saugrenue. On décidera de cela plus tard, puisque, aussi bien, le Pied de Mouton soit devenu une pièce historique. Théophile Gautier, on la jouait encore de son temps, l'estimait beaucoup, ainsi que les directeurs de théâtre qui la remontaient dans les moments désespérés. L'édition originale offre tout de même ce renseignement que la qualification de mélodrame n'était pas incompatible avec l'idée de pièce comique. Le Pied de mouton porte ces deux sous-titres: «Mélodrame, féerie comique à grand spectacle.» Mon exemplaire est relié avec un tas de choses hétéroclites, telles que la Vie privée de l'ex-capucin François Chabot et de Gaspard Chaumette, pour servir de suite aux vies des fameux scélérats de ce siècle. An II de la République. C'est probablement cette brochure thermidorienne qui m'avait tenté. Le volume porte au dos ce titre unique Ophis, tragédie de Népomucène Lemercier. Ainsi ces choses disparates sont venues ensemble à la postérité. Il y a plus de philosophie qu'on ne croit dans les vieux recueils factices qui traînent sur les quais.

AU SOLEIL

Vous avez décidé de partir pour les pays du soleil et voici enfin les premiers froids. Comme cela se trouve! Les dieux certainement vous protègent. Ils ne veulent pas que vous regrettiez les arbres au milieu des palmiers; car les palmiers ne sont des arbres qu'en botanique. Mais il faut s'y résigner; quand on veut du soleil aux mois de janvier et de février, il faut subir le palmier. D'ici quelques jours, si le froid s'acclimate, si la brume s'épaissit, si la neige tombe, si la glace couvre les ruisseaux, je vais songer, moi aussi, au soleil, mais, plus patient, j'attendrai qu'il vienne à nous parmi les branchages de nos vrais arbres. Je me dirai bien: «Ils sont heureux là-bas, ils se promènent au soleil, le long de la mer bleue.» Mais je me dirai aussi: «Mon âme n'est point faite pour les palmiers, ni pour les orangers non plus, ni pour les oliviers.» Et j'aimerai presque la neige, qui serait si jolie, si on ne marchait pas dedans. Et puis, je crois qu'il faut subir les saisons, comme l'ont fait avant nous tant de générations. Le printemps ne sait quoi nous dire au mois d'avril, si nous l'avons déjà rencontré trois mois plus tôt, ou bien les paroles qu'il nous dit ne peuvent plus nous toucher.

Au lieu d'envier ceux qui passent leur vie dans une douceur perpétuelle, je suis tenté de les plaindre, car la douceur se change vite en fadeur. Les existences les plus belles sont peut-être celles qui ont subi tous les extrêmes, qui ont traversé toutes les températures, rencontré toutes les sensations excessives et tous les sentiments contradictoires. Toujours du soleil sur la tête, toujours des palmiers dans le cœur! Non. Sentez-vous le froid dont les vagues invisibles roulent dans le ciel? Parmi le décor où vous allez surgir un matin, vous le regretterez, ce vieux ciel sombre. Mais vous n'allez peut-être là-bas que pour en avoir la nostalgie, car vous n'avez pas, vous ne pouvez pas avoir de palmiers dans le cœur!

HISTOIRES DE FANTOMES

C'est périodique. Dès que l'on croit que le public a oublié la dernière mésaventure d'un montreur de fantômes, on recommence à lancer quelque nouvelle histoire de ce genre, à parler matérialisations, monde astral, mélange de fluides, désincarnation, ectoplasmes et psychodynamisme. Ces derniers mots avaient été inventés par M. Richet, physiologiste distingué, qui sombra un moment dans l'astralisme fantômal, et on continue à invoquer son autorité, encore qu'il l'ait loyalement désavouée. Il avait voulu voir, il avait même fait exprès le voyage d'Algérie, et naturellement il avait vu. Ayant vu, il avait cru et cela lui avait paru très simple. Quelle leçon! Ce professeur de physiologie, ce théoricien de l'anaphilaxie, assista sans étonnement à une matérialisation. De rien, il vit se former un être nouveau, qui remuait, qui respirait! Bien vite, il fabriqua un mot qui expliquait la chose, c'est-à-dire un mot grec, car seul le grec, entre toutes les langues, porte en lui-même sa lumière. Ayant donc vu un ectoplasme, c'est-à-dire une extériorisation corporelle, il se réjouissait dans son cœur d'avoir été choisi par les dieux pour assister à cette merveille, lorsqu'il apprit par les gazettes que le médium ectoplasmique venait d'être pincé, au cours d'une séance, par des spectateurs irrespectueux, au moment qu'il fabriquait une apparition au moyen de divers accessoires, dont le principal était un fantôme en baudruche qui se gonflait par dessus l'épaule avant de voltiger parmi les assistants ébaubis. De tout cela, il n'est resté que la théorie de l'ectoplasme que l'on nous sert encore, mais qui ne prend plus, si malins que soient les médiums. Le mot ne contient plus que de la crédulité par un bout et par l'autre, de l'escroquerie. Qu'on nous rende le bon Robert-Houdin!

DANSE ET DANSEUSES

De quand date l'uniforme, devenu si profondément ridicule, des danseuses? Qui donc leur imposa une fois pour toutes ce maillot, ce tutu, cette jupe de gaze? J'avoue n'en avoir aucune idée, mais ce ne peut pas être très ancien, puisque la danse réglementée et sans caractère, la danse administrative date d'hier. Est-ce une importation italienne? Très probablement, presque tout ce qui est baroque en art nous venant de l'Italie. Pourquoi cela a-t-il duré, pourquoi l'attitude de la danseuse s'est-elle figée sous cette forme? Mystère, qu'explique seul le peu d'intérêt que nous avons toujours manifesté pour la danse, hormis, bien entendu, les abonnés de l'Opéra qui, dans la danse, goûtent surtout le foyer de la danse. Il est vraiment incompréhensible que tous les ballets sans exception, quel qu'en soit le sujet, en quelque siècle, en quelque lieu qu'ils se passent, soient toujours réglementés par un assemblage de femmes vouées à la pirouette et aux jetés-battus. Nous ne pouvons plus supporter cela, nous avons vu trop de bas-reliefs antiques, nous avons été trop impressionnés par Isadora Duncan. L'exemple de cette femme et celui des Grecs, dont elle s'est inspirée, nous ont appris que la danse n'est pas la gymnastique, que son élément principal n'est pas l'agilité, mais la grâce, mais le caractère. La grâce et le caractère sont impossibles avec le maillot et surtout avec la jupe de gaze. La danse s'exprimera d'autant mieux qu'elle sera plus libre. Il faut lui ôter cet attirail ridicule, qui, malgré ses prétentions à figurer des sylphides, est un alourdissement du corps. La danseuse doit être à peu près nue sous un voile flottant qui tantôt dérobe, tantôt accentue le jeu de ses membres, le roulis doux de ses muscles. Mais il n'est pas que la danse grecque; il faut que la danse puisse revêtir tous les costumes et figurer toutes les attitudes. Les petits monstres hiératiques javanais, chargés comme des idoles, étaient autrement gracieux et légers qu'une demoiselle en tutu, même la mieux articulée.

 

FUNÉRAILLES CANINES

On enterrait ces jours-ci, en grande pompe, un chien. Il y eut un cortège. Un valet vêtu de noir portait sous son bras la comète (petit cercueil d'enfant). Il y avait des fleurs. Enfin, l'inhumation se fit au caveau de la famille, non de la famille du toutou, de la familles des maîtres du toutou. Il paraît que ladite famille était plongée dans la désolation et que la mère poussait des cris à fendre l'âme. C'est le symptôme aigu d'un état d'esprit assez curieux, d'un stade des mœurs où le chien de la maison est assimilé à l'enfant de la maison. On en connaît les diverses manifestations habituelles, mais celle-ci, étant plus inattendue, frappera davantage. A vrai dire, si les cimetières de chiens sont des inventions fort modernes, les monuments élevés à des chiens, les épitaphes canines aussi, sont des vieilleries. Il y a une épitaphe d'un chien dans Martial. Elle est même fort jolie. Il y en a une autre d'un poète inconnu, dans l'Anthologie de Burmann, qui n'est pas laide: «J'étais blanche. Je m'étendais mollement sur le sein de mon maître et de ma maîtresse; et quand j'étais lasse, je me reposais sur leur lit. Je suis morte en mettant bas au milieu des douleurs; et maintenant la terre cache ma dépouille sous un petit monument de marbre.» Ce chien n'était-il pas très aimé pour qu'un poète ami de la maison, ou peut-être son maître lui-même, ait dédié ces agréables vers à sa mémoire. Il eut son monument de marbre; il fut traité comme un Romain. Le christianisme avait mis une distance énorme entre l'homme et les animaux. La vieille fraternité se renoue. On ne voit pas bien pourquoi, honorant les restes humains, on mépriserait les restes d'un chien qui nous aima fidèlement. Le ridicule de la manifestation susdite s'abolit peut-être dans le sentiment.