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Le chat de misère

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LES HOUYHNHNMS

Je n'ai pas parlé de ce cheval qui a la passion des racines carrées. Quel être charmant! On lui donne un nombre et l'instant d'après, avec ses pattes ou ses oreilles, je ne sais plus, il manifeste et prouve qu'il a trouvé juste. Quelle est la racine carrée de 1146? Vous seriez bien embarrassé, et moi encore plus que vous, ne sachant même pas ce que c'est qu'une racine carrée, ni à quoi cela peut bien servir. Mais cet excellent dada les adore et les préfère même aux carottes et aux betteraves. On va le mettre prochainement, paraît-il, au régime des binômes. Alors, il pourra converser avec M. Poincaré, de l'Institut, qui n'attend que cela pour lui aller faire une petite visite dans son pays, en Allemagne.

Il la lui rendra à l'Académie des sciences et cela fera une belle séance, dont je vous promets la description. Swift n'avait pas prévu ce développement des mathématiques dans l'intellect des houyhnhnms, les chevaux nobles, justes et bons dont il avait visité la république, où ils sont devenus les maîtres des hommes, devenus, eux, les horrifiques Yahous. Ce jeune savant descend évidemment des quadrupèdes modèles tant vantés par Jonathan, mais il est tout de même moins émouvant. Pour tout dire, je le trouve un peu cheval de cirque et je me demande de combien de coups de chambrière, entremêlés de combien de morceaux de sucre, il a payé sa science. Mais j'admire parfaitement la patience de son dresseur et aussi la naïveté des commissions compétentes qui n'ont point douté un instant de ce génie chevalin. A moins que les temps prédits par l'écrivain anglais ne soient en train de s'accomplir. Cela ne m'étonnerait pas autrement. Tant d'hommes autour de nous sont déjà des Yahous!

COUSINS DE NORMANDIE

Tous les Normands étant cousins, Mme de Couvrigny, qui vient de se faire condamner à mort par le redoutable jury du Calvados, est donc ma cousine. Elle l'est même de façon plus authentique. Je n'ai pas besoin d'en donner d'autres preuves que mon dire, car c'est une alliance dont peu se vanteront. Je ne crois pas d'ailleurs qu'on en rougisse beaucoup. Il ne s'agit après tout que d'un crime de folie alcoolique et la vraie place de cette malheureuse serait à l'asile du Bon-Sauveur. C'est l'inconvénient des familles indéfiniment étendues qu'il s'y passe toujours quelque drame. Il y a une dizaine d'années, des jeunes filles s'amusèrent un jour à compter combien, elles comprises, je pouvais avoir de cousines sur la terre normande. Elles en trouvèrent, je crois, plus de cent cinquante, ce qui suppose autant de cousins, et elles en oubliaient sans doute. Depuis, tout ce monde a crû, car les anciennes et vraies familles normandes ont conservé une fécondité effroyable et qui les mène à la ruine et parfois à la dégradation, ce dont les Couvrigny sont un bel exemple. Le mari, la victime, était retombé à la condition des paysans qui jadis lui payaient fermage. Il labourait lui-même, nettoyait les étables, entassait son fumier dans la cour. Sa femme buvait, peut-être pour oublier sa misère. Le couple procréa des malingres, parmi lesquels une sorte d'idiot, que sa mère abrutie poussa au crime. Il n'y a rien de plus terrible que ces fins de familles déchues et l'on comprend la terreur des plus intelligents devant de telles perspectives. L'affaire Couvrigny apparaît de temps en temps sous des formes diverses, mais qui ont toutes une cause unique: la déchéance.

LE BONHEUR EN PRISON

C'est une histoire très vraie qui fut contée à l'Institut général psychologique par M. A. Laguesse, directeur honoraire des établissements pénitentiaires. Le nommé J. est un habitué des prisons. Non qu'il soit un grand criminel; c'est surtout un grand paresseux. Mais il sait commettre à propos le menu délit qui lui fera passer en prison la saison mauvaise. M. Laguesse le qualifie de débauché et d'ivrogne. Soit. Ce ne sont en tout cas que débauches et ivrogneries d'un sans le sou, c'est-à-dire bien médiocres. Un jour donc qu'il était en cellule pour avoir refusé de se livrer au travail imposé aux prisonniers, le directeur eut pitié de lui, je ne sais pour quelle cause, et voulut lui faire grâce, à condition qu'il irait à l'atelier où l'on effiloche des étoupes. Mais il ne voulut rien savoir. Le cachot, où l'on n'effiloche pas d'étoupes, lui paraissait beaucoup plus séduisant que l'atelier où l'on réduit en charpie de vieux câbles goudronnés. Etonné de ce refus des faveurs administratives, le directeur insistait. En vain. «Pensez donc, lui dit le prisonnier, comme je suis heureux étendu sur ma paillasse, moi qui couche à même les quais toute l'année! Ce n'est qu'en prison que je goûte à la viande et que je bénéficie d'une chemise propre tous les huit jours!» Lui parler repentir et conscience le mettrait dans un ahurissement profond, remarque l'excellent M. Laguesse, qui a peut-être essayé. Habitué à toutes les privations, à toutes les souffrances, le régime le plus dur de la détention est un bienfait pour lui. Le malheureux croit que les prisons sont des manières d'asiles où les traîne-misère trouvent un abri, mais il n'arrive pas à comprendre pourquoi la société exige que l'on commette un délit pour que l'on puisse y entrer. Il serait si simple, pense-t-il au fond de lui-même, sans oser le dire, de supprimer cette formalité absurde. Je suis assez de son avis.

AUX GOBELINS

Il paraît que les Gobelins sont en décadence, parce qu'on y chauffe les cuves à couleur avec du bois. Ce feu est difficile à régler, les ouvriers y perdent leur temps et la besogne est ratée. C'est bien possible, mais comment donc faisaient les ouvriers d'autrefois, ceux d'avant la vapeur, d'avant l'électricité, d'avant même le pétrole? Sans rien connaître à la question, je ne puis comprendre en quoi ce système de chauffage met les ouvriers d'aujourd'hui en état d'infériorité sur ceux de jadis. Si cette industrie des tapisseries, cet art plutôt, était victime de la concurrence, je comprendrais ces plaintes, mais les Gobelins sont seuls de leur espèce. Ni en France, ni à l'étranger, on n'a monté d'ateliers rivaux. Demande-t-on aux artistes des Gobelins de faire mieux que les contemporains de Le Brun ou de Watteau? Nullement. On ne leur demande que de faire aussi bien et je ne vois pas la raison pourquoi ils n'y parviendraient pas. Mais précisément, répondent leurs défenseurs, ils pourraient faire mieux, s'ils étaient mieux outillés. Oh! comme c'est inutile! Comme c'est dangereux! Mais, dit-on encore, et le progrès? Songez que si les cuves étaient chauffées à la vapeur, nous obtiendrions très facilement et à peu de frais 14.000 nuances! Les créateurs du genre étaient bien loin d'en connaître autant, ce qui les rendait incapables de rendre, comme il faut, toutes celles d'un tableau. Aussi, répondrais-je, moi qui décidément n'y entends rien, ils faisaient des tapisseries et non des copies de tableaux. On répond encore: «Nous le pouvons, nos couleurs sont inaltérables!» Ah! dis-je à mon tour, laissez-moi dans ma barbarie. Je n'aime que les couleurs qui passent, qui sont déjà passées, les couleurs qui promettent, si elles ne l'ont déjà, la grâce des choses fanées!

LA NAVETTE

La navette de Soudeilles nous est rendue. L'antiquaire belge entre les mains de qui elle était parvenue, ne pouvant la vendre, s'est décidé à la restituer. Le chef de saint Martin est déjà revenu. Ainsi, comme disent les gens qui ont des entrailles pour l'archéologie, le Trésor d'art de la France est provisoirement au complet. Ce n'est pas que cela soit très beau, mais puisque cela nous appartient, c'est à nous de le conserver, au moins par curiosité et comme spécimen d'une civilisation disparue. L'art religieux est si loin de nous! Je n'ai pas vu cette navette, mais il suffit qu'elle soit du xiiie siècle (autant qu'il m'en souvienne) pour demeurer précieuse. Les artisans de ces temps anciens avaient une telle ingénuité! C'est qu'il n'y avait pas d'écoles d'art, avec des élèves et des modèles. Il n'y avait que des apprentis qui conquéraient leur métier avec patience et des maîtres qui ne le leur enseignaient qu'en leur mettant l'outil à la main. Il n'y avait pas d'écoles, mais de ces maîtres, il y en avait partout, dans les plus petites bourgades, qui étaient devenus maîtres à force d'avoir été apprentis, forgerons à force de forger. Ils arrivaient rarement à la perfection, à l'odieuse perfection, mais leurs œuvres avaient presque toujours cette originalité que l'enseignement de l'art a tuée à jamais. Si l'art d'écrire a échappé à la médiocrité qui règne sur les arts plastiques, c'est qu'on n'a pas encore osé l'enseigner officiellement, mais cela viendra sans doute et, comme il y a des prix de poésie, on verra des écoles de poésie, des professeurs de poésie et des modèles de poésie qu'on copiera éternellement. L'art ne s'enseigne pas, sinon dans ses éléments les plus élémentaires. Il faut que l'artiste, qui redeviendrait alors un artisan, le découvre lui-même. Qu'il fuie l'école, c'est la seule chance qu'il ait de retrouver l'ingénuité perdue.

LA RAVIVEUSE DE PERLES

C'est un joli métier que celui pour lequel une jeune actrice espagnole a quitté sa profession. Elle est maintenant raviveuse de perles. Quand un collier de perles est malade, languissant, qu'il perd son éclat, on le passe à son cou, elle le porte quelque temps sur sa gorge et les perles retrouvent à ce contact leur vie et leur jeunesse. Il ne faut pas chercher là, disent les gens de science, on ne sait quelle magie; c'est de la chimie, tout simplement. Les perles malades guérissent quand on les soumet à une chaleur douce et continue, analogue à celle que dégage le corps humain. Très bien, mais pourquoi se ternissent-elles au cou de certaines femmes et se ravivent-elles au cou de certaines autres? Voilà ce que la chimie n'explique pas et ce que je ne me soucie pas qu'elle explique. J'aime mieux rêver à la sympathie entre les perles, ces jolies choses, et la gorge d'une femme, cette douce chose, rêver au mystère des tiédeurs et des effluves. Tous les seins ne palpitent pas du même rythme, tous ne donnent pas la même chaleur. Demandez aux amants. Il y en a même qui sont calmes comme un lac et froids comme leurs eaux. Il y en a qui s'agitent tumultueusement et qui répandent une tiédeur d'oiseau. Or la chaleur de l'oiseau est bien supérieure à la chaleur humaine. C'est peut-être là le secret de la belle Espagnole? Car je la veux belle, aussi, afin de compliquer le problème, et que sa poitrine ait l'harmonie de celle de la Maja Nuda, où Goya mit toute la voluptueuse insolence de l'Espagne. Des perles ne pourraient se plaire sur une gorge médiocre, ni y retrouver la fraîcheur de la vie. Peut-être aussi, certainement même, que cette femme élue est plus qu'une autre capable d'amour et qu'elle a pour les perles une dilection particulière. Le miracle de la raviveuse de perles est un miracle d'amour.

 

VIEUX LIVRES

J'ai acheté hier, en flânant sur les quais (où on ne trouve plus rien, disent ceux qui savent chercher, mais qui ne savent pas trouver), deux petits livres, plus curieux encore qu'ils ne sont rares. L'un, De l'abus des nudités de gorge, insinue que les femmes montrent trop de leur peau, et l'autre, Apothéose du beau sexe, est d'avis qu'elles n'en montrent pas assez. Il va même beaucoup plus loin dans la galanterie, mais tenons nous en à ce point de vue. Le premier de ces livrets présente l'opinion du xviie siècle; le second donne celle du xviiie. Comme il faut peu de temps pour que les idées des honnêtes gens changent du tout au tout! Quarante ans à peine séparent les deux traités et tandis que l'un réprouve l'usage qu'avaient les femmes de sortir les épaules et la gorge nues, l'autre ne serait nullement choqué d'une mode encore un peu plus libertine. L'époque du Directoire réalisa ses vœux, mais notre époque a réalisé ceux du premier auteur, qui était, dit-on, l'abbé Jacques Boileau, le frère de Despréaux. Serait-ce donc lui qui aurait eu raison? Momentanément, oui; mais au temps de Mme Tallien, on aurait cru le contraire, et d'ailleurs les femmes recommencent un peu, surtout quand il fait très chaud, à se dénuder le col. Il est vrai, il n'y a point d'abus. Mon époque est encore très collet-monté, on peut le dire. Si janséniste qu'il fût, l'abbé Boileau eût peut-être été fâché de voir ses conseils de modestie si bien suivis et je crois qu'il eût frémi devant ces hauts cols, maintenus rigides par des épingles spéciales, où les femmes s'engoncent si douloureusement. Ainsi murées, elles ressemblent à ces doctrinaires de la Restauration dont la cravate était aussi étroite que leurs idées. Allons, c'est au tour de l'Apothéose du beau sexe de gagner. L'auteur était philosophe aussi, mais pas du genre de Royer-Collard.

LES NÉCROPHORES

J'ai été frappé, l'autre jour, de la ponctualité avec laquelle les journaux se sont trouvés prêts à chanter la louange funèbre de Hyacinthe Loyson, qui venait de mourir. Ce n'était pourtant pas une célébrité très boulevardière et on ne voyait guère son nom que dans ces journaux d'une religiosité spéciale et secrète que l'on reçoit parfois, tel un prospectus. Mais il avait été célèbre et cela suffisait. Sa notice attendait sur le marbre nécrophorique. Quand on est journaliste ou qu'on tient par quelque côté à la presse, il faut en passer par là. On a été ou on sera nécrophore. On enterre les siens. C'est une besogne humaine. Mais j'aurais été bien embarrassé s'il m'avait été donné d'embaumer cet homme qui avait voulu mourir entouré de prêtres vieux-catholiques, protestants, arméniens, etc., etc. Il ne faut pas tenter l'ironie, la nécrophorie demande un sérieux considérable. Je ne savais d'ailleurs rien sur lui, sinon qu'il avait été carme et qu'il était éloquent. Cela ne devait pas être amusant d'être carme. Pourtant, on portait une bien belle robe (couleur carmélite, naturellement) et on pouvait exhiber aux foules la blancheur de ses pieds nus. Les carmes étaient très peu nombreux à Paris et n'y avaient plus aucune réputation, ni bonne, ni mauvaise. Quelle déchéance! Sous l'ancien régime, où ils pullulaient, une des apostrophes les plus usitées dans le populaire était «Fils de carme!» Ils avaient la réputation d'être des repopulateurs remarquables et de surpasser, en ce genre d'exploit, leurs ennemis les capucins, gens bonasses et timorés. On les recrutait d'ailleurs parmi les plus beaux hommes. C'étaient les cent-gardes de l'Eglise. Voilà tout ce que j'aurais pu dire à propos de feu M. Hyacinthe Loyson. Je crois que j'ai bien fait de m'abstenir, d'autant que les nécrophores ne lui ont pas manqué. Ils sont toujours prêts. Nous l'avons ou nous l'aurons tous sur le marbre, chers confrères, selon l'importance que l'opinion nous accorde, la notice émue du nécrophore qui nous survivra.