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Les musiciens et la musique

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HALÉVY

LE VAL D'ANDORRE

14 novembre 1848.

Le succès du Val d'Andorre à l'Opéra-Comique est un des plus généraux, des plus spontanés et des plus éclatants dont j'ai été témoin. Les quatre-vingt-dix neuf centièmes des auditeurs applaudissaient, approuvaient, étaient émus. Une fraction cependant, fraction imperceptible, mais qui contient encore des esprits d'élite, ne partageait qu'avec des restrictions l'opinion dominante sur la haute valeur de l'ouvrage, d'autres, dès la fin du second acte, se montraient déjà fatigués d'entendre dire que c'est charmant! O Athéniens! vous avez pourtant bien peu d'Aristides!

Pour moi, j'ai franchement approuvé et admiré; j'ai été impressionné vivement, sans songer, en écoutant les clameurs enthousiastes de la salle, à appliquer à M. Halévy ce mot antique: «Le peuple l'applaudit, aurait-il dit quelque sottise?..» Mot plus spirituel que profond, car le peuple applaudit même les belles choses quand elles sont à sa portée et qu'elles ne dérangent pas brusquement le cours de ses habitudes et de ses idées.

Le drame et la partition du Val d'Andorre sont du nombre de ces heureux ouvrages que le doigt du succès a marqués, et qui suffiraient à la gloire d'un homme et à la fortune d'un théâtre. L'exécution d'ailleurs en est évidemment exceptionnelle, ainsi que nous le verrons tout à l'heure, et telle qu'on ne s'attendait point à la trouver à l'Opéra-Comique, théâtre assez peu soucieux jusqu'à présent, des qualités dramatiques et musicales qu'il vient de déployer49.

L'intérêt palpitant de ce drame, la simplicité et le naturel des situations, la variété de ton qui y règne et l'excellente disposition des scènes destinées à la musique, en font un des meilleurs livrets d'opéra qu'on ait écrit depuis longtemps. La partition est si intimement liée avec la pièce, chacune des mélodies exprime si fidèlement et si complètement le sentiment des situations, l'accent des passions et le caractère des personnages, que la musique et les paroles semblent avoir été écrites d'un jet par un seul et même auteur. M. Halévy a rencontré rarement une inspiration plus abondante et plus soutenue. A un style mélodique d'une distinction constante, il a joint ici une harmonie toujours piquante sans recherche et une des plus délicieuses instrumentations que nous connaissions. L'ouverture, formée de trois motifs, pris dans l'Opéra, est tissue avec une habileté admirable. Son effet est pittoresque et brillant. Après une charmante cavatine de Georgette, viennent des couplets de Jacques: Voilà le sorcier, pleins de caractère et d'originalité. Il faut louer beaucoup le quatuor de la divination, dans lequel j'ai remarqué l'ensemble final: C'est de la magie! et la phrase: Adieu, madame, et recevez mes compliments! Je louerai plus encore l'entrée de Rose-de-Mai effeuillant une fleur et ses couplets: Marguerite, qui m'invite, le sextuor, la modulation de l'air du capitaine sur ces mots: La beauté qui me porte en son cœur, la scène du tirage, le quatuor syllabique: Destin qu'on dit terrible! la jolie chanson de conscrits: Venez, la nuit est belle, et ce cri si dramatique de Rose par lequel se termine le premier acte: Il est sauvé, mon Dieu! pardonnez-moi!

Le second acte s'ouvre par un chœur syllabique de soprani d'un effet gracieux et piquant. Puis on danse, et, tout en dansant, les jeunes garçons font des déclarations à leurs belles, et Georgette chante la basquaise avec accompagnement de tambours de basque, de grelots et de castagnettes. Il y a là une gaieté, une vivacité de coloris local digne des plus grands éloges; l'emploi en masse des instruments de percussion (non violents) tels que ceux que je viens de nommer, y fait merveille. Mais un morceau dont l'auditoire a été enthousiasmé, c'est celui de Rose-de-Mai: Faudra-t-il donc?.. Il est écrit en entier dans le mode mineur; seulement, quand la jeune fille se rappelle la douleur qu'éprouvait Stephan d'être contraint de partir, à la dernière syllabe de ces mots: Mais je l'ai vu si malheureux! l'accord majeur de la tonique s'épanouit d'une façon si naturelle et si inattendue, tant de tendresse s'en exhale, que les larmes en sont venues à tous les yeux. Cet accord est une inspiration sans prix, comme toute idée venue du cœur en droite ligne. Dans le trio: Ah! maintenant je vais donc tout savoir! la réponse obstinée du capitaine: Oh! quel vin délectable aux questions de Stephan, est ramenée on ne peut plus heureusement. Les exclamations douloureuses de Rose: O souffrance mortelle! – Non, je ne l'aime plus! – Je n'ai plus qu'à mourir! sont du plus grand style et d'une poignante expression. J'aime moins les couplets du Soupçon, bien accompagnés cependant par un rythme sourd de cors et de timbales. Le petit chœur pastoral qui suit rappelle un peu un ensemble vocal de l'Euryanthe de Weber. Mais le finale est un chef-d'œuvre. Les voix et les instruments s'animent ici d'une indignation terrible. Chaque note porte coup; tantôt l'effet résulte de l'unisson des voix, tantôt de leur division harmonique, mais toujours, en outre, de la vérité de l'accent et de cette union intime que j'ai signalée plus haut entre le chant et la parole. Et puis cette idée de faire mélodieusement pleurer un cor anglais à l'orchestre, pendant les terribles instants de silence laissés par les interpellations du chœur, silence qu'interrompent seuls sur la scène les monosyllabes étouffés de Rose presque évanouie, cette idée, dis-je, contraste d'une manière essentiellement et profondément dramatique avec tout le reste du finale, et en redouble la cruelle énergie. Je le répète: je crois que c'est un chef-d'œuvre.

Le troisième acte est beaucoup plus court que les deux précédents, il contient encore une chanson soldatesque avec chœurs, excellente, d'une mélodie franche et nette, et instrumentée supérieurement; un piquant duo entre Georgette et Saturnin, une délicieuse musette avec échos, un trio dont nous avons retenu la phrase de Rose:

 
Adieu, je vous laisse en partage,
A toi tout mon amour, à toi mon souvenir.
 

et enfin un unisson fort beau de quatre voix de basse dans la scène de l'accusation.

Je ne pense pas que beaucoup d'opéras puissent fournir un pareil nombre de morceaux remarquables, morceaux, qui, de plus, ont eu l'insigne bonheur d'être remarqués et appréciés de prime abord.

BELLINI

NOTES NÉCROLOGIQUES

16 juillet 1836.

Ce n'est point d'une biographie qu'il s'agit ici. La vie du compositeur dont nous regrettons la fin prématurée n'offre aucune des vicissitudes qui eussent pu en rendre le récit intéressant. Entré fort jeune au Conservatoire de Naples, il en sortit pour suivre à Milan le célèbre chanteur Rubini, alors son protecteur et depuis son ami. Il écrivit très rapidement plusieurs partitions dont la plupart furent favorablement accueillies du public. Après un voyage de quelques mois en Angleterre, Bellini s'était fixé à Paris, séduit par l'accueil que sa musique et lui-même y recevaient de toutes parts; plus encore peut-être par les richesses musicales qu'il y voyait accumulées, et c'est au milieu de l'enivrement d'un succès récent que la mort est venu l'enlever. Cet événement a frappé d'autant plus vivement, que Bellini, par la douceur de ses mœurs et par l'aménité de ses manières avait su se faire de nombreux amis. Aussi, est-ce pour se soustraire à une influence bien naturelle, que l'auteur de cette note, voulant faire une étude impartiale des travaux du jeune maestro, a tardé jusqu'ici de s'y livrer.

On a fait en France, et surtout en Italie, une foule de comparaisons plus ou moins forcées entre Bellini et les grands maîtres. On a trouvé en lui tantôt la simplicité élégante de Cimarosa, tantôt le charme pénétrant de Mozart, tantôt le pathétique élevé de Gluck, etc… Mais toujours une différence marquée entre son style et celui de Rossini. Cette dernière circonstance, qui, au premier coup-d'œil, semble avoir dû nuire à la vogue des premiers ouvrages de Bellini, est précisément ce qui a le plus contribué à la leur faire obtenir. Le public italien est plus français qu'on ne pense, sous certains rapports; l'amour du changement est très vif chez lui; à l'apparition de Bellini, il commençait déjà à se refroidir pour Rossini; peut-être même les succès continuels de l'illustre maëstro l'importunaient-ils; on était las de l'entendre toujours appeler le juste. En conséquence, on n'eut pas plutôt trouvé quelques différences entre le faire du compositeur sicilien et le sien, que cette anomalie, d'autant plus frappante que l'Italie était inondée d'imitations rossiniennes, attira l'attention générale. Toute musique de théâtre avait été réputée impossible hors de la roule brillante ouverte par l'auteur du Barbier; en reconnaissant son erreur sur ce point, le peuple italien se prit d'enthousiasme pour l'artiste qui l'avait désabusé, et, dès ce moment, une réaction violente se fit en faveur de Bellini. On l'adorait, c'est le mot, à Milan; et l'accueil que ses compatriotes lui firent, lors de son retour à Palerme, après le succès de la Norma, fut un véritable triomphe. Il semblait qu'il eut découvert la musique expressive, et que les larmes versées au Pirate et à la Straniera fussent les premières que le drame lyrique eût jamais fait couler. D'un autre côté, les partisans de l'ancienne école, qui commençaient à pardonner à Rossini son orchestre luxuriant, ses hardiesses harmoniques, et sa verve folle, trouvant dans cette nouvelle direction des idées, un retour vers leurs premières admirations, proclamèrent Bellini le restaurateur de l'art italien, et le nommèrent le second Paisiello. La réaction ne fut pas aussi prompte en France; la raison en est sans doute inhérente à la nature même du talent de Bellini. Si l'expression est le mérite principal de ses ouvrages, on conçoit, en effet, que ce mérite ne puisse être apprécié aussi facilement par des auditeurs dont le plus grand nombre est étranger à la langue dans laquelle ils sont écrits. On n'aperçut d'abord au contraire que leurs défauts; à part cette partie du public du théâtre Favart qui trouve tout adorable, pourvu que Rubini et mademoiselle Grisi chantent, le reste des amateurs et l'immense majorité des artistes trouvèrent cette musique pâle, décolorée, monotone, pauvre d'harmonie, en un mot fort en arrière de l'état actuel de l'art. Dans la plupart des premiers ouvrages de Bellini, la forme des accompagnements, la coupe des morceaux et l'instrumentation justifient, à mon sens, cette critique; souvent on y retrouve l'orchestre délabré de Grétry; ce n'est que dans ses dernières productions qu'il s'est appliqué à pallier, sinon à corriger ces défauts évidents. S'il n'a fait que les déguiser sans les faire disparaître entièrement, c'est qu'il lui était réellement impossible de faire davantage. Le sens harmonique est un don de la nature, comme celui de la mélodie; il en est de même de l'art de grouper les masses et de tirer des effets nouveaux saisissants ou pittoresques des instruments.

 

Les observations les plus variées, les études les plus opiniâtres, aidées des conseils des maîtres les plus habiles, pourront bien amener l'artiste à la connaissance des procédés employés de son temps, mais ne le feront jamais sortir sous ce rapport de la ligne des médiocrités, et ne sauraient suppléer à ce qu'il y a d'incomplet dans son organisation. Aussi quand Bellini en vint à soigner son orchestre, ces tentatives n'eurent d'autre résultat que de le rendre un peu plus bruyant sans lui donner cette physionomie animée, dramatique et originale à laquelle il ne lui était pas permis d'atteindre. Ce n'est donc pas à ses prétendus progrès qu'il faut attribuer l'accroissement de sa vogue à Paris, mais seulement au temps qui nous a permis d'entrer peu à peu dans les conditions hors desquelles il nous était impossible d'apprécier son véritable mérite, l'expression; à la lassitude du style rossinien qui commençait à se faire sentir en France comme en Italie; à la médiocrité de la plupart des productions ultramontaines au moyen desquelles les directeurs du théâtre Favart avaient espéré ranimer la ferveur des dilettanti; à la présence de Bellini parmi nous; à ses succès de salon (dont l'influence est incroyable à Paris comme à Londres); et enfin à sa mort cruelle et inattendue qui a éveillé toutes les sympathies.

En comptant parmi les causes de sa popularité la différence qui existe entre son style et celui de Rossini, ce n'est pas que je partage en entier l'opinion généralement admise sur la réalité de cette différence. L'examen approfondi d'un de ses principaux ouvrages me fournira l'occasion d'exprimer là-dessus toute ma pensée. La Straniera est celui que j'ai toujours préféré et que je choisirai.

L'introduction est une de ces choses auxquelles il est aussi difficile de trouver un nom que d'assigner un rang parmi les compositions musicales; elle justifie complètement la dénomination d'un certain bruit, donné aux ouvertures italiennes par Weber. En effet, ce n'est qu'un bruit assez désagréable fait par l'orchestre pour apprendre au public que la pièce va commencer. Il serait injuste et de mauvais goût de juger sur un tel morceau l'aptitude de Bellini pour la musique instrumentale. Il est hors de doute qu'il n'en faisait lui-même pas plus de cas que nous. Dans l'ouverture du Pirate, qu'il estimait fort, au contraire, on trouve réellement les proportions d'une ouverture, et il est aisé de reconnaître que l'auteur a voulu faire de son mieux. Malgré cela, il faut avouer qu'une telle symphonie ne serait tolérée en aucun lieu du monde où le haut style musical est connu et apprécié. A un presto à trois temps où l'orchestre frappe de violents accords entrecoupés de silences, succède un andante sans développements ni couleur, puis le grand allegro. La première phrase de ce mouvement est à peu près la même que celle d'un duo du vieil opéra de Blaise et Babet (J'n'aurons pas l'temps d'parler d'amour) et, dans le milieu, se trouve un crescendo sur la tonique pédale, avec transposition du thème à l'octave supérieure au bout de chaque période, qui décèle une fâcheuse parenté avec ces crescendo à procédé dont le comte de Gallemberg, et toute l'école de Rossini ont fait une si terrible consommation. Le reste ne présente qu'un remplissage harmonique plus ou moins bruyant, dépourvu de toute originalité et même d'un intérêt quelconque. Mais chicaner un compositeur italien sur ses ouvertures, c'est lui chercher une querelle d'Allemand; ainsi, laissant de côté pour Bellini la question de la musique instrumentale, jugée depuis longtemps, cherchons dans le drame même de la Straniera les traces du génie mélancolique et tendre dont la nature l'avait doué; il y réside tout entier.

Un chœur d'un mouvement doux, d'une mélodie simple et nonchalante: Voga, voga, il vento tace, ouvre la scène d'une manière fort convenable; puis commence le duo entre Valdeburgo et Isoletta. Dans les quatre premières mesures du chant: Giovine rosa, se décèle la cause de la teinte particulière des mélodies de Bellini. Cette cause, qu'il est facile de retrouver, non seulement dans tous ses opéras, mais même dans la plupart de ses phrases, est la prédominance de la troisième note du mode majeur. Par son voisinage de la quatrième, qui n'est que d'un demi-ton au-dessus d'elle, cette note prend par intervalles l'aspect d'une sensible, et donne aux chants une expression fort tendre, plus souvent encore triste et désolée. Quand elle domine dans une mélodie que l'auteur a voulu rendre éclatante ou énergique, presque toujours alors elle répand sur la phrase une physionomie plus ou moins vulgaire; nous en voyons un exemple dans le fameux duo à l'unisson des Puritani, dont la redondance triviale a fait le succès de la pièce auprès d'une partie du public, tout en nuisant à la réputation de l'auteur dans l'esprit des musiciens, plus que n'auraient pu le faire dix chutes consécutives. Dans le duetto de la Straniera, l'expression indiquée par la situation est au contraire affectueuse et mélancolique, il s'ensuit que l'effet mélodique de la tierce est excellent, surtout sur les derniers vers:

 
Ah! l'aurora della vita
E l'aurora del dolor.
 

La même observation est applicable au thème d'Isoletta, qui commence la seconde partie du duo:

 
O tu che sai gli spasimi
Di questo cor piagato.
 

Sous le rapport de l'harmonie, ce morceau est écrit avec une négligence qu'on pourrait prendre aisément pour de la gaucherie. Bellini a souvent encouru de justes reproches à cet égard. La structure de sa mélodie, toujours surchargée d'appogiatures et n'attaquant jamais franchement les notes réelles, n'est pas sans avoir contribué beaucoup à l'entraîner dans un si fâcheux défaut. Je sais bien que la difficulté de créer des mélodies simples et naturelles, comme Mozart en a tant produit, devient plus grande de jour en jour:

 
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
 

D'ailleurs, ce style, ennemi de la clarté et de la pureté harmoniques, cet emploi incessant de toutes sortes de contorsions mélodiques, où de fort habiles voient la plus cruelle plaie de la musique moderne, devraient toujours être palliés par une rare délicatesse de goût et la plus grande adresse dans la disposition des accompagnements. Malheureusement, il n'en est presque jamais ainsi; de là une anarchie déplorable.

Le grand duo entre Arturo et Alaïde (la Straniera) est mieux écrit que le précédent. La plupart des mélodies qui le composent tournent encore autour de la tierce avec une obstination qui leur ôte beaucoup de variété. Toutes néanmoins sont plus ou moins remarquables par l'expression d'une passion profonde et d'un douloureux attendrissement.

Le mineur: ah! se tu vuoi fuggir me paraît d'un sentiment plus poignant encore que le premier thème, et la coda à trois temps: un ultimo addio n'est d'un bout à l'autre que le cri d'angoisse d'un amour délirant.

L'âme est oppressée par la peinture de l'immense passion qui frémit dans ces deux malheureux êtres, et leurs accents de souffrance brisent le cœur. Pourquoi faut-il que l'inévitable cadence harmonique, dont les musiciens italiens signent tous leurs morceaux, vienne, après une inspiration d'une poésie aussi élevée, replonger l'auditeur dans la plus plate et la plus prosaïque des réalités? Si j'en avais le courage, je signalerais aussi comme une tache dans ce beau duo le trait vocalisé d'Alaïde sur les mots: me sciagurata! où l'on retrouve les traces rossiniennes, abandonnées jusque-là par l'auteur.

Le chœur de chasseurs (nº 5) offre peu d'intérêt surtout pour les Français et les Allemands, familiarisés avec les merveilles que Weber a créées dans ce genre. Le morceau syllabique: La Straniera a cui fé tu presti intera, sans être un véritable chœur, dans l'acception ordinaire du mot, puisqu'il n'a que deux parties en commençant et une seule en beaucoup d'endroits, est beaucoup mieux conçu. C'est bien le babillage d'une foule empressée de répandre une mauvaise nouvelle, et la précipitation du débit, motivée par la maligne joie qui anime les personnages, me parait là d'un excellent effet.

Je trouve également fort dramatique le trio: No, non ti son rivale, tout en reconnaissant l'infériorité, je dirai même la nullité du rôle que joue l'orchestre dans la scène de la provocation où son intervention est d'une nécessité si évidente. Pour celle du duel, elle me paraît faible et décousue. Au lieu d'un morceau de musique complet, c'est une suite de phrases sans liaison, dont l'une: Per me pena il ciel non ha, tout entière dans un style que l'auteur emprunte à Rossini de temps en temps, forme, avec la parole et la situation, la plus choquante disparate. Le chœur qui termine est à peine esquissé; et de tous les morceaux d'ensemble de la partition, c'est celui pourtant qui ressemble le plus à la strette d'un finale. J'arrive à un air fort court, à peine modulé dans le milieu, privé de développements, sans aucun dessein d'orchestre, pur de toute vocalisation ambitieuse, simple en un mot, et présentant, à mon sens, le type des plus touchantes élégies du jeune maëstro. On devine que je veux parler de l'air de Valdeburgo; l'un des triomphes de Tamburini.

 
Meco tu vieni, o misera,
Longe da queste porte,
Ove celar le lagrime
Ti scorgera la sorte,
Tomba ove ignota scendere
La terra a te dara.
 

Toutes ces idées de malheur, de départ, d'éloignement, de larmes, de mort, de tombeau, d'oubli, sont exprimées avec la plus accablante vérité. Certes, voilà une inspiration, ou il n'en fut jamais; et cette mélodie, qui fait couler les larmes des indifférents, doit par les souvenirs qu'elle éveille et les images de deuil qu'elle retrace, cruellement déchirer les cœurs auxquels est demeurée chère la mémoire de Bellini.

Je passe sur plusieurs morceaux évidemment calqués sur la forme rossinienne pour avoir encore à louer à la dernière scène une prière: Ciel pietoso, d'une belle et noble couleur, quoique peu originale, un récitatif obligé plein de mouvement et l'admirable air d'Alaïde au moment de la catastrophe: dans lequel elle exhale en accents frénétiques sa passion et son désespoir. Le chœur qui s'y joint ensuite n'offre rien de remarquable en lui-même, mais il sert à soutenir les cris de la jeune reine à demi folle, cris aigus, violents et prolongés, qui, présentés à découverts, pourraient, musicalement parlant, paraître d'un effet disgracieux et dont la force, déguisée jusqu'à un certain point et voilée par intervalle au moyen de la masse chorale, répand, au contraire, sur toute cette péroraison, la teinte la plus pathétique.

 

En résumé, l'auteur de la Straniera, inhabile aux grandes combinaisons musicales, peu versé dans la science harmonique, à peu près étranger à celle de l'instrumentation, et beaucoup moins original qu'on ne l'a prétendu sous le rapport du style et des formes mélodiques, Bellini, musicien de second ordre évidemment, n'en est pas moins à nos yeux, par sa profonde sensibilité, par sa grâce mélancolique, par son expression si souvent juste et vraie, autant que par la simplicité naïve avec laquelle ses meilleures idées sont présentées, une individualité d'autant plus remarquable qu'on ne devait pas s'attendre à la voir naître au milieu de la moderne école italienne, et que plusieurs de ses défauts ne sont pas les siens propres, mais ceux de son temps et de son pays, dont le développement a été favorisé par une éducation incomplète et le mauvais exemple.

49Suit l'analyse du livret du Val d'Andorre.