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Les musiciens et la musique

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Jean-François Lesueur, membre de l'Institut, professeur au Conservatoire, décoré des ordres de la Légion d'Honneur, de Saint-Michel et de Hesse-Darmstadt, est mort à Chaillot, le vendredi 6 octobre. Ses funérailles ont été dignes de son nom, de ce nom qui lui doit une illustration nouvelle. Une députation de l'Institut et presque tous les musiciens de Paris y assistaient. Plusieurs discours ont été prononcés, pendant que les larmes versées sur sa tombe témoignaient des affections que le grand artiste avait fait naître et des regrets sincères qu'il laisse après lui.

MEYERBEER

LES HUGUENOTS

I
10 novembre 1836

Comme toutes les œuvres qui attirent sur elles l'attention de la foule, comme tous les succès dont le retentissement est grand, la dernière œuvre et le dernier succès de Meyerbeer excitent des haines et des enthousiasmes incroyables. Les admirateurs et les détracteurs se coudoient à chaque représentation des Huguenots, les uns voudraient voir élever un temple au grand compositeur, les autres voudraient le voir mort et brûleraient son ouvrage en trépignant de joie. Il en fut, il en sera toujours ainsi. C'est la guerre des Gluckistes et des Piccinistes, qui se reproduit incessamment avec des épisodes plus ou moins variés. L'amour-propre, le désir de faire prédominer son opinion sur celle d'autrui, des intérêts privés, de basses jalousies, sont ordinairement le motif de ces querelles; presque jamais on ne les voit naître de l'amour de l'art. «Vous êtes du Nord, je suis du Midi; vous êtes porté à la réflexion, j'aime la vie active; votre tempérament est nerveux, le mien est sanguin; en un mot, vos impressions diffèrent des miennes, vous adorez ce que je hais, vous vous plaisez à ce qui m'ennuie, et vous méprisez ce qui me charme, c'est ridicule, c'est insupportable, vous m'insultez, je vous exècre.» Ainsi raisonnent les uns.

«Cet homme écrit autrement que moi, il a découvert dans certaines parties de l'art des ressources que je ne soupçonnais pas, sa musique est la critique vivante de la mienne. C'est mon ennemi naturel, guerre à lui!» Ainsi disent les autres. Les vrais amis de l'art ne procèdent pas ainsi; et sans faire de fausse modestie, ni prétendre non plus tout à fait à une réputation de sainteté qu'il est assez difficile de soutenir, nous nous rangerons parmi ces derniers, et comme eux nous essaierons de nous soustraire à toute influence étrangère dans l'appréciation de l'œuvre importante qui fait le sujet de cette étude. Ce travail, assez difficile il y a peu de jours encore, le sera moins aujourd'hui grâce à la partition qui vient enfin d'être publiée, et que nous avons sous les yeux. Les compositions vastes et complexes comme celles de Meyerbeer ne peuvent être comprises sans étude dans leur ensemble, moins encore dans leurs détails, et si certains critiques savaient à combien d'erreurs peut donner lieu une méprise en apparence légère, ou seulement un moment d'inadvertance de leur part, probablement ils ne se hâteraient pas tant d'émettre a priori des opinions que, d'ailleurs, grâce à un défaut absolu d'éducation musicale, il leur serait fort difficile de motiver.

L'opéra des Huguenots, comme celui de Robert le Diable, comme la plupart des grands ouvrages en cinq actes de l'école moderne, n'a point d'ouverture. Peut-être les développements symphoniques exigés par l'immensité du sujet dramatique, ordinairement choisi en pareille circonstance, dépasseraient-ils les proportions accordées à la musique instrumentale dans nos théâtres; peut-être aussi les compositeurs craignent-ils de fatiguer, dès le début, un auditoire dont l'attention peut à peine suffire au long exercice qu'ils viennent réclamer d'elle. Sous ce double rapport il est possible qu'une simple introduction soit plus convenable; mais je ne puis m'empêcher de regretter cependant qu'un compositeur comme M. Meyerbeer n'ait pas écrit d'ouverture, surtout quand je vois les beautés dont brillent ses introductions. Celle de Robert est un modèle qu'on égalera difficilement, et celle des Huguenots, moins saisissante à cause du caractère religieux qui en fait le fond, me semble, dans un autre genre, digne en tout point de lui être comparée. Le fameux choral de Luther y est savamment traité, non point avec la sécheresse scholastique qu'on remarque trop souvent en pareil cas, mais de manière à ce que chacune de ses transformations lui soit avantageuse, que chacun des rayons harmoniques que l'auteur projette sur lui n'aboutisse qu'à le colorer de teintes plus riches, et que sous le tissu précieux dont il le couvre, ses formes vigoureuses se dessinent toujours nettement. La variété des effets qu'il en a su tirer, surtout à l'aide des instruments à vent, et l'habileté avec laquelle leur crescendo est ménagé jusqu'à l'explosion finale, sont vraiment merveilleuses.

Le chœur: A table, amis, à table! est d'une verve remarquable; la mélodie épisodique du milieu: De la Touraine versez les vins, plaît surtout par sa coupe rythmique et par la manière originale dont elle est modulée. Le morceau est en ut, et au lieu d'aller à la dominante par la route ordinaire, le passage par le ton de mi naturel majeur que l'auteur a choisi donne au ton de sol qui survient immédiatement une fraîcheur délicieuse. Je ne reprocherai à ce morceau qu'un peu de laisser-aller dans la prosodie qui en rend les paroles fort difficiles à prononcer et le petit allegro à trois huit qui précède la coda. Le thème sautillant et syllabique qu'on y trouve à regret sort tout à fait du style de l'auteur pour tomber dans celui de la mauvaise école italienne, et de plus il rompt l'unité d'intention et de couleur de la scène sans en augmenter l'effet.

L'accompagnement du récitatif de Raoul est d'une expression fort piquante; on y reconnaît les cris joyeux, les agaceries libertines des étudiants dont il a trouvé entourée sa belle maîtresse. La romance qui suit est plus remarquable par la manière dont elle est accompagnée que par le chant lui-même. La viole d'amour y est fort bien placée, et l'entrée de l'orchestre, retardée jusqu'à l'exclamation: O reine des amours! est une idée heureuse. Dans les couplets: A bas les couvents maudits! qui succèdent au choral chanté avec tant de bonheur par Marcel, un côté du caractère de ce vieux serviteur est supérieurement dessiné, c'est celui du soldat puritain dont la joie est si sombre qu'à l'entendre on ne peut distinguer s'il rit ou s'il menace. L'instrumentation surtout en est fort étrange, le chant se trouvant placé entre les deux timbres extrêmes de l'orchestre, celui des contrebasses et celui de la petite flûte, pendant que le rythme est marqué par des coups sourds de grosse caisse pianissimo. La fanfare de trompettes en ut majeur donne un accent de triomphe féroce à la phrase: Qu'ils pleurent, qu'ils meurent, et fait ressortir davantage le fanatisme de la suivante, murmurée à demi-voix dans le mode mineur: Mais grâce, jamais.

Dans toute la suite du rôle de Marcel, ce même caractère est constamment observé, il l'est même dans les récitatifs que l'auteur n'a accompagnés qu'avec des accords de violoncelles, comme dans les anciens opéras; harmonie terne, gothique et en même temps sévère, parfaitement analogue aux mœurs du personnage.

Le chœur: L'aventure est singulière! ne me paraît pas à beaucoup près à la même hauteur. Le rythme sautillant qui en fait le fond est peu distingué. On voit que l'auteur n'a écrit ces quelques pages qu'à contre-cœur; je crois même qu'une heureuse coupure les a fait disparaître depuis peu de la représentation.

L'entrée du page Urbain: Une dame noble et sage, est au contraire d'une mélodie exquise, relevée encore, dès la seconde période, par un accompagnement chantant auquel une accentuation, placée à contre temps sur les temps faibles, donne la physionomie la plus piquante; c'est gracieux et un peu impertinent, comme doit être tout page bien appris.

Il faut signaler encore dans le morceau d'ensemble suivant, une excellente idée de la même nature: Les plaisirs, les honneurs! qui fait ressortir avec beaucoup d'avantage, le Te Deum en style choral dont le vieux Marcel accompagne les autres voix.

Le second acte a été jugé très sévèrement et fort mal à mon avis. L'intérêt n'en est pas à beaucoup près aussi grand que celui du reste de la pièce; mais la faute en est elle au musicien? Et celui-ci pouvait-il faire autre chose que de gracieuses cantilènes, des cavatines à roulades et des chœurs calmes et doux, sur des vers qui ne parlent que de riants jardins, de vertes fontaines, de sons mélodieux, de flots amoureux, de folie, de coquetterie et de refrains d'amour que répètent les échos d'alentour? nous ne le croyons pas, et certes, il ne fallait rien moins qu'un homme supérieur pour s'en tirer aussi bien. Le chœur des baigneuses, avec son dessin continu des bassons en dessous, et les tenues de la voix du page en dessus, serpente ainsi au milieu de l'harmonie avec une nonchalance pleine de volupté.

Le mérite de la scène dialoguée entre Raoul et la reine Marguerite est fort grand sous le rapport dramatique; toutes les intentions en ont été saisies par le compositeur avec cette finesse et cette grande entente de la scène qui lui sont familières; je trouve seulement au thème principal: Ah! si j'étais coquette! le défaut de trop rappeler celui du chœur de Robert: Le vin, le jeu, les belles. C'est une de ces ressemblances qui ne frappent pas d'ordinaire le compositeur, parce qu'elles sont moins dans la forme extérieure ou dans l'harmonie, que dans un sentiment mélodique qui n'est jamais pour lui tout à fait le même que pour son auditoire.

 

Je trouve à l'occasion du serment: Par l'honneur, par le nom que portaient mes ancêtres, un autre exemple de la différence qui sépare les impressions musicales reçues par l'oreille seulement, de celles qu'on perçoit par l'oreille aidée des yeux. L'ensemble: Devant vous nous jurons éternelle amitié, est sur l'accord de majeur, frappé avec force pendant plusieurs mesures par les voix et l'orchestre, et l'andante à quatre voix seules qui lui succède est en mi bémol. La préparation de ce nouveau ton est faite au moyen de l'accord de quinte diminuée, , fa naturel, la bémol, écrit très lisiblement dans la partition. On pourrait donc croire que la transition ne sera pas trop brusque; elle l'est cependant, et plusieurs causes concourent à lui donner une grande dureté: la force extrême et la prolongation de l'accord de , d'abord, qui, remplissant la salle de ses vibrations éclatantes, s'installe dans l'oreille de l'auditeur de manière à ce qu'on ne puisse l'en chasser que par une puissance de tonalité et une intensité de son plus grandes encore; la faiblesse disproportionnée et la brièveté excessive des deux notes fa et la bémol de l'accord intermédiaire, murmurées pianissimo dans le bas de l'orchestre de manière à ce qu'on les entende à peine, pendant que le majeur bourdonne encore avec fureur, au moins dans la mémoire de chacun; une faiblesse analogue dans l'attaque douce des quatre voix sans accompagnement sur l'accord de mi bémol, après la grande clameur de toutes les voix et de tout l'orchestre sur celui de , et enfin l'appogiature (mi naturel) du ténor, qui, se faisant entendre dès les premières notes du nouveau ton et sur l'accord diminué de la sensible, en détruit la clarté et affaiblit la tonalité de mi bémol au moment même où il est le plus important de l'établir et de faire cesser pour l'oreille toute espèce d'indécision. Il est probable que ce défaut n'existe pas pour M. Meyerbeer; il sera même beaucoup moins saillant pour moi dès aujourd'hui, parce que je viens de lire la partition, et qu'à l'avenir j'entendrai, comme l'auteur, l'accord préparatoire qu'il a placé dans l'orchestre, et qu'il est impossible de remarquer sans en être prévenu. Le tutti suivant: Que le ciel daigne entendre et bénir ces serments, est pour les voix, les basses surtout, d'une difficulté immense causée par un trop grand nombre de modulations enharmoniques extrêmement rapprochées les unes des autres. Je crois qu'on peut, à l'égard de tout le reste de ce finale, adresser le même reproche au compositeur. Beaucoup de grands harmonistes comme lui l'ont quelquefois encouru.

Mais nous allons être, au troisième acte, amplement dédommagés, il s'ouvre par un chœur de promeneurs: C'est le jour du dimanche, c'est le jour du repos, plein d'une joyeuse bonhomie, que font bientôt oublier les couplets des soldats huguenots et les litanies des femmes catholiques. Ceci est véritablement un magnifique tissu musical; la difficulté vaincue y devient un mérite réel, à cause de l'admirable résultat qu'elle amène. L'auteur, dans cette partie de son œuvre, a réalisé une proposition d'où, au premier abord, il semble ne devoir naître qu'une masse confuse de sons sans aucun intérêt; on peut croire qu'il ne s'agit que d'une combinaison péniblement élaborée, faite pour les yeux plus que pour l'oreille, comme ces tours de force tant vantés dans les écoles, sous le nom de double fugue sur un choral (excellents exercices du reste) que le père Martini et beaucoup d'autres musiciens religieux pratiquaient volontiers, pour se préserver, je crois, de l'approche du diable qu'une telle musique est bien faite pour épouvanter. Il n'en est rien cependant. Au premier chœur de soldats, énergique, chaleureux et franc, accompagné syllabiquement par des voix imitant le tambour, succède une douce prière de femmes, qui entendue d'abord sans accompagnement, comme la chanson précédente, se réunit à elle, au moment de la rentrée de l'orchestre. Ces deux morceaux, de caractères opposés, s'enchaînent et se marient admirablement sans aucun effort et sans la moindre obscurité harmonique. Ils ne sont pas seuls pourtant, car, dès la seconde mesure, un troisième chœur vient s'y adjoindre, c'est celui des hommes catholiques exprimant par de vives exclamations l'horreur que leur causent les chants impies des huguenots au moment du passage des saintes images. Les amateurs demandent quelquefois à quoi servent les études si longues auxquelles se condamnent quelques compositeurs, à quoi tend ce qu'ils appellent la science du musicien: c'est à produire des œuvres d'art merveilleuses comme celle-ci, non point dans le but puéril d'étonner, mais d'exciter un sentiment où le plaisir et l'admiration se confondent; c'est à accomplir enfin sans difficulté la tâche souvent ardue que lui imposent certaines situations, certaines données dramatiques d'où jaillissent en foule les contrastes les plus heureux, mais qui, entre des mains inhabiles, ne produiraient que désordre et chaos. L'amalgame musical que je viens de citer est une chose curieuse pour les artistes et belle pour tout le monde; on n'avait encore rien tenté au théâtre d'aussi vaste en ce genre; les trois orchestres du bal de Don Juan n'y ressemblent pas.

Dans cet acte, qu'on avait aux premières représentations voulu sacrifier aux deux derniers, se trouve encore un fort beau duo de basse et soprano, d'un caractère neuf, remarquable surtout par un dessin obstiné d'accompagnement qui s'empare peu à peu de l'attention, et finit par intéresser vivement, bien qu'il ne se compose que d'une note frappée deux fois et répercutée à l'octave. N'oublions pas le septuor du combat pour quatre basses et trois ténors, composition du plus haut style, dont les détails sont aussi admirables que l'ensemble, et que nous rangerons parmi les plus belles productions de la musique moderne. Après l'appareil vocal déployé dans ces différentes scènes, il semble impossible que le musicien puisse tirer encore de nouveaux effets des voix; mais son génie a d'étonnantes ressources, il nous le prouve dans la dispute de ces deux groupes de femmes, où, du choc des dissonances de seconde mineure et majeure, jetées avec force sur un débit syllabique brusquement accentué, jaillissent des effets pour lesquels les points de comparaison me manquent absolument. Le finale, avec le second orchestre placé au fond du théâtre, ne me paraît pas heureux; c'est plutôt clinquant que brillant, le drame n'exigeait pas ce déploiement extraordinaire de forces instrumentales, et la musique n'y gagne pas assez pour le justifier.

Nous allons voir maintenant quelles merveilles l'infatigable auteur des Huguenots a répandues sur le reste de sa partition, et de quels accents il a su animer les scènes violentes qui s'y déroulent, après le coloris si vif et si brillant qu'il a répandu sur tout ce que les trois premiers actes offraient de pittoresque à ses inspirations.

II
10 décembre 1836.

Dans les actes précédents, le compositeur avait dû quitter de temps en temps le style sévère qui lui est propre, pour un autre plus en rapport avec certaines exigences théâtrales, devant lesquelles les plus nobles têtes s'inclinent, mais dont la pureté de l'art a toujours plus ou moins à souffrir. Ici nous l'allons voir, n'obéissant qu'à l'impulsion de son génie, s'élever à une hauteur qu'il est donné sans doute à bien peu de ses rivaux de pouvoir jamais atteindre. De légères cavatines, ornées de fioritures et de traits vocalisés, ne sont pas à la vérité très aisées à revêtir de cette grâce et de cette vive originalité qu'on remarque dans celles de M. Meyerbeer; on peut écrire de la musique brillante et avantageuse pour le chanteur, qui soit en même temps dépourvue de toute invention et tissue tout entière de lieux communs, je le sais. Aussi ne cherchai-je point à diminuer le mérite réel du compositeur dans ce travail souvent ingrat et antipathique à ses habitudes; je crois seulement que ce mérite ne saurait être comparé à celui de la grande musique dramatique, véritable puissance qui subjugue à la fois les passions, les sentiments et la réflexion, pendant que l'autre musique, jouet plus ou moins frivole, ne se propose d'autre but que la récréation de l'oreille. Ces magnifiques combinaisons de chœurs de divers caractères que nous avons signalées au troisième acte, ne sauraient même, selon nous, malgré la richesse de leurs résultats, être mises en parallèles avec les scènes passionnées auxquelles nous allons assister. Pour écrire les unes, il suffit d'un musicien ingénieux: pour concevoir et dessiner aussi largement les autres, il fallait absolument un homme de génie.

Après un récitatif dialogué entre Raoul et Valentine, récitatif plein d'amour et d'angoisse, commence le morceau d'ensemble de la conjuration.

Je ne connais pas au théâtre de scène à proportions plus colossales et dont l'effet soit plus habilement gradué du commencement à la fin.

En voici le plan. C'est d'abord un allegro moderato accompagné d'un dessin obstiné en triolets des instruments à cordes, dont la tournure est trop mélodique pour qu'on doive lui appliquer la dénomination de récitatif mesuré; c'est une de ces formes intermédiaires, familières à M. Meyerbeer, qui tiennent du récitatif autant que de l'air et ne sont cependant ni l'un ni l'autre. Elles sont excellentes quelquefois pour soutenir l'attention de l'auditeur; souvent aussi elles ont l'inconvénient de ne pas laisser assez apercevoir l'entrée des airs ou des morceaux d'ensemble mesurés, en effaçant trop la différence qui sépare ceux-ci du dialogue ou parler musical. Ici l'emploi de ce genre de déclamation mélodique est d'autant plus heureux qu'il est précédé d'un récitatif simple et suivi d'un andantino essentiellement chantant. Il intéresse sans impressionner beaucoup; il prépare l'oreille aux grands développements qui se préparent; c'est le point de départ du crescendo.

L'andantino dont je viens de parler: Pour cette cause sainte, doit être considéré pour ainsi dire comme le thème principal de toute la scène. Nous le voyons, en effet, revenir trois fois à des intervalles assez éloignés, et toujours enrichi de nouvelles idées accessoires, de plus en plus énergiques. Les deux périodes dont cette grande phrase se compose sont modulées d'une façon aussi heureuse qu'originale; l'une et l'autre cependant n'abordent que des tons d'une relation très rapprochée de la tonalité principale mi naturel majeur. La première passe par le ton du sol dièze mineur pour rentrer aussitôt en mi, et la seconde par celui de sol naturel majeur, qui ne fait également qu'apparaître, mais en donnant un éclat remarquable au retour subit et inattendu de la cadence parfaite du ton de mi majeur, qui amène la conclusion. Le tempo primo revient avec son dessin obstiné et sa déclamation mélodique; on y trouve une expression de rare bonheur, celle de Nevers, au moment où brisant son épée, il s'écrie:

 
Tiens, la voilà, que Dieu juge entre nous.
 

Après une nouvelle apparition du thème andantino, et quelques mesures de récitatif simple, Saint-Bris donne ses ordres aux conjurés sur une phrase dont le caractère sombre naît plutôt du timbre de la voix grave qui la chante et de l'accompagnement des basses de l'orchestre, que de son expression propre. J'en excepte seulement la fin: Tous, tous frappons à la fois, répétée à la tierce supérieure par les ténors, et à la tierce inférieure par les basses du chœur; cette combinaison est d'une couleur sinistre, et d'un accent menaçant dont la vérité ne saurait être méconnue. Mais, plus loin, je trouve le sujet d'une observation qui paraîtra peut-être minutieuse, et que je me serais bien gardé de faire s'il ne se fût pas agi de l'un des plus grands musiciens existants. Saint-Bris s'écrie, sur un mouvement vif:

 
Le fer en main, alors levez-vous tous;
Que tout maudit expire sous vos coups.
Ce Dieu qui nous entend et vous bénit d'avance,
Soldats chrétiens, marchera devant vous.
 

Puis Valentine dit, à part, avec angoisse:

 
Mon Dieu, mon Dieu, comment le secourir
Il doit entendre, hélas! et ne peut fuir,
Je veux et n'ose auprès de lui courir.
 

Or, la phrase musicale sous laquelle le compositeur a placé ces paroles de sentiments si opposés, et que chantent deux personnages dont l'un tremble et l'autre menace, cette phrase, dis-je, est presque absolument la même pour tous les deux.

 

La convenance dramatique et la vérité d'expression s'accommodent-elles bien de ce double emploi mélodique, et le raisonnement ne démontre-t-il pas ou que la phrase est d'une expression vague, et peu saillante, ou bien que, dans le cas contraire, elle est incompatible avec le caractère de l'un des deux personnages?..

Cette licence, d'un usage fréquent dans les ouvrages légers et de demi-caractère, devient ici d'autant plus grave, ce me semble, que la scène est plus importante, que l'auteur l'a considérée d'un point de vue plus élevé, et qu'il a prêté partout ailleurs aux passions un langage plus naturel et plus vrai. Un instant de lassitude aura sans doute fait glisser le grand compositeur dans cette voie qui n'est pas la sienne. Mais par quel sublime élan nous l'en voyons sortir aussitôt! Trois moines s'avancent lentement, l'orchestre, dans un mouvement modéré, exécute un rythme à trois temps fortement accentué, sur lequel les trois voix viennent poser en sons soutenus leur hymne sacrilège: Gloire au Dieu vengeur! Tout à coup, le rythme menaçant cesse, et les instruments de cuivre plaquent quatre fois de suite deux accords majeurs en relation enharmonique, celui de mi naturel et celui de la bémol, pendant que Saint-Bris et les trois moines chantent à l'unisson sur deux notes seulement (sol dièze, ut naturel).

 
Glaives pieux, saintes épées,
Qui dans un sang impur serez bientôt trempées,
Vous par qui le Très-Haut frappe ses ennemis,
Glaives pieux, par nous soyez bénis.
 

A ce dernier vers, les voix se divisant forment une harmonie inattendue dans le ton d'ut majeur, sans accompagnement, et modulant de proche en proche, ramènent le thème de l'hymne en la bémol, repris alors par le chœur tout entier, et accompagné de toute la force des archets par le grand rythme des basses et violons déjà entendu au début. A partir de cette entrée du chœur, cette gravité devient si terrible, chaque temps de la mesure est frappée avec tant de force, les voix se heurtent en dissonances si âpres, il y a dans tous les accents, dans toutes les formes mélodiques, un si épouvantable mélange du style religieux et du style frénétique, qu'il fallait un effort vraiment extraordinaire pour terminer un tel crescendo par un effet supérieur à tout ce que nous venons de signaler. Voici comment M. Meyerbeer y est parvenu. Après quelques mots prononcés à voix basse, les moines font signe aux assistants de se mettre à genoux et les bénissent en traversant lentement les différents groupes. Alors, dans un paroxysme d'exaltation fanatique, tout le chœur reprend le premier thème: Pour cette cause sainte, mais cette fois, au lieu de diviser les voix en quatre ou cinq parties, comme auparavant, le compositeur les rassemble à l'unisson et à l'octave en une seule masse compacte, au moyen de laquelle la tonnante mélodie peut braver les cris de l'orchestre et les dominer tout à fait; en outre, de deux en deux mesures, dans les intervalles de silence qui séparent chaque membre de la phrase, l'orchestre se gonfle jusqu'au fortissimo, et au moyen d'une attaque intermittente des timbales secondées d'un tambour, produit un râlement étrange, inouï, qui frappe de consternation l'auditeur le plus inaccessible à l'émotion musicale. Cette sublime horreur me paraît supérieure à tout ce qu'on a tenté de pareil au théâtre depuis de longues années; et, sans rien ôter à Robert le Diable de son rare mérite, je dois ajouter que, sans en excepter le fameux trio, je n'y trouve pas le pendant de cette immortelle peinture du fanatisme. Le duo qui lui succède est presque à la même hauteur; je crois, cependant, que les modulations y sont trop multipliées; mais les plus hétérogènes y sont présentées avec tant d'adresse, que l'unité du morceau n'en souffre que peu. L'un des plus saillants épisodes me paraît être la cavatine: Tu l'as dit; oui, tu m'aimes, dont le chant si tendre reçoit un nouveau charme des réponses en écho des violoncelles, et dont l'instrumentation générale a tant de grâce et de délicatesse. La péroraison ensuite étonne par sa hardiesse, parfaitement motivée, il est vrai, mais non moins réelle: le duo finit à peu près en récitatif, par un solo, et sur la note sensible. Ce dénoûment musical, si contraire à nos habitudes, semble devoir manquer de la force et de la chaleur nécessaires à la conclusion d'un tel acte; et, tout au contraire, la dernière exclamation de Raoul: Dieu, veillez sur ses jours, et moi je vais mourir, est si déchirante, que l'effet de l'ensemble mesuré le plus vigoureux ne saurait lui être supérieur.

L'air de danse qui ouvre le cinquième acte est fort court, mais remarquable par son élégance chevaleresque; les interruptions, causées par le son lointain des cloches, y sont habilement placées. Le morceau de Raoul, à son entrée au milieu du bal, me semble manquer de mouvement dramatique; le récitatif n'en est pas, pour moi du moins, assez serré; les silences, placés dans la partie vocale entre chaque vers, refroidissent le débit et brisent l'élan de la passion au moment de sa plus grande puissance. Peut-être, par ces lacunes, le compositeur a-t-il voulu rendre l'espèce de suffocation qui coupe la parole d'un homme bouleversé d'horreur comme doit l'être Raoul dans un pareil moment. Ce serait fort naturel, il est vrai; mais je crois qu'un pareil degré de vérité n'est pas celui qui convient à un grand théâtre comme l'Opéra, où l'éloignement et le bruit de l'orchestre empêchent le spectateur de remarquer l'expression du visage, le tremblement nerveux, la respiration haletante de l'acteur et les mille finesses de pantomime, qui, en complétant la pensée du compositeur, peuvent seules la justifier tout à fait. J'en dirai autant de l'air suivant: A la lueur de leurs torches funèbres, dont le plus grand tort, à mon sens, est d'être un air. Le drame s'arrête évidemment pour laisser le chanteur faire sa description des désastres qui ensanglantent Paris. A peine les protestants ont-ils appris le massacre de leurs frères, qu'ils doivent, au contraire, interrompre par un cri le porteur de la nouvelle, et se précipiter hors de la salle du bal sans écouter d'inutiles détails.

Le trio suivant est conçu tout autrement; quoique fort long, puisqu'il remplit à lui seul presque tout le dernier acte, il est si admirablement conduit qu'il ne paraît guère plus long qu'un morceau ordinaire. Le début est jeté dans un moule nouveau.

Ces interrogatoires sévères de Marcel, auxquels répondent pieusement les voix des deux amants; les sons graves et pleins de tristesse de la clarinette-basse, seul accompagnement du chant de Marcel; ce silence même du reste de l'orchestre, tout concourt à donner à l'ensemble musical de cette scène quelque chose de grandiose et d'imprévu dans sa solennité.

Les chœurs entendus dans le temple voisin, chantant le choral de Luther au milieu des cris des meurtriers et de leurs rauques fanfares, produisent un contraste des plus saisissants. Ce chant d'assassins et celui des trompettes qui l'accompagnent, sont d'ailleurs, même pris isolément, d'une expression atroce. L'auteur a su la leur donner par un moyen fort simple, mais qu'il fallait trouver, et, de plus, qu'il fallait oser employer: c'est l'altération de la sixième note du mode mineur. La phrase brutale dans laquelle cette note est jetée en la mineur et le fa (sixième note), qui devrait être naturel, est constamment dièzé. L'effet vraiment horrible qui en résulte est un nouvel exemple du caractère prononcé des combinaisons auxquelles cette note, avec ou sans altérations, peut donner lieu. Gluck en avait déjà tiré plusieurs fois grand parti, d'une autre manière; je ne citerai que la basse célèbre de l'air du troisième acte d'Iphigénie en Tauride, sous le vers:

 
Ah! ce n'est plus qu'aux sombres bords.
 

L'air est en sol mineur, et la basse arrivant par degrés conjoints sur le mi naturel à l'endroit que j'indique, cette note imprévue répand tout à coup sur l'harmonie une teinte noire et lugubre qui donne le frisson. Dans les Huguenots, elle resplendit au contraire, mais comme une épée nue; il y a de la joie dans son accent, mais de cette joie que, dans toutes les guerres de religion, les vainqueurs empruntent aux tigres et aux cannibales. Placée dans les trompettes, cette note, grâce au timbre perçant de l'instrument, redouble d'âpreté et grince alors avec une férocité diabolique. Ce n'est pas là une des moindres inventions de M. Meyerbeer, dans une œuvre où, à côté de tant de beautés d'expression, les combinaisons nouvelles brillent en si grand nombre.