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Les musiciens et la musique

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C'est ce qui est arrivé tout d'abord pour la reprise de Sapho. L'exécution en a été pitoyable. Fort heureusement les observations qui ont été faites sur elle au foyer de l'Opéra, ce soir-là, ne sont pas tombées dans l'oreille de sourds; elles ont produit leur effet, et la seconde représentation a motivé, sinon le pardon, au moins l'oubli de la première. Les mouvements ont été mieux pris, les nuances mieux observées, les principaux rôles mieux rendus; et l'effet, en dépit des mutilations infligées à l'œuvre, a été grand, et l'auditoire ému et surpris de son émotion, a applaudi sincèrement lui-même et de toutes ses forces, après la chute du rideau.

Les coupures ont enlevé plusieurs morceaux remarquables, mais elles en ont aussi fait disparaître quelques-uns dont j'ai, dès l'abord, regretté l'existence. Telle qu'elle est maintenant, cette œuvre m'attire, je l'avoue, elle me charme, elle me passionne, et je l'entendrai tant que je pourrai l'entendre. C'est si beau, le beau! C'est si rare, la passion noblement exprimée, le bon sens dans l'art, le naturel poétique, la vérité simple, la grandeur sans enflure, la force sans brutalité! Oh! une œuvre dictée par le cœur, en notre temps de machinisme, de mannequinisme (et de néologisme), et d'industrialisme plus ou moins déguisé sous un prétexte d'art! Mais il faut l'adorer, jeter un voile sur ses défauts, et la placer sur un piédestal si élevé, que les éclaboussures qui jaillissent autour d'elle ne puissent l'atteindre! Vous êtes les Catons de la cause vaincue, nous dira-t-on; soit! mais cette cause est immortelle, le triomphe de la vôtre n'est que d'un instant, et l'appui de vos dieux lui manquera tôt ou tard, avec vos dieux mêmes.

D'ailleurs le beau, en musique et dans tous les arts reproduisant un idéal élevé, n'atteint jamais la foule proprement dite, elle est de trop petite taille, et les traits du génie volent bien au-dessus d'elle. Vous ne voulez pas, direz-vous, de ces succès qui excitent des passions admiratives et ne remplissent pas la caisse! Vous êtes orfèvre, monsieur Josse! et nous aussi. Tout le monde a son ours! Le vôtre est celui qui rapporte beaucoup d'argent; le nôtre, celui qui fait naître des impressions, qui excite des élans d'âme que vous ignorez, et que des millions de millions ne paieraient pas.

Or, je vous le dis en vérité, si la chimie inventait un procédé capable d'extraire du minerai de la musique dramatique moderne les idées pures qui s'y trouvent, il faudrait mettre un bien grand nombre d'opéras dans son creuset, pour y trouver, après la fonte, la valeur du troisième acte de Sapho et les beaux morceaux des deux autres. Ces paroles sont folles, je le sais, selon l'opinion générale, on n'y verra que d'insensés blasphèmes. Tant pis! tant mieux plutôt! Je les ai dites avec préméditation, et je regrette de ne pouvoir leur donner vingt fois plus d'énergie encore.

Et pourtant je vois l'œuvre telle qu'elle est.

Le rôle entier d'Alcée a disparu, je ne disconviens pas que ce soit peu regrettable. La musique du dithyrambe de ce socialiste antique était pâle, sans nerf, et semblait accompagnée par des trompettes de carton. La suppression des chants de l'orgie ne laisse pas non plus un grand vide dans la partition. M. Gounod n'a pas trouvé sur sa lyre grecque les cordes de fer dont les violentes vibrations suffisent seules à rajeunir les vieux cris de liberté, et à donner l'ardeur communicative, l'éclat fracassant qui conviennent aux mélodies de l'ivresse.

Mais l'introduction religieuse est restée, on a conservé l'hymne: O puissant Jupiter! l'improvisation sur Héro et Léandre, les gracieux couplets: Puis-je oublier, ô ma Glycère! le grand et beau finale: Merci, Vénus! le chant si voluptueusement languissant de Sapho: Aimons, mes sœurs! et tout le troisième acte. Et c'est assez. Pourquoi n'a-t-on pu enlever aussi la scène du deuxième entre Sapho et Glycère? Les deux cantatrices, les auditeurs et l'auteur, tout le monde y eût gagné. Mais l'élément dramatique, le nœud de la pièce, eussent alors disparu…

En écoutant ce duo, dernièrement, j'ai été amené à reconnaître la vérité d'une observation déjà faite par d'excellents critiques, et qui est celle-ci: une situation étant donnée, dans laquelle deux femmes expriment l'une le désespoir et l'autre la fureur, le compositeur, s'il veut rester vrai, n'évitera point de leur faire pousser à l'une et à l'autre des cris d'autant plus disgracieux et intolérables que le timbre des deux voix est plus aigu. Elles auront toujours l'air de mégères aux prises, et les hurlements sympathiques de l'orchestre ne serviront qu'à rendre plus pénible pour l'auditeur cette lutte de sons criards, que l'accent musical n'adoucit plus. C'est à l'auteur du drame à éviter des scènes pareilles, qui compromettent le compositeur et ses interprètes.

Gueymard a bien dit deux passages du bel air qui ouvre le troisième acte, celui de l'andante:

 
Sapho, je donnerai le reste de ma vie
Pour te revoir encore une dernière fois:
 

et l'exclamation désespérée de la fin:

 
Non, je n'attends plus rien des hommes, ni des dieux!
 

L'orchestration de l'allegro de cet air me paraît trop chargée, ou tout au moins écrite de façon à couvrir trop constamment la voix. Mais à partir de l'imprécation de Phaon:

 
O Sapho! sois trois fois maudite!
Je te voue aux dieux infernaux!
 

à cette navrante réponse de l'abandonnée à son injuste amant:

 
Sois béni par une mourante!
 

commence une orchestration monumentale, parfaite, admirable. Chacun des instruments dit ce qu'il doit dire, et tout ce qu'il doit et rien que ce qu'il doit dire. L'art est si complet qu'il disparaît. On ne songe plus qu'à la sublimité de l'expression générale sans tenir compte des moyens employés par l'auteur. C'est un cœur qui se brise et dont on compte les derniers battements, c'est l'amour indigné qui exhale sa suprême plainte, c'est le râle de la mer attendant sa proie, ce sont tous les bruits mystérieux des plages désertes, toutes les harmonies cruelles d'une nature souriante, insensible aux douleurs de l'être humain. C'est beau, mais c'est très beau, miraculeusement beau!

FAUST

26 mars 1859.

Cette fois je n'aurai pas à raconter la pièce; tout le monde est censé avoir lu le poème de Gœthe. – «Oui, oui, oui, direz-vous, nous savons par cœur notre Marguerite, notre Faust, notre Méphistophélès, et notre sabbat, et nos sorcières.» – Et moi je vous répondrai: «Non, non, non! vous ne savez rien par cœur, d'abord parce qu'il se peut que vous n'ayez point de cœur, et ensuite parce qu'en réalité vous n'avez jamais lu Faust, et que, l'eussiez-vous lu un soir pour vous endormir, comme on lit un roman de Paul de Kock qui ne vous endort pas, au contraire, vous ne le connaissez pas mieux pour cela. Mais c'est égal, je vais faire semblant de croire que chacun a médité, senti et compris le merveilleux poème, et divaguer sur ce sujet comme si nous avions tous été élevés dans le giron de Jupiter.»

Ces rêveries, ces aspirations à l'infini, cette soif de jouissances, ces passions naïves, ces ardeurs d'amour et de haine, ces lueurs du ciel et de l'enfer, ont dû tenter et tentèrent en effet bien des musiciens, bien des dramaturges, sans parler des dessinateurs et des peintres. Combien de fois n'a-t-on pas dérangé Gœthe, qui lui-même avait dérangé Marlowe, pour mettre son œuvre en opéra, en légende, en ballet! oui, en ballet. L'idée de faire danser Faust est bien la plus prodigieuse qui soit jamais entrée dans la tête sans cervelle d'un de ces hommes qui touchent à tout, profanent tout sans méchante intention, comme font les merles et les moineaux des grands jardins publics prenant pour perchoir les chefs-d'œuvre de la statuaire. L'auteur du ballet de Faust me paraît cent fois plus étonnant que le marquis de Molière occupé à mettre en madrigaux l'histoire romaine. Quant aux musiciens qui ont voulu faire chanter les personnages du célèbre poème, il faut leur pardonner beaucoup parce qu'ils ont beaucoup aimé et aussi parce que ces personnages appartiennent de droit à l'art de la rêverie, de la passion, à l'art du vague, de l'infini, à l'art immense des sons.

En outre du ballet de Faust, il y a sur le même sujet un opéra allemand de Spohr, un opéra italien de mademoiselle Berlin, des ouvertures de Richard Wagner, de Lindpaintner, une symphonie de Liszt, des illustrations et une foule de légendes, ballades, cantates, sonates, variations pour la clarinette et pour le flageolet. De combien de dédicaces Gœthe l'olympien a été affligé! Combien de musiciens lui ont écrit: «O toi!» ou simplement: «O!» auxquels il a répondu ou dû répondre: «Je suis bien reconnaissant, monsieur, que vous ayez daigné illustrer un poème qui, sans vous, fût demeuré dans l'obscurité, etc.» Il était railleur, le dieu de Weimar, si mal nommé pourtant par je ne sais qui, le Voltaire de l'Allemagne. Une seule fois seulement, il trouva son maître dans un musicien. Car, cela paraît prouvé maintenant, l'art musical n'est pas aussi abrutissant que les gens de lettres ont longtemps voulu le faire croire, et, depuis un siècle, il y a eu, dit-on, presque autant de musiciens spirituels que de sots lettrés.

Or donc Gœthe était venu passer quelques semaines à Vienne. Il aimait la société de Beethoven, qui venait d'illustrer réellement sa tragédie d'Egmont. Errant un jour au Prater avec le Titan mélancolique, les passants s'inclinaient avec respect devant les deux promeneurs, et Gœthe seul répondait à leurs salutations. Impatienté à la fin d'être obligé de porter si souvent la main à son chapeau: «Que ces braves gens, dit Gœthe, sont fatigants avec leurs courbettes! – Ne vous fâchez pas, Excellence, répliqua doucement Beethoven, c'est peut-être moi qu'ils saluent.»

 

Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que le drame fantastique de Gœthe ait eu à subir un si grand nombre d'attentats prémédités non suivis d'effet. Je suis surpris, au contraire, qu'on n'ait pas, vingt ans plus tôt, fait pour le plus grand de nos théâtres lyriques le plus grand des opéras sur ce grand sujet de Faust.

Mais non, c'est un petit théâtre sans subvention qui s'est dévoué à cette noble tâche. Il a fait des efforts, il s'est imposé des sacrifices, des dépenses de talent, de temps et d'argent qui lui donnent des droits incontestables aux plus vives sympathies, aux plus chaleureux encouragements. Entourés, comme nous le sommes dans le monde des arts, de gens dont l'unique souci est de rapetisser ce qui est grand, il faut louer ceux qui tentent.

Beaucoup de personnes, néanmoins, trouvent le sujet de Faust incompatible avec les exigences musicales; pour d'autres il est peu dramatique, ennuyeux, triste. Il fallait entendre dans les corridors du Théâtre-Lyrique ce cliquetis d'opinions étranges et contradictoires:

«Eh bien! voilà un succès…

– Oui. Pour moi c'est peu amusant. – Amusant! Vous conviendrez que l'expression est mal choisie. On ne va pas voir un Faust pour s'amuser. – Vous êtes singulier; faudra-t-il aller au théâtre suivre un cours de philosophie? Je prétends…

– …quatuor du jardin. Est-ce frais? est-ce touchant? plein de chaste passion, d'angélique tendresse? – Allons, bon, voilà encore ce mot chaste, un des termes les plus indécents que l'on puisse employer. Votre chaste Marguerite est une jeune drôlesse; elle mérite, et au delà, toutes les épithètes dont son frère Valentin en mourant va la stigmatiser. Elle se rend aux premiers mots d'amour que lui adresse un inconnu. A leur deuxième entrevue, la chaste jouvencelle le reçoit dans sa chambre. Fausse niaise! – Voulez-vous vous taire!.. – Petite pécore, qui a fait… – Taisez-vous, – … et qui le noie ensuite. – Vous dépoétisez tout ce que… – un infanticide. Chaste! Tudieu! quelle chasteté!

– Ils présentent leurs épées par la poignée, ce simulacre de croix fait trembler et fuir Méphistophélès. Idée ingénieuse, dont Gœthe ne s'est pas avisé. – Seulement, cette ingénieuse idée fait paraître absurde la belle scène de l'église, dont Gœthe s'est avisé, puisque Méphistophélès, entré dans le sanctuaire, n'y a plus peur d'aucun objet sacré. Lui qui frissonnait à l'aspect des gardes d'épée figurant la croix, ne craint maintenant ni vraies croix, ni bannières, ni châsses de saints, ni pieux cantiques. – Vous poussez la logique… – Jusqu'au sens commun.

– …Je le veux bien, ce n'est pas coupé comme les autres opéras, tant mieux! cela change des habitudes dont nous sommes cruellement fatigués.

– …la scène du jardin est manquée…

– Quel délicieux morceau que ce duo du jardin! – Ce n'est pas un duo, mais un quatuor. – Il y a de beaux passages dans le quatuor du jardin. – Euh! harmonieux oui, mais voilà tout. D'ailleurs, ce n'est pas un quatuor; on pourrait y voir plutôt deux duos alternatifs. – Comme il vous plaira; le nom m'est égal; pourvu que l'auteur m'émeuve, je suis content. Et il m'a ému. Et ce monologue de Marguerite à sa fenêtre? Ce n'est pas beau, peut-être? ce n'est pas une idéale peinture de la passion croissante?..

– Pourquoi cette grosse caisse et ces cymbales pendant le monologue de Marguerite? à quel propos? dans quelle intention? – Vous venez bien tard pour faire cette question. Elle a déjà été faite pendant les répétitions, et personne n'a pu y donner une réponse satisfaisante. – Je m'adresserai à l'auteur, cela m'intrigue.

– Ce chœur du peuple après la mort de Valentin est un chef-d'œuvre! – Je suis de votre avis, et j'ajoute que le récitatif de Valentin mourant est plus remarquable encore. Cette scène est d'une force…

– Avec tout cela, il n'y a pas à se le dissimuler, c'est un succès. – Certainement. – Et un grand succès. – Oui. Aviez-vous espéré une chute? – Je l'avoue, la chute me souriait. – Pourquoi? Vous détestez donc M. Gounod? – Je le déteste. – Parce que? – Parce qu'il porte une longue barbe. A-t-on jamais vu musicien si barbu? Rossini porte-t-il la barbe, Meyerbeer, Halévy, Auber portent-ils la barbe? Qu'est-ce que ces habitudes de moujik? Sommes-nous en Russie?.. – C'est vrai, c'est vrai. Oh! dès que vous me donnez des raisons… En effet, un musicien barbu ne peut avoir aucun talent, et vous êtes plus qu'autorisé à détester M. Gounod. Pourtant un poète l'a dit:

 
Du côté de la barbe est toujours la puissance.
 

Félicien David, d'ailleurs, et Verdi, portent la barbe; vous n'avez jamais paru les haïr… – Ce n'est pas la même race d'artistes, et leur barbe est moins longue. – Très juste. Vous êtes très juste. Rentrons, voilà le quatrième acte qui commence.

Voilà pourtant ce qui se dit, avec bien d'autres choses encore, dans les foyers, dans les corridors des théâtres lyriques, à toutes les premières représentations des œuvres de quelque valeur.

A la première des Huguenots, un poète d'esprit fit ce mot qu'on a longtemps répété: «Voilà un bel opéra! c'est dommage qu'on ne l'ait pas mis en musique!» Ainsi il faut méditer, inventer, travailler, perdre le sommeil et la santé, à cette tâche ardue de la composition d'une grande partition dramatique, pour se voir tout d'abord tiré à quarante-huit chevaux, loué et déchiré à tort et à travers, baffoué par les uns, ridiculement exalté par les autres, mal compris de tous…

 
Famæ sacra fames!
 

Voici les nombreuses beautés que je puis signaler dans la partition de Faust après l'avoir entendue deux fois et en commençant par constater le grand et légitime succès qu'elle a obtenue. Dans l'introduction instrumentale qui remplace l'ouverture se décèle le savant harmoniste. Le caractère de ce morceau est celui d'une triste rêverie; il fait vivement saillir la fraîche et joviale villanelle qu'on entend bientôt après. Le solo de Faust, accompagné des instruments de cuivre, succède à cette jolie chanson rustique, placée là par les arrangeurs de la pièce, à la place du chant de la Fête de Pâques de Gœthe, pour éveiller en Faust le souvenir des pures émotions de sa jeunesse et lui faire tomber des mains la coupe empoisonnée. J'ignore la raison de cette substitution. Le bruit solennel des cloches et les pieuses harmonies retentissant dans l'église voisine du cabinet de Faust, ont, ce me semble, quelque chose de bien plus émouvant qu'une chanson de paysans, si jolie qu'elle soit. Après l'apparition de Méphistophélès, ce prologue se termine par un duo dont le style ne paraît pas assez relevé; il est instrumenté d'ailleurs avec trop de violence, les violons crient trop constamment dans le haut.

Le premier acte s'ouvre par un chœur populaire plein d'entrain, dont le thème, proposé par les ténors, passe ensuite aux soprani et circule dans les diverses parties vocales avec une aisance et un brio remarquables. Dans le tutti, les femmes du chœur ont chanté beaucoup trop haut. On avait déjà à souffrir de cet horrible défaut dans l'exécution de la villanelle du prologue.

A la scène de la fontaine de vin, on entend un beau chœur d'hommes d'une rare énergie, et dont le thème revêt avec bonheur et à propos la forme des chorals. La couleur religieuse de ce chant se trouve parfaitement justifiée par l'intention des chanteurs de conjurer le mauvais esprit.

Rien de plus naturel et de plus gracieux que la phrase de Marguerite, si délicieusement dite par madame Carvalho à son entrée:

 
Je ne suis demoiselle
Ni belle,
Et je n'ai pas besoin
Qu'on me donne la main.
 

Je ne puis me rappeler la forme ni l'accent du petit morceau chanté par Siébel, cueillant des fleurs dans le jardin de Marguerite.

L'air suivant de Faust: Salut, demeure chaste et pure, m'a au contraire beaucoup touché. C'est un beau sentiment, très vrai et très profond. Le solo qui accompagne le chant du ténor nuit peut-être plus qu'il ne sert à l'effet de l'ensemble, et je crois que Duprez avait raison quand il dit un jour, à propos d'une romance ou un instrument solo l'accompagnait ou plutôt l'importunait dans l'orchestre: «Ce diable d'instrument, avec ses traits et ses variations, me tourmente comme une mouche qui bourdonnerait autour de ma tête et voudrait toujours se poser sur mon nez.»

Ici pourtant l'instrument solo n'exécute pas précisément des traits ni des variations; il est même employé avec réserve. Quoi qu'il en soit, l'air, je le répète, est délicieux. On l'a applaudi, mais pas assez; il mérite de l'être vingt fois davantage. Je ne connais rien de plus décourageant pour les compositeurs que cette tiédeur du public français pour les beautés musicales de cette nature. Il les écoute à peine. La mélodie en est insaisissable pour lui, le mouvement est trop lent, le coloris trop doux, l'accent trop intime. Il dit: «Oui, ce n'est pas mal», approuve vaguement du geste, et n'y pense plus, autre application du mot de Shakespeare:

 
Caviar to the general.
 

J'insiste donc: le morceau est excellent et Barbot l'a très bien chanté. Tant pis pour les gens qui ne sentent pas cela.

La chanson du roi de Thulé est écrite dans un des tons du plain-chant, ce qui lui donne une tournure gothique bien motivée; mais elle est interrompue par un court récitatif, et cette interruption ne me semble pas suffisamment motivée; je voudrais entendre la jeune fille chanter tout droit sa vieille chanson.

L'observation que je relevais tout à l'heure au milieu des conversations du foyer ne me paraît pas dénuée de justesse. Marguerite chante un morceau doux et gracieux, après avoir essayé la parure qu'elle a trouvée dans un coffret, et l'on entend en même temps des coups sourds de cymbales et de grosse caisse. L'auteur a certainement eu ici une intention, mais je ne la devine pas.

Tout est bien frais, bien vrai, bien senti, dans le quatuor entre Méphisto, la vieille Marthe, Marguerite et Faust. Cette belle scène eût pu être mieux disposée pour la musique par les auteurs du libretto; telle qu'elle est, le compositeur l'a supérieurement rendue. Rien de plus doux que l'harmonie vocale, si ce n'est l'orchestration voilée qui l'accompagne. Cette charmante demi-teinte, ce clair de lune musical caressent l'auditeur, le fascinent, le charment peu à peu, et le remplissent d'une émotion qui va grandissant jusqu'à la fin.

Et cette admirable page est couronnée par un monologue de Marguerite à sa fenêtre, où la passion de la jeune fille éclate à la péroraison en des élans de cœur d'une grande éloquence. C'est là, je crois, le chef-d'œuvre de la partition.

Pourquoi, par un mécanisme placé sous les pieds de Marguerite dans l'intérieur de sa chambre, soulever peu à peu l'actrice au fur et à mesure que son chant et ses intonations s'élèvent? Le spectateur ne subit pas l'illusion; il sait bien que Marguerite n'est pas un pur esprit et qu'il ne lui est pas possible de monter ainsi graduellement dans l'espace. On a voulu faire mieux que bien: le but est dépassé, c'est absurde. Il serait sage de renoncer à cet effet d'ascension.

Dans ce morceau où d'ingénieux enlacements enharmoniques amènent de si belles modulations, le timbre du cor et des flûtes est employé avec le plus grand bonheur. Dans un passage du morceau précédent au contraire, à ces mots: Félicité du ciel l'intervention des trombones me paraît moins heureuse.

Le troisième acte s'ouvre par la romance de Marguerite abandonnée. Elle est assise à son rouet et file. De quoi s'agit-il? De la douleur profonde de la pauvre enfant, de son amour dédaigné, des angoisses de son cœur. Le musicien ne doit là songer à exprimer rien autre chose. Pourquoi donc avoir encore introduit dans l'accompagnement cette espèce de ronron qui veut imiter le bruit du rouet? Schubert fut peut être excusable, dans un morceau de chant non destiné au théâtre, de vouloir faire penser au rouet qu'on ne pouvait voir. (Si tant est que l'idée du rouet ait la moindre importance.) Mais dans l'opéra on le voit: Marguerite file en réalité; l'imitation n'est donc nullement nécessaire.

Le chœur des compagnons de Valentin:

 
Déposons les armes,
 

est joli. Le thème de la marche, richement instrumenté d'ailleurs, manque de distinction. La phrase épisodique du milieu est ingénieusement accompagnée d'un dessin d'ophicléïde au grave. Le crescendo de rentrée qui ramène le thème devrait être, à mon sens, un peu plus long, à faire entendre et désirer davantage l'explosion finale.

 

Cette marche a été redemandée à grands cris, et l'on a peu applaudi l'air exquis de Faust au deuxième acte!!!

 
Pudding to the general!
 

La sérénade de Méphistophélès est peu saillante. On a remarqué plusieurs passages d'une excellente intention dramatique dans l'ensemble de la scène de la mort de Valentin. Celui:

 
Ce qui doit arriver,
Arrive à l'heure dite,
 

est accompagné de sinistres harmonies, puis les trombones jettent des beaux cris d'horreur, et l'ensemble des voix du peuple termine supérieurement ce beau morceau. C'est grandiose. La scène de l'église avec l'orgue et les chants religieux mêlés aux imprécations de Méphisto et aux lamentables accents de la fille repentie est supérieurement traitée.

Le sabbat du Blocksberg paraît écourté; mais je ne sais trop s'il eût été possible de le mettre en scène plus complètement sur un petit théâtre. Nous avons ensuite une apparition antique, où l'on voit Cléopâtre entourée de sa cour voluptueuse; la reine d'Égypte et Iras et Charmian boivent nonchalamment couchés sur des lits de pourpre et d'or. On entend un chant bachique d'une certaine langueur, que la nature de la scène justifie.

Le cinquième acte est précédé d'un entr'acte instrumental trop long. Ce n'est pas à minuit moins un quart, quand il a encore de si terribles choses à nous dire, que le compositeur doit s'amuser à faire jouer des solos de clarinette.

Cet acte toutefois est fort court. La fameuse scène de la prison l'occupe presque seule. La tâche du musicien était bien difficile à remplir. Ce désespoir affreux, cette fille folle, couchée sur la paille, ces cris désespérés, les supplications inutiles de Faust, tout cela est trop tendu, trop violemment, trop physiquement douloureux pour la musique. Puis, quand Méphistophélès survient et crie: «Hâtez-vous! mes chevaux s'impatientent!» Il faut une rapidité d'interjections, une accentuation brève, impérieuse, sifflante, si je puis ainsi parler, que l'on ne sait pas comment obtenir des chanteurs, surtout en France, où ils filent des sons dans les récitatifs pour dire: «Oui! non! tu mens! viens donc!» Après quatre heures de musique, on éprouve toujours une grande fatigue. En conséquence, de cet acte, à vrai dire, je n'ai qu'une idée confuse, et j'ai besoin de l'entendre à nouveau avant d'en parler. Le chœur final pendant l'apothéose de Marguerite est évidemment chanté beaucoup trop fort. Quelle horreur nos théâtres lyriques professent pour les chœurs doux, et quelle ignorance inexplicable chez nos directeurs de chœurs de l'effet que la nuance douce dans l'exécution vocale produit infailliblement sur tout le monde!

Madame Carvalho, qui a chanté comme elle chante toujours, a savamment composé le rôle de Marguerite; ses attitudes, ses gestes sont d'une séduisante suavité; son costume est charmant. Dans la scène du jardin, sous ces pâles rayons lunaires, on eût dit d'une poétique apparition.

Barbot s'est acquitté avec bonheur, souvent avec un vrai talent, du rôle difficile et exigeant de Faust, et Ballanqué fait un excellent Méphistophélès. Il en a la tournure, le profil anguleux, le regard sanglant, la voix stridente et railleuse. Enfin un jeune débutant, Reynal, dont la voix est bonne et ne chevrotte pas, a fort convenablement représenté l'honnête soldat Valentin.

L'orchestre habilement dirigé par M. Deloffre, a droit à tous nos éloges et à la reconnaissance du compositeur.

Il n'est pas nécessaire, je suppose, d'ajouter que le décor et la mise en scène sont fort soignés. On sait que M. Carvalho, quand il s'agit des grandes œuvres en l'avenir desquelles il a foi, fait largement les dépenses indiquées et prodigue l'argent avec une intelligente hardiesse.

J'ai dit en parlant de la Fée Carabosse: ce pourrait bien être le succès de la veille50. Faust est à coup sûr le succès du lendemain.

50La Fée Carabosse, opéra en trois actes avec un prologue, de Lockroy et Cogniard, musique de Victor Massé, représenté quelques jours auparavant au Théâtre-Lyrique, et sur lequel Berlioz avait écrit un feuilleton, le 8 mars 1859.