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Les musiciens et la musique

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…L'air morne se plombe
Comme la face d'un mourant,
Voici l'impétueuse trombe
Au souffle aride et dévorant.
 

Grand tumulte dans l'orchestre, les voix s'appellent, se répondent; alerte, marchands d'Alep et du Caire, le visage en terre, voilà le Simoun! Ce chœur:

 
Allah! pitié pour les croyants!
L'ange de la mort,
Plane sur nos têtes.
 

est quelque chose de prodigieux. C'est aussi beau que l'orage de la Pastorale de Beethoven. L'auteur a montré là qu'il connaissait l'orchestre autant qu'homme du monde, et qu'il en était maître. Il est impossible de mieux ménager, accroître et déchaîner la tempête instrumentale. Cet ensemble est foudroyant sans cesser d'être harmonieux; les mille sons divers qui le composent s'y pressent, s'y fondent en un son unique, comme les grains de sable soulevés par le Simoun s'unissent pour former un nuage brûlant.

La trombe passe cependant. Hommes et animaux se relèvent. La caravane reprend sa marche. Halte.

DEUXIÈME PARTIE

Le désert est retombé dans son calme, dans sa majestueuse immobilité.

La tenue. – La voix:

 
Comme un voile de fiancée
La nuit tombe au fond du désert:
Aux charmes de la nuit notre cœur s'est ouvert,
Lorsque, brillante aux cieux, Vénus s'est élancée.
 

Hymne à la Nuit.– Chant de ténor seul avec accompagnement d'orchestre. La caravane se repose, un jeune Arabe sort de sa lente et chante en regardant les cieux. Ceci est délicieux et ne se peut décrire. Il n'y a que la musique pour parler à l'imagination, au cœur, aux sens, aux souvenirs, un pareil langage. Cette mélodie suave et d'un accent si vrai, ces molles ondulations de l'orchestre vous bercent, vous rafraîchissent; on repose, on respire. Oh! le beau, l'admirable morceau!!!

Mais voici un charmant contraste: c'est la fantasia arabe, air syrien, et la danse des almées, air égyptien, c'est-à-dire chansons sur quelques notes, rapportées par David d'Égypte et de Syrie; perles de l'Orient qu'il nous présente enchâssées dans l'orchestre le plus savant, le plus gracieusement original qui se puisse entendre. Ce morceau a excité d'incroyables transports.

Assez du style léger! un chœur robuste et grandiose maintenant:

 
Le désert est notre patrie,
Nous sommes libres, fiers et forts.
 

Et encore le jeune Arabe, heureux, las de volupté, qui revient seul et chante cette fois une chanson d'amour égyptienne avec chœur et orchestre.

Ce thème, plein de morbidesse et d'une langueur passionnée, est composé de quatre petites phrases en désinence féminine.

L'Arabe a chanté, tout se tait. Sommeil.

TROISIÈME PARTIE
Le Lever du Soleil
Le désert dort encore. – La tenue. – La voix:
 
Des teintes roses de l'aurore
La base des cieux se colore;
L'astre du jour
Rayonne tout à coup comme un hymne sonore,
Et remplit le désert de lumière et d'amour.
 

Imperceptible trémolo suraigu d'une partie de violon; crescendo; entrée d'une seconde partie de violon frémissant comme la première; entrée d'une troisième, des instruments à vent, de tout l'orchestre; torrents d'harmonie; voilà le jour! ah oui! voilà le jour! et la salle tout entière s'est levée pour le saluer, sans songer aux anathèmes systématiques des adversaires de l'harmonie imitative. Les onomatopées en musique sont stupides, j'en conviens, quand elles sont déplacées, mal faites, ou qu'elles ont pour objet la représentation de sujets bas ou indignes de l'art. Il est clair que si David, en peignant le Réveil du Désert, était venu contrefaire les rugissements des lions ou les cris des chacals, il eût fait une sottise et se fût couvert de ridicule; il est sûr aussi que Haydn est demeuré impuissant et nul quand il a voulu peindre la création de la lumière; mais ce n'est pas la faute de l'art; et l'Orage de Beethoven; le Simoun de David, son Aurore, son Soleil éclatant sont les résultats de l'art musical le plus pur et le plus élevé, qu'on admirera malgré toutes les théories du monde, parce qu'ils émeuvent, parce qu'ils sont beaux et parce qu'ils représentent réellement, fidèlement et grandement les phénomènes naturels que l'art leur permet de reproduire et dont le sujet qu'ils traitaient leur imposait la reproduction. Passons, passons.

C'est à cette heure matinale, la voix du muezzin que nous entendons. David s'est borné ici, non pas au rôle d'imitateur, mais à celui de simple arrangeur; il s'est effacé tout à fait pour nous faire connaître, dans son étrange nudité et dans la langue arabe même, le chant bizarre du Muezzin:

 
El salem alek
Aleikoum el salam.
Allah hou akbar
Ja aless salah!
La allah ill' allah
Ou mohamed rassoul' allah.
Allah hou akbar
Ja aless salah.
 

Le dernier vers de cette espèce de cri mélodique finit par une gamme composée d'intervalles plus petits que des demi-tons, que M. Béfort a exécutée fort adroitement, mais qui a causé une grande surprise à l'auditoire.

Après la prière du muezzin, la caravane reprend sa marche, s'éloigne et disparaît. Le désert reste seul. La tenue. – La voix:

 
L'ambulante cité se perd dans le lointain;
Elle fuit, elle fuit… on la voit disparaître
Comme une vapeur du matin:
Et, du désert redevenant le maître,
Le silence éternel que l'âme seule entend,
Sur sa couche de sable, immobile, s'étend.
 

La voix du désert, représentée par le chœur, reprend alors son hymne du début à la glorification d'Allah; et l'œuvre est achevée!

Il a fallu, pour concevoir et produire, ainsi faite, une pareille symphonie, quelque peu plus d'imagination, de silence, d'inspiration, de génie musical et poétique, ce me semble, que pour écrire une millième fois la petite et mesquine symphonie de Haydn.

Je n'ai pas besoin d'ajouter maintenant que David écrit en maître; que ses morceaux sont coupés, développés, modulés avec autant de tact que de science et de goût, et qu'il est grand harmoniste; que sa mélodie est toujours distinguée, et qu'il instrumente extraordinairement bien. C'est une conclusion qu'on doit tirer, j'imagine, de tout ce que j'ai dit.

David avait pour l'exécuter un bel orchestre dirigé par Tilmant, un chœur de cinquante hommes, un ténor (Alexis Dupont) et un contralto, un vrai contralto féminin (M. Béford, père de trois enfants). Les vers non chantés ont été récités par M. Milon, du théâtre de l'Odéon. L'exécution a été excellente, irréprochable; Dupont a chanté avec une grande suavité son hymne à la nuit; l'étrangeté de la voix de M. Béford a un peu désorienté, ou plutôt orienté le public en éveillant chez lui des idées de harem, etc. Il faut cette fois donner des éloges aux choristes; l'orchestre y est fait; pour Tilmant, il a conduit avec soin, intelligence et avec cette verve joyeuse qu'il apporte dans les solennités musicales, dont le but et l'organisation l'intéressent artistement. Le public s'est montré bien attentif, bien intelligent, chaleureux et enthousiaste.

M. le duc de Montpensier, pressentant sans doute qu'il y avait au Conservatoire ce jour-là quelque chose de beau à entendre et quelque chose de beau à faire pour lui, s'y était rendu de bonne heure; il paraissait aussi ému, aussi radieux que nous tous.

N'oublions pas de dire que les vers, parmi lesquels on en trouve de fort beaux que je n'ai pas cités, sont de M. Auguste Colin.

AMBROISE THOMAS

LE CAÏD

7 janvier 1849.

C'est une assez bonne idée d'avoir placé le lieu de la scène de cet opéra dans la capitale de l'Afrique française. De ce mélange bizarre de mœurs et de costumes résultent en effet des contrastes bouffons et des situations propres à donner au style musical de l'imprévu et de la variété. Mais ces oppositions, si piquantes qu'on les suppose, ne pouvaient dispenser l'auteur du livret de les rattacher à une fable intéressante et de trouver un sujet de pièce piquant et original. Il semble malheureusement qu'il se soit dit: «Voilà un cadre, le musicien y placera le tableau.» Voyons donc ce cadre en deux actes, cadre doré, orné de perles, de mousseline, de jolis visages arabes et de moustaches françaises, sans compter les têtes de nègres, un eunuque et un muezzin.

Je commettrai plus d'une erreur, je le crains, dans cette analyse. Malgré toute mon attention, j'ai été fort longtemps à comprendre ce dont il s'agissait; les paroles ne m'arrivaient qu'indistinctes, ou ne me parvenaient pas du tout. Le dialogue, écrit en vers, contre l'usage établi à l'Opéra-Comique, achevait encore de me dérouter.

Évidemment cet opéra se rattache, par sa physionomie et son genre de comique, au style des deux ouvrages qui ont fait un nom à M. Grisar: l'Eau merveilleuse et Gilles le Ravisseur; sans oublier le Tableau parlant, que Grétry n'a pas été tout à fait seul à peindre, et dont le livret ne forme pas le cadre seulement.

Voici ce que j'ai cru comprendre dans le Caïd:

Au lever de la toile, nous sommes sur une plage d'Alger; il fait encore sombre, le soleil n'est pas levé. Une petite troupe d'Arabes, marchant à pas comptés, chante, selon l'usage: «Taisons-nous! cachons-nous! ne remuons pas! faisons silence!» (en vers), bien entendu. On voit qu'ils guettent quelqu'un et qu'ils ne veulent point être aperçus.

Ils s'éloignent sans bruit, dans l'ombre de la nuit. Mais un groupe les suit. Le Caïd, gros bonhomme, le dos un peu voûté, assez peu fier, en somme, de son autorité, craint en faisant sa ronde quelque rencontre féconde en mauvais coups, puis, crac! d'être mis en un sac et lancé des murailles par des gens sans entrailles, et de trouver la mort au port.

 

Si je ne me trompe, cet alinéa est en vers, en véritables vers d'Opéra-Comique. J'en demande pardon au lecteur, c'est une distraction. Je n'ai garde d'abandonner l'usage de la prose, et je suis persuadé qu'on me saura gré d'y revenir. Donc notre bossu donnerait bien des choses pour finir, sans attraper de nouvelles bosses, sa tournée matinale. Il a de très méchants ennemis sans doute, et de très bonnes raisons de se méfier d'eux. Rien n'est plus vrai.

Il n'a pas fait vingt pas, que des grands coups de gaules tombant sur ses épaules vous le jettent à bas: «Au secours, on m'assomme, au meurtre!» Un galant homme fait fuir les assassins, appelle les voisins. Une jeune voisins, à la mine assassine, en jupon court, accourt. Et le battu de geindre, de crier, de se plaindre, en contant l'accident. «Il me manque une dent! j'en mourrai! misérable! Il m'a rompu le râble! Il a tapé trop dur, c'est sûr!»

Ah ça! mais voilà qui est un peu fort, la poésie m'a repris de plus belle. Il serait curieux que j'en fusse arrivé à ne plus pouvoir écrire en prose, et à faire le contraire de ce que faisait M. Jourdain! Voilà pourtant les conséquences des innovations ou des rénovations (car déjà à la fin du siècle dernier on voyait fréquemment les vers se mettre aux opéras-comiques), c'est l'exemple de M. Sauvage qui m'a mis la rime au corps. Voyons donc si je ne parviendrai pas à me désenrimer. La jeune fille accourue aux cris du Caïd et de son défenseur est une modiste française (il n'y a pas là dedans l'ombre de poésie, ce me semble), que ce dernier, coiffeur gascon, aime tendrement. Ils sont même fiancés, et n'était l'état un peu maigre de leurs finances, ils porteraient déjà le même nom et habiteraient sous le même toit. Une idée vient au gascon, une idée d'or qui doit lui rapporter de l'argent vivement.

Il n'a pas été sans reconnaître dans son obligé, le caïd, un de ces hommes simples auxquels on pourrait faire croire qu'Abd-el-Kader va devenir président de la République française, ou pape ou membre de l'Institut. L'idée d'or consiste donc à persuader au bonhomme que lui, le gascon, il possède un secret infaillible pour mettre le caïd à l'abri des coups de bâton et des embuscades nocturnes. «Il n'y a là ni rime, ni…» (Allons, ça va bien, j'écris à peu près comme tout le monde.) Le caïd naïf dit: «Bah!» L'autre plein d'aplomb, réplique: «Rien n'est plus vrai! – Brave Français, vends-moi ton secret. – Ce sera, je le crains, bien cher pour vous. – Combien donc? – Mille boudjous (ou boudjoux, ou bouts de joue, ce qui mettrait en effet notre gascon à même de faire une certaine figure en Algérie).

Comment veut-on que nous autres Français de France nous puissions écrire correctement ces nouveaux mots du français d'Afrique! Nos chers compatriotes les Bédouins disent maintenant: un burnous pour un manteau, une razzia pour un pillage, un cheïk pour un chef (passe encore pour ce mot-là qu'un philologue m'a assuré n'être que du français altéré par la prononciation arabe), des silos pour des caves à grains, une smala pour… je ne sais plus quoi, des boudjous pour une somme d'argent quelconque. Tellement que nous voilà obligés d'envoyer nos jeunes citoyens achever leurs études universitaires à Alger, à Constantine, à Oran, à Blidah, et se former au beau langage en fréquentant pendant plusieurs années la bonne société du désert. Je reviens à mon gascon. «Mille boudjous, dit-il, c'est à prendre ou à laisser.» Le caïd trouve la somme exorbitante. Ce sur quoi il ne m'est pas permis d'avoir une opinion, car je veux bien que le prophète m'emporte en croupe sur sa jument-femme Borack, si je sais ce que vaut un boudjou. Il se ravise pourtant. «Eh bien, oui, dit-il, je veux acheter ton secret au prix même d'un trésor bien supérieur à la somme que tu demandes. Monte dans ce palanquin; mes esclaves te porteront chez moi, où je te suis pour conclure notre marché.» On revêt le coiffeur d'un riche manteau; que dis-je? d'un burnous, et le candide gascon se laisse emporter. A gascon, gascon et demi. Le gros rusé de Caïd, assez simple pour croire au talisman du coiffeur contre la bastonnade, ne l'est point tellement qu'il n'ait trouvé un moyen de l'acheter sans bourse délier. Il a une fille, le brave homme; il la donnera sans dot au coiffeur, et, dans son estime, les beaux yeux de Zaïde (elle doit s'appeler Zaïde) valent beaucoup plus que ceux de sa cassette pour un Français… de France. Il a raison de spécifier, car, pour les Français natifs d'outre-mer, bien que jeunes encore, ils sont âpres au gain, durs comme des chênes, et entre eux et l'écorce tout le monde sait qu'il faut se garder de mettre le doigt.

Malheureusement Zaïde a vu passer sous son balcon un superbe tambour-major, français et brun, qu'elle prend pour un général, et à qui elle a jeté son cœur par la fenêtre (on commence à avoir des fenêtres à Alger). Le prétendu général ne se sent pas de joie d'avoir inspiré un sentiment à une si jolie particulière; il veut mener cette affaire tambour battant, enlever Zaïde, bien résolu, si le gouvernement lui cherche noise à ce sujet, à envoyer sa canne au ministre et à laisser la France s'arranger ensuite comme elle pourra. Et voici notre gaillard qui entre dans le harem du caïd comme il entrerait à la caserne, en se dandinant sur les hanches, en balançant sa tête empanachée, et chantant ra ta plan de manière à ravir les amateurs du genre. Zaïde est de cette école-là, selon toute apparence, car elle se montre d'une amabilité parfaite pour son grand vainqueur; elle lui fait fumer un narguilé, boire du café, manger des confitures, etc. Mais notre coiffeur en palanquin vient malheureusement interrompre ce doux tête-à-tête. Le voilà déposé dans la chambre de Zaïde, chambre ouverte à tout venant, à ce qu'il paraît. Il veut savoir pourquoi le caïd l'a fait transporter en ce charmant séjour; Zaïde ne serait pas fâchée de connaître aussi la destination de ce coiffeur en burnous que son père lui envoie; quant au tambour-major, il a déjà la main à son sabre pour demander une explication au gascon. Voilà bien des gens curieux! Une quatrième curiosité se manifeste cependant, curiosité féminine et jalouse. Notre petite modiste française vient pour essayer à la belle Zaïde un nouveau bonnet de sa façon. A l'aspect du coiffeur, la coiffure lui tombe des mains. «Que vient-il faire ici? – Je ne sais pas. – Que viens-tu faire ici? – Je ne sais pas.» Attendez: voilà le bon caïd et tout va s'expliquer. «Ma fille, je vous ai choisi un époux…» Sans le laisser achever, le tambour-major, qui ne saurait croire qu'on puisse avoir songé à un autre que lui, s'avance en frisant sa moustache: «Présent! dit-il. – Comment? présent! Quel est ce grand drôle? Voici, ma chère enfant, celui que ma tendresse vous destine. – Moi? s'écrie le gascon stupéfait et incertain sur le parti qu'il doit prendre. – Oui, toi-même; que j'aie ton secret, et je te donne ma fille; tu le vois, elle est jeune et charmante, tu seras logé chez moi, tu n'auras qu'à t'occuper de ton bonheur et du sien. – Si tu dis oui, je t'arrache les yeux, dit la modiste à son amant hésitant. – Si tu acceptes, gronde le tambour-major, mon sabre aura pour fourreau ta peau.» – L'autre se décide, et dit: «Non, je suis déjà fiancé. Voici celle qui possède mon cœur et ma foi. Sans affront pour votre aimable demoiselle, vous pouvez remarquer l'éclat de ses yeux et la finesse de sa taille; qualité dont vous ne faites pas grand cas, je le sais, vous autres musulmans, mais que nous prisons fort au contraire. Ainsi j'en reviens à ma première proposition: mille boudjous.» Le caïd a beau regimber, crier, se démener, la peur des coups l'emporte; il fait signe à un esclave qui présente à l'instant une petite cassette ouverte où l'on voit une douzaine de pièces d'or, formant la totalité de la somme; ce qui me ferait croire que mille boudjous, après tout, ce n'est pas le Pérou. Le coiffeur s'empare de la cassette et donne en retour au caïd un petit pot de pommade du lion qu'il lui recommande comme un spécifique infaillible contre les coups de bâton. Le caïd rassuré accorde la main de sa fille au tambour-major; car encore faut-il bien qu'elle épouse quelqu'un, et le gascon embrasse la modiste. Les voilà heureux, ils volent à l'autel, et n'ont plus qu'à filer des jours d'or et de soie.

Je donne ma parole que c'est là tout ce que j'ai cru comprendre au livret du Caïd. Et j'ai écouté de toutes mes oreilles, regardé de tous mes yeux; j'ai même imposé silence d'une façon très peu courtoise à mes voisins de loge, qui disaient beaucoup de mal de l'administration de l'Opéra. Ainsi, on peut me traiter de tout ce qu'on voudra, ce n'est pas ma faute, je ne sais rien de mieux. Ah! pardon, je me le rappelle maintenant: il y a encore dans la pièce un eunuque très drôle qui chante comme M. Béford chantait dans le Désert de Félicien David, et s'enivre avec une bouteille de parfait-amour.

Eh bien, M. Ambroise Thomas a trouvé moyen d'écrire sur ce poème en vers une charmante et vive partition, pétillante de verve et bien adaptée au talent et à la voix de chacun de ses chanteurs. L'introduction de l'ouverture, instrumentée d'une façon neuve et piquante, est trop jolie pour être si courte, on voudrait que l'auteur l'eût développée davantage; l'allegro qui lui succède est plein de feu et fort habilement traité. Les chœurs syllabiques qui ouvrent la scène ont de la couleur, un excellent caractère dramatique; mais paraissent un peu difficiles pour des choristes auxquels le genre syllabique, débité, rapide, n'est pas très familier; leur exécution a laissé à désirer pour la précision et la justesse. Il y a beaucoup d'élégance dans les principaux passages du duo entre la modiste et le coiffeur. Les couplets du tambour-major, avec leur refrain accompagné de six tambours battant la diane, plaisent par leur allure vraiment soldatesque. L'air que le même personnage chante un peu plus tard est bien fait et fait valoir l'agilité de vocalisation que possède incontestablement Hermann-Léon; mais il semble trop avoir été ajouté après coup à la partition pour donner plus d'importance au rôle du chanteur; il ne tient pas à la pièce.

Celui de l'eunuque dégustant sa fiole de parfait-amour est une excellente bouffonnerie; l'idée de lui faire donner le la bémol tonique aigu à la fin d'une cadence parfaitement dirigée vers le la grave a fait éclater de rire toute la salle, et Sainte-Foix a dû recommencer le morceau.

Cet acteur s'acquitte de son rôle étrange avec une intelligence et une modestie qui montrent qu'il sait tirer parti même des qualités négatives de sa voix, et qu'il sent bien le prix de ce qui lui manque. On a applaudi très vivement encore certains passages du rôle de la modiste, étincelants de brio et d'une audace que celle de la cantatrice, madame Ugalde-Baucé, a seule surpassée; puis un morceau d'ensemble tissu et modulé de main de maître, et un finale dont la mise en scène est réglée d'après le système des ballets italiens, où les acteurs et comparses font le même geste tous à la fois, élèvent ou abaissent les bras, inclinent la tête, roulent les yeux, sourient ou pleurent comme un seul polichinelle.