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L'Écuyère

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– «Mon Dieu! rien n'est décidé… Au fond, ce n'est même pas un projet… J'ai, tout simplement, reçu une circulaire relative à une croisière intéressante: deux mois sur un bateau des Messageries, avec un nombre de passagers limité… On doit s'embarquer à Marseille et faire le tour de plusieurs îles, la Corse, la Sardaigne, la Sicile… C'est une jolie fantaisie, n'est-ce pas?..»

– «Pour ceux qui n'ont pas une vieille maman malade, de soixante-trois ans, oui…» dit Mme de Maligny, presque craintivement. Elle ajouta: «Et puis, avec les travaux que tu as décidé de faire a La Capite, et tu as eu raison, notre budget n'est pas très large, cet été.» Le jeune homme avait, durant son séjour en Provence, où il s'était cru horticulteur et viticulteur pour la vie, ordonné, dans la propriété, plus de modifications que l'on n'en avait exécuté depuis le veuvage de la comtesse. Elle continua, pourtant, cédant déjà: «De combien serait la dépense de cette croisière?..»

– «Je ne me rappelle pas,» répondit Jules. «Et cela n'a aucun intérêt, puisque je n'ai pas l'intention d'y prendre part… Vous laisser inquiète, et moi-même être à plusieurs jours de nouvelles de vous, – non, non et non… Etes-vous rassurée, maintenant?»

– «Faire mon devoir?», se disait-il, vingt-cinq minutes plus tard, tout en écoutant le bruit de son pas sur le pavé solitaire de la rue de Monsieur. Après avoir rassuré la douairière, dans un accès de tendresse aussi instinctif et irraisonné que son accès de chevalerie de tout à l'heure, il avait pris sa canne, ses gants, son chapeau. Il sortait, sans but, afin d'y voir un peu clair dans sa pensée, que ces quelques phrases échangées avec sa mère avaient, de nouveau, retournée sens dessus dessous. Il n'y avait pas bien longtemps que Corbin avait passé, au trot de sa bête, sur cette même place. Ce petit laps suffisait pour qu'un troisième changement d'idées commençât de s'accomplir chez Jules. «Mon devoir?», se répétait-il. «Mais j'ai des devoirs aussi envers ma mère. Je viens de constater combien mon absence, en ce moment, lui serait pénible… Qu'ai-je promis, après tout, quand j'ai parlé de faire mon devoir?.. De ne plus compromettre Hilda? C'est un point… De m'arranger pour qu'elle cesse de m'aimer? C'est un second point… Pour celui-là, il est un peu naïf, ce brave Corbin, qui croit qu'une séparation de quelques mois met fin à un sentiment, quand il est vrai. Mais ce sentiment est-il vrai? Hilda m'aime-t-elle?.. Qu'en sait Corbin, réellement? Qu'il l'aime, lui, c'est bien certain, et qu'il soit jaloux, ce n'est pas moins certain… Il prétend qu'il n'a aucune idée de jamais l'épouser. Ce n'est plus aussi certain, cela… Il est jaloux… Jaloux?.. Mais s'il avait trouvé cette ruse pour se débarrasser d'un rival qu'il redoute? Ce serait bien nature et pas trop mal joué. Allons, allons. Je bats la campagne. C'est un simple, ce Corbin, et je vais lui prêter des calculs à la Machiavel… Non. Il était sincère… Il souffrait… Je l'ai senti à sa voix, à son geste, à tout… D'ailleurs, il y a l'article. Je l'ai lu imprimé. Ce n'est assurément pas lui qui l'a écrit et porté à ce journal… Mais Corbin peut être sincère et se tromper… Non, il ne se trompe pas. Hilda m'aime. Elle m'aime…»

Le jeune homme était à la hauteur du jardin des Invalides, à l'instant où il se prononçait ces mots. Tout auprès, les fameux canons soi-disant pris par son ancêtre tendaient leurs longs cols de bronze. Qu'il avait joué de fois, petit garçon, comme tous les enfants du quartier ont fait, font et feront, nobles et plébéiens, riches et pauvres, sur les affûts de ceux-là et des autres! On se rappelle: lors de sa première sortie après sa blessure, il passait sur cette même place, en se disant gaiement de tout autres paroles: «France! France! Charge! Vieilleville!..», le vieux cri de guerre de cet aïeul sous Metz. Il ne s'agissait plus de ces amours à la hussarde, à présent, menées tambour battant. Il s'agissait de l'amour tout uniment, de cette émotion souveraine qui suspend en nous, durant les secondes où elle nous domine, tous les autres intérêts de la vie. «Celui qui a un cœur,» a dit le plus passionné des poètes, «et, dans ce cœur, un amour, est déjà plus d'à moitié vaincu…» Le fendant et fringant mauvais sujet de cette lointaine promenade ne répétait plus son hardi: «Passe avant, Maligny!..» Ces trois syllabes: «Hilda m'aime…» chantaient dans sa tête comme une musique si douce et si puissante qu'elle étouffait les autres voix. Un flot de félicité intime l'inondait, aussi brûlant, aussi enivrant que celui qui avait soulevé son être, une heure plus tôt, dans cet entretien où Corbin, venu pour l'outrager, lui apprenait son bonheur. Cette fois, – et l'infâme article de journal et Corbin lui-même étaient bien loin, – il entra dans le jardinet, pour s'y asseoir sur un banc, sous les branches, parmi le gazouillis des oiseaux, et là rêver à Hilda! Cette naïve et sentimentale occupation n'avait plus rien de la scélérate et conquérante allure du début. Qu'eût-il fait d'autre, s'il eût été un simple employé de ministère, épris d'une humble ouvrière, habitué à la rencontrer sur l'Esplanade le matin et le soir, et s'attardant là, pour se souvenir d'elle, dans un décor printanier, à l'abri des grossiers lazzis des camarades de bureau et loin du hideux spectacle des cartons verts?

– «Hilda m'aime…» se répétait-il donc. Les épisodes de l'excentrique et délicat roman qu'il vivait depuis ces deux mois se représentaient à sa mémoire; et tous, éclairés maintenant par le témoignage de Corbin, redoublaient la délicieuse évidence. «Elle m'aime, et je la quitterais? Je m'en irais loin de Paris quand elle y est, quand je n'ai qu'à monter dans une de ces voitures pour être auprès d'elle en un quart d'heure? Et je suis sûr d'être accueilli par ce regard et ce sourire, les plus doux que j'aie connus!.. – Non… Je ne la quitterai pas… Que s'est-il passé, en définitive? Qu'un méchant journaliste, payé sans doute par quelque soupirant éconduit, a publié, sur elle, une infamie… Hé bien! mon devoir, c'est d'empêcher que ce drôle ou un autre ne recommence, puisqu'il paraît que nous intéressons ces messieurs… Où ai-je eu la tête d'écouter cet Anglais? Comme si je ne savais pas que, dans son pays, on ne se bat pas en duel?.. Nous autres, nous nous battons, et nous sommes dans le vrai… Le voilà, mon devoir: la défendre, l'épée à la main. Quand on saura que je n'encaisse pas, on y regardera à deux fois avant d'écrire sur moi et sur elle…» L'action suivant sa pensée, Jules s'était levé. Le cri de guerre que l'aïeul avait poussé en chargeant sur les servants des coulevrines devenait, du moins, de circonstance. Le jeune homme, pourtant, ne se le murmura pas. Il était tout entier à l'idée de cette affaire qu'il se proposait, maintenant, d'avoir avec le rédacteur masqué qui s'était choisi, de gaieté de cœur, ce flatteur pseudonyme: La Casserole. Jules irait-il d'abord au journal demander le nom véritable? Quels amis choisirait-il pour l'assister? Il avait hélé un fiacre à tout hasard et donné au cocher l'adresse de Raymond de Contay, le seul de ses camarades questionnés par lui qui lui eût parlé de Hilda avec respect. Qu'il y avait d'amour dans ce choix, et plus encore dans l'anxiété dont il fut saisi, en dépit de tous ses nitchévismes, aussitôt que la voiture se fut ébranlée! Ce premier témoin, comment l'aborderait-il? En lui parlant de l'article. Donc, il faudrait nommer miss Campbell? Même avec Raymond, pourtant la délicatesse même, une telle conversation était trop pénible. La soutenir et simplement l'engager, était au-dessus des forces et de Jules. Arrivé rue de l'Université, devant la maison des Contay, il ne descendit même pas de son fiacre. Il dit à l'homme d'aller à l'entrée de la rue de Longchamp et de la place attenante. C'était du côté de Hilda qu'il se dirigeait, à présent. Que devenait sa promesse à John Corbin et son héroïque résolution de rupture? Le «preux» s'était évanoui, fondu, évaporé. Il ne restait que l'amoureux.

– «Décidément, non,» se disait-il, «je ne peux pas la livrer ainsi en pâture aux curiosités, de mes deux témoins d'abord, puis des deux témoins de ce monsieur… Ne serait-il pas plus pratique d'aller au bureau de cet abominable journal, de voir le rédacteur en chef et d'acheter son silence?.. Ils veulent peut-être de l'argent, tout simplement… De l'argent? Et où en prendriez-vous, monsieur le comte de Maligny?», se demanda-t-il tout haut, avec un rire gai. «Et puis, j'aurais de quoi payer ces maîtres chanteurs aujourd'hui. Qui les empêcherait de recommencer demain?.. Non, non. Me battre, sans nommer Hilda, c'est impossible… Payer le silence de ces gens, impossible… Partir? C'est trop dur. Tant pis, je n'ai qu'une chose à faire: continuer ma vie comme auparavant, et voir venir le Corbin… J'ai été bien bon garçon de me laisser parler par lui ainsi. Après tout, il n'est ni le père, ni le frère, ni le mari… Je retourne rue de Pomereu. Nitchevo

Cette exclamation d'insouciance était, cette fois, si peu sincère, que le cœur du jeune homme battait à lui rompre la poitrine, lorsqu'il aperçut la maison d'angle de la petite rue. Que de fois, cette maison tournée, il avait vu au cours de ces dernières semaines, apparaître sur le trottoir, devant une autre maison, celle de l'écurie Campbell, la silhouette de sa jolie amie! Il était sûr qu'à cette heure-ici, qui n'était pas celle de ses visites habituelles, Hilda ne serait pas là. Probablement, elle ne serait pas non plus chez elle. En revanche, Corbin avait dû rentrer tout droit de la rue de Monsieur à l'écurie. Jules avait donc quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent de se retrouver face à face avec cet irascible rival. Comment alors expliquer une démarche si absolument contraire à la promesse sur laquelle les deux hommes s'étaient quittés?

Il y avait une centième chance pour qu'il revît tout de même Hilda. Ce désir fut le plus fort, et l'amoureux franchit la porte de l'écurie Campbell avec la décision qu'il aurait eue pour foncer sur son adversaire l'épée en main, s'il eût donné suite à son premier projet de duel. Il crut qu'il se trouverait mal d'émotion, quand il aperçut le délicat profil de la jeune fille, là-bas, au fond, dans la cage vitrée du rez-de-chaussée d'Epsom lodge. Elle penchait son front sérieux sur le livre de caisse, tout comme le jour où il était revenu la voir après le malentendu de la seconde rencontre. D'un coup d'œil circulaire, il fouilla les box, dont les fenêtres donnaient sur la cour. John Corbin n'était dans aucun. Les palefreniers anglais vaquaient, en sifflant, à leur ouvrage, autour des chevaux, dont les têtes intelligentes se tournaient vers le nouveau venu, comme pour lui dire: «Vous avez bien choisi votre moment, monsieur de Maligny.» Le ventripotent Bob Campbell était absent, lui aussi. Après que Jules avait donné sa parole qu'il respecterait la pauvre fille dans les deux seules richesses qu'elle possédât: son cœur et sa réputation, cette arrivée rue de Pomereu avait tout l'air de constituer le plus caractérisé des parjures. Il y a longtemps qu'un proverbe, irrespectueux, mais d'une vérité trop éprouvée, assimile les promesses des amants à celles des joueurs, et il faut le dire, – comparaison qui ne choquera pas dans la cour d'un maquignon écossais, – à celles des ivrognes. L'article du journal avait paru à Maligny bien infâme. Corbin lui avait paru bien éloquent. Lui-même, en s'engageant à rompre des relations dont le danger venait de lui être démontré, il avait été bien sincère… Mais Hilda Campbell relevait sa tête avec un geste si gracieux! En l'apercevant, un éclair si chaud avait passé dans ses yeux si bleus! Un sourire si ému avait épanoui sa bouche si pure!.. Le journal calomniateur avait-il jamais existé?.. Corbin était-il jamais venu rue de Monsieur?.. Jules s'était-il jamais engagé à quoi que ce fût?.. A coup sûr, il n'en savait plus rien, en s'avançant «vers la maîtresse de son cœur», comme disaient les romans de jadis, – un jadis tout pareil à aujourd'hui, par l'inconséquence et l'allégresse, l'illogisme et l'impulsion pour ce qui regarde l'éternelle et toujours jeune folie d'amour!

 

– «Vous étiez venu parler à mon père pour la vente de Chemineau,» dit la jeune fille, après les premiers mots de politesse, quand Jules fut entré dans la petite pièce. «Malheureusement,» ajouta-t-elle, «il n'est pas là». Le fourbe avait en effet imaginé cette nouvelle fable après vingt-cinq autres, ces derniers temps, pour justifier des visites plus fréquentes encore. Il prétendait vouloir troquer le cheval cap de maure contre un autre, avec une soulte. On admirera par quel détour d'ingéniosité cette invention était devenue, dans l'entretien avec la mère, une offre d'achat de Galopin. Hilda Campbell n'avait, comme on voit, pas plus de doutes sur la véracité de Jules, dans ces toutes petites choses, que Mme de Maligny elle-même. Peut-être, – car la plus loyale enfant, lorsqu'elle est amoureuse, a de ces ruses avec sa propre conscience, – oui, peut-être était-elle bien aise elle-même d'abriter, derrière un prétexte de métier, le plaisir trop vif que lui causait la surprise de cette présence inattendue, à une minute où elle était seule.

– «Ah! M. Campbell est sorti?» répondit le jeune homme, machinalement. Il s'était assis sur une chaise, auprès du bureau, sans que son amie, cette fois, fit rien pour éviter ce tête-à-tête. Quel signe, étant donnée sa native prudence, qu'aucun soupçon ne traversait plus son cœur! Elle avait reculé un peu son fauteuil, et Jules commençait de la regarder, en proie à une impression plus forte que toutes celles qu'il avait connues depuis ces dix semaines. Il répéta, sans même entendre ses propres paroles: «Ah! il est sorti?..» La certitude qu'il était aimé avait été bien douce, tout à l'heure. Elle l'étouffait, maintenant, d'une joie trop forte, à deux pas de cette fine créature, qu'il écoutait respirer, qu'il sentait bouger et vivre. Il eût voulu se mettre à genoux devant elle, lui prendre ses blanches mains, – qui n'avaient pas d'alliance, – les couvrir de caresses, les baigner de larmes. Ce n'était plus le désir brutal du premier jour, mais un attendrissement infini, une palpitation intérieure, presque accablante, par l'excès de l'émotion. Il regardait, il contemplait Hilda sans pouvoir détacher ses yeux de ce visage virginal, dont il savait le tendre secret, et son visage à lui avait pris une expression si évidemment troublée, la fièvre de passion dont il était dévoré mettait une telle flamme dans ses prunelles, sa physionomie était si différente enfin, de son habitude, que ce changement inquiéta soudain la jeune fille, qui ne put se retenir de lui demander:

– «Vous avez l'air bouleversé, monsieur de Maligny. Vous étiez si gai, ce matin! Qu'y a-t-il? Que se passe-t-il?»

– «Rien de nouveau,» répondit-il. «Il se passe ce qui s'est passé depuis que je vous connais, miss Hilda… Il y a que j'ai toujours envie de vous dire merci pour l'intimité que vous me permettez d'avoir avec vous et que j'ai toujours peur de vous offenser, comme il m'est arrivé une fois déjà… J'en ai été si chagrin! Cela me rend un peu timide et gêné, par moments… Je suis dans un de ces moments, voilà tout.»

– «C'est à moi de vous remercier et de vous être reconnaissante,» dit miss Campbell. Le ton de Jules lui avait infligé, à elle aussi, un petit tremblement du cœur. Depuis cette scène à laquelle il venait de faire allusion, la scrupuleuse et romanesque Anglaise vivait dans l'appréhension de la minute où il lui faudrait entendre, derechef, prononcés par ce jeune homme qu'elle aimait tant, des mots trop tendres, et elle ne se permettrait pas, elle ne devrait pas se permettre de les écouter! Un instinct l'avertissait que cette minute était venue, et elle essayait de conjurer ce danger en maintenant la causerie sur le ton de camaraderie enjouée qui leur était coutumier.

– «Mais oui,» insista-t-elle, «ce n'est pas si amusant, pour un Parisien à la mode, comme vous l'êtes, de tenir compagnie à une sauvage, si peu Parisienne… Et puis,» – et l'expression de ses yeux se fit doucement sévère, presque imploratrice, pour que Jules y vît une défense de retomber dans la faute déjà commise. Une défense? Non. Une prière. – «ne m'avez-vous pas prouvé que vous teniez vraiment à cette intimité dont vous parlez, en tenant la parole que je vous avais demandée? Sachez-le bien: si peu Parisienne que je sois, je connais assez les idées des gens d'ici pour me rendre compte que vous m'avez donné là une grande, une très grande marque d'estime, et voilà pourquoi, je vous le répète, monsieur de Maligny, c'est à moi de vous remercier.»

– «Laissez-moi croire,» reprit vivement le jeune homme, «que vous ne voyez point uniquement, dans mon attitude, une marque d'estime… Vous aviez mis une condition à vos relations avec moi. Si je l'ai acceptée, cette condition, ce n'est pas seulement parce que vous êtes une jeune fille. C'est aussi parce que ces relations m'étaient, dès ce moment-là, trop précieuses pour que je ne leur sacrifiasse pas tout. Je leur ai tout sacrifié… Je n'ose pas dire que je n'y ai pas eu de mérite… Vous semblez croire qu'il m'a coûté surtout de renoncer à certaines idées sur la conduite des hommes avec les femmes que vous appelez Parisiennes… Détrompez-vous. Je n'ai jamais été un Parisien sous certains rapports.»

Il était de bonne foi, l'étrange garçon, en affirmant, comme il faisait par cette phrase, sa moralité dans les choses de l'amour, après avoir dépensé le meilleur de sa première jeunesse dans les pires légèretés de la galanterie la moins romanesque. Mais il était devenu, et en toute sincérité, pour ces quelques instants, exactement celui que la pauvre Hilda désirait qu'il fût, – par besoin de lui plaire, – et il continuait:

– «Non. Je n'ai jamais compris qu'il y eût, pour un homme, une humiliation à certains respects, je répète le mot, quand l'objet de ces respects en était vraiment digne. Et je vous en ai tellement crue digne! je vous ai mise, dès le premier jour, si haut dans ma pensée, miss Campbell! Vous m'êtes apparue comme une personne si différente de celles que j'avais rencontrées, jusqu'à présent, dans ce monde de Paris, dont vous dites que vous n'êtes pas… Cela aussi m'a tant plu, que vous n'en fussiez pas!..»

La jeune fille, l'écoutait en baissant ses paupières où battait un frémissement nerveux. Ce n'était pas le seul indice de l'agitation où la jetait ce discours, si différent de ceux qu'elle et Jules tenaient l'un avec l'autre, depuis leur pacte. Son sang avait afflué à ses joues, puis reflué vers son cœur. Elle avait rougi et pâli, presque dans la même seconde, profondément. Ses belles mains, un peu masculines, et qui pouvaient être si calmes quand il s'agissait de dompter la fougue d'un cheval rebelle, n'auraient pas su, en cet instant, tracer une lettre ou un chiffre au livre des comptes de la maison Campbell, toujours ouvert sur la table, tant elles étaient tremblantes tout ensemble et crispées. Une de ces mains se leva, cependant, pour arrêter d'un geste le jeune homme. Puis, d'un accent qu'elle voulait calme, mais où la voix s'étouffait faute de souffle, la courageuse enfant répondit:

– «Ne continuez pas, monsieur de Maligny, vous venez de rappeler une promesse que vous m'avez faite sur votre honneur,» – elle eut l'énergie d'appuyer sur cette formule, celle même qu'elle avait employée dans cette lointaine explication. – «En la rappelant, vous y avez manqué… Vous n'y manquerez pas deux fois…»

– «Je n'y ai pas manqué,» interrompit Jules. L'extraordinaire ébranlement moral dont l'avaient frappé les révélations du passionné Corbin s'augmentait encore, depuis qu'il était là, dans l'atmosphère même où respirait celle qu'il aimait et dont il était aimé. Son pouvoir de contrôler et de gouverner sa sensibilité, pouvoir toujours bien faible, était littéralement aboli par ces secousses successives. Elles ne laissaient plus subsister chez lui qu'un grand émotif, incapable de résister à une impression, plus incapable encore de réfléchir à l'avenir et de mesurer la portée de ses paroles ou la responsabilité de ses actes. Cela soit dit, non point pour innocenter un égarement que la délicatesse et la chasteté de cet adorable cœur de vierge rendaient sans excuse, mais pour l'expliquer. A mesure que la pauvre Hilda lui parlait, tous les détails de la scène à laquelle elle faisait allusion s'étaient représentés à la mémoire de l'amoureux. Il s'était revu marchant auprès d'elle sur le pavé de cette longue cour qu'il avait là, devant les yeux. «Dans mon pays, une jeune fille ne se laisse faire la cour que par celui auquel elle est engagée.» De quelles profondeurs de son souvenir ces mots jaillirent-ils à cet instant? C'était, textuellement, la phrase que la jolie Anglaise avait prononcée, de cette bouche aux lèvres si finement ourlées. Ils n'eurent pas plus tôt traversé l'esprit de Jules qu'il y firent apparaître le cortège des folles imaginations dont il avait été assailli à plusieurs reprises: – son original roman d'amour s'achèvent sur des fiançailles plus romanesques encore: – un mariage avec cette exquise créature, tellement supérieure aux poupées à dot auxquelles son nom lui donnait le droit de prétendre; – Hilda devenue comtesse de Maligny; une retraite à deux, pour toujours, loin du monde, dans cette terre de La Capite, entre la mer bleue et les oliviers argentés, parmi les mimosas dorés, les roses couleur de safran, les larges anémones pourpres et violettes, ces ardentes fleurs du Midi, si bien faites pour encadrer cette blonde et vivante fleur du Nord! Et, parlant tout haut ses pensées, il continuait: – «Oui. Ne m'avez-vous pas dit que c'est insulter une femme que de s'occuper d'elle quand on ne veut pas l'épouser?.. Mais si l'on n'a pas d'autre rêve que de lui donner son nom, avec sa vie?.. Quand vous m'avez parlé de La Guerche, vous-même l'avez distingué de cet affreux Machault. Vous l'avez appelé un gentleman. Pourquoi? Parce qu'il n'avait, avec vous, que des intentions honnêtes. Et si j'ai les mêmes?.. Enfin, il est trop tard pour reculer… Cette proposition qu'il vous a faite, miss Campbell, si je vous la faisais, moi, à mon tour, me répondriez-vous comme vous lui avez répondu?.. Est-ce manquer à ma promesse que de vous dire, dans la même phrase: Je vous aime, mademoiselle Hilda, et je suis venu vous demander, très simplement, très loyalement, d'accepter de me confier votre bonheur, de consentir à être ma femme?..»

Les paupières de Hilda n'avaient pas cessé de frémir de leur battement presque convulsif, pendant que le jeune homme lui parlait, ni ses lèvres de s'ouvrir, comme si l'air manquait à sa poitrine, sur ses dents qui se serraient. Le tremblement de ses mains s'était fait de plus en plus visible. Ses joues avaient achevé de se décolorer au point que Jules crut qu'elle allait s'évanouir. Sa tête se penchait, sous le poids de l'émotion trop intense. Le hasard voulut qu'un rais de soleil, glissant par la fenêtre, vînt caresser la masse serrée de ses cheveux d'or, dont les nuances chaudement fauves pâlissaient encore sa pâleur. Le corsage ajusté de son amazone aurait dénoncé les sursauts affolés de son cœur, si elle avait pensé à les cacher. Elle était trop profondément éprise pour avoir la force de cette dissimulation. Et puis se serait-elle estimée de ne pas répondre avec une sincérité entière à une démarche dont elle ne soupçonnait pas l'incroyable, la criminelle légèreté?.. Après quelques instants d'un silence que Jules eut la délicatesse de respecter, ses paupières se relevèrent sur ses beaux yeux clairs. Elle le fixa d'un de ces regards qui suivent un homme à travers la vie, quand il en a rencontré l'unique lumière, – même s'il trahit, même s'il abandonne celle qui l'a regardé ainsi! Et, presque à voix basse:

 

– «Non,» dit-elle, comme répondant à une pensée qui avait, malgré tout, surgi dans les portions froides de sa raison, «vous ne vous joueriez pas de moi, monsieur Jules. Ce serait trop mal… Mais vous êtes si jeune!.. Ah! laissez-moi vous parler avec une franchise absolue… Vous n'avez pas réfléchi que le mariage n'est pas une affaire d'un jour. Il ne suffit pas de se plaire l'un à l'autre, pour se marier. Il faut encore être sûrs, bien sûrs, que l'on est prêt à supporter ensemble toutes les épreuves de la vie. Nous avons, dans notre pays, une manière d'exprimer cela, que j'ai toujours trouvée si juste. Nous disons que les époux se marient pour le meilleur et pour le pire, pour la joie et pour le chagrin, jusqu'à ce que la mort les sépare12… Vous êtes un noble, monsieur de Maligny, vous appartenez à une grande famille. Moi, je suis la fille d'un simple marchand de chevaux. Vous êtes riche. Moi, je suis pauvre. Vous avez reçu une éducation accomplie. Moi, je suis une humble ignorante. Puis-je être votre femme, dans ces conditions-là? Vous m'aimez, me dites-vous? Aujourd'hui, je veux le croire. Mais demain, si vous m'avez épousée, mais après-demain, mais dans un an, dans dix, ne rougirez-vous pas de moi?.. Et quand vous n'en rougiriez pas, vous, votre famille, elle, en rougirait certainement. Jamais elle ne m'accepterait… Je n'avais certes pas prévu,» ajouta-t-elle, sur un ton de mélancolie qui contrastait singulièrement avec son habituelle tranquillité, «que vous me demanderiez jamais en mariage… Mais pourquoi vous cacherais-je que nos promenades ensemble, nos conversations, cette intimité si confiante, m'étaient de véritables douceurs? Bien souvent, je me suis dit: Si, pourtant, j'étais née dans son monde, je pourrais être sa femme. Et, toujours, je me suis répondu: Tu ne dois pas penser à cette folie… Une folie! Oui, voilà le mot qu'il faut avoir le courage et de prononcer et de penser, à propos d'une union qui n'est pas possible, que vous reconnaîtrez vous-même n'être pas possible, quand vous aurez un peu réfléchi et que vous aurez repris votre sang-froid…»

– «Alors,» interrogea-t-il, «vous me répondez: Non?» Et, comme elle se taisait, il reprit: «Voyez. Vous voudriez me répondre: Non. Vous ne le pouvez pas… Et pourquoi? Ah! miss Hilda, j'aurai, moi aussi, avec vous, une absolue franchise. Pourquoi? Parce que tout, dans votre cœur, proteste contre ces sophismes de la convention, que vous venez d'invoquer. Vous m'avez parlé de ma noblesse, comme si les vanités sociales existaient pour l'amour, – de ma fortune, et je n'en ai pas, – de mon éducation, et je n'ai pas de carrière. Je suis ce que l'on appelle, si sévèrement et si justement, un inutile… Vous avez mentionné ma famille. Ma famille… Elle se réduit à ma vieille mère, et ma mère aimera qui j'aimerai. Quant au reste de mes parents, je serais un fou d'immoler ce que je sais devoir être le bonheur réel de toute ma vie, – à quoi? A des noms sur des lettres de faire-part. C'est à cela que se réduisent mes plus importantes relations avec mes parents. Cela et quelques visites de temps à autre… Laissons ces prétextes, miss Campbell… Vous parlez de folie? Voulez-vous que je vous dise où elle est, la folie? Dans le fait de n'avoir pas le courage de ses sentiments, et vous n'avez pas le courage des vôtres… Je dirai tout… Je vous aime, Hilda, et vous… vous… vous m'aimez aussi. Autrement, que signifierait ce trouble dont je vous vois toute saisie? Votre cœur bat pendant que je vous parle. Vous tremblez. Vos yeux, votre souffle, votre pâleur: tout crie en vous ce que votre bouche refusera de m'avouer, ce que j'entends si bien dans votre silence!.. Je suis très jeune, vous me l'avez dit tout à l'heure. J'ai, pourtant, assez vécu pour le comprendre: se marier d'après son cœur est la plus sûre garantie que l'on fondera un vrai ménage, tel que vous venez de le définir, – pour le meilleur et pour le pire, pour la joie et pour le chagrin… Je la connaissais, cette devise. Je l'avais admirée. Jamais je n'en avais senti la vérité comme aujourd'hui…» Il répéta: «Pour le meilleur et pour le pire, jusqu'à ce que la mort nous sépare…» Et, d'un accent étouffé de l'émotion que lui donnait ses propres paroles: «Je vous le demande de nouveau, miss Campbell, voulez-vous être ma femme?..»

Il avait pris la main de la jeune fille. Elle essaya un effort pour dégager ses doigts de cette pression. Ce fut sa dernière et si faible résistance. Jamais il ne lui avait tant plu qu'à ce moment, avec sa noble et hardie physionomie, transfigurée par une passion qui n'avait plus une arrière-pensée. Il était réellement – pour combien de jours, combien d'heures, combien de minutes? – l'homme de son discours, tant l'entraînement de son désir le possédait tout entier. Comment Hilda aurait-elle douté d'une sincérité dont une femme plus défiante et plus avisée aurait cru avoir une preuve indiscutable dans l'attitude de Jules, depuis ces dix semaines? Quel motif, sinon un sentiment véritable, avait pu le déterminer à cette obéissance, à ces assiduités sans un doigt de cour, aussi extraordinaires chez un séducteur de profession qu'habituelles chez un amoureux? Et puis, il se dégageait, des manières de ce singulier garçon, un tel charme d'ingénuité! Il y a des traîtres par calcul. Il l'était, lui, précisément par sa totale absence de prévision, par cet abandon à ses impressions successives et contradictoires, par tout ce qu'il avait de si spontané, de si naturel. Il faut une autre expérience que celle d'une brave et simple fille, élevée par des braves gens, simples comme elle, pour comprendre que les âmes les plus perfides sont souvent celles qui semblent les plus enfantines. Elles ne sont, en réalité, que des âmes impulsives. Hilda l'aurait sue, d'ailleurs, cette mélancolique vérité, à quoi cette science lui aurait-elle servi? Elle aimait Jules de Maligny, et quelle est l'enfant de vingt ans qui peut aimer et ne pas croire à la voix de celui qu'elle aime, lui disant: «Je vous aime»? La sage, la prudente fille n'avait plus l'énergie de se dérober à cette perspective d'un projet d'union qu'elle venait de qualifier de folie. Surtout, elle ne pouvait plus cacher sa propre émotion. A l'insistance de Jules, qui répétait: «Dites que vous consentez à être ma femme?.. Dites que vous m'aimez?..», elle répondit d'une voix à peine perceptible, où passaient enfin toutes les tendresses silencieuses dont elle étouffait depuis la première rencontre avec son sauveur:

12Formule de mariage anglais: for better, for worse, for weal and for woe, until death us do part.

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