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L'Écuyère

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– «…Si je lui parlerai de vous et ce que je lui dirai? Ne continuez pas, monsieur de Maligny,» interrompit Hilda Campbell avec une indignation qu'elle non plu ne pouvait dissimuler. «Je n'ai pas mérité que vous me parliez de la sorte. Je n'ai jamais rien fait qui pût vous gêner dans votre vie. Je ne ferai jamais rien… Mais laissez-moi, parce que mes forces ont des limites, et on nous regarde…»

Ces mots devaient être sa seule plainte contre un interrogatoire si injuste, et commencé sur un ton d'ironie qui en aggravait encore l'âpreté. Elle les prononça en donnant un coup de talon à son cheval, qui partit au petit galop. John Corbin s'élança derrière elle. Ce double départ ne fut remarqué que par Maligny, qui demeura, malgré son sang-froid, décontenancé de cette réponse, et par Louise d'Albiac, devant laquelle l'énigme des rapports entre le jeune homme et l'écuyère, dissipée un instant, se posa derechef. Ils n'eurent le temps, ni elle de le questionner, ni lui de faire appel à son «fabulisme» slave pour inventer une explication. Un crochet inattendu avait rapproché le cerf. Le maître d'équipage reprenait le galop, suivi par tous les assistants. Les deux jeunes gens firent comme les autres, et il ne resta plus personne dans la clairière qui avait servi de théâtre à cette scène, – presque la dernière de ce roman d'amour, – jouée dans cette paisible forêt, parmi le va-et-vient de la poursuite, les fanfares et les aboiements. Hilda, elle, était partie dans une allée parallèle à celle où s'engageait le gros des chasseurs. Elle y galopait, maintenant, seule, car la présence de John Corbin, qui la suivait à une petite distance, ne pouvait pas compter pour une compagnie. Il continuait à respecter, par son silence, une douleur dont il connaissait trop l'intensité passionnée pour ne pas redouter un suprême éclat. Comment l'empêcher? Quel éclat? Quelle démarche la dédaignée pouvait-elle encore tenter, alors qu'elle était venue à cette chasse contre toute sagesse, contre toute dignité, et qu'elle avait eu ces scènes successives avec Mme Tournade, Mlle d'Albiac et Jules? Elle avait pu parler librement à ses deux rivales et au jeune homme. Quelle espérance gardait-elle? N'avait-elle pas reçu assez d'affronts et de la brutale veuve et du féroce Maligny? Pourquoi ne s'était-elle pas rangée à son conseil, qu'il n'osait pourtant pas lui renouveler à cette minute: celui de regagner Paris tout de suite? Que méditait-elle? Que voulait-elle? Pourquoi cette fuite affolée et qui n'était pas une retraite, puisqu'elle continuait à errer dans la forêt, avec le risque, avec la certitude de rencontrer les chasseurs? Ces fanfares, toutes voisines, en témoignaient trop, et trop ces aboiements des chiens… Hélas! la misérable enfant ne méditait rien. Cette dernière méconnaissance de son cœur par celui qu'elle aimait, après qu'elle venait, elle, de parler comme elle avait fait à Louise d'Albiac, – cette preuve nouvelle et si simplement indiscutable de son manque absolu de pitié vis-à-vis d'elle l'accablait, la terrassait, la brisait… Et puis, une jalousie plus forte que sa générosité grandissait en elle. «Peut-être vous a-t-on dit que je voulais l'épouser… Si cela me convenait, j'entends le faire…» Ces mots prononcés par cette même bouche qui lui avait dit: «Je vous aime,» lui avaient fait trop de chagrin à entendre. De voir Louise auprès de lui, souriante, attendrie, quel supplice! Ce sourire, cet attendrissement, c'était son œuvre, et elle ne pouvait pas supporter cela. Elle allait, emportée par la machinale allure de son cheval, la gorge serrée, le cœur serré, le cerveau serré, comme nouée, comme étouffée par ce chagrin qu'elle ne discutait plus, qu'elle ne formulait plus, qu'elle ne comprenait même plus. Elle avait mal, mal! Et elle allait… Elle ne voulait rien, non plus. Pas un instant, l'idée d'une vengeance possible n'effleura seulement son esprit. L'occasion lui en eût-elle été offerte qu'elle aurait refait aussitôt son geste magnanime de tout à l'heure. Elle eût donné Jules à Louise, pour qu'il fût heureux d'un noble bonheur. Même dans cette crise de suprême désespoir, elle ne regrettait pas d'avoir été généreuse. Seulement, elle ne pouvait se retenir de prononcer tout bas cet «à quoi bon?» des immolations inutiles. Elle venait de découvrir dans le caractère de Maligny des côtés si imprévus pour elle, si douloureusement inattendus, qu'elle ne voyait plus les autres. Il lui apparaissait comme un personnage par trop différent de celui qu'elle avait tant chéri. C'était un déplacement subit et total du plan de sa pensée, qui lui donnait l'impression d'une sorte de vertige. Elle méprisait cet homme à jamais, maintenant, et elle continuait d'en être si passionnément jalouse que l'excès de la peine lui faisait se répéter de nouveau. «Ah! c'est trop souffrir! C'est trop! C'est trop!..» C'est dans des instants pareils, et quand le besoin de se débarrasser de l'intolérable douleur possède toute l'âme, que l'idée du suicide apparaît avec une force et une soudaineté également déconcertantes. L'idée?.. Non. L'âme n'a plus assez de lucidité pour regarder en face un projet, même celui-là. Mais, qu'une circonstance se présente qui lui fasse entrevoir une possibilité d'en finir, elle s'y précipite, de même qu'un homme, tordu par les spasmes du tétanos, s'élance par une fenêtre ouverte, – irrésistiblement, presque inconsciemment… Hilda continuait d'aller droit devant elle, quand, tout à coup, un bond de sa monture la réveilla, malgré elle, de cet hypnotisme. Le cheval venait d'apercevoir le cerf qui arrivait, à corps perdu, par une allée transversale, suivi de la meute. De blond qu'il était, il paraissait noir, dans l'épuisement de sa fatigue. A bout de souffle, il tentait un dernier effort… Avec la rapidité de l'éclair, une image se peignit dans le souvenir de Hilda: celle d'un chasseur qui avait été, l'année auparavant, renversé de son cheval par un animal traqué de la sorte34. Et voici que John Corbin la vit, sans comprendre à quelle intention elle obéissait, retenir, devant l'entrée de l'allée, son cheval épouvanté, ce cheval se débattre sous la pression du mors et de la jambe, et essayer de tourner sur place… La jeune fille le maintient. Toute son adresse d'écuyère s'emploie à le placer de telle façon qu'elle et lui fassent une barrière que le cerf devra franchir. Il arrive, ce cerf, la tête haute, la langue pendante. Il voit l'obstacle qui obstrue sa route. Nul moyen de s'échapper à droite ou à gauche. Ramassant ses forces, il bondit. Sa poitrine donne contre Hilda, qui roule à terre. Il roule sur elle et se relève pour fuir encore, tandis que la meute passe tout entière sur le corps de la jeune fille désarçonnée… La vue de son cheval, qui s'échappe avec la selle vide, arrêtera-t-elle les chasseurs, qui dévalent, maintenant, derrière les chiens? Corbin s'élance au-devant d'eux en criant. Les plus enrages continuent leur course, mais en galopant dans le bord de l'avenue opposée à celui où la jeune fille est étendue…

Etait-elle morte?.. Le fidèle Corbin avait sauté de cheval. Agenouillé auprès d'elle, il lui tenait la tête. Elle avait les yeux clos. Une pâleur livide couvrait son visage. Il répétait: «Hilda!.. Hilda!..» sans qu'elle donnât aucun signe qu'elle entendît cet appel. Un rassemblement s'était formé autour d'eux, où se trouvaient deux personnes pour qui ce terrible accident représentait, comme pour Corbin, tout autre chose qu'un hasard. La première était Mlle d'Albiac. L'autre Jules de Maligny; elle, partagée entre la pitié pour ce qu'elle voyait et l'épouvante de ce qu'elle comprenait, – et lui… Tandis qu'elle sautait à bas de son cheval, elle aussi, pour aider le pauvre Corbin, il n'osait pas s'avancer, lui, soudain foudroyé devant sa victime par le remords d'avoir été si infidèle et si dur envers cette tête charmante! Sa sensibilité, très instable, mais très vive aussi, s'émouvait d'une compassion qui décomposait ses traits, qui mettait dans ses yeux une terreur, dans sa voix un tremblement pour répéter: «Ah! mon Dieu! Pourvu qu'elle ne soit pas morte!» Il ne se souvenait plus qu'il y avait là, penchée sur Hilda évanouie, une jeune fille dont il rêvait, cinq minutes auparavant, de faire sa femme. Il ne pensait plus à Mme Tournade, et à ses millions, sans doute perdus. Son cœur ne battait plus que pour la blessée, qui, reprenant un peu ses sens, ouvrait les yeux. Elle regardait autour d'elle comme quelqu'un qui retrouve un demi-contact avec le monde extérieur. Elle aperçut Corbin et Louise d'Albiac penchés sur elle et elle essaya de parler, – puis le groupe des cavaliers et là-bas, au dernier rang, Maligny. Un cri involontaire s'échappa de sa bouche, et elle s'évanouit de nouveau. Corbin, qui avait suivi son regard, avait, lui aussi, reconnu Jules. Un rictus de férocité fit trembler ses lèvres, et impérieusement:

– «Soutenez-la, mademoiselle,» commanda-t-il, «moi, je vais chasser l'assassin. Oui, cet homme,» et il montrait l'autre de sa tête, «c'est à cause de lui qu'elle s'est tuée!»

– «Mais ce n'est pas sa faute,» dit Louise.

– «Pas sa faute? Vous ne savez donc pas qu'il a été son fiancé et qu'il l'a trahie?.. Soutenez-la!» répéta-t-il, en abandonnant à demi la pauvre Hilda.

– «Vous voulez donc la déshonorer,» répondit vivement Louise. D'instinct, elle devinait le seul moyen d'empêcher une scène entre les deux hommes. «Il partira, et tout de suite; c'est moi qui m'en charge.»

 

Ce dialogue, hâtif, à voix basse, avait-il été entendu de la malheureuse enfant, qui gisait, si pâle? Elle rouvrit encore les yeux, voulut parler. Elle ne pouvait pas. Mais, déjà, Louise s'était redressée. Elle se glissait à travers les piqueurs et les chasseurs, de plus en plus nombreux.

– «Allez-vous-en,» dit-elle à Jules, quand elle l'eut rejoint, et, prenant la bride, elle força le cheval du jeune homme à se retourner. Elle répéta: «Allez-vous-en.»

– «Mais, je vous assure…» balbutia-t-il.

– «Oui ou non. Avez-vous été son fiancé?»

– «Ah! je suis un malheureux,» dit-il sans plus essayer de se disculper. «J'ai été bien coupable. Mais si vous saviez…»

– «Je sais que vous devez vous en aller,» répéta la jeune fille. «Si elle doit revenir à elle, qu'elle ne vous voie pas!.. Et que son cousin ne vous voie pas non plus… Il ferait un scandale… Ce suicide, c'est votre œuvre. Vous l'avez peut-être tuée. Ne la déshonorez pas.»

C'était le même mot dont elle s'était servie tout à l'heure, mais avec supplication. A présent, c'était avec un mépris, auquel le fier et hardi Maligny obéit, en baissant la tête, non sans avoir imploré, avant de mettre son cheval au galop pour fuir ce carrefour sinistre:

– «Par pitié, mademoiselle, faites-moi savoir, ce soir, qu'elle vit!»

VII
PURPUREOS SPARGAM FLORES

… Hélas! Le vœu qu'exprimait le misérable jeune homme, l'auteur, par légèreté, par simulation, par émotivité aussi, de ce suicide, ce vœu d'un remords épouvanté, cette fois, trop justement ne devait pas être exaucé. «On ne badine pas avec l'amour», disait le plus amoureux des poètes, et Jules allait l'éprouver, comme le Perdican de la célèbre comédie, moins coupable que lui. Perdican, lui aussi, a commis le crime de se jouer d'un cœur de jeune fille, d'un cœur neuf à la vie et qui se brise à se savoir trompé. Du moins, ce demi-roué a son coin de passion vraie. Il aime Camille, au lieu que le fiancé inconstant de Hilda n'avait pas eu cette excuse de sa trahison: un sentiment sérieux pour une autre. Jolie et tendre Hilda, virginale chasseresse à l'âme profonde derrière vos beaux yeux clairs, faut-il vous plaindre de vous être en allée ainsi dans un sauvage paroxysme du mal délicieux et torturant d'amour? Vous reposez aujourd'hui dans ce cimetière lointain de Neuilly, où votre père vous a laissée. Le pauvre Corbin, dans le délire de son chagrin, n'a pas su cacher à son oncle la vérité sur l'accident auquel vous avez survécu seulement quelques heures, le temps de demander pardon à ce père et aussi – car vous étiez pieuse – à Celui qui a dit: «Tu ne tueras pas.» Le Père miséricordieux de là-haut vous aura pardonné, et le brave Bob Campbell vous a bien embrassée sur votre lit d'agonie, comme s'il vous pardonnait. Mais l'Anglais a été plus fort en lui que sa tendresse, et il ne vous a pas emportée avec lui, quand tout de suite il a vendu sa maison et qu'il est reparti pour l'île natale. Il n'a pas accepté l'idée de mettre une suicidée dans le caveau où est inhumée sa femme. Cette proscription a été la cause d'une brouille avec Corbin, qui dure encore après des années. Sans cela, le neveu resterait-il en Amérique sans jamais manifester son souvenir à son oncle que par une carte de Merry Christmas, à Noël, avec ses deux initiales J.C.? Et de Brokenhurst arrive en réponse un Happy new year signé B.C. Ah! ce sont des gens de peu de paroles écrites ou prononcées! Hilda, petite fée de douceur et de paix, si vous, étiez là, ces deux hommes seraient réconciliés depuis longtemps. Mais Jack serait-il plus heureux de vous voir vieillir avec l'inguérissable regret de cet amour perdu – car vous n'en auriez pas guéri? Vous étiez de celles qui n'aiment qu'une fois, et votre père se fût-il consolé de votre mélancolie, obligé de s'avouer qu'il n'avait rien vu, rien empêché? Non. Il est mieux que vous vous soyez en allée. De vous, ceux qui vous ont connue, autant dire aimée, peuvent répéter la belle phrase si humaine de votre Shakespeare, celle que gémit le fidèle Kent sur le corps inanimé de Lear: «Ne tourmentez pas son fantôme. Oh! laissez-le partir! Il le hait, celui qui voudrait l'étendre plus longtemps sur le chevalet de ce monde brutal.» Et surtout, romanesque et subtile Hilda, vous n'avez pas vu ce Jules pour lequel vous vous êtes tuée se marier, six mois après la tragique aventure de Chantilly, avec cette vulgaire Mme Tournade. Plus n'était besoin de l'autorisation de sa mère, morte peu de temps après vous, et peut-être bien de chagrin d'avoir su le crime de son fils. A son retour de cette partie de chasse, il était à ce point bouleversé qu'il avait parlé, lui aussi, comme Corbin, et la vieille dame, si droite et si fière, avait été trop émue de ce qu'elle avait appris. Jules l'a pleurée comme il vous avait pleurée, et puis les millions de l'ancien mannequin ont eu raison de ces larmes. Vous êtes vengée, fine et délicate Hilda, mais d'une vengeance qui vous eût fait mal. Ledit mannequin, devenue Mme la comtesse de Maligny, vit toujours. C'est aujourd'hui une femme de plus de soixante ans, outrageusement teinte et maquillée, plus «vieille Jézabel peinte» que jamais, et qui n'entend pas que son toujours jeune époux dépense l'argent de la communauté chez ces demoiselles. Toujours jeune? Astiqué, pommadé, sanglé, le beau Maligny d'autrefois «en fait la blague,» comme il dit. Mais les rides dont sont déjà griffées ses tempes, mais l'alourdissement commençant de sa taille, mais la demi-ankylose de ses mouvements prouvent que ses quarante-cinq ans, trop bien nourris, et surtout trop sévèrement tenus, pèsent lourd sur ses épaules. C'en est fini des fringantes et libres équipées d'autrefois. Le mariage d'argent lui est une chaîne, sur laquelle il tire, il tire, – pas assez pour la briser. La guerre lui aurait fourni une occasion de se réhabiliter sans un hasard dont il n'est du moins pas responsable. Un accident d'automobile survenu au mois de juillet 1914 lui a cassé la jambe. Nous le voyons, au club, non sans ironie, s'avancer en claudicant vers la table de baccara, jeter sur la salle un regard circulaire, et hasarder, comme un débutant, les cinq ou dix louis qu'il a en poche. S'il gagne, on n'en saura rien chez lui, et, en quelque soir, il s'en ira dépenser cet argent en galante compagnie, furtif et honteux comme un collégien. Sa verve de fabuliste n'existe plus que pour duper l'épouse acariâtre et passionnée qui le tient par le plus décevant des espoirs, celui d'un héritage de plus en plus hypothétique. Elle a une santé de campagnarde, entretenue par une hygiène qu'elle surveille aussi jalousement qu'elle fait son mari. Et le demi-Slave, si indépendant vis-à-vis de sa mère, achève sa seconde jeunesse dans cette sujétion dorée, mais de plus en plus veule. Au nitchevo ancien a succédé le nitchevo résigné que traverse, par instants, le souvenir de la petite écuyère, dont il lui arrive de parler à son ami Raymond de Contay, le seul de ses anciens camarades que sa femme lui permette, avec des tremblements mouillés dans la voix. L'histoire de ce romanesque amour s'est légèrement faussée à travers ces confidences. L'infortuné Jack Corbin porte aujourd'hui la responsabilité de ce suicide de la pauvre Hilda. C'est lui, d'après cette nouvelle légende, qui, par jalousie, a calomnié Jules auprès de la jeune fille, alors qu'il était, lui, Jules, décidé à l'épouser si bien que le mariage avec la millionnaire est devenu une autre espèce de suicide pour l'amoureux méconnu. Et Raymond de Contay, le plus brave cœur du monde et le plus incapable de fausseté, croit l'imposteur, lequel – chose plus extraordinaire – finit par se croire lui-même! Il n'y a qu'une personne devant laquelle il ne se trouve jamais, quand ils se rencontrent dans le monde, sans que la voix intérieure, celle de sa vraie conscience, se réveille pour lui crier: Bourreau! Bourreau! On l'a deviné: cet irrécusable témoin est la perspicace Louise d'Albiac, devenue, par un mariage plus honorable mais pas beaucoup plus heureux que celui de Jules, la marquise de Bonnivet. A elle aussi, Maligny aura fait manquer sa vie, en manquant la sienne propre, à cause du désenchantement qu'a mis en elle cette navrante histoire de la généreuse et malheureuse Hilda, cette sœur par l'âme qu'elle s'est découverte pour la voir aussitôt mourir. Elle ne l'a connue que quelques heures; – mais quelques heures! – et par une piété que le monde jugerait bien étrange, et qui me touche, moi, depuis que je sais tout de cette histoire, plus que je ne peux dire, chaque année, le 2 novembre, elle vient jusqu'à ce cimetière de Neuilly, après être allée à celui du Père-Lachaise où les Bonnivet ont leur tombeau, et celui de Passy, où sont enterrés ses morts à elle. La douce et tendre femme, moins jeune mais si jolie encore, arrive dans une automobile, avec une gerbe de roses rouges qu'elle dépose sur la pierre où se lit le nom de Hilda Campbell. Aucune autre main ne la fleurira jamais, cette pierre abandonnée et solitaire, que celle de cette ancienne rivale. Elle emmène avec elle, dans ce pèlerinage, ses deux filles qui ont maintenant, l'une dix-sept ans, l'autre quinze. Elle leur a dit simplement que c'était la tombe d'une amie inconnue. Elle leur partage quelques-unes de ses roses. Elle leur demande de les mettre à côté des siennes, et elle prie Dieu avec tout son cœur de mère, pour que cette charité du souvenir soit bénie et qu'il soit épargné à ces tendres enfants de vivre, – comme l'infortunée Hilda, comme elle-même, – un roman d'amour où le héros ne cherche que l'émotion et non le dévouement.

FIN
34Les personnes qui douteraient de la réalité de cette aventure n'ont qu'à consulter les journaux spéciaux. Elles y trouveront le récit d'une anecdote identique, arrivée dans l'équipage de Bonnelles, durant la saison de chasse de 1903.