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L'Écuyère

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– «…Oui, le valet de limier l'a dit. Ce n'est pas une raison pour que le cerf soit seul. Le sol était sec ce matin, et, quand le sol est sec, le revoir est difficile.»

– «Allons donc! Lathuile se blouser, jamais!.. Tiens, écoute ce bien allé. Comme les chiens ont empaumé la voie!..29»

– « …Une brisée! Le cerf a passé par ici. Piquons un peu vers la gauche. La chasse est là…»

Louise d'Albiac, elle, paraissait aussi peu soucieuse que Hilda de savoir si l'infaillible Lathuile avait eu raison de faire rapport d'un dix-cors et d'affirmer que ce dix-cors était seul. «Mon chien et mes yeux ne m'ont jamais trompé…» avait-il répété doctement. Que l'animal fût, au contraire, une «troisième» et une «quatrième» tête, que ses «fumées» fussent en «bousard», en «plateau», en «torches», qu'il se «tardât» ou qu'il ait des «allures longues»30, qu'importait aux deux jeunes filles?

Elles n'avaient, ni l'une ni l'autre, cette insouciance heureuse que le vieux du Fouilloux a si joliment rendue dans ses vers sur le Blason du Veneur:

 
Je suis veneur, qui me lève matin,
Prends ma bouteille et l'emplis de bon vin.
Beuvant deux coups en toute dilligence,
Pour cheminer en plus grande assurance
Mettant le traict au col de mon limier,
Pour aux forests le cerf aller chercher,
Et en questant aux cernes des gaignages,
Souvent entends des oiseaux les ramages…31
 

Il n'y avait pas de chants d'oiseaux dans les profondeurs fauves de la forêt touchée par l'automne. Elle en eût été toute pleine, comme au printemps, que leur gazouillis n'eût pas trouvé d'écho dans le cœur de ces deux enfants, si jolies toutes deux, si fines, si éloignées, semblait-il, et pour toujours, l'une de l'autre, par leur condition, et voici qu'un commun sentiment pour un même homme les rapprochait. Voici qu'elles éprouvaient, l'une pour l'autre, cet attrait de curiosité passionnée qu'une rivalité comme celle où elles étaient engagées provoque aussitôt. On a deviné, déjà, que la jeune fille du grand monde avait reçu un avertissement qui lui avait appris l'existence de la pauvre petite écuyère, et de quelle nature. La veille de cette chasse, un billet anonyme lui avait annoncé la présence probable, à Rambouillet, d'une personne à qui M. de Maligny s'intéressait particulièrement. – «Si vous vous imaginez qu'il vous aime, ma petite demoiselle,» disait cette lettre, «vous vous trompez. Il vous joue la comédie comme il la joue à cette fille, qui s'appelle miss Campbell, et dont le père est marchand de chevaux. Renseignez-vous, et vous en apprendrez long sur votre joli monsieur. A bon entendeur, salut.» Est-il nécessaire d'ajouter que la main qui avait tracé, en renversant son écriture, les caractères de cette coupable missive, était celle de l'ancien mannequin? Il y a un proverbe, dans le style énergique cher à du Fouilloux: «La caque sent toujours le hareng.» Mme Tournade n'avait pas eu de calcul précis en commettant cette très vilaine action. Elle avait cédé à l'impulsion de la jalousie, comme tout à l'heure, en donnant des ordres à Hilda sur un ton si impérieux, comme à présent, en la retenant auprès d'elle, de peur qu'elle n'allât du côté de Maligny. Elle avait observé, elle aussi, l'attention fiévreuse de Mlle d'Albiac. Ce signe que sa dénonciation avait mordu tendait toutes les forces de son être. Qu'allait-il résulter de cet éveil et de cette défiance? L'amoureuse trop âgée se le demandait en s'appliquant à pratiquer, dans sa manière de diriger son cheval, tous les préceptes que lui avait donnés le maître de manège chez qui elle avait fréquenté secrètement, cette semaine, afin de se remettre en selle. Pour répondre à cette question, il lui eût fallu connaître la délicatesse de ces deux exquises créatures, celle de Louise et celle de Hilda, si étrangement pareilles d'âme, à travers tant de différences. De même qu'elles étaient, l'une et l'autre, par leur sveltesse et leur énergie, leur goût du danger et leur pureté, des créatures de même type, deux représentantes de cette gracieuse et sauvage lignée des Artémis, deux Dianes, – habillées, chapeautées, bottées à la mode de 1902, – elles avaient, aussi, d'intimes et profondes analogies dans leur manière de sentir. J'ai déjà dit que cette mystérieuse et indéfinissable ressemblance avait été sinon l'excuse, au moins une atténuation de la coupable légèreté avec laquelle Maligny s'était occupé de Louise, si vite après s'être occupé de Hilda. Il avait cherché, deviné, goûté, dans les deux jeunes filles, un même charme et composé de mêmes éléments. Son inconstance avait été une de ces infidélités fidèles, le philtre le plus enivrant pour ces émotifs sans vraie tendresse, pour ces égoïstes tendres que sont les hommes de son espèce. Il ne se doutait pas lui-même du degré auquel descendait cette ressemblance, ni qu'à cet instant où elles le voyaient, l'une et l'autre, cavalcader devant elles, si élégant dans son habit rouge, si peu tourmenté du remords de sa triple intrigue, elles se prononçaient le même monologue, tout bas, presque dans les mêmes termes.

– «Que cette miss Campbell est jolie!» se disait Louise d'Albiac. «Est-il possible que cette infâme lettre m'ait rapporté la vérité?.. Mais pourquoi me l'a-t-on écrite à moi?.. J'aurais dû la montrer à mon père. Il est un homme, lui, il aurait pu savoir… Je la lui montrerai… Et si ce n'est pas vrai, pourtant? Si l'auteur de cette lettre a voulu seulement m'être pénible, m'indisposer contre M. de Maligny?.. Alors, moi, je ferais ce tort à cette jeune fille d'appeler l'attention sur elle? Pour savoir, mon père devrait chercher. Il prononcerait son nom… Je ne dois pas… Mais qui a pu m'écrire cette lettre?.. Si c'était cette Mme Tournade?.. Quelle idée! Je ne croirai jamais qu'une dame ait commis une pareille vilenie… Pourtant, je me souviens, j'ai vu M. de Maligny bien empressé avec elle, durant notre voyage. Je sais qu'il dîne chez elle, qu'elle l'emmène au théâtre. On m'a raconté qu'il voulait l'épouser… L'épouser? Lui? Une femme si commune?.. Dieu! qu'elle monte mal et qu'elle a l'air prétentieux!.. Ce n'est pas une raison pour que je la suppose capable d'une infamie. Je ne dois pas non plus. Elle n'a pas plus écrit la lettre qu'il ne l'épousera… Non, non, non.. L'épouser? Comme je comprendrais plutôt qu'il épousât cette miss Campbell! Ce serait une mésalliance, mais si expliquée… Qu'elle est jolie, et fine, et lady, aussi lady que l'autre l'est peu! Si M. de Maligny lui faisait la cour, cependant, comme prétend la lettre?.. Alors, pourquoi se serait-il occupé de moi?.. Ce serait d'un trop malhonnête homme de mentir ainsi à des jeunes filles… Il n'a pas fait cela non plus. Il ne l'a pas fait… Non, non, non… Mais pourquoi cette miss Campbell me regarde-t-elle, aussitôt qu'elle croit que je ne la regarde pas! Et quand ce n'est pas moi qu'elle regarde, c'est M. de Maligny… Pourquoi?.. Elle le connaît, c'est certain. Car il l'a saluée, de loin, quand elle est arrivée, je l'ai bien remarqué… De loin? Pourquoi encore? Mais, s'il lui fait la cour et qu'il veuille me le cacher, c'est tout naturel… Alors, la lettre dirait vrai?.. Non, non. Et toujours non… Un instinct m'avertirait. Je serais jalouse. Je l'ai tant été de cette Mme Tournade, sur le bateau et depuis!.. Avec cette miss Campbell, c'est le contraire. J'ai éprouvé pour elle, au premier regard, une sympathie. Je l'éprouve maintenant, à cette minute même. Je sens qu'elle ne m'est pas une ennemie… Sa façon de porter la tête, son regard, son expression, tout me plaît d'elle, autant que tout me déplaît de l'autre… C'est un fait qu'elle est charmante… Elle m'a encore regardée. Mais pourquoi? C'est elle, peut-être, qui aime M. de Maligny… Ce serait si naturel… Ah! Qui donc a pu m'écrire cette lettre?..»

– «Que cette Mlle d'Albiac est jolie!..» se disait Hilda. «Est-il possible que Jules hésite entre elle et cette affreuse Mme Tournade?..» Et son mépris d'experte écuyère venant à l'aide de ses rancunes de femme: «Il n'y a qu'à les regarder monter à cheval toutes deux… Quel paquet, celle-ci! Et Mlle d'Albiac, quelle grâce!.. J'aurais tant cru que je serais jalouse d'elle, quand je la connaîtrais, comme de l'autre… Comme c'est drôle! Cette jalousie, je ne l'éprouve pas, mais pas du tout… Comme elle porte la tête, avec tant de fierté et d'élégance! Comme elle regarde, avec quels yeux, si fins et qui doivent pouvoir être si tendres, qui sont si sincères!.. Oui. Voilà le trait dominant de sa physionomie: la loyauté, la sincérité… Ah! si c'était pour elle que Jules m'avait oubliée, pour elle seule, je souffrirais bien, mais je n'en voudrais ni à lui, ni à elle. J'en suis sûre. Je le sens… Ce serait si naturel, qu'il l'aimât!.. Mais, s'il l'aimait, est-ce qu'il se serait occupé de cette autre femme?.. Et pourquoi?.. Parce qu'elle est riche?..»

 

Hilda se répétait mentalement ces mots, où tenait un infini de désillusion.

– «Parce qu'elle est riche!.. Non. Il n'aime pas plus Mlle d'Albiac qu'il ne m'a aimée. Mais quel homme est-ce, alors? Qu'a-t-il dans la conscience pour se jouer ainsi des cœurs sans aucun remords?.. Moi, ce n'était rien. C'est trop naturel qu'il ne m'ait pas comprise… Une pauvre écuyère qui n'était pas de son monde! On lui avait mal parlé de moi. Je n'avais ni nom ni fortune. Il a pu ne pas savoir ce qu'il faisait. Et pourtant!.. Mais elle, cette Mlle d'Albiac, c'est une fille noble. Elle est charmante. Elle l'aime. Et c'est la même chose!.. Mais pourquoi me regarde-t-elle? Est-ce que Jules lui aurait parlé de moi, comme à l'autre? S'il lui a livré mon secret aussi, comme c'est mal!.. Et que lui aura-t-il dit? Qu'aura-t-elle cru?.. Dieu! Je voudrais tant avoir le droit d'aller à elle et de l'interroger?.. Si elle pense du mal de moi à cause de ce qu'il lui a raconté, c'est trop injuste… Il est sûr, pourtant, qu'elle sait qui je suis. Son père a demandé mon nom et le lui a répété. De cela, je ne veux pas douter. Je l'ai vue, de mes yeux, qui se penchait vers lui. Je l'ai vu, lui, qui se retournait de mon côté et qui parlait à son voisin. Je l'ai vue, elle, qui changeait de visage quand son père lui a transmis la réponse… Suis-je folle de douter! Oui, Jules m'a vendue à elle… Oui. Elle me croit une aventurière… Elle doit penser que je suis venue pour les espionner, pour me venger… Est-ce qu'elle ne comprend pas, à me voir auprès de Mme Tournade, que je suis ici par ordre?.. Mais non. Mlle d'Albiac était loin. Elle n'a pas entendu, quand cette femme m'a parlé comme je ne parlerais pas à une maid… Avec ce sourire et cette expression, elle ne peut pas ne pas être bonne, sî bonne! Elle m'aurait plainte d'avoir été traitée de la sorte… Ah! qu'elle me plaindrait, si elle savait! Qu'elle me plaindrait!..»

Ainsi s'accomplissait, sans qu'elles le voulussent, dans ces deux âmes, faites pour se comprendre, dès que le hasard les aurait mises en présence, un de ces phénomènes de sympathie à distance, entre personnes étrangères, qui semblent tenir du miracle. Il faut renoncer à expliquer ce jeu des âmes les unes sur les autres par les lois connues de l'esprit. Mais les savants expliquent-ils davantage ces cas de télépathie ou de lecture de pensées, indiscutables pourtant, et qui offrent une analogie singulière avec le principe, tout physique, des vases communicants? On dirait vraiment qu'entre certains êtres un courant psychique s'établit à de certaines heures, qui met leurs pensées à un même niveau, si l'on peut dire, ou, pour prendre une image d'un ordre différent et plus exact, à un même diapason. Peut-être, doutant l'une et l'autre de celui qu'elles aimaient, Louise d'Albiac et Hilda Campbell étaient-elles plus disposées encore à subir ce magnétisme, cette contagion réciproque de mélancolie et de pitié. Chacune des deux se plaignait elle-même en plaignant l'autre. Chacune aussi, en préférant l'autre à Mme Tournade, se préférait un peu elle-même… Mais, si amoureuse et si rêveuse que soit une jeune fille, il ne faut pas qu'elle suive une chasse à courre quand elle veut s'abandonner tout entière à cette langueur éparse dans les horizons vaporeux d'une forêt d'automne. La brise qui détache les branches et suspend un instant en l'air la pluie des feuilles d'or caresse les fronts songeurs avec une douceur presque défaillante. Puis, cette brise se fait soudain vive et allègre, et voici qu'elle emplit, malgré tout, les poumons d'une fièvre d'agir quand la trompe sonne sur un ton de quête, et que le vent apporte un de ces appels dont les paroles légendaires expriment toute l'ardeur: «Au retour, valets, au retour! Il est là, mes beaux chéris! Il est là! Oh! oh! au retour…» Ou encore: «Au retour, valets! Hourvari, mes beaux! Ha! Ha! Au retour, au retour! Hourvari!»32. Et puis, encore, les détours de la poursuite amènent le cerf et la meute à quelques pas… Adieu, alors, les monologues intérieurs et les nostalgies! La chasse est la plus forte. Artémis est, pour un moment, victorieuse d'Eros… A une minute, et comme si la baguette d'une invisible fée s'était levée sur la forêt, cette magie de métamorphose agit sur les deux jeunes filles… Un «Bien allé» nouveau avait retenti, tout près. Du coup, d'instinct, le cheval de Mme Tournade et celui de Hilda s'étaient arrêtés, par imitation du cheval de Jules, que celui-ci avait retenu. Louise et son père s'étaient arrêtés aussi et la voix du jeune homme se fit entendre dans le silence de tous:

– «Ne bougez pas, Hector,» criait-il à son compagnon. «Les chiens se rapprochent… Le cerf va passer là, nous le verrons sauter… Tenez, l'apercevez-vous qui sort sur la route? Il est blond, moyen de corsage…»

– «Sa tête est belle,» répondit Hector, d'un ton comique de connaisseur, «mais un peu grêle.»

– «Tous les cerfs de cette forêt ont la tête grêle… Mais voici les chiens… En avant!.. Voulez-vous?» Et, se tournant vers Louise et son père, le joyeux garçon ajouta: «D'Albiac, venez-vous, et vous, mademoiselle Louise?.. Taïaut! Taïaut!..»

Il avait mis, en jetant ces dernières syllabes, sa monture au galop. Mlle d'Albiac en avait fait autant, son père de même. En quelques foulées, ils avaient rejoint Maligny et son ami. Déjà, les croupes de leurs quatre chevaux disparaissaient dans une allée transversale, tandis que Mme Tournade disait à Hilda:

– «Suivons-les, mademoiselle, je veux que nous les suivions…» C'était la femme jalouse qui parlait. Et, aussitôt: «Ne me quittez pas, surtout…» Cette fois, c'était la quadragénaire, peu habituée à pousser une bête dans son train. «Croyez-vous que nous les rattraperons?.. Où sont-ils?..» C'était, de nouveau, la femme jalouse. La peureuse ne devait pas tarder à reparaître: «Je ne tiens plus ma bête. Elle me casse les bras… Mademoiselle!.. Mademoiselle!..»

Cette interpellation, jetée maintenant d'une voix suppliante, était trop justifiée par l'allure que les deux chevaux, celui de l'amoureuse mûre et celui de sa jeune accompagnatrice, avaient continué de prendre. Au moment où elles arrivaient, à leur tour, vers l'orée de la grande allée transversale, elles avaient, en effet, constaté que le groupe formé par Maligny, Louise d'Albiac et son père s'était évanoui. Par où? Ce n'était pas un chemin, c'étaient six que les chasseurs avaient pu prendre. Ces premiers cinquante mètres d'avenue servaient d'amorce à plusieurs routes, sur lesquelles s'en embranchaient d'autres. Jules et sa troupe avaient dû tourner par une de ces sentes. Laquelle? Ils avaient pris, ensuite, un des six embranchements. Lequel? Hilda Campbell avait tendu l'oreille. Un son de trompe lui était arrivé.

– «La Vue…» dit-elle simplement. D'un petit appel de langue, elle excita son cheval, en le lançant dans la direction où elle croyait avoir le plus de chances de rejoindre les autres. La bête était partie de toute sa vitesse. La monture de Mme Tournade avait suivi. C'est alors que la pauvre femme avait commencé d'avoir peur, et, impuissante à empêcher que son cheval ne galopât tête à tête avec l'autre, poussé ce cri, puis supplié que la hardie écuyère ralentît son train. Miss Campbell l'avait regardée. Elle avait reconnu que la poltronne se tenait bien, malgré sa terreur, et ne courait aucun danger. Le terrain était très bon, les bêtes très sûres. Hilda n'avait pas tenu compte de cette imploration de l'apprentie cavalière. La sympathie subite éprouvée pour Mlle d'Albiac n'empêchait pas qu'elle n'aimât Jules et qu'un sursaut de jalousie ne lui eût étreint le cœur à voir sa rivale – la seule vraie – s'éloigner, botte à botte, avec le jeune homme. Sa douceur native n'empêchait pas, non plus, qu'elle ne gardât rancune à la veuve pour ses insolences de leur première rencontre et celles de la matinée. L'occasion s'offrait, trop tentante, d'exercer une petite vengeance, et dans les données de ce métier auquel la parvenue l'avait rappelée si durement. Au lieu de retenir son cheval, elle lui rendit tout. Du talon, elle le touche au flanc. Un second appel de langue l'anime encore. Il redouble de vitesse. Son camarade d'écurie ne veut pas rester en arrière, malgré les efforts désespérés de celle qui le monte et qui n'a même plus de souffle pour supplier, comme tout à l'heure… Les taillis succèdent aux taillis, défilant devant les yeux de Mme Tournade, hypnotisée d'épouvante, avec l'instantanéité folle des paysages traversés en automobile. Les routes succèdent aux routes. Evidemment, Hilda s'était égarée… Aucune sonnerie de trompe. Aucun aboiement de chiens n'arrivait plus aux deux amazones emportées ainsi dans ce galop insensé. Derrière elle, si elle eût la force de se retourner, Mme Tournade n'aurait aperçu aucun cavalier. Elles étaient parties si vite que Corbin, occupé, au même moment, à se battre contre les rétivetés de sa bête, les avait vues disparaître comme elles-mêmes avaient vu disparaître Maligny. Arrivé, lui aussi, à l'orée de la grande avenue, il avait hésité, comme elles, cinq minutes auparavant, sur la direction à prendre. Il s'était engagé dans l'allée précisément opposée… Et les chevaux des deux femmes galopaient toujours. Le visage de la jeune Anglaise exprimait une si farouche résolution que sa victime en demeurait médusée. L'idée lui était soudain venue d'un guet-apens prémédité et que l'écuyère voulait sa mort. Cramponnée d'une main à la crinière, et la jambe crispée sur la fourche, elle attendait la chute inévitable avec une angoisse qui décomposait ses traits, en même temps qu'une sueur d'agonie inondait sa face: et, résultat inattendu, que Hilda n'avait certes pas prémédité, la plus comique transformation s'accomplissait en elle. La teinture de ses cheveux ruisselait en longues raies noires sur sa peau, où la céruse avait fondu. Les secousses de cette course enragée déplaçaient, avec son chapeau, le postiche qui couronnait son front. D'autres mèches s'éparpillaient hors de son chignon… Les chevaux galopaient toujours. Enfin, la malheureuse Mme Tournade jeta un nouveau cri, – de salut, cette fois. A l'extrémité d'une contre-allée, s'apercevait un groupe formé de quelques cavaliers et de plusieurs voitures. Au même instant, Hilda ralentissait le train de sa bête. Le cheval de la veuve imita son camarade dans le passage à une allure modérée, comme il l'avait imité dans son emportement, et c'est au petit trot que les deux femmes se dirigèrent vers ce rassemblement. Voici ce qui s'était passé: tandis qu'elles s'égaraient sur une fausse piste, le cerf, lui, égarait les chasseurs d'un autre côté. L'entrée en scène d'un second animal, emmenant derrière lui une partie de la meute, avait mis l'équipage en désarroi. Plusieurs d'entre les habits rouges s'étaient ralliés là, autour du prince de La Tour-Enguerrand. Ils s'occupaient à délibérer. Des voitures étaient venues les rejoindre, et, parmi elles, celle de Mme Tournade. Le gros Gaultier n'eut pas plus tôt reconnu la loque vivante qu'était, en ce moment, sa maîtresse, lamentablement balancée sur le dos de sa monture, maintenant calme, qu'il dit d'un air triomphal, à son compagnon de siège:

– «Regarde Madame. Tu vois l'état où l'a mise ce cheval. Je l'avais avertie qu'elle ne prenne rien chez ces brigands de Campbell.»

Cette phrase vengeresse, prononcée délibérément d'une voix très haute, visait John Corbin, qui se trouvait à deux pas de la voiture. Sur ce point, son aventure avait ressemblé à celle de sa cousine. Il avait galopé pour rejoindre, à tombeau ouvert, et, au terme de cette randonnée solitaire, aperçu, comme elle, le rassemblement à une extrémité d'allée. Il était accouru pour ne retrouver, des personnes qui l'intéressaient, que Maligny, d'Albiac et Mlle d'Albiac. De Hilda, nulle trace, ni de sa compagne. Tout d'un coup, il les avait vues qui débouchaient dans une avenue, sur leurs chevaux blancs d'écume. Ses yeux de sauvage, habitués à distinguer de très loin les moindres détails, avaient reconnu aussitôt, à vingt petits signes, qu'un événement extraordinaire avait dû se produire. Les bêtes s'étaient-elles emballées? Cette inquiétude toute professionnelle suffit pour qu'il ne relevât point le mot injurieux du cocher. Elle se changea en une anxiété d'un autre ordre, quand les deux femmes, s'étant rapprochées encore, il discerna l'expression de la physionomie de Mme Tournade. La plus violente indignation avait succédé à l'épouvante dans le cœur de la veuve, enfin rassurée. A son aspect de vieille beauté déconfite, plusieurs des assistants, dont Mlle d'Albiac, n'avaient pu retenir un sourire. La femme de quarante ans avait remarqué cette moquerie. Elle arrivait, atteinte dans tous ses orgueils, dans toutes ses prétentions, dans sa chair même, et ce qui mettait le comble à son humiliation, c'était le contraste entre le misérable état où cette équipée l'avait réduite et celui où l'écuyère se trouvait. Ce galop fou avait seulement avivé l'éclat du teint de Hilda, parée de toutes les grâces fières de sa jeunesse, et l'espièglerie de sa vengeance dissipa, une seconde, sa mélancolie. Aussi une rancune, exaltée jusqu'à la haine la plus féroce, frémissait-elle dans l'accent des premières paroles que prononça la femme offensée. Jules de Maligny, étonné, comme Corbin, de cette apparition, et toujours ménager, malgré ses insouciances et ses légèretés, du grand mariage possible, avait fait faire, à son cheval, quelques pas au-devant des deux survenantes. L'occasion de reprendre sa revanche s'offrait maintenant à Mme Tournade, et trop tentante. Elle regarda le jeune homme fixement, sans rien chercher à dissimuler de la colère qui l'étouffait. Elle affecta de ne pas répondre à son salut, et appelant son cocher:

 

– «Gaultier,» dit-elle, «venez m'aider à descendre de cheval.»

Lorsqu'elle eut mis enfin pied à terre, elle regarda de nouveau, avec cette même insolente fixité, Maligny, miss Campbell, miss Campbell et Maligny. Puis, appelant celui-ci à part, elle commença de lui parler tout bas et vivement. Et, comme il protestait d'un geste, elle dit, très haut, ne se possédant plus, les confondant, Hilda et Jules, dans un même outrageant éclat de rire:

– «Vous avez voulu vous moquer de moi, monsieur de Maligny, avec votre maîtresse… Vous n'en serez pas les bons marchands. Je saurai vous retrouver tous les deux, mademoiselle et vous… Gaultier,» continua-t-elle, «nous rentrons à Rambouillet… Et vite…»

29Il empaume la voie, et moi je sonne et crie. (Les Fâcheux, II, 7.)
30Il faut lire, dans le Jacques du Fouilloux, les chapitres xxii et suivants sur le Jugement et Cognoissance du pied de cerf, des fumées, des portées, des alleures, pour goûter tout le pittoresque de ce charmant livre.
31«Cernes: terme de chasse, enceinte pour traquer le gibier.» (Littré.) – «Gaignages: on entend par gaignages, toutes les terres cultivées où les animaux vont, la nuit, chercher leur nourriture. (De Chaillou.) – Ronsard a dit: Il savait par sus tout laisser courre et lancer.Bien démesler d'un cerf les ruses et la feinte…Les «gaignages», la nuict, le lict et le coucher…
32On trouvera toutes ces paroles et les airs adaptés dans le Nouveau Traité de chasses à courre et à tir, publié par MM. de Chaillou, de La Rue et de Cherville, dans l'Encyclopédie des chasses (Goin, éditeur).

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