Kostenlos

L'avare

Text
iOSAndroidWindows Phone
Wohin soll der Link zur App geschickt werden?
Schließen Sie dieses Fenster erst, wenn Sie den Code auf Ihrem Mobilgerät eingegeben haben
Erneut versuchenLink gesendet

Auf Wunsch des Urheberrechtsinhabers steht dieses Buch nicht als Datei zum Download zur Verfügung.

Sie können es jedoch in unseren mobilen Anwendungen (auch ohne Verbindung zum Internet) und online auf der LitRes-Website lesen.

Als gelesen kennzeichnen
Schriftart:Kleiner AaGrößer Aa

Scène III

Harpagon, Cléante.

Harpagon. Oh çà, intérêt de belle-mère à part, que te semble, à toi, de cette personne ?

Cléante. Ce qui m’en semble ?

Harpagon. Oui de son air, de sa taille, de sa beauté, de son esprit.

Cléante. Là, là !

Harpagon. Mais encore ?

Cléante. A vous en parler franchement, je ne l’ai pas trouvée ici ce que je l’avais crue. Son air est de franche coquette, sa taille est assez gauche, sa beauté très médiocre, et son esprit des plus communs. Ne croyez pas que ce soit, mon père, pour vous en dégoûter ; car, belle-mère pour belle-mère, j’aime autant celle-là qu’une autre.

Harpagon. Tu lui disais tantôt pourtant…

Cléante. Je lui ai dit quelques douceurs en votre nom, mais c’était pour vous plaire.

Harpagon. Si bien donc que tu n’aurais pas d’inclination pour elle ?

Cléante. Moi ? point du tout.

Harpagon. J’en suis fâché, car cela rompt une pensée qui m’était venue dans l’esprit. J’ai fait, en la voyant ici, réflexion sur mon âge ; et j’ai songé qu’on pourra trouver à redire de me voir marier à une si jeune personne. Cette considération m’en faisait quitter le dessein ; et comme je l’ai fait demander, et que je suis pour elle engagé de parole, je te l’aurais donnée, sans l’aversion que tu témoignes.

Cléante. A moi ?

Harpagon. A toi.

Cléante. En mariage ?

Harpagon. En mariage.

Cléante. Ecoutez. Il est vrai qu’elle n’est pas fort à mon goût ; mais, pour vous faire plaisir, mon père, je me résoudrai à l’épouser, si vous voulez.

Harpagon. Moi, je suis plus raisonnable que tu ne penses. Je ne veux point forcer ton inclination.

Cléante. Pardonnez-moi ; je me ferai cet effort pour l’amour de vous.

Harpagon. Non, non. Un mariage ne saurait être heureux où l’inclination n’est pas.

Cléante. C’est une chose, mon père, qui peut-être viendra ensuite ; et l’on dit que l’amour est souvent un fruit du mariage.

Harpagon. Non. Du côté de l’homme, on ne doit point risquer l’affaire ; et ce sont des suites fâcheuses, où je n’ai garde de me commettre. Si tu avais senti quelque inclination pour elle, à la bonne heure ; je te l’aurais fait épouser au lieu de moi ; mais, cela n’étant pas, je suivrai mon premier dessein, et je l’épouserai moi-même.

Cléante. Eh bien ! mon père, puisque les choses sont ainsi, il faut vous découvrir mon coeur ; il faut vous révéler notre secret. La vérité est que je l’aime depuis un jour que je la vis dans une promenade ; que mon dessein était tantôt de vous la demander pour femme ; et que rien ne m’a retenu que la déclaration de vos sentiments, et la crainte de vous déplaire.

Harpagon. Lui avez-vous rendu visite ?

Cléante. Oui, mon père.

Harpagon. Beaucoup de fois ?

Cléante. Assez pour le temps qu’il y a.

Harpagon. Vous a-t-on bien reçu ?

Cléante. Fort bien, mais sans savoir qui j’étais ; et c’est ce qui a fait tantôt la surprise de Mariane.

Harpagon. Lui avez-vous déclaré votre passion et le dessein où vous étiez de l’épouser ?

Cléante. Sans doute, et même j’en avais fait à sa mère quelque peu d’ouverture.

Harpagon. A-t-elle écouté, pour sa fille, votre proposition ?

Cléante. Oui, fort civilement.

Harpagon. Et la fille correspond-elle fort à votre amour ?

Cléante. Si j’en dois croire les apparences, je me persuade, mon père, qu’elle a quelque bonté pour moi.

Harpagon (bas, à part.) Je suis bien aise d’avoir appris un tel secret ; et voilà justement ce que je demandais (Haut.) Or sus, mon fils, savez-vous ce qu’il y a ? C’est qu’il faut songer, s’il vous plaît, à vous défaire de votre amour, à cesser toutes vos poursuites auprès d’une personne que je prétends pour moi, et à vous marier dans peu avec celle qu’on vous destine.

Cléante. Oui, mon père ; c’est ainsi que vous me jouez ! Eh bien ! puisque les choses en sont venues là, je vous déclare, moi, que je ne quitterai point la passion que j’ai pour Mariane ; qu’il n’y a point d’extrémité où je ne m’abandonne pour vous disputer sa conquête, et que si vous avez pour vous le consentement d’une mère, j’aurai d’autres secours, peut-être, qui combattront pour moi.

Harpagon. Comment, pendard ! tu as l’audace d’aller sur mes brisées !

Cléante. C’est vous qui allez sur les miennes, et je suis le premier en date.

Harpagon. Ne suis-je pas ton père ? et ne me dois-tu pas respect ?

Cléante. Ce ne sont point ici des choses où les enfants soient obligés de déférer aux pères, et l’amour ne connaît personne.

Harpagon. Je te ferai bien me connaître avec de bons coups de bâton.

Cléante. Toutes vos menaces ne feront rien.

Harpagon. Tu renonceras à Mariane.

Cléante. Point du tout.

Harpagon. Donnez-moi un bâton tout à l’heure.

Scène IV

Harpagon, Cléante, Maître Jacques.

Maître Jacques. Hé ! hé ! hé ! Messieurs, qu’est-ce ci ? à quoi songez-vous ?

Cléante. Je me moque de cela.

Maître Jacques (à Cléante.) Ah ! Monsieur, doucement.

Harpagon. Me parler avec cette impudence !

Maître Jacques (à Harpagon.) Ah ! monsieur, de grâce !

Cléante. Je n’en démordrai point.

Maître Jacques (à Cléante.) Hé quoi ! à votre père ?

Harpagon. Laisse-moi faire.

Maître Jacques (à Harpagon.) Hé quoi ! à votre fils ? Encore passe pour moi.

Harpagon. Je te veux faire toi-même, maître Jacques, juge de cette affaire, pour montrer comme j’ai raison.

Maître Jacques. J’y consens (A Cléante.) Eloignez-vous un peu.

Harpagon. J’aime une fille que je veux épouser ; et le pendard a l’insolence de l’aimer avec moi, et d’y prétendre malgré mes ordres.

Maître Jacques. Ah ! il a tort.

Harpagon. N’est-ce pas une chose épouvantable, qu’un fils qui veut entrer en concurrence avec son père ? et ne doit-il pas, par respect, s’abstenir de toucher à mes inclinations ?

Maître Jacques. Vous avez raison. Laissez-moi lui parler, et demeurez là.

Cléante (à maître Jacques, qui s’approche de lui.) Eh bien, oui, puisqu’il veut te choisir pour juge, je n’y recule point ; il ne m’importe qui ce soit ; et je veux bien aussi me rapporter à toi, maître Jacques, de notre différend.

Maître Jacques. C’est beaucoup d’honneur que vous me faites.

Cléante. Je suis épris d’une jeune personne qui répond à mes voeux et reçoit tendrement les offres de ma foi, et mon père s’avise de venir troubler notre amour, par la demande qu’il en fait faire.

Maître Jacques. Il a tort assurément.

Cléante. N’a-t-il point de honte, à son âge, de songer à se marier ? Lui sied-il bien d’être encore amoureux ? et ne devrait-il pas laisser cette occupation aux jeunes gens ?

Maître Jacques. Vous avez raison, il se moque. Laissez-moi lui dire deux mots (À Harpagon.) Eh bien ! votre fils n’est pas si étrange que vous le dites, et il se met à la raison. Il dit qu’il sait le respect qu’il vous doit ; qu’il ne s’est emporté que dans la première chaleur, et qu’il ne fera point refus de se soumettre à ce qu’il vous plaira, pourvu que vous vouliez le traiter mieux que vous ne faites, et lui donner quelque personne en mariage, dont il ait lieu d’être content.

Harpagon. Ah ! dis-lui, maître Jacques, que moyennant cela, il pourra espérer toutes choses de moi, et que, hors Mariane, je lui laisse la liberté de choisir celle qu’il voudra.

Maître Jacques. Laissez-moi faire (À Cléante.) Eh bien ! votre père n’est pas si déraisonnable que vous le faites, et il m’a témoigné que ce sont vos emportements qui l’ont mis en colère ; qu’il n’en veut seulement qu’à votre manière d’agir, et qu’il sera fort disposé à vous accorder ce que vous souhaitez, pourvu que vous vouliez vous y prendre par la douceur, et lui rendre les déférences, les respects et les soumissions qu’un fils doit à son père.

Cléante. Ah ! maître Jacques, tu lui peux assurer que, s’il m’accorde Mariane, il me verra toujours le plus soumis de tous les hommes, et que jamais je ne ferai aucune chose que par ses volontés.

Maître Jacques (à Harpagon.) Cela est fait. Il consent ce que vous dites.

Harpagon. Voilà qui va le mieux du monde.

Maître Jacques (à Cléante.) Tout est conclu ; il est content de vos promesses.

Cléante. Le ciel en soit loué !

Maître Jacques. Messieurs, vous n’avez qu’à parler ensemble ; vous voilà d’accord maintenant ; et vous alliez vous quereller, faute de vous entendre.

Cléante. Mon pauvre maître Jacques, je te serai obligé toute ma vie.

Maître Jacques. Il n’y a pas de quoi, monsieur.

Harpagon. Tu m’as fait plaisir, maître Jacques ; et cela mérite une récompense (Harpagon fouille dans sa poche ; maître Jacques tend la main ; mais Harpagon ne tire que son mouchoir, en disant :) Va, je m’en souviendrai, je t’assure.

Maître Jacques. Je vous baise les mains.

Scène V

Harpagon, Cléante.

Cléante. Je vous demande pardon, mon père, de l’emportement que j’ai fait paraître.

Harpagon. Cela n’est rien.

Cléante. Je vous assure que j’en ai tous les regrets du monde.

Harpagon. Et moi, j’ai toutes les joies du monde de te voir raisonnable.

 

Cléante. Quelle bonté à vous d’oublier si vite ma faute !

Harpagon. On oublie aisément les fautes des enfants lorsqu’ils rentrent dans leur devoir.

Cléante. Quoi ! ne garder aucun ressentiment de toutes mes extravagances ?

Harpagon. C’est une chose où tu m’obliges, par la soumission et le respect où tu te ranges.

Cléante. Je vous promets, mon père, que jusques au tombeau je conserverai dans mon coeur le souvenir de vos bontés.

Harpagon. Et moi, je te promets qu’il n’y aura aucune chose que tu n’obtiennes de moi.

Cléante. Ah ! mon père, je ne vous demande plus rien ; et c’est m’avoir assez donné que de me donner Mariane.

Harpagon. Comment ?

Cléante. Je dis, mon père, que je suis trop content de vous, et que je trouve toutes choses dans la bonté que vous ayez de m’accorder Mariane.

Harpagon. Qui est-ce qui parle de t’accorder Mariane ?

Cléante. Vous, mon père.

Harpagon. Moi ?

Cléante. Sans doute.

Harpagon. Comment ! c’est toi qui as promis d’y renoncer.

Cléante. Moi, y renoncer ?

Harpagon. Oui.

Cléante. Point du tout.

Harpagon. Tu ne t’es pas départi d’y prétendre ?

Cléante. Au contraire, j’y suis porté plus que jamais.

Harpagon. Quoi, pendard ! derechef ?

Cléante. Rien ne peut me changer.

Harpagon. Laisse-moi faire, traître.

Cléante. Faites tout ce qu’il vous plaira.

Harpagon. Je te défends de me jamais voir.

Cléante. A la bonne heure.

Harpagon. Je t’abandonne.

Cléante. Abandonnez.

Harpagon. Je te renonce pour mon fils.

Cléante. Soit.

Harpagon. Je te déshérite.

Cléante. Tout ce que vous voudrez.

Harpagon. Et je te donne ma malédiction.

Cléante. Je n’ai que faire de vos dons.

Scène VI

Cléante, La Flèche.

La Flèche (sortant du jardin avec une cassette.) Ah ! Monsieur, que je vous trouve à propos ! Suivez-moi vite.

Cléante. Qu’y a-t-il ?

La Flèche. Suivez-moi, vous dis-je ; nous sommes bien.

Cléante. Comment ?

La Flèche. Voici votre affaire.

Cléante. Quoi ?

La Flèche. J’ai guigné ceci tout le jour.

Cléante. Qu’est-ce que c’est ?

La Flèche. Le trésor de votre père, que j’ai attrapé.

Cléante. Comment as-tu fait ?

La Flèche. Vous saurez tout. Sauvons-nous ; je l’entends crier.

Scène VII

Harpagon.

Harpagon (criant au voleur dès le jardin, et venant sans chapeau.) Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis assassiné ; on m’a coupé la gorge : on m’a dérobé mon argent. Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il point là ? n’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête. (À lui-même, se prenant par le bras.) Rends-moi mon argent, coquin… Ah ! c’est moi ! Mon esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hélas ! mon pauvre argent ! mon pauvre argent ! mon cher ami ! on m’a privé de toi ; et puisque tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie : tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde. Sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en est fait ; je n’en puis plus ; je me meurs ; je suis mort ; je suis enterré. N’y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m’apprenant qui l’a pris. Euh ! que dites-vous ? Ce n’est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu’avec beaucoup de soin on ait épié l’heure ; et l’on a choisi justement le temps que je parlais à mon traître de fils. Sortons. Je veux aller quérir la justice, et faire donner la question à toute ma maison ; à servantes, à valets, à fils, à fille, et à moi aussi. Que de gens assemblés ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupçons, et tout me semble mon voleur. Hé ! de quoi est-ce qu’on parle là ? de celui qui m’a dérobé ? Quel bruit fait-on là-haut ? Est-ce mon voleur qui y est ? De grâce, si l’on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l’on m’en dise. N’est-il point caché là parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. Vous verrez qu’ils ont part, sans doute, au vol que l’on m’a fait. Allons, vite, des commissaires, des archers, des prévôts, des juges, des gênes, des potences, et des bourreaux ! Je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-même après.

ACTE CINQUIÈME

Scène première

Harpagon, un commissaire.

Le commissaire. Laissez-moi faire, je sais mon métier, Dieu merci. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je me mêle de découvrir des vols, et je voudrais avoir autant de sacs de mille francs que j’ai fait pendre de personnes.

Harpagon. Tous les magistrats sont intéressés à prendre cette affaire en main ; et, si l’on ne me fait retrouver mon argent, je demanderai justice de la justice.

Le commissaire. Il faut faire toutes les poursuites requises. Vous dites qu’il y avait dans cette cassette ?

Harpagon. Dix mille écus bien comptés.

Le commissaire. Dix mille écus !

Harpagon. Dix mille écus.

Le commissaire. Le vol est considérable.

Harpagon. Il n’y a point de supplice assez grand pour l’énormité de ce crime ; et, s’il demeure impuni, les choses les plus sacrées ne sont plus en sûreté.

Le commissaire. En quelles espèces était cette somme ?

Harpagon. En bons louis d’or et pistoles bien trébuchantes.

Le commissaire. Qui soupçonnez-vous de ce vol ?

Harpagon. Tout le monde, et je veux que vous arrêtiez prisonniers la ville et les faubourgs.

Le commissaire. Il faut, si vous m’en croyez, n’effaroucher personne et tâcher doucement d’attraper quelques preuves afin de procéder après, par la rigueur, au recouvrement des deniers qui vous ont été pris.

Scène II

Harpagon, un commissaire, Maître Jacques.

Maître Jacques (dans le fond du théâtre, en se retournant du côté par lequel il est entré.) Je m’en vais revenir. Qu’on me l’égorge tout à l’heure ; qu’on me lui fasse griller les pieds, qu’on me le mette dans l’eau bouillante, et qu’on me le pende au plancher.

Harpagon (à maître Jacques.) Qui ? celui qui m’a dérobé ?

Maître Jacques. Je parle d’un cochon de lait que votre intendant me vient d’envoyer, et je veux vous l’accommoder à ma fantaisie.

Harpagon. Il n’est pas question de cela ; et voilà Monsieur à qui il faut parler d’autre chose.

Le commissaire (à maître Jacques.) Ne vous épouvantez point. Je suis homme à ne vous point scandaliser[16], et les choses iront dans la douceur.

Maître Jacques. Monsieur est de votre souper ?

Le commissaire. Il faut ici, mon cher ami, ne rien cacher à votre maître.

Maître Jacques. Ma foi, Monsieur, je montrerai tout ce que je sais faire, et je vous traiterai du mieux qu’il me sera possible.

Harpagon. Ce n’est pas là l’affaire.

Maître Jacques. Si je ne vous fais pas aussi bonne chère que je voudrais, c’est la faute de monsieur notre intendant, qui m’a rogné les ailes avec les ciseaux de son économie.

Harpagon. Traître ! il s’agit d’autre chose que de souper ; et je veux que tu me dises des nouvelles de l’argent qu’on m’a pris.

Maître Jacques. On vous a pris de l’argent ?

Harpagon. Oui, coquin ; et je m’en vais te faire pendre, si tu ne me le rends.

Le commissaire (à Harpagon.) Mon Dieu ! ne le maltraitez point. Je vois à sa mine qu’il est honnête homme, et que, sans se faire mettre en prison, il vous découvrira ce que vous voulez savoir. Oui, mon ami, si vous nous confessez la chose, il ne vous sera fait aucun mal et vous serez récompensé comme il faut par votre maître. On lui a pris aujourd’hui son argent, et il n’est pas que vous ne sachiez quelques nouvelles de cette affaire.

Maître Jacques (bas, à part.) Voici justement ce qu’il me faut pour me venger de notre intendant. Depuis qu’il est entré céans il est le favori, on n’écoute que ses conseils, et j’ai aussi sur le coeur les coups de bâton de tantôt.

Harpagon. Qu’as-tu à ruminer ?

Le commissaire (à Harpagon.) Laissez-le faire. Il se prépare à vous contenter ; et je vous ai bien dit qu’il était honnête homme.

Maître Jacques. Monsieur, si vous voulez que je vous dise les choses, je crois que c’est monsieur votre cher intendant qui a fait le coup.

Harpagon. Valère !

Maître Jacques. Oui.

Harpagon. Lui ! qui me paraît si fidèle ?

Maître Jacques. Lui-même. Je crois que c’est lui qui vous a dérobé.

Harpagon. Et sur quoi le crois-tu ?

Maître Jacques. Sur quoi ?

Harpagon. Oui.

Maître Jacques. Je le crois… sur ce que je le crois.

Le commissaire. Mais il est nécessaire de dire les indices que vous avez.

Harpagon. L’as-tu vu rôder autour du lieu où j’avais mis mon argent ?

Maître Jacques. Oui, vraiment. Où était-il votre argent ?

Harpagon. Dans le jardin.

Maître Jacques. Justement ; je l’ai vu rôder dans le jardin. Et dans quoi est-ce que cet argent était ?

Harpagon. Dans une cassette.

Maître Jacques. Voilà l’affaire. Je lui ai vu une cassette.

Harpagon. Et cette cassette, comme est-elle faite ? Je verrai bien si c’est la mienne.

Maître Jacques. Comment elle est faite ?

Harpagon. Oui.

Maître Jacques. Elle est faite… elle est faite comme une cassette.

Le commissaire. Cela s’entend. Mais dépeignez-la un peu, pour voir.

Maître Jacques. C’est une grande cassette.

Harpagon. Celle qu’on m’a volée est petite.

Maître Jacques. Hé ! oui, elle est petite, si on le veut prendre par là ; mais je l’appelle grande pour ce qu’elle contient.

Le commissaire. Et de quelle couleur est-elle ?

Maître Jacques. De quelle couleur ?

Le commissaire. Oui.

Maître Jacques. Elle est de couleur… là, d’une certaine couleur… Ne sauriez-vous m’aider à dire ?

Harpagon. Euh !

Maître Jacques. N’est-elle pas rouge ?

Harpagon. Non, grise.

Maître Jacques. Hé ! oui, gris-rouge ; c’est ce que je voulais dire.

Harpagon. Il n’y a point de doute ; c’est elle assurément. Ecrivez, Monsieur, écrivez sa déposition. Ciel ! à qui désormais se fier ! Il ne faut plus jurer de rien ; et je crois, après cela, que je suis homme à me voler moi-même.

Maître Jacques (à Harpagon.) Monsieur, le voici qui revient. Ne lui allez pas dire, au moins, que c’est moi qui vous ai découvert cela.

Weitere Bücher von diesem Autor