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Les chasseurs de chevelures

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XV
UNE AUTOBIOGRAPHIE

J'etais seul avec mon hote dans l'appartement que j'occupais depuis mon arrivee dans la maison. Les femmes s'etaient retirees dans une autre piece. Seguin, en entrant dans la chambre, avait donne un tour de clef et pousse les verrous. Quelle terrible epreuve allait-il imposer a ma loyaute, a mon amour? Cet homme, connu par tant d'exploits sanguinaires, allait-il s'attaquer a ma vie? Allait-il me lier a lui par quelque epouvantable serment? De sombres apprehensions me traversaient l'esprit; je demeurais silencieux, mais non sans eprouver quelques craintes. Une bouteille de vin etait placee entre nous deux, et Seguin, remplissant deux verres, m'invita a boire. Cette politesse me rassura. Mais le vin n'etait-il pas emp…? Il avait vide son verre avant que ma pensee n'eut complete sa forme.

– Je le calomnie, pensai-je. Cet homme, apres tout, est incapable d'un pareil acte de trahison.

Je bus, et la chaleur du vin me rendit un peu de calme et de tranquillite. Apres un moment de silence, il entama la conversation par cette question ex abrupto:

– Que savez-vous de moi?

– Votre nom et votre surnom; rien de plus.

– C'est plus qu'on n'en sait ici.

Et sa main indiquait la porte par un geste expressif.

– Qui vous a le plus souvent parle de moi?

– Un ami que vous avez vu a Santa-Fe.

– Ah! Saint-Vrain; un brave garcon, plein de courage. Je l'ai rencontre autrefois a Chihuahua. Il ne vous a rien dit de plus relativement a moi.

– Non. Il m'avait promis de me donner quelques details sur vous, mais il n'y a plus pense; la caravane est partie et nous nous sommes trouves separes.

– Donc, vous avez appris que j'etais Seguin, le chasseur de scalps; que j'etais employe par les citoyens d'El-Paso pour aller a la chasse des Apaches et des Navajoes, et qu'on me payait une somme determinee pour chaque chevelure d'Indien clouee a leurs portes? Vous avez appris cela?

– Oui.

– Tout cela est vrai.

Je gardai le silence.

– Maintenant, monsieur, reprit-il apres une pause, voulez-vous encore epouser ma fille, la fille d'un abominable meurtrier?

– Vos crimes ne sont pas les siens. Elle est innocente meme de la connaissance de ces crimes, avez-vous dit. Vous pouvez etre un demon; elle, c'est un ange.

Une expression douloureuse se peignit sur sa figure, pendant que je parlais ainsi.

– Crimes! demon! murmurait-il comme se parlant a lui-meme; oui, vous avez le droit de parler ainsi. C'est ainsi que pense le monde. On vous a raconte les histoires des hommes de la montagne dans toutes leurs exagerations sanglantes. On vous a dit que, pendant une treve, j'avais invite un village d'Apaches a un banquet dont j'avais empoisonne les viandes; qu'ainsi j'avais empoisonne tous mes hotes, hommes, femmes, enfants, et qu'ensuite je les avais scalpes! On vous a dit que j'avais fait placer en face de la bouche d'un canon deux cents sauvages qui ignoraient l'effet de cet instrument de destruction; que j'avais mis le feu a cette piece chargee a mitraille, et massacre ainsi ces pauvres gens sans defiance. On vous a sans doute raconte ces actes de cruaute, et beaucoup d'autres encore.

– C'est vrai. On m'a raconte ces histoires lorsque j'etais parmi les chasseurs de la montagne; mais je ne savais trop si je devais les croire.

– Monsieur, ces histoires sont fausses; elles sont fausses et denuees de tout fondement.

– Je suis heureux de vous entendre parler ainsi. Je ne pouvais pas aujourd'hui vous croire capable de pareils actes de barbarie.

– Et cependant, fussent-elles vraies jusque dans leurs plus horribles details, elles n'approcheraient pas encore de toutes les cruautes dont les sauvages se sont rendus coupables envers les habitants de ces frontieres sans defense. Si vous saviez l'histoire de ce pays pendant les dix dernieres annees, les massacres et les assassinats, les ravages et les incendies, les vols et les enlevements; des provinces entierement depeuplees; des villages livres aux flammes; les hommes egorges a leur propre foyer; les femmes les plus charmantes, emmenees captives et livrees aux embrassements de ces voleurs du desert! Oh! Dieu! et moi aussi, j'ai recu des atteintes qui m'excuseront a vos yeux, et qui m'excuseront peut-etre aussi devant le tribunal supreme!

En disant ces mots, il cacha sa tete dans ses mains, et s'accouda les deux mains sur la table.

– J'ai besoin de vous faire une courte histoire de ma vie.

Je fis un signe d'assentiment, et, apres avoir rempli et vide un second verre de vin, il continua en ces termes:

– Je ne suis pas Francais, comme on le suppose; je suis creole de la Nouvelle-Orleans; mes parents etaient des refugies de Saint-Domingue, ou, a la suite de la revolte des negres, ils avaient vu leurs biens confisques par le sanguinaire Christophe. Apres avoir fait mes etudes pour etre ingenieur civil, je fus envoye aux mines de Mexico en cette qualite par le proprietaire d'une de ces mines, qui connaissait mon pere. J'etais jeune alors, et je passai plusieurs annees employe dans les etablissements de Zacatecas et de San-Luis-Potosi. Quand j'eus economise quelque argent sur mes appointements, je commencai a penser a m'etablir pour mon propre compte. Le bruit courait depuis longtemps que de riches veines d'or existaient aux bords du Gila et de ses affluents. On avait recueilli dans ces rivieres des sables auriferes, et le quartz laiteux, qui enveloppe ordinairement l'or, se montrait partout a nu dans les montagnes solitaires de cette region sauvage. Je partis pour cette contree avee une troupe d'hommes choisis; et apres avoir voyage pendant plusieurs semaines a travers la chaine des Mimbres, je trouvai, pres de la source du Gila, de precieux gisements de minerai. J'installai une mine, et, au bout de cinq ans, j'etais riche. Alors je me rappelai la compagne de mon enfance: une belle et charmante cousine qui avait conquis toute ma confiance et m'avait inspire mon premier amour. Pour moi le premier amour devait etre le dernier; ce n'etait pas, comme cela arrive si souvent, un sentiment fugitif. A travers tous mes voyages, son souvenir m'avait accompagne. M'avait-elle garde sa foi comme je lui avais garde la mienne? Je resolus donc de m'en assurer par moi-meme, et, laissant mes affaires a la garde de mon mayoral, je partis pour ma ville natale.

Adele avait ete fidele a sa parole, et je revins a mon etablissement avec elle. Je batis une maison a Valverde, le district le plus voisin de ma mine. Valverde etait alors une ville florissante; maintenant elle est en ruine, et vous avez pu voir ce qui en reste en venant ici. La, nous vecumes plusieurs annees au sein du bonheur et de la richesse. Ces jours passes m'apparaissent maintenant comme autant de siecles de felicite. Nous nous aimions avec ardeur, et notre union fut benie par la naissance de deux enfants, de deux filles. La plus jeune ressemblait a sa mere; l'ainee, m'a-t-on dit tenait principalement de moi. Nous les adorions, trop peut-etre; nous etions trop heureux de les posseder.

A cette epoque, un nouveau gouverneur fut envoye a Santa-Fe; un homme qui, par son libertinage et sa tyrannie, a ete jusqu'a ce jour la plaie de cette province. Il n'y a pas d'acte si vil, de crime si noir, dont ce monstre ne soit capable. Il se montra d'abord tres-aimable, et fut recu dans toutes les maisons des gens riches de la vallee. Comme j'etais du nombre de ceux-ci, je fus honore de ses visites, et cela tres-frequemment. Il residait de preference a Albuquerque, et donnait de grandes fetes a son palais. Ma femme et moi y etions toujours invites des premiers. En revanche, il venait souvent dans notre maison de Valverde, sous le pretexte d'inspecter les differentes parties de la province. Je m'apercus enfin que ses visites s'adressaient a ma femme, aupres de laquelle il se montrait fort empresse. Je ne vous parlerai pas de la beaute d'Adele a cette epoque. Vous pouvez vous en faire une idee, et votre imagination sera aidee par les graces que vous paraissez avoir decouvertes dans sa fille, car la petite Zoe est l'exacte reproduction de ce qu'etait sa mere, a son age.

A l'epoque dont je parle, elle etait dans tout l'eclat de sa beaute. Tout le monde parlait d'elle, et ces eloges avaient pique la vanite du tyran libertin. En consequence, je devins l'objet de toutes ses prevenances amicales. Rien de tout cela ne m'avait echappe; mais, confiant dans la vertu de ma femme, je m'inquietais peu de ce qu'il pourrait faire. Aucune insulte apparente, jusque-la n'avait appele mon attention. A mon retour d'une longue absence motivee par les travaux de la mine, Adele me donna connaissance des tentatives insultantes dont elle avait ete l'objet, a differentes epoques, de la part de Son Excellence, choses qu'elle m'avait tues jusque-la, par delicatesse; elle m'apprit qu'elle avait ete particulierement outragee dans une visite toute recente, pendant mon absence. C'en etait assez pour le sang d'un creole. Je partis pour Albuquerque, et, en pleine place publique, devant tout le monde assemble, je chatiai l'insulteur. Arrete et jete en prison, je ne fus rendu a la liberte qu'apres plusieurs semaines. Quand je retournai chez moi, je retrouvai ma maison pillee, et ma famille dans le desespoir. Les feroces Navajoes avaient passe par la. Tout avait ete detruit, mis en pieces dans mon habitation, et mon enfant!.. Dieu puissant! ma petite Adele avait ete emmenee captive dans les montagnes…

– Et votre femme? et votre autre fille? demandai-je, brulant de savoir le reste.

– Elles avaient echappe. Au milieu d'un terrible combat, car mes pauvres peons se defendaient bravement, ma femme, tenant Zoe dans ses bras, s'etait sauvee hors de la maison et s'etait refugiee dans une cave qui ouvrait sur le jardin. Je les retrouvai dans la hutte d'un vaquero, au milieu des bois; elles s'etaient enfuies jusque-la.

 

– Et votre fille Adele, en avez-vous entendu parler depuis?

– Oui, oui. Je vais y revenir dans un instant. A la meme epoque, ma mine fut attaquee et ruinee; la plupart des ouvriers, tous ceux qui n'avaient pu s'enfuir, furent massacres; l'etablissement qui faisait toute ma fortune fut detruit. Avec quelques-uns des mineurs qui avaient echappe et d'autres habitants de Valverde qui, comme moi, avaient souffert, j'organisai une bande et poursuivis les sauvages; mais nous ne pumes les atteindre et nous revinmes, la plupart le coeur brise et la sante profondement alteree. Oh! monsieur, vous ne pouvez pas savoir ce que c'est que d'avoir perdu une enfant cherie! Vous ne pouvez pas comprendre l'agonie d'un pere ainsi depouille!

Seguin se prit la tete entre les deux mains et garda un moment le silence.

Son attitude accusait la plus profonde douleur.

– Mon histoire sera bientot terminee, jusqu'a l'epoque ou nous sommes, du moins. Qui peut en prevoir la suite? Pendant des annees, j'errai sur les frontieres des Indiens, en quete de mon enfant. J'etais aide par une petite troupe d'individus, la plupart aussi malheureux que moi; les uns ayant perdu leurs femmes, les autres leurs filles, de la meme maniere. Mais nos ressources s'epuisaient, et le desespoir s'empara de nous. Les sentiments de mes compagnons se refroidirent avec le temps. L'un apres l'autre, ils me quitterent. Le gouverneur de New-Mexico ne nous pretait aucun secours. Au contraire, on soupconnait, et c'est maintenant un fait avere, on soupconnait le gouverneur lui-meme d'etre secretement ligue avec les chefs des Navajoes. Il s'etait engage a ne pas les inquieter, et, de leur cote, ils avaient promis de ne piller que ses ennemis.

En apprenant cette horrible trame, je reconnus la main qui m'avait frappe. Furieux de l'affront que je lui avais inflige, exaspere par le mepris de ma femme, le miserable avait trouve un moyen de se venger. Deux fois depuis, sa vie a ete entre mes mains; mais je n'aurais pu le tuer sans risquer ma propre tete, et j'avais des motifs pour tenir a la vie. Le jour viendra ou je pourrai m'acquitter envers lui.

"Comme je vous l'ai dit, ma troupe s'etait dispersee. Decourage, et sentant le danger qu'il y avait pour moi a rester plus longtemps dans le New-Mexico, je quittai cette province et traversai la Jornada pour me rendre a El-Paso. La, je vecus quelque temps, pleurant mon enfant perdue. Je ne restai pas longtemps inactif. Les frequentes incursions des Apaches dans les provinces de Sonora et de Chihuahua avaient rendu le gouvernement plus energique dans la defense de la frontiere. Les presidios furent mis en meilleur etat de defense et recurent des garnisons plus fortes; une bande d'aventuriers, de volontaires, fut organisee, dont la paie etait proportionnee au nombre de chevelures envoyees aux etablissements. On m'offrit le commandement de cette etrange guerilla, et, dans l'espoir de retrouver ma fille, j'acceptai: je devins chasseur de scalp. C'etait une terrible mission, et si la vengeance avait ete mon seul objet, il y a longtemps que j'aurais pu me retirer satisfait. Nous fimes plus d'une expedition sanglante, et, plus d'une fois, nous exercames d'epouvantables represailles.

Je savais que ma fille etait captive chez les Navajoes. Je l'avais appris, a differentes epoques, de la bouche des prisonniers que j'avais faits; mais j'etais toujours arrete par la faiblesse de ma troupe et des moyens dont je disposais. Des revolutions successives et la guerre civile desolaient et ruinaient les Etats du Mexique; nous fumes laisses de cote. Malgre tous mes efforts, je ne pouvais reunir une force suffisante pour penetrer dans cette contree deserte qui s'etend au nord du Gilla, et au centre de laquelle se trouvent les huttes des sauvages Navajoes.

– Et vous croyez!..

– Patience, j'aurai bientot fini. Ma troupe est aujourd'hui plus forte qu'elle n'a jamais ete. J'ai recu d'un homme recemment echappe des mains des Navajoes l'avis formel que les guerriers des deux tribus sont sur le point de partir pour le Sud. Ils reunissent leurs forces dans le but de faire une grande incursion; ils veulent pousser, a ce qu'on dit, jusqu'aux portes de Durango. Mon intention est de penetrer dans leur pays pendant qu'ils seront absents, et d'aller y chercher ma fille.

– Et vous croyez qu'elle vit encore?

– Je le sais. Le meme individu qui m'a donne ces nouvelles, et qui, le pauvre diable, y a laisse sa chevelure et ses oreilles, l'a vue souvent. Elle est devenue, m'a-t-il dit, parmi ces sauvages, une sorte de reine possedant un pouvoir et des privileges particuliers. Oui, elle vit encore, et si je puis parvenir a la retrouver, a la ramener ici, cette scene tragique sera la derniere a laquelle j'aurai pris part; je m'en irai loin de ce pays.

J'avais ecoute avec une profonde attention l'etrange recit de Seguin. L'eloignement que j'eprouvais auparavant pour cet homme, d'apres ce qu'on m'avait dit de son caractere, s'effacait et faisait place a la compassion; que dis-je? a l'admiration. Il avait tant souffert! Une telle infortune expiait ses crimes et les justifiait pleinement a mes yeux. Peut-etre etais-je trop indulgent dans mon jugement. Il etait naturel que je fusse ainsi. Quand cette revelation fut terminee, j'eprouvai une vive emotion de plaisir. Je sentis une joie profonde de savoir qu'elle n'etait pas la fille d'un demon, comme je l'avais cru. Seguin sembla penetrer ma pensee, car un sourire de satisfaction, de triomphe, je pourrais dire, eclaira sa figure. Il se pencha sur la table pour atteindre la bouteille.

– Monsieur, cette histoire a du vous fatiguer. Buvez donc.

Il y eut un moment de silence, pendant que nous vidions nos verres.

– Et maintenant, monsieur, vous connaissez, un peu mieux qu'auparavant, le pere de celle que vous aimez. Etes-vous encore dispose a l'epouser?

– Oh! monsieur! plus que jamais elle est un objet sacre pour moi.

– Mais il vous faut la conquerir de moi, comme je vous l'ai dit.

– Alors, monsieur, dites-moi comment; je suis pret a tous les sacrifices qui ne depasseront pas mes forces.

– Il faut que vous m'aidiez a retrouver sa soeur.

– Volontiers.

– Il faut venir avec moi au desert.

– J'y consens.

– C'est assez. Nous partons demain.

Il se leva, et se mit a marcher dans la chambre.

– De bonne heure? demandai-je, craignant presque qu'il me refusat une entrevue avec celle que je brulais plus que jamais d'embrasser.

– Au point du jour, repondit-il, semblant ne pas s'apercevoir de mon inquietude.

– Il faut que je visite mon cheval et mes armes, dis-je en me levant et en me dirigeant vers la porte, dans l'espoir de la rencontrer dehors.

– Tout est prepare; Gode est la. Revenez mon ami; elle n'est point dans la salle. Restez ou vous etes. Je vais chercher les armes dont vous avez besoin. – Adele! Zoe! – Ah! Docteur, vous etes revenu avec votre recolte de simples! C'est bien! Nous partons demain. Adele, du cafe, mon amour! Et puis, faites-nous un peu de musique. Votre hote vous quitte demain.

Zoe s'elanca entre nous deux avec un cri.

– Non, non, non, non! s'ecria-t-elle, se tournant vers l'un et vers l'autre avec toute l'energie d'un coeur au desespoir.

– Allons, ma petite colombe! dit le pere en lui prenant les deux mains; ne t'effarouche pas ainsi. C'est seulement pour une courte absence. Il reviendra.

– Dans combien de temps, papa? Dans combien de temps,

Henri?

– Mais, dans tres-peu de temps, et cela me paraitra plus long qu'a vous,

Zoe.

– Oh! non, non! Une heure, ce serait longtemps. Combien d'heures serez-vous absent?

– Oh! cela durera plusieurs jours, je crains.

– Plusieurs jours! Oh! papa! oh! Henri! plusieurs jours!

– Allons, petite fille, ce sera bientot passe. Va, aide ta mere a faire le cafe.

– Oh! papa, plusieurs jours, de longs jours… Ils ne passeront pas vite quand je serai seule.

– Mais tu ne seras pas seule. Ta mere sera avec toi.

– Ah!

Soupirant et d'un air tout preoccupe, elle quitta la chambre pour obeir a l'ordre de son pere. En passant la porte, elle pousse un second soupir plus profond encore.

Le docteur observait, silencieux et etonne, toute cette scene, et quand la legere figure eut disparu dans la grande salle, je l'entendis qui murmurait:

– Oh! ja! bovre bedite fraulein! je m'en afais pien toude!

XVI
LE HAUT DEL-NORTE

Je ne veux pas fatiguer le lecteur par les details d'une scene de depart. Nous etions en selle avant que les etoiles eussent pali, et nous suivions la voie sablonneuse. A peu de distance de la maison, la route faisait un coude et s'enfoncait dans un bois epais. La, j'arretai mon cheval, je laissai passer mes compagnons, et, me dressant sur mes etriers, je regardai en arriere. Mes yeux se dirigerent du cote des vieux murs gris, et se porterent sur l'azotea.

Sur le bord du parapet, se dessinant a la pale lueur de l'aurore, etait celle que cherchait mon regard. Je ne pouvais distinguer ses traits; mais je reconnaissais le charmant ovale de sa figure, qui se decoupait sur le ciel comme un noir medaillon. Elle se tenait aupres d'un des palmiers-yucca qui croissaient sur la terrasse. La main appuyee au tronc, elle se penchait en avant, interrogeant l'ombre de ses yeux. Peut-etre apercut-elle les ondulations d'un mouchoir agite; peut-etre entendit-elle son nom, et repondit-elle au tendre adieu qui lui fut porte par la brise du matin. S'il en est ainsi, sa voix fut couverte par le bruit des piaffements de mon cheval qui, tournant brusquement sur lui-meme, m'emporta sous l'ombre epaisse de la foret. Plusieurs fois je me retournai pour tacher d'apercevoir encore cette silhouette cherie, mais d'aucun point la maison n'etait visible. Elle etait cachee par les bois sombres et majestueux. Je ne voyais plus que les longues aiguilles des palmillas pittoresques; et, la route descendant entre deux collines, ces palmillas eux-memes disparurent bientot a mes yeux.

Je lachai la bride, et, laissant mon cheval aller a volonte, je tombai dans une suite de pensees a la fois douces et penibles. Je sentais que l'amour dont mon coeur etait rempli occuperait toute ma vie; que, dorenavant, cet amour serait le pivot de toutes mes esperances, le puissant mobile de toutes mes actions. Je venais d'atteindre l'age d'homme, et je n'ignorais pas cette verite, qu'un amour pur comme celui-la etait le meilleur preservatif contre les ecarts de la jeunesse, la meilleure sauvegarde contre tous les entrainements dangereux. J'avais appris cela de celui qui avait preside a ma premiere education, et dont l'experience m'avait ete souvent d'un trop puissant secours pour que je ne lui accordasse pas toute confiance. Plus d'une fois j'avais eu l'occasion de reconnaitre la justesse de ses avis. La passion que j'avais inspiree a cette jeune fille etait, j'en avais conscience, aussi profonde, aussi ardente que celle que j'eprouvais moi-meme; peut-etre plus vive encore; car mon coeur avait connu d'autres affections, tandis que le sien n'avait jamais battu que sous l'influence des tendres soins qui avaient entoure son enfance. C'etait son premier sentiment puissant, sa premiere passion. Comment n'aurait-il pas envahi tout son coeur, domine toutes ses pensees? Elle, si bien faite pour l'amour, si semblable a la Venus mythologique?

Ces reflexions n'avaient rien que d'agreable; mais le tableau s'assombrissait quand je cessais de considerer le passe. Quelque chose, un demon sans doute, me disait tout bas: Tu ne la reverras plus jamais! Cette idee toute hypothetique qu'elle fut, suffisait pour me remplir l'esprit de sombres presages, et je me mis a interroger l'avenir. Je n'etais point en route pour une de ces parties de plaisir de laquelle on revient a jour et a heure fixes. J'allais affronter des dangers, les dangers du desert, dont je connaissais toute la gravite. Dans nos plans de la nuit precedente, Seguin n'avait pas dissimule les perils de notre expedition. Il me les avait detailles avant de m'imposer l'engagement de le suivre. Quelques semaines auparavant, je m'en serais preoccupe; ces perils meme auraient ete pour moi un motif d'excitation de plus. Mais alors mes sentiments etaient bien changes; je savais que la vie d'une autre etait attachee a la mienne. Que serait-ce donc si le demon disait vrai? Ne plus la revoir, jamais! jamais!.. Affreuse pensee – et je cheminais affaisse sur ma selle, sous l'influence d'une amere tristesse. Mais je me sentais porte par mon cher Moro qui semblait reconnaitre son cavalier; son dos elastique se soulevait sous moi; mon ame repondait a la sienne, et les effluves de son ardeur reagissaient sur moi. Un instant apres je rassemblais les renes et je m'elancais au galop pour rejoindre mes compagnons. La route, bordant la riviere, la traversant de temps en temps au moyen de gues peu profonds, serpentait a travers les vallees garnies de bois touffus.

 

Le chemin etait difficile a cause des broussailles epaisses; et quoique les arbres eussent ete entailles pour etablir la route, on n'y voyait aucun signe de passage anterieur, a peine quelques pas, de cheval. Le pays paraissait sauvage et completement inhabite. Nous en voyions la preuve dans les rencontres frequentes de daims et d'antilopes, qui traversaient le chemin et sortaient des taillis sous le nez de nos chevaux. De temps en temps, la route s'eloignait beaucoup de la riviere pour eviter ses coudes nombreux. Plusieurs fois nous traversames de larges espaces ou de grands arbres avaient ete abattus, et ou des defrichements avaient ete pratiques; mais cela devait remonter a une epoque tres reculee, car la terre qui avait ete remuee avec la charrue, etait maintenant couverte de fourres epais et impenetrables. Quelques troncs brises et tombant en pourriture, quelques lambeaux de murailles, ecroulees, en adobe, indiquait la place ou le rancho du settler avait ete pose. Nous passames pres d'une eglise en ruines, dont les vieilles tourelles s'ecroulaient pierre a pierre. Tout autour, des monceaux d'adobe couvraient la terre sur une etendue de plusieurs acres. Un village prospere avait existe la. Qu'etait-il devenu? Ou etaient ses habitants affaires? Un chat sauvage s'elanca du milieu des ronces qui recouvraient les ruines, et s'enfonca dans la foret; un hibou s'envola lourdement du haut d'une coupole croulante, et voleta autour de nos tetes en poussant son plaintif wou-hou-ah ajoutant ainsi un trait de plus a cette scene de desolation. Pendant que nous traversions ces ruines, un silence de mort nous environnait, trouble seulement par le houloulement De l'oiseau de nuit et par le cronk-cronk des fragments de poteries dont les rues desertes etaient parsemees et qui craquaient sous les pieds de nos chevaux. Mais ou donc etaient ceux dont l'echo de ces murs avait autrefois repercute les voix? qui s'etaient agenouilles sous l'ombre sainte de ces piliers jadis consacres? Ils etaient partis; pour quel pays? Et pourquoi? Je fis ces questions a Seguin qui me repondit laconiquement:

– Les Indiens!

C'etait l'oeuvre du sauvage arme de sa lance redoutable, de son couteau a scalper, de son arc et de sa hache de combat, de ses fleches empoisonnees et de sa torche incendiaire.

– Les Navajoes? demandai-je.

– Les Navajoes et les Apaches.

– Mais ne viennent-ils plus par ici?

Un sentiment d'anxiete m'avait tout a coup traverse l'esprit. Nous etions encore tout pres de la maison; je pensais a ses murailles sans defense. J'attendais la reponse avec anxiete.

– Ils n'y viennent plus.

– Et pourquoi?

– Ceci est notre territoire, repondit-il d'un ton significatif. Nous voici, monsieur, dans un pays ou vivent d'etranges habitants; vous verrez. Malheur a l'Apache ou au Navajo qui oserait penetrer dans ces forets.

A mesure que nous avancions, la contree devenait plus ouverte, et nous voyions deux chaines de hautes collines taillees a pic, s'etendant au nord et au sud sur les deux rives du fleuve, ces collines se rapprochaient tellement qu'elles semblaient barrer completement la riviere. Mais ce n'etait qu'une apparence. En avancant plus loin, nous entrames dans un de ces terribles passages que l'on designe dans le pays sous le nom de canons8, et que l'on voit indiques si souvent sur les cartes de l'Amerique intertropicale. La riviere, en traversant ce canon, ecumait entre deux immenses rochers tailles a pic, s'elevant a une hauteur de plus de mille pieds, et dont les profils, a mesure que nous nous en approchions, nous figuraient deux geants furieux qui, separes par une main puissante, continuaient de se menacer l'un l'autre. On ne pouvait regarder sans un sentiment de terreur, les faces lisses de ses enormes rochers et je sentis un frisson dans mes veines quand je me trouvai sur le seuil de cette porte gigantesque.

– Voyez-vous ce point? dit Seguin en indiquant une roche qui surplombait la plus haute cime de cet abime.

Je fis signe que oui, car la question m'etait adressee.

– Eh bien, voila le saut que vous etiez si desireux de faire. Nous vous avons trouve vous balancant contre ce rocher la-haut.

– Grand Dieu! m'ecriai-je, considerant cette effrayante hauteur. Bien que solidement assis sur ma selle, je me sentis pris de vertige a cet aspect, et je fus force de marcher quelques pas.

– Et sans votre noble cheval, continua mon compagnon, le docteur que voici aurait pu se perdre dans toutes sortes d'hypotheses en examinant ce qui serait reste de vos os. Oh! Moro! beau Moro!

– Oh! mein got! ya! ya! dit avec le ton de l'assentiment le botaniste, regardant le precipice, et semblant eprouver le meme sentiment de malaise que moi.

Seguin etait venu se placer a cote de moi, et flattait de la main le cou de mon cheval avec un air d'admiration.

– Mais pourquoi donc, lui dis-je, me rappelant les circonstances de notre premiere entrevue; pourquoi donc etiez-vous si desireux de posseder Moro?

– Une fantaisie.

– Ne puis-je savoir pourquoi? Il me semble au fait que vous m'avez dit alors que vous ne pouviez pas me l'apprendre?

– Oh! si fait; je puis facilement vous le dire. Je voulais tenter l'enlevement de ma fille, et j'avais besoin pour cela du secours de votre cheval.

– Mais, comment?

– C'etait avant que j'eusse entendu parler de l'expedition projetee par nos ennemis. Comme je n'avais aucun espoir de la recouvrer autrement, je voulais penetrer dans le pays, seul ou avec un ami sur, et recourir a la ruse pour l'enlever. Leurs chevaux sont rapides; mais ils ne peuvent lutter contre un arabe, ainsi que vous aurez l'occasion de vous en assurer. Avec un animal comme celui-ci, j'aurais pu me sauver, a moins d'etre entoure; et, meme dans ce cas, j'aurais pu m'en tirer au prix de quelques legeres blessures. J'avais l'intention de me deguiser et d'entrer dans leur ville sous la figure d'un de leurs guerriers. Depuis longtemps je possede a fond leur langue.

– C'eut ete la une perilleuse entreprise.

– Sans aucun doute! mais c'etait ma derniere ressource, et je n'y avais recours qu'apres avoir epuise tous les efforts; apres tant d'annees d'attente, je ne pouvais plus y tenir. Je risquais ma vie. C'etait un coup de desespoir, mais, a ce moment, j'y etais pleinement determine.

– J'espere que nous reussirons, cette fois.

– J'y compte fermement. Il semble que la Providence veuille enfin se declarer en ma faveur. D'un cote, l'absence de ceux qui l'ont enlevee; de l'autre, le renfort considerable qu'a recu ma troupe d'un gros parti de trappeurs des plaines de l'Est. Les peaux d'ours sont tombees, comme ils disent, a ne pas valoir une bourre de fusil, et ils trouvent que les Peaux-Rouges rapportent davantage. Ah! j'espere en venir a bout, cette fois.

Il accompagna ces derniers mots d'un profond soupir.

Nous arrivions en ce moment a l'entree d'une gorge, et l'ombre d'un bois de cotonniers nous invitait au repos.

– Faisons halte ici, dit Seguin.

Nous mimes pied a terre, et nos chevaux furent attaches de maniere a pouvoir paitre. Nous primes place sur l'epais gazon, et nous etalames les provisions dont nous nous etions munis pour le voyage.

8prononcez kagnonz.